La forêt était silencieuse. Silmeria avait su se glisser sous un nid de verdure et y ramper jusqu'à atteindre un sentier peu encombré, de là, sous le coup de l'adrénaline, elle tira sa carcasse saignante encore sur une centaine de mètres. Retournant dans les fourrés de crainte de se faire remarquer et aligner par la flèche d'un Oranien, elle marcha trois pas et chuta lourdement dans un creux, le sol était inégal et la chute douloureuse. Silmeria avait la robe ensanglantée, la flèche était toujours plantée dans sa chair. Faute d'un chirurgien et d'un guérisseur, elle savait qu'elle n'avait pas le luxe d'attendre, il fallait s'opérer elle même. Contre un arbre, elle positionna son dos et tenta de briser la flèche de façon à l'arracher du côté de sa poitrine.
La manœuvre était difficile, sa respiration était dure et la douleur lui grimpait à la tête. Elle savait que la flèche n'était pas loin du cœur mais que l'extraire risquerait d'abîmer celui-ci. Le bois craqua après une courte pression. Silmeria eut un long et puissant vertige qu'elle imaginait dû à une grosse coulée de sang. Serrant les dents le plus possible, elle attrapa la pointe de la flèche qui avait percé de peu sa poitrine. Elle tira du bout des ongles et senti sa peau se déchirer dans le mouvement. La fugitive s'arrêta pour souffler, l'exercice était pénible et il fallait ensuite bander ses plaies. Les manches de sa robe feraient l'affaire, assez longues pour faire le tour du corps et bander correctement la plaie, et puis, elle n'avait pas l'embarras du choix.
Après avoir arraché la pointe et la tige qui allait avec, elle entoura sa poitrine sous le sein à l'aide de la manche qu'elle noua et fixa le mieux possible à l'aide de l'aiguille d'argent qu'elle cachait dans ses cheveux. Puis, elle ferma les yeux, si elle devait mourir, elle préférait le faire dans un sommeil, même tourmenté. La pluie tomba doucement, quelques gouttes qui se transformèrent vite en averse puissante, bien qu'elle soit sous un arbre, Silmeria ne tarda pas à être trempé, mais c'était bien là le cadet de ses soucis.
Au bout de quelques minutes, la boue s'était formée partout et la forêt, submergée par cette averse n'arrivait pas à absorber dans la terre toute cette pluie. Les rongeurs se terraient plus profondément dans leurs abris et terre et les oiseaux nocturnes restaient sur leurs branches, l'air confit, enveloppés dans un manteau de plumes.
Ses forces revenaient un peu, l'adrénaline retombait et sa respiration revenait à la normale. Cette flèche aurait pu être la dernière, maintenant, si tout se passait bien, elle ne serait qu'une signature de plus, gravée dans sa chair. Une ombre s'approcha de la femme.
« Regardez donc qui gît dans la boue. »Un frisson. Silmeria ouvrit les yeux et réalisa. Hrist. Sa jumelle maléfique, se tenait devant elle, droite, fière et posa sur elle un regard des plus glacials.
« On peine à croire que tu étais, il y a peu encore, la grande Baronne de Keresztur. Silmeria... Tu as tant changé. »Silmeria, dans son tourment réalisa soudain que tout était lié. C'était Hrist la cause de la mort d'Ayri, probablement elle qui avait accéléré l'attaque sur le château lorsque les assassins envoyés dans la Baronnie avaient échoués. Le cerveau de Silmeria s'affolait, l'adrénaline et la colère lui montait à la tête, elle ne dit rien mais brusquement, se leva pour attaquer sa jumelle.
Hrist évita la dague qui fendait l'air, la Frémissante cruelle et moqueuse s'y attendait certainement. La douleur à la poitrine refit brusquement surface, Silmeria reçut un violent choc au crâne, son mouvement trop rapide et brusque avait provoqué un vertige auquel son corps succombait lourdement. Hrist frappa la femme dans le dos, d'un coup de bonne, renversant cette dernière par tête, face première dans la boue.
« Tu m'as manquée, Silmeria. »Hrist s'avança doucement, elle semblait décidée à prendre son temps, savourer l'instant tant convoité. Tuer Silmeria, elle y tenait tant. Elle tira son arme. Silmeria rampait jusqu'à sa dague, blessée et affaiblie, elle savait que ses chances étaient moindres, Hrist était une tueuse hors-pair, elle n'avait rien à voir avec ces assassins arrêtés dans son domaine quelques mois plus tôt.
Se retournant, elle fit face à la Frémissante qui s'approchait toujours, les bottes s'enfonçant dans la boue et les cheveux noirs collés au visage sous l'effet de la pluie, Silmeria ne pouvait pas voir si elle portait une armure, la tueuse n'avait pas retiré sa cape qui enveloppait totalement son corps.
Bien que Silmeria soit tolérante à la douleur, celle-ci se faisait plus difficile à supporter, son bandage n'était pas fait pour résister aux mouvements et encore moins à un combat. Hrist était de plus en plus proche et Silmeria se releva le plus vite possible en faisant attention à ne pas retomber, empêtrée dans la boue qui lui collait la robe et les membres.
Debout, elle pointait Hrist du bout de sa dague, elles s'arrêtèrent de bouger et se toisèrent un long moment, en silence. La pluie tombait toujours, glacée sur ces corps bouillants de colère. La vue de Silmeria revint vite à la normale, les nerfs et l'adrénaline avaient fait leur effet, elle était maintenant dopée par la colère et son assaillante, par la vengeance. Le théâtre de la mort d'une de ces femmes serait la forêt d'Ynorie, peu fréquentée par les hommes. Sans les savoir, ces deux femmes joutaient sur un territoire fréquenté par les Orques.
Hrist rangea son arme. Silmeria d'abord surprise, estima qu'elle n'aurait pas deux chances d'en finir et fondit comme un animal sur la tueuse. Hrist pu esquiver l'assaut porté à sa poitrine par le kukri de sa proie. Elle évita aussi sans peine le second, sa victime étant lourdement handicapée par sa blessure, c'était comme se mesurer à un novice.
La Frémissante profita du manège et finit par saisir le poignet armé de Silmeria et lui frappa le muscle de la cuisse à l'aide de son genou, paralysant la jambe de sa victime qui manqua de tomber à terre. Tordant le poignet de la femme, Hrist rapprochait doucement la main armée de Silmeria vers la gorge de cette dernière, trop affaiblie pour résister à la pression exercée sur ses membres. Avant que la lame affûtée ne rentre en contact avec sa peau blanche de son cou, Silmeria se laissa tomber, faisant poids mort pour déséquilibrer Hrist qui cette fois-ci, n'avait pas envisagé cette possibilité. Une fois à terre, ayant presque entrainée son assassin dans sa chute, Silmeria envoya un violent coup de botte dans l'estomac de Hrist qu'elle entendit couiner sur le coup.
La tueuse n'avait aucune armure sous sa cape, pas même quelque chose qui ressemblait à une protection en cuir, elle pouvait donc frapper à hauteur de poitrine pour équilibrer l'affrontement ou mieux encore, la tuer sur place. Silmeria, profitant de l'instant, roula sur le côté et fut entraînée dans une pente raide fournie en buissons, ronces et bois morts divers sur lesquels elle manqua de se blesser davantage.
Le temps lui était compté, face à son adversaire, Silmeria savait que la meilleure option était la fuite, essayer de la semer dans les bois à la faveur de la pénombre et de s'exiler loin, très loin. En terminer avec son passé, c'était ce qu'elle avait de mieux à faire, faute de pouvoir tuer Hrist ici, ce soir.
Elle entendait lors de sa course, bien que ralentie par ses plaies, Hrist crier son nom dans les bois. Sans se retourner, elle vit des mouvements, juste en face d'elle mais la précipitation et la noirceur de la nuit firent qu'elle réagit trop tard et reçut un coup au visage, lui fendant l'arcade.
Silmeria retomba une fois de plus, beaucoup plus douloureusement cette fois et elle se trouvait face à trois orques aux visages terrifiants, lardés de cuir noir aux rivés de bronze, les mains calleuses qui serraient les armes bien tranchantes. L'un d'eux se pencha vers elle, la soulevant du sol en lui tirant les cheveux et colla son épée contre sa gorge. Ses deux compères ricanaient jusqu'à ce qu'un nouveau bruit dans la forêt se fit entendre.
« Hey. Elle est à moi ! »On lâcha Silmeria qui une fois à terre, estima qu'il n'était pas bon de remuer tout de suite pour s'échapper, toutefois, elle prit quand même soin de se retourner pour observer la scène, les orques étaient trois et pourraient bien tuer Hrist, dans la mêlée, elle caressait l'espoir de pouvoir s'enfuir.
La tueuse était droite, impériale, cette fois-ci, on distinguait mieux son visage, les longs cheveux noirs contrastaient sur sa peau pâle et ses yeux sombres, dévoilant les pires traits de sa prestance. Un orque s'approcha, amusé de voir deux femmes seules dans la forêt. Tira lentement son épée comme s'il en savourait le raclement métallique sur le fourreau, il n'était plus qu'à deux pas de Hrist qui ne lui faisait pas face, elle s'était placée de profil tandis que les deux autres molosses d'Omyre, eux, ne bougeaient pas.
Hrist, désarmée, attendit le premier coup de l'orque, elle esquiva l'attaque en lui attrapant le poignet et lui envoya un violent coup de coude dans la tempe. L'orque lâcha son arme à la faveur de Hrist qui la lui enfonça dans le crâne d'une attaque descendante.
Il tomba comme une masse, Silmeria en resta bouche bée et les deux orques, ivres de colères et aussi, intérieurement verts de peur se ruèrent sur la tueuse.
Silmeria s'enfuit de nouveau, espérant que le combat dure un peu plus longtemps que le premier pour mettre de la distance entre elle et sa jumelle. C'était mal estimer la gravité de ses blessures.
La forêt devenait de plus en plus dense, et en son for intérieur, elle savait que les orques grouillaient ici, les trios perdus de Garzock sont rares, trop pour relever de la coïncidence, d'autres trainaient leurs carcasses malodorantes dans les parages et elle souhaitait plutôt qu'ils rencontrent Hrist qu'elle même, faute d'être capable de se défendre contre l'un ou contre l'autre. La peur au ventre, pour la première fois, lui fit abandonner presque tout espoir de voir le soleil se lever.
De son côté, Hrist avait fait des boulettes de ses deux assaillants, laissant derrière son sillage trois cadavres amoureusement mutilés. Elle se remit en chasse et sa détermination semblait sans faille. Elle se savait proche du but et des larmes de joie perlaient au coin de ses yeux.
Silmeria arrivait au bout du chemin praticable. Un fossé séparait sa route et la suivante, à quelques mètres plus loin. Impossible de sauter sans y laisser sa peau, la pente était trop abrupte pour bien se réceptionner. Silmeria se retourna, derrière elle, la fugitive vit Hrist avancer, l'air mauvais.
Silmeria dégaina de nouveau son arme, Hrist ne dit rien, elle non plus. Toutes deux entamèrent un combat au corps à corps brutal et sans pitié, la lune, ronde et argentée, veillait à éclairer le combat. La pluie avait cessé, mais les deux femmes étaient trop absorbées par la haine pour s'en rendre compte. Le claquement du métal attira l'oeil de quelques créatures nocturnes, les chouettes se turent et gardèrent un oeil sévère sur le combat, oubliant les petits rongeurs qui, curieux, observèrent avant de s'enfuir croquer des fruits secs tombés des arbres.
Hrist avait clairement le dessus, Silmeria en difficulté, savait que le jeu cruel de son adversaire était de la rendre la plus faible possible avant de l'exécuter comme une bête. La Frémissante retenait ses coups et veillait à, lorsqu'elle le voulait, ne couper que superficiellement sa victime qui s'entêtait à lui rendre ses coups, avec nettement moins de succès.
Lorsque Silmeria finit à genoux, Hrist n'avait que de petites coupures sans gravité le long des bras et des mains. Silmeria, en plus de la flèche reçue, avait de sévères coupures au bras gauche qui handicapaient totalement sa maîtrise et sa combativité, elle l'ignorait, mais ses tendons étaient coupés. La lune se reflétait sur le le sang qui coulait le long de ses bras.
« J'ai un peu de peine pour ma jolie petite poule de Silmeria. Regarde la, dans la boue et terrassée, on dirait une volaille, il ne lui reste plus qu'à lui lier les pattes et la mettre en cocotte. »Les yeux fichés sur la terre humide, elle vit apparaître dans son champ de vision, les bottes de l'assassin qui la traquait.
« La Mort n'est jamais un hôte très bien venu»
Sa voix était douce, maternelle. En dépit de la haine, toutes deux étaient empruntes d'un amour fusionnel, l'une pour l'autre, mais il était trop tard. Hrist se baissa et fit glisser sa main le long des cheveux de Silmeria, tirant doucement la chevelure vers l'arrière pour exposer sa gorge. Silmeria avait perdu son Kukri dans l'herbe, à deux pas d'elle. Hors de portée. Hrist était calme, sa respiration et son contrôle étaient parfaits, même après un combat. Sa seule solution, résidait dans sa troisième arme, la plus discrète. L'aiguille. Hrist approchait son arme de la gorge de Silmeria qui, vive comme l'anguille, tira l'aiguille de son bandage et l'enfonça dans le corps de Hrist, dans trop savoir où. Hrist ayant vu le mouvement, glissa son arme sur la gorge de Silmeria, mais trop tard.
Toutes deux tombèrent à la pleine lune. Aucune des deux n'était encore morte. Silmeria sentait la détresse la gagner à mesure que ses forces la fuyaient, à tel point que la lune se tripla au dessus de son visage. Hrist était tombée à côté d'elle, sur le ventre, impossible de voir où était porté le coup et s'il avait été fatal ou non.
Silmeria n'osait pas toucher sa gorge, la douleur lui indiquait qu'elle avait manqué son coup, probablement porté trop bas mais trop de sang semblait avoir coulé, ses forces absentes, elle ferma les yeux à défaut d'avoir une meilleure idée.