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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mar 18 Sep 2012 14:30 
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Des crocs dans la nuit

La distance qui sépare les deux hommes d’un havre de paix paraît ne jamais vouloir diminuer. Une santé de fer, la lumière du jour et un repas sustensif, cela aurait suffi à abolir chez eux l’impression d’infini qui les pénètre à chaque pas. La douleur vient avant l’infini, mais elle contribue à entretenir le malaise auquel sont en proie Caabon et le berger. De nuit la plaine est trompeuse, ses agréables vallons cachent toute lueur à laquelle se raccrocher, et les courbes de terrain se ressemblent à s’y méprendre sous la lune. Les belles couleurs des champs se sont éteintes pour laisser place à des nuances de sombre, le chant du monde diurne s’est tu, laissant la place à d’autre bruits qui ont des échos de menace pour qui fait une proie facile. Quelle plus belle aubaine qu’un troupeau de chèvre, un berger qui semble promis à l’amputation et un voyageur à peine en meilleur état ? Certes, les patrouilles ynoriennes font un travail exemplaire de traque et de surveillance, assurant une sécurité relative pour qui souhaite parcourir les terres de la République, mais un petit groupe de malfaiteurs ou de malfaisants peut bien passer les mailles du filet et montrer aux égarés le plus court chemin pour un repos éternel. Le pâtre a orienté l’étrange cortège vers ce qui ressemble sous la lune à un chemin tracé par les passages successifs, trop peu important pour être régulièrement sillonné par des hommes en arme.

L’épreuve psychologique s’ajoute à la difficulté proprement physique de la marche, accablant les marcheurs d’un double fardeau. Les animaux seuls manifestent une certaine insouciance. Leur peur instinctive de la nuit est tempérée par la présence de deux humains, aussi avancent-elles en bon ordre, reconnaissant probablement le chemin de l’étable, les plus téméraires allant brouter un pissenlit ou une autre plante à leur goût pointant ses feuilles sur le bord du chemin, pour revenir aussitôt dans le sillage réconfortant du groupe. Des bêlements saluent la palissade imposante, bande gris sur bleu-nuit, où s’allument aussitôt des torches. Les habitants ont rarement pour habitude de signaler de quelque manière que ce soit leur position aux maraudeurs, mieux vaut leur éviter de trop facilement trouver leur chemin et leur réserver la surprise d’une garde alerte. Seulement, les bandits ne s’embarrassent jamais d’un cheptel caprin, ou de quelque cheptel que ce soit, et les garzoks comme les sektegs en auraient tôt fait leur repas : voilà ce que dicte la sagesse populaire à ceux qui s’agite derrière l’ouvrage défensif au pied duquel sont parvenus les deux infortunés. Si l’on ouvre les deux lourds battant de la porte, c’est que l’on a reconnu un fils de bonne famille qui aurait dû se trouver dans son lit plutôt que sur les chemins. Quant à celui qui le soutien, il est inconnu et suscite donc la méfiance ; son allure ne contribue guère à lui gagner les faveurs de la population locale. Deux hommes solides emportent le blessé vers une maison, quatre autres, hache à la main, forment un arc de cercle devant Caabon ; derrière lui, la porte s’est refermée ; autour d’eux, les curieux gardent leur distance.

« Je me nomme Nedam Dal, j’suis le forgeron de ce village et le porte-parole. Je ne sais pas qui tu es, mais t’es encore en vie parce que t’as ramené un gamin d’chez nous. Cherche pas à nous embrouiller, y’a des gars ici qui s’débrouillent pas mal avec un arc, et y s’hésiteront pas à t’le montrer. Quand l’Ancienne a fini avec le p’tiot, elle va nous dire c’que tu vaux. En attendant, tu bouges pas. »

Les spécimens dont se voit entouré Caabon sont sans doute ce qu’il se fait de plus menaçant et imposant dans le village, leur carrure et leur taille dépassent largement les moyennes ynoriennes. C’est à qui fera la tête d’enterrement la plus réussie, qui affichera l’air le plus patibulaire devant l’étranger. A mesure que le temps passe, les curieux se font moins nombreux, le spectacle attendu ne vient pas et le sommeil pèse d’autant plus sur leurs paupières qu’une longue journée attend certains le lendemain. La foule regagne peu à peu son lit, laissant les intéressant se donner des airs de statue dans le noir. Le chuchotement étouffé des conversations laisse place au crépitement de la résine des torches, et aux cris du blessé que l’on soigne. Le Wotongoh est depuis longtemps entré dans un état second, son corps est debout sur la place, son esprit ailleurs, il ne pense pas, il ne rêve pas. Dès lors il lui est impossible de remarquer les signes de fatigue chez ses vis-à-vis, les mâchoires de l’un crispées par un bâillement étouffé, les clignements d’yeux plus fréquents pour un autre, et même un malheureux qui essaye de retenir plus longtemps sa vessie au pris de quelques mouvements d’impatience qui – il l’espère – n’ont pas été remarqué. Seul Nedam Dal demeure rigide, impassible, moins malléable par les contraintes physiques de toutes sortes que l’acier qu’il travaille : son esprit borné domine son corps.

« Rooooooh ! Mais quelles vilaines têtes ! »

La voix de crécelle ramène tout le monde à la réalité, deux hommes sursautent. Nedam Dal se retourne comme pivote un bloc de granit, dominait ainsi de toute sa hauteur et de toute sa musculature un vieille déjà petite et encore plus verticalement défavorisée qu’elle se tient pliée et deux, soutenue par un bâton ayant la droiture d’une racine rebelle. Certes, un incroyable foisonnement de cheveux blancs que peine à retenir un châle de couleur indistincte lui permet de gagner quelques centimètres ; c’est encore trop peu. Pourtant, quelque chose dans l’attitude du forgeron et dans sa voix montre que cette créature lui inspire une certaine crainte. Lorsqu’il s’adresse à elle, sa voix est plus douce, et on percevrait presque le A majuscule de son nom.

« L’Ancienne, voilà l’étranger qu’a ram’né Ceba. On attendait d’savoir c’que tu penses qu’on d’vrait en faire. L’a pas l’air très net, avec son masque et tous ce sang. On peut l’virer… mais bon… comme on sait pas qui c’est, c’qui f’sait là… enfin on pourrait p’t'être régler ça… pour de bon… »

« Nedam Dal, grand nigaud, tu es le porte parole de ce village, alors parle et évite de trop réfléchir, laisse cela à ceux qui en ont l’habitude. Tu vas retrouver ton lit, ta femme qui doit y trembler de froid. Et les autres aller donc là où vous devez vous trouver ! Moi je m’occupe de ce jeune homme, il n’a pas l’air si méchant après tout. Je lui trouve une belle allure moi… aller, viens ! »

Le groupe obtempère, chacun rentre chez soi, sauf un qui fait un crochet par les latrines pour y vider sa vessie proche de l’implosion. La vieille a pris le chemin de sa maison, attendant de toute évidence que Caabon la suive, du moins le comprend-il lorsqu’elle se retourne vers lui en frappant avec impatience le sol de sa canne.

(Au point où j’en suis, autant obtempérer. Après tout, qu’est-ce que je risque ? Qu’elle me fasse des avances ? La porte est fermée, je ne pourrai pas retirer le linteau tout seul, et puis les sentinelles m’abattraient sans hésiter. Je ne sortirai que quand ces gens le voudront bien, et pour l’instant, il n’y a que cette grand-mère qui ait pris mon parti.)

« Viens ici grand dadais, j’ai une soupe sur le feu, et si je ne me charge pas de la remuer, elle va attacher. Tu en auras un bol si tu es sage. »

La faim décide le Wotongoh à suivre cette excentrique.

Chez l'Ancienne

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Dernière édition par Caabon le Dim 7 Oct 2012 13:52, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Dim 7 Oct 2012 13:46 
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Au village

La maison de la vieille semble plus ancienne qu’elle, mais des deux il émane une force dont même l’âge ne peut faire douter. D’ailleurs, celle que le forgeron a appelé « l’Ancienne » s’est redressé sitôt le pas de sa porte passé, révélant un visage que de prime abord seul le sol contemple, marqué par les années mais pas assez pour le rôle qu’elle joue. Sa canne est reléguée contre un mur où s’alignent d’autres de ces accessoires tous aussi tordus et noueux, le châle à la patère de la porte, et d’un pas assurée la petite vieille se dirige vers sa marmite de soupe. L’habitation paraîtrait exigüe pour une famille, or rien ne laisse penser qu’il y ait plus d’une occupante : cette dernière doit donc trouver le lieu assez spacieux et confortable. Peut-être pas assez spacieux si l’on considère le zèle avec lequel un amas conséquent de bric et de broc est réparti dans tout la pièce principale – qui se trouve être la seule. Les murs disparaissent derrière des étagères fixées à même la pierre où tout s’empile sans soucis apparent d’ordre, on ne distingue plus les poutres : tant de bouquets de plume, de plantes, de fleurs y sont suspendus ; et puis il fait trop sombre. Les flammes couvrent d’une lumière orange le capharnaüm, accentuant les ombres, donnant des allures étranges à des objets probablement communs. Qui sait ce qui peut alors surgir de sous la pile de vieilles couvertures ?

Caabon l’ignore, aussi s’empresse-t-il, son égarement contemplatif passé, de rejoindre le havre lumineux que constitue l’âtre. L’Ancienne a déjà, non sans effort et grognements, retiré le chaudron de la crémaillère, pour le déposer sur la pierre, non loin des braises. Deux bols de bois passent du manteau de la cheminée à la table basse, non sans que la poussière qui les couvrait soit essuyée d’un revers de tablier. Assis sur un tabouret, le jeune homme ne dit rien, ses yeux suivent le mouvement de la louche, son ventre ne peut retenir un gargouillement d’impatience.

« Mange donc, mais fais attention, c’est chaud. »

Acceptant la cuillère tendue, il ne se fait pas prier.

« Je vais attendre que ça refroidisse, ma vieille langue ne supporte guère la soupe brûlante. En attendant, je vais parler un peu, ça ne m’arrive pas souvent d’avoir un auditoire. »

Le regard de Caabon se porte vers la vieille, il hoche la tête en signe d’assentiment, mais renonce à regarder son interlocutrice devant la difficulté qu’il a de pêcher les morceaux de lards les plus appétissants à l’aveugle.

« Je m’attendais à te voir arriver. »

« Pardon ?! »

« Tais-toi et mange, laisse-moi parler, tu poseras des questions ensuite, si tu en as encore. Tais-toi j’ai dit. Ne perds pas ton temps avec des excuses qui n’ont lieu d’être que là où on veut se masquer derrière la politesse. Mange. Ah… je vois que ma soupe au lard te plaît. On m’a toujours dit qu’elle était délicieuse… Bon, où en étais-je avant que tu ne m’interrompes grossièrement ? … Ah oui, je disais que je m’attendais à te voir arriver. Vois-tu, si tout le monde me prend pour une sorcière dans ce village, raison pour laquelle je dois donner une image si exécrable de moi, ce n’est pas seulement parce que je peux soigner les gens et prononcer des malédictions de manière effrayante…Ah ça oui, elles font peur, absolument inefficaces, mais bon… il y a toujours des choses qui vont de travers dans la vie, et pour peu que je hurle comme une possédée des paroles incompréhensibles, on me les attribue ! Donc si je passe pour une sorcière, ce n’est pas seulement pour ça. Je vois les choses avant qu’elles n’arrivent. Oh, ne me regarde pas bêtement et mange ! Je ne lis pas l’avenir, je n’ai pas fait ma profession de dire la bonne aventure ! De toute façon, si on se met à révéler l’avenir, il y a des chances pour que celui-ci change. Moi, je vois des choses, des images, j’ai des sensations. J’ai vu ce qui allait arriver à Ceba, mais j’ai aussi vu que quelqu’un allait nous le ramener en vie, que je pourrais le sauver. Si j’avais envoyé des hommes du village à sa rencontre… je ne sais pas ce qui se serait passé, mais ça aurait pu être pire. C’est un lourd fardeau parfois de laisser faire les choses… »

Elle interrompt son monologue pour prendre le bol vide des mains de son interlocuteur et le remplir à nouveau, avant de le lui coller d’autorité entre les mains. Assise à nouveau, elle lisse coquettement sa robe, son tablier, avant de reprendre.

« Je suis née ici, mais j’étais trop jeune pour assumer mon don. J’étais différente, tout comme toi. Alors tout comme toi je suis partie. Mais je pouvais plus facilement cacher ce qui me différencie. J’ai vu le monde, bien vécu, au-dessus de ce que pouvait espérer une paysanne. Et puis j’ai vieilli, j’aurais pu continuer de voir le monde, mais les temps ont changé, la guerre est venue, alors je suis revenue là où je suis née. On a besoin de moi ici, je soigne, je préviens quand je sens que quelque chose risque d’arriver, je les aide à ne pas faire trop de bêtises. Sans moi, ils t’auraient tué. Avec des remords, sans doute, jusqu’à ce qu’ils ôtent ton masque du moins… D’ailleurs tu devrais arranger les yeux, histoire d’avoir un meilleur champ de vision… Ils n’ont pas un mauvais fond, c’est seulement que les temps sont durs. Ils ont des femmes, des enfants, des vies à préserver. Ils ne peuvent pas prendre de risque. C’est pourquoi toi tu ne peux pas rester. Tu ne pourras pas garder ton secret, et ça t’attirera des ennuis. Demain tu devras partir, mais d’abord je vais te remettre sur pied. Elle est bonne cette soupe au lard ? »

Les yeux de Caabon se ferme, il se sent vaciller, ses perceptions se brouillent, à peine a-t-il le temps d’entendre une dernière fois la voix de l’Ancienne avant de sombrer dans l’inconscience.

« J’ai appris deux trois tours de passe-passe quand j’étais jeune… dors bien mon petit… »








On chante. « Passe ici le fil, repasse par là, c’est un beau manteau que voilà. »

La douleur. « Oh ! Quel vilain bleu ! Je vais essayer d’améliorer ça… »

Le froid. « T’es pas trop mal comme garçon ! Ah… si j’avais soixante ans de moins ! »

Le soleil. « Tu te réveilleras sur la route de Bouhen. Il ne t’arrivera rien si tu suis la route, si tu ne t’écartes pas du chemin. Tu parviendras indemne à destination. Pour le reste, ton avenir t’appartient. Toutes tes affaires sont dans ton sac, j’y ai rajouté des provisions, elles se conserveront. J’espère que ce nouveau kimono t’ira, cela faisait longtemps que je n’avais pas fais de la couture, je crois que je ne me débrouille pas trop mal. Vis ta vie mon garçon, mais crois en mon expérience, voyager ne sers à rien si on ne fait pas bouger les choses dans sa tête. Pas pour le genre de voyage que tu as entamé en tout cas. Veille à ce que le grand air des nouvelles contrées aère ta caboche, c’est tout ce que je peux te donner comme sage conseil. Ah, si, veille à ce que ton partenaire ne te laisse pas comme souvenir une maladie honteuse, ou constitue toi une bonne pharmacie. »



C’est la route de Bouhen, il en est certain. D’ailleurs, à sa droite une borne marque la direction, la distance. Ce qu’il ignore, c’est à quelle distance il se trouve du village. Il pourrait rebrousser chemin, chercher, trouver. Ce serait un bien piètre remerciement pour celle qui l’a aidé. Le kimono dont elle l’a revêtu est d’une bonne coupe, le tissu résistant sans être trop épais, même si Caabon aurait préféré qu’elle choisisse une autre couleur que bleu-nuit. Il en est à se tordre le cou pour observer les coutures et ce qui ressemble à l’extrémité d’une patte brodée sur son épaule lorsqu’il lui vient à l’esprit qu’il doit offrir un spectacle bien singulier, immobile au milieu de la route, à se comporter comme s’il sortait de chez son tailleur. Retrouvant contenance, il affermit sa prise sur son bâton et reprend la marche là où son retour à la conscience l’avait interrompu, cette fois-ci avec tout son esprit. Bouhen est encore loin, mais il se sent plus léger à l’idée que rien ne lui arrivera s’il ne quitte pas le chemin. Et si l’Ancienne ne s’est pas trompée. Ou si elle n’a pas menti.

Un nouveau jour de marche

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Dernière édition par Caabon le Dim 7 Oct 2012 13:53, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Dim 7 Oct 2012 13:51 
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Chez l'Ancienne

Nul évènement notoire ne vint émailler la deuxième journée de marche vers Bouhen. Selon les prévisions de Caabon, quatre jours lui seront encore nécessaires pour gagner sa destination, s’il maintien son rythme de marche et si rien ne vient perturber son voyage. Les mots qu’il a entendu à son réveil sur la route n’ont cessé de tourner dans sa tête, chaque découverte étant l’occasion de remettre en question le conseil qui lui a été donné. Un étang, un verger, un cours d’eau aperçu depuis la chaussée, des choses bien anodines mais qui ont éveillé en lui une curiosité qui manqua plus d’une fois de l’emporter sur la prudence ; la chaleur du jour n’était pas étrangère à la tentation induite par l’élément liquide.

Tout au long de la journée, il a résisté, et la nuit, en plongeant la campagne dans une obscurité traîtresse, dérobe à ses yeux les prétextes à quitter la voie pour s’engager sur les sentiers et découvrir les merveilles champêtres. Les quelques voyageurs qu’il a croisés ne sont plus que des souvenirs, des silhouettes sur lesquelles il ne s’est pas attardé, des gens qui comme lui ont un but et ne tiennent pas à s’éterniser sur les chemins. Sous les étoiles, il est maintenant seul, les luminaires célestes lui dispensent le peu de clarté indispensable à la poursuite de la marche, insuffisante pour distinguer autre chose que des ombres à sa droite comme à sa gauche. S’il y a des villages, ils ne doivent laisser aucune lumière que l’on puisse distinguer de loin briller, sans doute par prudence. Caabon sait que s’il a progressé vers le sud, il n’en est pas pour autant à l’abri. Il a croisé moins de patrouilles, car celles-ci sont loin des forts et des villes, mais la menace des bandits et des créatures d’Oaxaca n’en est pas moins présente. Un jour son mentor lui avait montré une carte du continent. L’esprit de l’enfant qu’il était alors fut frappé par la qualité des illustrations, la finesse avec laquelle on avait dessiné les arbres, les cours d’eau, les localités, et surtout par le massif montagneux, dont il connaissait l’existence sans pour autant imaginer qu’il était si étendu. La leçon de géographie porta alors sur les moyens de se déplacer d’une ville à l’autre par les routes terrestres ou maritimes. A un moment, il fut question des montagnes.

(Les montagnes. Les sektegs et les garzoks peuvent passer par les montagnes, s’éloigner des chemins où l’on pourrait les rencontrer, descendre vers le sud, bifurquer vers la plaine et atteindre des lieux presque à mi-chemin entre Bouhen et Oranan. Peu le font, mais c’est une possibilité. Une possibilité. Un risque. Si je quitte la route, je prends un risque. Des gens prennent des risques en s’installant loin des villes, mais on ne pourrait pas tous vivre dans les villes… et vivre en ville est un risque : si une épidémie vient à se déclarer, si un voleur en veut à votre argent, un assassin à votre vie… Je suppose que l’on prend toujours des risques, mais certains sont plus terribles que d’autres. Les voleurs et les assassins font-ils plus de ravage que les hordes d’Oaxaca ? Au moins sont ils à portée des hommes de la milice, et probablement moins organisés, moins nombreux que la population susceptible de s’opposer à eux…)

Les gargouillements de son ventre arrêtent net Caabon dans ses considérations sur la guerre et le crime pour le rappeler à des préoccupations plus personnelles. Non seulement il a faim, mais ses jambes l’élancent et témoignent du peu de marches qu’il lui a été donné d’effectuer au cours de sa vie. Un arrêt s’impose à lui par la double nécessité du repas et du repos : il sait pertinemment qu’il ne peut pas continuer à avancer toute la nuit et espérer tenir un rythme aussi soutenu que les deux premiers jours le lendemain. Aussi préfère-t-il effectuer une halte à la faveur de la nuit, lorsqu’il l’a décidé, plutôt que d’être pris par la fatigue à un moment malvenu. L’avertissement de l’Ancienne a cependant encore tout son poids.

(Ne pas quitter la route. Elle entendait probablement par là ne pas s’égarer, ne pas aller voir ailleurs. Je ne vais quand même pas dormir sur une dalle, au milieu de la route, bien en vue, à la merci du premier bandit venu, ou même du premier curieux qui souhaiterait voir qui dort sous le masque.)

Marcher encore jusqu’à trouver un abri fiable. Ou ce qui peut y ressembler le plus depuis la route. L’occasion se présente lorsqu’il s’approche suffisamment d’un rocher pour en distinguer la masse imposante se découpant plus sombre sur la toile nocturne. Guère à l’écart de la route, il a la forme d’une amende, émerge du sol en pointant vers l’horizon, si bien qu’il n’y a qu’un léger écart à son extrémité entre lui et une couche de mousse qui s’est développée à l’abri du soleil. C’est tout du moins ce que découvre à tâtons Caabon après s’être écarté du chemin. Prudemment, il fouille ce refuge du bout de son bâton pour en déloger d’éventuels reptiles venimeux. Rien ne bouge, rien n’est dérangé, aussi Caabon sort-il de son sac sa couverture, s’y enveloppe et se love-t-il sous la pierre dans la position la plus confortable permise par la situation. Serrant son sac entre ses bras, il s’endort avant même d’avoir songé à manger un morceau, la fatigue l’emportant sur la faim dans les exigences du corps.



Le soleil s’est levé sur la plaine au sud d’Oranan, éveillant peu à peu la faune et la flore pour une nouvelle journée qui s’annonce radieuse. Seulement, Caabon a tiré sur ses yeux un pan de sa couverture, se protégeant ainsi des rayons du soleil ; la chaleur, loin de l’éveiller, le berce dans son monde de rêve. C’est finalement le contact froid de la peau d’un lézard sur son front qui l’éveille en sursaut. Eveil trop vif, puisqu’il n’a pas le temps de se souvenir d’où il se trouve, le contact rude de son crâne avec la pierre lui rappelle brusquement les évènements de la veille. A la douleur succède une sensation plus familière.

Alors qu’il se soulage sur l’herbe couverte de rosée, à quelques pas de son campement précaire, il songe à ces deux derniers jours, à son départ d’Oranan, à la distance parcourue.

(C’est peu. Que sont deux jours en comparaison des années passées derrière les murs d’Oranan ? Rien. Pourtant je ne suis jamais allé aussi loin, je n’ai jamais vu tant de nouvelles choses. Encore quelques jours de voyage et je serai à Bouhen. Mais il ne s’agira probablement que d’une escale. Noir à Oranan, noir à Bouhen. Une vie clandestine. Dissimulation. Dissimulation... Clandestinité…)

Les idées continuent à faire leur chemin derrière le masque de bois, tandis que le wotongoh se livre aux préparatifs de départ. Son petit déjeuner à base de viande séchée, de pain noir et de fruits secs constituera son seul repas de la journée, aussi savoure-t-il chacune des bouchées, même s’il regrette de ne pas avoir un peu de lait pour y tremper le pain dont sa mâchoire peine à venir à bout. Portant à sa bouche les noisettes qu’il a prélevé dans son sac, il observe avec attention la progression du lézard sur le rocher vers la partie exposée au soleil. Outre les déplacements du reptile d’une aisance impressionnante sur une surface verticale, Caabon est fasciné par la peau écailleuse et la manière dont elle permet à l’animal de se fondre dans son environnement. Certes, elle ne reprend pas exactement les motifs du rocher – (comment cela se pourrait-il d’ailleurs ?) – mais les tons qu’elle arbore en font une excroissance tout à fait crédible, qui plus est transportable sur d’autres surfaces.

(Un lézard gris serait vite repéré, trop gris pour faire vraiment rocher. Et quand bien même le serait-il, il ne pourrait pas bouger. Comme certains insectes que j’ai vu hier, ils ne sont pas d’une couleur unie, ils arborent une palette de couleur impressionnante, aussi variée que l’environnement dans lequel ils évoluent. Il n’y a bien que dans les histoires que les assassins dans les ruelles ou les amants dans les jardins portent du noir et croient se fondre dans la nuit. Même nue, ma peau ne me permettrait pas de faire une ombre crédible. Je serais trop sombre parmi ce qui ne l’est pas. Que j’étais ridicule, tout de noir vêtu, à courir les rues d’Oranan en cachette. Assurément, ma prudence seule m’a valu de ne pas me faire prendre, ma tenue n’aurait trompé personne. Pas de noir pour qui veut se fondre dans la nuit, pour le lézard pas de gris. Il y aurait de quoi en faire une comptine à l’usage des apprentis assassins…)

Ces quelques considérations de naturaliste achevées, l’impératif du voyage reprend la priorité dans l’ordre des pensées de Caabon, qui considère avec une certaine bonne humeur le temps favorable sur lequel il peut compter pour cette journée durant laquelle il atteindra la moitié de son parcours selon ses estimations. Un orage ou une averse serait un incident fâcheux, hormis son sac de cuir, aucune de ses possessions n’est imperméable, si bien qu’une averse le laisserait trempé, avec la seule consolation que ses provisions seront restées au sec. Maigres provisions cependant, bien qu’augmentées de quelques dons de l’Ancienne, elles ne lui accorderont guère le temps de flâner en chemin, et ne sont pas très variées. De quoi reprendre des forces mais tout juste. Ce que contient son sac permettra à Caabon de marcher encore cinq jours ; trois en plus de celui qui débute lui paraissant nécessaire pour gagner sa destination, il ne s’inquiète pas des questions alimentaires. Sa seule crainte repose sur les impondérables d’un voyage.

(L’Ancienne a dit qu’il ne m’arriverait rien si je ne quittais pas la route. Espérons qu’elle ne s’est pas trompée…)

Une bavarde bien vieille

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Dernière édition par Caabon le Dim 7 Oct 2012 15:13, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Dim 7 Oct 2012 15:11 
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Un nouveau jour de marche

Les deux jours de voyage de Caabon furent à l’image de la tranquillité du ciel et de la campagne environnante. Il aperçut à nouveau des paysans dans les champs à mesure qu’il se rapprochait de Bouhen, et ce regain d’activité était le signe de la proximité de sa destination. Fort heureusement, les voyageurs qu’il croisait ne l’interpellaient pas, et ne prêtaient guère attention à sa personne. Sa plus grande surprise fut sans doute la longue caravane de marchands qu’il remonta avec un vif étonnement tandis que celle-ci prenait la route du nord. Voilà sans doute ce qui expliquait l’absence de tout convoi durant les premiers jours de son trajet : les marchands, pour plus de sécurité, se déplacent en colonnes bien escortées, aussi mutualisent-ils les risques et les dépenses liées à la prévention de ceux-ci. Des gardes armées allaient à pied, à cheval pour les mieux équipés, formant de leur corps une barrière entre le monde extérieur et les chariots. Au milieu d’eux allaient les individus les plus vulnérables, encore qu’armés pour la majorité d’entre eux. Il n’y avait pas que des marchands, on remarquait aussi des voyageurs qui avaient dû payer leur place, échangeant contre quelques yus un surcroît de sécurité. Un groupement si important de marchandises devait exciter la convoitise de nombreux bandits, mais quelle bande pouvait être assez importante pour s’en prendre à une telle expédition ? Probablement aucune, une telle troupe aurait été neutralisée bien vite par les milices des différentes citées, la menace qu’elle représenterait justifiant une expédition pour mettre fin à son existence et à ses exactions.

Au matin du sixième jour de son voyage, Caabon peut constater sur une borne de pierre dressée au bord de la chaussée qu’il n’est plus très loin de Bouhen, et que quelques heures de marche seulement le séparent de la cité. Le relief lui cache les murs qu’il ne tardera pas à apercevoir au loin. A peine a-t-il marché deux heures depuis l’aube qu’il découvre, assise sur une pierre, une petite vieille, une hotte à ses pieds, une grossière ombrelle à la main pour se protéger des rayons du soleil qui ne tarderont pas à cuire la terre et tous ceux qui l’arpentent. Cette maigre protection contre la chaleur ne semble pas superflue. (Mais elle doit étouffer !). En effet, la grand-mère porte une robe noire à manches longues que l’on devine épaisse, un châle de laine couvre sa tête, et les pieds qu’elle a étendu sur sa hotte sont logés dans des souliers de cuir doublés de fourrure. Le spectacle ne manque pas d’étonner Caabon, mais sans plus ; comme il la dépasse ses pensées se tournent à nouveau vers Bouhen et son avenir. Il manque donc de sursauter lorsqu’une voix aigue, forte mais portant la marque de l’âge, l’interpelle en ces termes.

« Eh, le Masque, viens voir un peu par ici ! »

Les mots choisis ne laissent planer aucun doute quand au destinataire, d’autant plus que la vieille et le wotongoh sont les seuls sur ce pan de la route, mais Caabon hésite à se retourner, peu enthousiaste à l’idée de faire une nouvelle rencontre aussi incongrue.

« Sois t’es sourd comme un pot, sois t’as pas encore appris le respect qu’on doit aux anciens ! Viens ici, j’t’appelle, j’ai b’soin d’aide ! Tu vas quand même pas laisser une vieille en détresse au bord d’la route, comme un malpropre ! Viens ici grand dadais, ou j’te jure que toutes les malédictions que j’vais t’cracher sur l’dos vont pas t’laisser en paix ! Tu pourras plus jamais faire quoi que ce soit à une fille quand j’me s’rai occupé d’ton cas ! C’est plus des noix qu’t’auras mais des pruneaux secs, faudra plus compter sur ton manche pour prouver qu’t’es un homme à qui qu’ce soit ! Ah ben voilà ! C’est quand même malheureux d’obliger quelqu’un d’mon âge à se salir la langue pour écouter ! »

« Que puis-je faire pour vous, madame ? »

« V’là qu’y m’donne du madame ! Et qu’y m’parle poliment ! Ben pourquoi t’as pas commencé à t’arrêter quand j’te l’ai d’mandé si t’es si grand monsieur qu’ça ! ‘fin tu sens pas la rose pour un « môsieur »… Toute façon, c’pas ton odeur qui va m’gêner, j’ai gardé des chèvres autrefois, tu pues pas pire qu’un bouc, et pour c’que j’vais te d’mander, c’que tu sens j’m’en fiche pas mal. Tu vois la hotte là. Ben l’est trop lourde pour mon vieux dos, et j’compte pas abandonner ma récolte ici, donc si tu m’donnes un coup d’main pour amener ça jusqu’au marché de Bouhen, j’pourrai p’t’être te donner que’qu’chose en échange. Pis comme t’as l’air bien éduqué, tu vas pas laisser une pôv’ vieille comme moi sur l’bord du ch’min ? T’as pas envie qu’une p’tite malédiction t’colle au derch ? Ben v’là un gars serviable ! Aller, en route ! »

Caabon a repositionné les bretelles de son sac de manière à le porter sur le ventre, ajustement peu confortable mais qui lui permet de prendre sur son dos la hotte de la femme, non sans avoir ajusté les attaches, visiblement chargée de sac dont le contenu forme des petites bosses sous l’épais tissus tant ils sont pleins. La charge n’est guère importante pour un homme, mais le volume de la hotte est assez important pour qu’il arrive aux mollets de la vieille, chose inconfortable pour marcher pour peu qu’elle soit pleine. La suite du chemin se fait sans encombre, accompagné par le babillage incessant de la femme dont le pas ne semble trahir aucune infirmité d’aucune sorte, aucune gêne liée à l’âge et à ses inconvénients, si bien que Caabon ne manque pas de se demander si la détresse invoquée plus tôt n’était pas une feinte bien commode pour s’assurer d’un retour au marché plus reposant. Le jeune homme apprécierait même qu’elle ralentisse un peu le pas, les cinq jours de marche précédents ainsi que la nouvelle charge sur son dos faisant sentir leur poids après le premier kilomètre : peine perdue, sous son ombrelle, la vieille va de son pas allègre, sans faire mine de mettre fin au flux verbal qui s’écoule de sa bouche édentée. C’est l’histoire entière de sa vie qu’elle entreprend de conter à cet inconnu, ravie qu’elle est de cet auditoire à l’attitude si docile. Les portes de Bouhen viennent interrompre pour un temps ce récit, alors qu’elle en est à l’évocation de son premier mari.

Un babil pour passer les porte de la ville

_________________
* * *



C'est par la sagesse qu'on bâtit une maison, par l'intelligence qu'on l'affermit ;
par le savoir, on emplit ses greniers de tous les biens précieux et désirables.
Proverbes, 24, 3-4


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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Lun 1 Déc 2014 23:16 
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Après la Tempête - Chapitre I



Après la Tempête

Chapitre II




Enki avait dit vrai.
Après avoir continuer vers le sud, il quitta enfin la forêt. Il put aussi avoir une vision dégagée du ciel. Pas de dragon en vue. Parfait.

Il était sur le haut d'une colline d'herbes jaunes et, de part et d'autres, d'autres collines plus ou moins écrasées continuaient jusqu'à perte de vue. Toutefois, ce décor a priori banal trahissait la guerre qui se tramait ici depuis des années. L'on pouvait voir de-ci de-là des ruines de bâtiments, et les prairies qui se trouvaient maintenant sur ces terres étaient vraisemblablement auparavant de grands champs car des lignes d'arbres survivants, des murets et des lignes d'irrigation se dévoilaient, éparpillés dans le décor.

L'humoran s'avança jusqu'à ce qui fut sans doute un champ de petits arbres fruitiers. La plupart n'étaient plus que souches, ou effondrés au sol. On pouvait deviner encore sur quelques pierres noircis au sol qu'il y avait eu un incendie, ici, il y a longtemps. Cependant, les arbres qui étaient restés debout s'en étaient remis pleinement et exhibaient maintenant de beaux fruits autour desquels s'affairaient des insectes en tout genre. Les arbres dépassaient à peine la taille de Mercurio, qui en profita pour cueillir ce qu'il pris pour d'étranges pommes et croqua avidement. Il s'agissait en fait de nashis. Ces fruits beiges à points blancs, s'ils se révélaient assez fades, avaient au moins le mérite de calmer sa faim. De plus, leur côté juteux était rafraîchissant, bien qu'il était toujours désagréable d'avoir un liquide sucré qui colle aux poils.

Dans son insouciance naturelle, l'humoran ne prit que ce qu'il lui semblait suffisant pour apaiser sa fringale et fut loin de songer à en récupérer quelques unes pour la suite du voyage. Il continua alors son chemin tranquillement, avec un contentement de simplicité.
Après tout, le pire était derrière lui et ça ne servait à rien de se prendre la tête sur le passé. Il allait rebondir quoi qu'il en soit, il fallait se le dire.
A y songer, en l'instant présent, il n'était pas malheureux. Il était peinard, à parcourir les champs. Il n'avait pas particulièrement à se presser car personne ne l'attendait nulle part et plus rien ne le poursuivait. Bon, il était toujours dans un pays en guerre et il n'était pas à l'abri d'une mauvaise surprise mais ça ne l'inquiétait pas plus que ça. La bataille d'Oranan devait bien accaparer les troupes des deux camps, ils allaient pas s'amuser à traverser l'arrière-pays à un tel moment. Et puis, si jamais certains s'approchaient, ils auraient certainement autre chose à faire que d'emmerder un voyageur solitaire tel que lui. Et au pire du pire, il voyait bien au loin, dans ces collines presque rasées. Il les verrait arriver à des kilomètres à la ronde. Pas de quoi s'angoisser plus que de mesure. Il avait juste à continuer tranquillement sa route, à son petit rythme, jusqu'à Bouhen. Il avait tout le temps. Il pouvait même mettre des années que ça n'y changerait rien. Cette pensée le relaxait. Il était tranquille. Cette guerre était une bonne blague en comparaison au dragon dont il avait échappé.

Il marchait donc sans se presser, ne voyant pas un chat à l'horizon. Il croisa plusieurs fois d'autres arbres dont il ramassa et mangea les fruits. Le soleil était un peu pâlot, la brise un peu fraîche, mais ça n'importait pas. Il se sentait bien.
Comme la marche était longue et se rythmait de montées plus ou moins rudes, il s'arrêtait de temps en temps dans les coins d'ombre pour se reposer quelques instants. Dans ces moments, il s'étirait, regardait autour de lui, imaginait des histoires sur le moindre élément de l'environnement qui attirait son attention.
Bref, rien de palpitant ne vint freiner sa route de toute la sainte journée.

Le soleil ne s'était pas encore totalement couché lorsqu'il vit au loin une étendue d'eau. Sans doute le lac dont avait parlé le bratien. Et pour un lac, c'était un sacré lac ! Il n'en voyait pas le bout !
La nuit approchant, il pouvait voir ça et là de la lumière sur les rebords du lac. On devinait que des bâtiments et des villages entiers étaient dispersés sur ses bords, mais il y avait quelque chose d'étrange, il n'aurait su dire quoi.

De véritables champs avaient pris le relai aux herbes folles du nord, mais personne ne s'y trouvait. Il passa plusieurs maisons de campagne, toutes étaient sombres.
Soit les ynoriens étaient de sacrés couche-tôt, soit il se passait quelque chose d'étrange. Comme la forêt précédente était vidée de ses bêtes, les habitations d'ici étaient vidées de leurs humains. Pourtant, des lumières mouvantes étaient allumées en masse, au loin.

Soudain, un humain un peu petit et un peu maigre, aux dents de devant bien saillantes et aux yeux bien plissés, sortit d'une des maisons avec une brouette pleine de bricoles en tout genre. A son dos, un katana de petite facture, sans fourreau. D'abord surpris par la vue de Mercurio, il semblait prêt à fuir. Et voyant l'humoran ne montrer aucune agressivité, il leva sa brouette et la traîna jusqu'au sentier où il se trouvait.
Mercurio l'interpella :
"Hé toi là, ils sont passés où, les gens d'ici ?"

Sans interrompre son chemin, le chétif ynorien lui répondit d'une voix pointue :
"Tu débarques ou quoi ? Tous les gardes et les mercenaires du pays ont rejoint Oranan. La ville est fermée à double tour, personne n'entre ou ne sort et personne ne sait pourquoi. 'Faut pas être un génie pour comprendre que ça pue l'Oaxaca à plein nez. Alors c'est simple hein. Si Oranan tombe, c'est le pays tout entier qui est foutu. Les gens fuient vers le royaume kendrain en laissant plein de trucs derrière eux, alors c'est le moment de se servir !"

"Et toi alors, pourquoi tu fuis pas ?"

"Ah mais je vais le faire ! Seulement, quitte à devoir abandonner ma vie ici, je préfère autant avoir de quoi me faire la belle vie ailleurs. Si c'est pour virer clochard, autant me faire buter par un sekteg ! Puis c'est pas non plus comme si je faisais quelque chose de mal, car si c'est pas moi, ce seront ces saletés de peaux-vertes qui pilleront tout !"

"Mais alors c'est quoi, ces putains de lumière au loin, là ?"

"Hé ben, c'est eux. C'est les gens qui fuient vers Kendra Kâr. Mais si tu veux un conseil, ne les suis pas."

"Pourquoi ?"

"Tu crois vraiment que les kendrains laisseront passer des milliers de réfugiés à la frontière juste comme ça, sans broncher ? Non, il va y avoir des emmerdes sur les grandes routes, et encore plus pour Kendra Kâr. Non, il faut passer par des voies plus discrètes. Moi, je vais aller direction le duché de Gamerian. C'est plein de petits villages, là-bas. Parfait pour y refaire sa vie. Je pourrais y construire une maison, monter un commerce... Tu passes par où toi ?"

"Je comptais aller à Bouhen..."

"Arf. C'est juste à côté de la frontière ça, oublie. Ça va être encore plus le bordel qu'en direction de Kendra Kâr à tous les coups."

L'humoran resta silencieux à cette remarque qui, si elle avait beau avoir du sens, ne le réjouissait guère. Ce pillard avait raison. Mais il n'avait rien à faire dans ce trou paumé que sont les duchés. La montagne, ce n'était pas son élément. Il était un Darasmois et un pirate, il se dessécherait bien vite loin de l'air marin ! Non, il lui fallait un port, un bateau, une aventure !
Bouhen était sa destination, point, et puis ce n'était pas un réfugié, lui, il n'y resterait pas longtemps, chez les kendrains.

"Tant pis, je tente le coup quand même."

"C'est toi qui voit, vieux."

Mercurio laissa le pillard à son affaire et rejoint les lumières au loin qui longeaient le lac et donc, la route.

C'était une route importante, pavée et large de plusieurs mètres.
Elle supportait aujourd'hui une affluence énorme. De nombreux ynoriens et quelques poignées d'autres races étaient là, en charrette, à cheval ou à pied, seuls, en couple, en famille ou par groupes entiers, avec peu d'affaires ou transportant toutes leurs richesses dans leurs chariots. Un pays entier se mélangeant en une file hétérogène en direction du sud. Sur le côté des routes, des voyageurs exténués avaient montés des campements pour la nuit.

L'ambiance n'était pas à la réjouissance, mais les plus opportunistes esprits commerçants trouvaient toujours une façon ingénieuse de s'en mettre plein les poches.

Un homme chauve, à la moustache longue et fine, trainait derrière lui un chariot bâché et proposait à tous les voyageurs solitaires de les y accueillir pour la nuit contre une cinquantaine de yus. La vache. Une cinquantaine de yus. C'était énorme. Et contre cet argent sonnant et trébuchant, ils pourraient ainsi tranquillement dormir jusqu'à l'aube tout en continuant leur route.

Mercurio, fatigué de son périple de la journée, se laissa convaincre et céda à l'offre de l'homme. Après tout, il avait récupéré un bon pactole chez Oaxie alors autant s'en servir. Ils furent en tout six à dormir dedans, entassés comme pas permis contre le bois rigide. La nuit ne fut pas des plus agréables, mais le fait de ne jamais cesser d'avancer était d'une consolation suffisante.

Toujours était-il qu'il avait réussi à dormir quelques heures et, à l'aube, l'humoran, réveillé, en profita pour parler au chauffeur. Son chariot était une bénédiction, il ne comptait pas le laisser filer ainsi. Il lui proposa alors une offre intéressante. En échange d'une place assurée chaque nuit jusqu'à Bouhen, il vendrait ses services de guérisseur, la journée, à l'arrière du chariot et partagerait la moitié de ses gains avec l’intéressé. Une offre en or pour le marchand et l'occasion de s'occuper pour Mercurio, car ils étaient nombreux, à vouloir faire soigner leurs ampoules et leurs petits bobos. Et ils étaient prêts à y mettre le prix. Après tout, l'humoran était lui aussi un peu commerçant. Ses services n'étaient que rarement gratuit et il n'éprouvait pas le moindre remords à envoyer valser un client sans le sou. Alors bon, même s'il n'avait pas l'habitude de travailler dans de telles conditions, s'adapter était assez intuitif. Et ça tournait bien.

Quatre nuits plus tard, l'attelage s'arrêta en plein trajet.
Des protestations, des plaintes de gens impatientés et de nombreuses torches étaient allumées en dehors du charriot. Mercurio, réveillé par cette activité, alla voir ce qu'il se passait. Il demanda au chauffeur ce qu'il en était. Il lui répondit qu'ils n'étaient plus loin de la frontière et qu'il y avait trop de véhicules arrêtés sur sa route pour pouvoir continuer à avancer.
C'était un fort euphémisme, car c'était une véritable ville de fortune qui s'était bâti ici en peu de temps et on pouvait déjà deviner une organisation citadine se mimer là. A force de laisser traîner son oreille et de tourner entre les divers simili-habitats que tout le monde s'était construit, il appris que la garde kendraine ne laissait personne traverser la frontière. Les réfugiés n'avaient alors d'autres choix que de rester ici en espérant que la situation change.

Il était vrai que la problématique était de taille pour les kendrains, à considérer aussi bien d'un sens social que politique ou éthique. Et en attendant que les huiles se décident enfin quant à la conduite à tenir, les ordres étaient simples : Personne ne passe et ceux qui essayent sont reconduits à la frontière. Les mages de guerre et les soldats ynoriens étant tous en train de livrer combat à Oranan, les réfugiés, même s'ils avaient voulu, auraient eu du mal à tenter quand même leur chance. Kendra Kâr avait ramené des aéromanciens et des géomanciens qui veillaient bien à ce que personne n'avance de trop près et, si c'était le cas, d'un sort ils étaient renvoyés à leurs points de départ.

Il était bien avancé maintenant. Le pillard lui avait dit, mais non, môsieur n'en fait qu'à sa tête. Maintenant, combien de temps il resterait bloqué ici ? Bon, au moins, c'était bien loin d'Oranan ici. Alors il était à l'abri pour l'instant.

Mercurio fit alors parler de lui, clamant à tout le monde qu'il était guérisseur et qu'il vendait ses services à qui en avait besoin. Ainsi, de manière étrangement ingénieuse, il troqua ses services non contre des yus mais contre de quoi se monter son petit abri et se sustenter. Il n'eût même pas à suer de sa construction, car il embaucha pour le construire les deux fils d'un vieil homme qui venait d'attraper une sérieuse grippe.

Ainsi, pendant ces jours, l'humoran se sentit tel un cador.
Tout roulait comme ça n'avait jamais autant roulé. Il réussit même à soustraire quelques alcools ynoriens pour sa consommation. Seul le plaisir de la chair était le grand absent de son séjour à la frontière.

Une semaine plus tard, le ras-le-bol se faisait tout de même sentir.
Les gens s'inquiétaient toujours de n'avoir aucune nouvelle d'Oranan et les tentatives d'émigrations sauvages se multipliaient. Il n'aurait alors fallu qu'une erreur, qu'une bavure des gardes kendrains pour enflammer cette poudrière. Mais il n'en fut rien et, au final, les pontes finirent enfin par donner de nouveaux ordres.

Plusieurs hérauts furent dépêchés sur les lieux, chargés d'informer les réfugiés de ce qu'il en était. Plusieurs camps allaient être installé dans la forêt de Bouhen, accueillant temporairement les ynoriens tant que Kendra Kâr n'aurait pas de nouvelles de la situation à Oranan. Des éclaireurs et des bateaux légers allaient être envoyés au-delà de la frontière pour examiner la situation. Si la république reprenait le contrôle de sa capitale, ils seraient tous poliment reconduit à la frontière et, si la situation dégénérait vraiment et qu'Oranan tombait entre les mains d'Oaxaca, les ynoriens souhaitant rester allaient pouvoir être répartis dans différents endroits du royaume kendrain où un essor de population n'aurait pas été de refus, notamment dans les duchés de Luminion et de Gamerian qui avaient bien besoin de main d’œuvre pour construire leurs défenses et alimenter leurs armées.

Mercurio écoutait tout cela, mais ne se sentait évidemment pas bien concerné.
Il n'était pas ynorien, ce n'était pas son pays et leurs sorts ne lui importait pas plus que cela.

Après cela, l'armée s'organisa à la frontière en plusieurs points de passage obligatoires pour les réfugiés qui espéraient avoir leurs places attribuées dans le royaume de Kendra Kâr. Les gens formèrent alors un énorme tas autour de ces zones, de manière à ce qu'ils étaient tous collés l'un contre l'autre dans une masse mouvante trop lentement.

Mercurio dût alors subir, pas à pas, l'attente d'arriver jusqu'au préposé.
Enfin à son niveau, le militaire à l'air lassé lui demande machinalement :
"Identité ?"

"Mercurio."

"Mercurio comment ?"

"Mercurio tout court."

Et pour cause, Mercurio n'avait jamais connu son père et sa prostituée de mère était orpheline. Elle n'avait jamais connu ses parents et sa jeunesse fût celle d'une esclave. Ce fut bien plus tard, lors de la mort de ses maîtres dans une guerre de gang, qu'elle gagna sa liberté. Ainsi, personne, de toute sa vie, ne lui en avait jamais attribué. A Dahràm, beaucoup de pauvres gens se retrouvaient ainsi sans noms. Et puis, avec l'arrivée d'Oaxaca, ça ne s'était pas arrangé. Les peaux-vertes n'avaient pas vraiment la culture des noms et, lorsqu'ils en avaient, c'était plus des surnoms accolés à la suite de leur prénom qu'autre chose.
Bref, il était loin d'être une exception, dans le Nord. Mais ça trahissait son origine.

Et là où n'importe quel autre garde en bonne forme aurait tiqué, le préposé, dans sa lassitude, son empressement et sa fatigue, ne se posa même pas de questions et nota bêtement sur son registre "Mercurio Toucour."

"Âge ?"

"Vingt-trois."

"Profession ?"

"Guérisseur."

"Ah, bien ça.", dit le préposé, réveillé un tantinet par cette originalité. Il reprit son interrogatoire : "Vous êtes accompagnés ?"

"Non."

"Bien. Suivez les autres, vous allez être accompagné au camp où une tente vous sera attribué."

"Non mais mec, j'm'en fiche de ton camp, je suis pas d'Oranan hein."

"Si vous n'êtes citoyen de la république d'Ynorie ?"

"Non. Pourtant ça devrait se voir, merde, non ?", dit l'humoran en prenant à parti l'ynorien qui attendait derrière lui.

"D'où êtes-vous alors ?"

C'était le moment d'inventer un char, et il n’eut pas à hésiter longtemps pour le sortir :
"J'suis un guérisseur ambulant, venu de Tulorim. J'y retournais justement quand la ville s'est faite attaquer."

Le préposé le fixa quelques secondes et lui dit, en perdant toute formalité administrative :
"T'es pas comme les autres worans toi, hein ?"

Il ne savait pas vraiment ce que signifiait cette question, mais elle puait l'insulte sous-jacente et le racisme à plein nez. Son interlocuteur venait de se révéler être un con de la pire espèce et il ne voulait pas avoir à parler avec lui pendant des heures.
"Non. Bon, je peux passer ou pas ?"

Le préposé fit signe aux autres gardes de le laisser quitter le rang pour aller à sa guise et passa au suivant.



Après la Tempête - Chapitre III

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Playlist de Mercurio

A propos, j'ai trouvé la morale de la fable que ton grand père racontait,
celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croqué...
C'est la morale des temps nouveaux.
Ceux qui te mettent dans la merde, ne le font pas toujours pour ton malheur
et ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur.
Mais surtout ceci, quand tu es dans la merde, tais-toi !

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Jack Beauregard (Henry Fonda), Mon nom est Personne, écrit par Sergio Leone, Fulvio Morsella et Ernesto Gastaldi


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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mer 22 Juin 2016 21:56 
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La jambe encore engourdie, Phyress quittait Oranan, laissant derrière elle le début d'une nouvelle aventure qui la guidait, sans qu'elle le sache encore, vers ce qui serait une véritable épopée.

Elle s'était levée pour marcher un peu, aux premiers rayons de soleil lorsque peu étaient levés et que personne ne raillerait sa démarche boiteuse et maladroite. Mais Oranan n'avait rien à voir avec son petit village de chasseur natal. Les gens grouillaient littéralement dans les rues mais aucun d'eux n'avait de temps pour railler la jeune demoiselle. Ils s'empressaient tous à monter les tentures pour le marché de la journée. Elle fut bousculée à plusieurs reprises mais tous eurent le bon sens et l'aimable conduite de s'excuser malgré la cohue. Devenue mal à l'aise, elle préféra s'assoir un temps, histoire de reposer sa cheville et de croquer dans une pomme en observant ébahie le défilé de marchands venus d'ailleurs, certains vêtus de larges vêtements bouffants et colorés, d'autres plus discrets portaient des tenues quelconques, il s'y trouvait des olives, des huiles, des armes, des peaux, des poteries et des fleurs, des légumes ou encore, l'horrible festival des mouches qui bourdonnaient autour de l'étal à poisson et à viande. Des odeurs de cuir et de fumage et la trace fraiche que l'iode laissait dans l'air lui irritait les narines.

Non, ce n'était pas ça qui avait poussé la jeune femme à s'éclipser de la ville, c'était plutôt ce hurleur, ce messager, cet homme qui portait une tenue officielle mais qui n'avait aucun blason pour se distinguer d'un fief d'un autre. Et de toutes façons, la jeune femme ne connaissait pas l'héraldique.

Cet homme clamait que des hommes d'un monde nouveau et inconnu quémandaient l'aide de courageux volontaires et de quiconque se montrerait assez brave pour les aider. Phyress qui, alimentée par la force de la jeunesse et douée d'une impulsion volontaire vit ça comme un signe du destin. De plus, la récompense était de taille, elle pouvait se voir offrir de quoi aider le village de chasseur de sa pauvre mère. Ajouter un confort non négligeable à leur misère et faire le bonheur de sa vieille mère.

Lorsque l'homme eut terminé ses annonces et s'installa à même un tonneau pour boire son outre, Phyress se rendit jusqu'à lui pour lui poser davantage de question. Il ria de bon coeur en la voyant, toute sale et l'air encore malade, boiteuse et visiblement incapable d'utiliser son arme correctement. Non vraiment, ce n'était pas là le genre de héros qu'il avait espéré ramener à ces mystérieux hommes. Mais soit, il se décida à lui donner plus de détails, alimentant encore ses rêves d'aventures et de succès. C'est ainsi que la voilà rendue sur les routes.

Elle avait entamé un bout de chemin lorsqu'un marchant amical lui avait proposé de se reposer un peu à l'arrière de son chariot le temps d'un voyage.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mar 13 Déc 2016 16:14 
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III.2 Un nouveau départ

Les journées se suivent et se ressemblent. Je passe une bonne partie à apprendre l’alphabet et lire des phrases courtes, dont la majorité parle d’un enfant et de son chaton parcourant la ville en faisant nombres de bêtises. Dans ces moments-là j’ai l’impression d’être un petit humain de quatre ou cinq ans. Sylve me fait aussi pratiquer l’écriture pour m’imprégner des mots, mais j’en suis encore à comprendre les liens familiaux des humains et cette notion de la famille qu’ils ont. Des parents choyant leurs enfants qu’ils soient garçon ou fille. Vraiment n’importe quoi ces humains.

De temps à autre le convoi s’arrête pour les repas, des changements de dernière minute sur le trajet, l’installation du camp ou pour que les occupants gèrent certains besoins naturels. Dans ces moments-là le rapprochement avec le reste des personnes convoyant avec nous est presque obligatoire, cependant ils s’efforcent continuellement de se mettre loin de moi ou alors est-ce moi qui évite les attroupements autour du feu la nuit. Je reste donc seul avec la semi-elfe observant de loin ce qu’est une vie paisible pour les hommes. Je vois également un spectacle qui me surprend. Durant les quelques pauses de la journée, les enfants jouent entre eux. Certains se querellent, mais ils finissent par oublier et rejouent ensemble le lendemain. Aucun n’apprend les subtilités du vol, le maniement des armes, sauf pour les fils de soldats, ainsi que l’intérêt d’une hiérarchie basée sur le pouvoir et l’influence sur les autres. Quelle culture étrange. C’est à se demander comment Omyre n’a jamais réussi à passer les murs d’Oranan. C’est ainsi que les jours se suivent et se ressemblent.



Quelques jours plus tard tandis que je buche sur un problème, Sylve cherche de nouveau à m’aider à comprendre, cependant je me demande encore ce qui peut la motiver ainsi. Pourquoi est-elle aussi protectrice envers moi alors que nous sommes issus de deux camps opposés ? Je sais d’avance que je vais regretter ma question, mais je ne peux continuer sans comprendre les réelles motivations de la jeune femme.

"Sylve, pourquoi toi pas être comme maîtresse, pourquoi toi vouloir aider « ça » et pas torturer ?"

La semi-elfe arrête ce qu’elle faisait et détourne le regard, cherchant un grain de sable sur ses chaussures. Il lui faut quelques instants avant de prendre la parole pour me répondre.

"Autrefois, j’étais fiancée." Commence-t-elle.

(Je me rappelle de ce mot, Sylve m’en a déjà parlé. Ca consiste en un rituel concrètement inutile pour unir les âmes de deux êtres pour le reste de leur vie. Un acte ridicule d’après moi. Quel est l’intérêt de tout ça ? Même quand l’un des deux devient inutile à l’autre, ils se doivent de se soutenir. Il serait tellement plus simple de se débarrasser du faible pour s’unir à un autre plus fort.)

"C’était un érudit. Il travaillait avec d’autre pour lutter contre des effets néfastes que provoque la magie noire de la reine sombre."

(Ce qu’elle dit est vrai. En cas défaite ou même lors de raide, les mages d’Omyre ont pour ordre de déverser une magie dans la terre pour la rendre infertile. C’est d’ailleurs ce qui cause une telle différence entre les bois sombres et la forêt d’Ynorie.)

"Ils sont tombés sur un groupe de créatures venant d’Omyre et malgré la présence de soldat, ils se sont fait capturer. Oranan a levé les troupes pour fouiller une des zones de transit des esclaves avant le camp de déportation, aux abords de la cité noire. J’ai pu y prendre part pour secourir mon fiancé et je l’ai finalement retrouvé. Malheureusement je n’ai pu assister qu’à son dernier souffle. En nous voyant arriver, ils se sont occupés de tous les prisonniers présents ne laissant que mort derrière eux. Je le revois encore, avec toutes ces marques de torture, les mêmes que tu possèdes. Alors même si tu es un Shaakt, tu as souffert tout comme lui. Je crois qu’en t’aidant du mieux que je peux, j’ai l’impression de l’aider lui, ou du moins de ne pas oublier sa mémoire." Termine-t-elle larmoyant.

C’est peut-être pire que ce que j’imaginais. Non seulement j’ai fait de la peine à la seule personne qui cherche à m’aider, en refaisant surgir des souvenirs douloureux, mais j’ai peur qu’à présent Sylve ne cherche plus à m’aider comme elle le faisait.

"« Ca » pardon. Pas vouloir faire peine."

Malheureusement la jeune femme ne daigne même pas répondre, marquant davantage la blessure que je lui ai infligée. Je ne parle pas suffisamment bien pour tenter de la rassurer et même si je savais je ne saurais absolument pas quoi lui dire. Je m’enferme donc dans un mutisme continuant inlassablement d’apprendre, même si au vu de mes progrès il est plus judicieux de parler de tentative d’apprentissage.

Quelques heures plus tard le convoi s’arrête. Tout le monde sort, surpris par le moment choisit pour l’arrêt. Certains, partis comprendre la raison de cet arrêt, font le chemin en sens inverse à la recherche de bras secourables. Voulant prêter main forte je suis donc le groupe. Au moins on ne me reprochera pas de rester à les observer. J’arrive sur les lieux où un véhicule s’est éloigné de la route et donc une des roues est sortie de l’essieu en pénétrant dans un léger fossé le long du chemin. Une rumeur parcourant l’attroupement fait état d’un serpent ayant fait peur aux chevaux. Ces derniers semblent encore énervés de la rencontre. Je vais pour assister les hommes à remettre l’engin correctement sur la route, cependant on me fait comprendre à coup de coude et de bousculade que je ne suis pas le bienvenu.

Je profite donc de ce moment de solitude pour marcher un peu plus en avant sans pénétrer dans les champs qui nous entourent. A droite l’océan à perte de vue où quelques bateaux sillonnent les mers. A gauche à bonne distance de nous, l’immense lac de Nostyla et au fond les montagnes du Luminion, véritables frontières naturelles offrant une protection sans pareille face à la force des troupes d’Oaxaca. Vu d’ici les duchés des Montagnes offrent un paysage agréable à regarder, bien que la lumière du jour m’empêche de voir correctement. Je distingue néanmoins les grandes forêts, principalement sur le versant sud de la montagne, et un peu plus difficilement les cimes enneigées.

Une véritable quiétude envahie les lieux. A peine perturbée par les hennissements des chevaux, excités par la tripoté d’hommes qui s’affairent. En amont du convoi une petite troupe d’enfant jouent à se courir les uns après les autres. Cela me rappelle un jeu à Omyre, où les esclaves sont lâchés dans la ville. Ceux qui sont rattrapés meurent roués de coups tandis que ceux qui atteignent l’extérieur sont libres. Bon libre de mourir plus rapidement, mais c’est en soit une forme de liberté. Je profite de ces instants pour réfléchir à mon devenir. Comment mon instruction magique va se dérouler, serais-je même admis ou y aura-t-il un certain dédain à cause de ma race ? Après tout, même si ma condition s’est améliorée depuis Omyre j’éprouve un sentiment fort lorsque je m’imagine œuvrer pour un meilleur lendemain, travailler au lieu d’être asservi, avoir son propre chez soi et non un tas de paille dans un cachot gelé.

Un hurlement de groupe me sort de mes pensées. Les hommes se sont unis dans un effort commun pour remettre le véhicule sur la route. J’ignore ce qui s’est passé, mais dans le mouvement les chevaux ont parvenu à se libérer en extirpant l’armature en bois qui les liaient au reste du véhicule, les laissant courir côte à côte trainant une poutre de bois au sol. Déjà des hommes leur courent après et même s’ils sont moins rapides, les chevaux s’essouffleront rapidement avec leur charge en bois. Cependant, un rapide coup d’œil me permet de voir qu’ils se dirigent vers les enfants. Je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué, les femmes qui les surveillent les font revenir rapidement et leurs cris se font plus forts lorsqu’elles aperçoivent qu’un petit garçon s’est éloigné seul. Je ne sais pas ce qui me pousse, mais je m’élance en direction du gamin. J’entre dans un terrain de culture dont les monticules de terre me forcent à réduire mes foulés pour ne pas tomber. J’espère que les canassons subissent le même ralentissement, mais un rapide coup d’œil me confirme que non. L’idée d’user de ma magie m’effleure l’esprit, mais la maîtrise de cet art m’échappe encore tout comme le contrôle de moi-même en présence du feu. J’atteins enfin le garçon tout comme les chevaux. Je sais désormais qu’il me sera impossible d’éviter le choc, alors je mets toute la force qu’il me reste dans les jambes pour me propulser vers le petit homme. Le choc est rude.

Les chevaux me passent dessus comme si je n’existais pas, me martelant le dos, la tête et ma jambe droite en imprimant la marque de leurs sabots dans la chair. Je sens une main me saisir l’épaule pour me faire pivoter, laissant le garçon je couvais contre moi comme une mère. Il crie et appel sa maman à m’en casser les oreilles. Pourtant, c’est une souffrance qui me fait du bien car je sais avoir bien agi. Sylve arrive à mon chevet, mais la douleur m’empêche de bien comprendre ce qui m’arrive. On me soulève du sol et me transporte comme un sac à patate par-dessus l’épaule. J’arrive à comprendre qu’un homme me déplace, ou alors la semi-elfe cachait un dos puissamment bâtit. Maintenant se sont plusieurs mains qui me portent à l’intérieur d’un des véhicules et qui me déposent délicatement. Je finis par voir plusieurs hommes sortirent de la caravane, me laissant seul avec Sylve tandis que mes yeux se referment.

III.4 Rumeurs et préjugés.

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Dernière édition par Nhaundar le Mar 13 Déc 2016 16:19, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mar 13 Déc 2016 16:17 
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III.3 Une chevauchée douloureuse.

Lorsque je me réveil, Sylve est près de moi. Je sens des parfums agréables me lécher les narines et animer mon ventre d’excitation.

"Nhaundar, comment tu te sens ?" Me demande-t-elle, un brin d’inquiétude dans la voix.

"« Ca » avoir mal. Tête frapper comme tambour de guerre. Quoi être arriver ?"

"Tu ne te souviens pas, le garçon, les chevaux ?"

Doucement les choses me reviennent, je me vois courir comment un dément pour secourir un enfant.

"Enfant et chevaux aller bien ?" Je lui demande inquiet.

"Oui le garçon va bien grâce à toi. Les chevaux aussi mais…pourquoi tu t’inquiètes pour eux ?"

"« Ca »pas vouloir ennuis si chevaux blessés. Si « ça » avoir ennuis, Sylve avoir ennuis avec « ça »." Lui dis-je en me relevant. Mes pieds touchent d’ailleurs quelque chose qui m’intrigue.

"Tu ne dois pas t’en faire pour les chevaux. Tu as sauvé ce petit garçon, vois comment les hommes te remercient." Me déclare-t-elle en désignant les bols à mes pieds.

Je finis de me redresser et je vois un grand nombre de bols pleins de nourriture variée. Je sens et vois des épices, des légumes, de la viande cuite, un peu de pain bien que sec et des gourdes que j’identifie comme du vin en les ouvrants. Jamais je n’avais vu pareil banquet.

"Ceci est à toi désormais. La famille du garçon te fait don de tout cela. D’ailleurs nous avons…pardon,tu, as de la visite." Me fait-elle en désignant l’extérieur de notre caravane.

Dehors je vois une mère avec trois enfants, dont je reconnais le petit garçon qu’elle porte pour l’avoir vu de très près. Tous portent des habits simples que j’identifie comme venant d’une classe basse, voir pauvre de la société humaine.

"Maman pourquoi il est tout noir le Monsieur ?" Lui demande-t-il.

La remarque m’atteint à peine que déjà je rabats la capuche pour cacher mon visage.

"Qu’est-ce que j’ai dit tout à l’heure ?" Commence à gronder la mère. "Il est noir parce que c’est un Shaakt, mais il est gentil. C’est lui qui t’a protégé des chevaux. N’as-tu rien à lui dire ?"

"Merci Monsieur de m’avoir protégé des chevaux." Répond-il timidement après que sa mère ait haussé le ton.

Je ne sais pas ce qui m’émeut de plus : les cadeaux, l’enfant qui me remercie ou la mère qui lui dit que je suis gentil.

Une petite bouille blonde dépasse du rebord en boisde la caravane qui se rabat pour empêcher les objets à l’intérieur de partir.

"Dis maman, on peut venir ici. Le Monsieur et la dame ils ont beaucoup de place !" Fait-elle à sa maman de sa petite voix.

Je vois déjà la main de la mère prendre sa fille pour la faire descendre, et certainement pour lui faire comprendre qu’il est hors de question qu’ils montent avec nous. Cependant, je réagis au quart de tour lorsque l’enfant demande à monter en rangeant rapidement les affaires entassées un peu partout.

"C’est très gentil de votre part, mais nous ne pouvons pas accepter. Il y a des rumeurs qui circulent disant que vous êtes responsables de l’excitation des chevaux. Je ne sais pas comment c’est possible, mais je ne préfère pas mêler mes enfants à ça. Cette nourriture est pour vous, c’est notre façon de vous montrer notre gratitude. Je suis désolé et je vous remercie pour le sacrifice que vous avez fait." Me déclare-t-elle en s’inclinant de respect et partir avec ses enfants.

Je me sens inutile. Malgré mon acte, l’opinion des gens à mon égard ne change pas. Ils ont toujours cette méfiance envers moi que je ne sais comment la traverser. Ils ont sûrement entendu que je venais d’Omyre et même si je n’étais qu’esclave, qui va le confirmer ? Là-bas, j’entendais les exploits de héros d’hommes et de femmes qui luttaient contre Oaxaca. Peut-être devrais-je moi aussi devenir un de ces symboles dont le simple nom traverse les océans pour qu’enfin on reconnaisse mes actes pour ce que je suis et non d’où je viens. Pour l’heure, je croise le regard de Sylve qui semble avoir retrouvé sa gaieté. Si le risque que j’ai pris m’apporte enfin le sourire de celle qui veille sur moi, alors cela valait largement le coup.

III.5 Avertissement.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Sam 28 Jan 2017 15:27 
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À nouveau sur les routes. Cette fois-ci, tu quittais Bouhen où tu laissais la famille Curtis - une famille si charmante que tu espérais de tout cœur être à même de la revoir un jour - en direction d'Oranan où se trouvait un oracle que ta faera avait décidé de te faire consulter. Tu trouvais cela un peu bizarre ; elle t'avait d'elle-même révélé qu'elle pouvait voir dans le futur (ou plutôt dans des futurs possibles). Dès lors quel besoin avais-tu d'aller voir quelqu'un qui prédisait le futur ? Tu te trimballais littéralement avec un oracle sur toi ! Mais tu avais depuis longtemps décidé de ne jamais mettre en doute Siliwiih. Tu attendais ses explications et quand elles ne venaient, eh bien, tant pis ! Tu suivais quand même ce ses conseils. Venant de n'importe qui d'autre, tu te serais juste esclaffé et aurais passé ton chemin. Mais justement, ta petite compagne qui voletait autour de ta tête sous la forme d'un papillon aux ailes admirablement bleus afin de te tenir compagnie, n'était pas n'importe qui. Tu savais qu'elle t'étais entièrement dédiée et n'avait d'autre souci dans la vie que toi. D'ailleurs, tu en avais déjà fait l'expérience, un jour, à l'auberge du Chien Battu : elle t'avait fait courir après un Sindel, un noble elfe à la peau grise, sans même savoir pourquoi. Ce dernier t'avait raconté sa vie et t'avais fait découvrir la Sindaquenta. L'épopée des Sindeldi. Toi, jeune troubadour à l'âme nourrie de ces histoires épiques, tu avais compris que ce serait là ta mission : rassembler les vers épars de cette épopée et la chanter de par le monde. Ainsi, tu ignorais la raison pour laquelle tu te dirigeais vers Oranan et son oracle, mais étais convaincu que cela t'apporterait les réponses dont tu avais besoin.

Un mois pour se rendre de Kendra Kâr à Bouhen. Un deuxième pour aller de Bouhen à Oranan. Le premier avait passé vite. Il n'en serait peut-être pas de même pour le deuxième. Sur la route, tu croisais d'autres charriots avec d'autres familles. Mais ce n'était pas les Curtis. Tu croisas aussi des soldats, des marchands avec leur épais bœufs et dont l'un transportait toute une récolte de blé. Sans aucun scrupule, tu t'y dissimulas et t'enlevas par là même une journée de marche. À la frontière, tu n'eus aucun mal à montrer patte blanche. Tu étais un simple troubadour voyageant : ton luth en témoignait. Et aucun garde ne fut capable de reconnaitre dans la vieille épée que tu transportais dans ton dos, un des trésors de Kers. Le barrage passé, cela te fit doucement rigoler. Le premier soir, tu ne trouvas sur ta route aucune auberge. Tu doutais d'en trouver une, en fait. La route, alors pavée, s'était depuis peu transformée en chemin de terre. Pour éviter toute attaque de bandits ou d'orcs ou de gobelins ou de ratissas dressés ou n'importe quoi d'autre qui eût pu troubler ton sommeil ou te dévaliser, tu grimpas jusqu'aux plus hautes branches d'un des plus hauts chênes que tu trouvas. Tu sus t'installer confortablement et n'eus quasiment pas de courbatures en te levant, au matin. Mais tu te sentais vraiment seul. Sans Siliwiih, tu aurais déprimé. Ce fut à cette occasion que tu repensas à chez toi. Est-ce que l'on ne te pardonnerait pas, si tu revenais avec l'épée d'Oborö ? Mais non : ce serait perdre toute fierté.

Le voyage était agréable et, disons-le, plus diversifié que le premier en terme de paysage. Tu marchais à travers des champs qui lançaient vers le ciel leurs épis dorés - la récolte était proche. Tu longeais des bois sous l'agréable frondaison desquels tu n'hésitais pas à te reposer quand tes pieds te faisaient trop souffrir. Tu n'étais plus en charriot. En revanche, sans les caprices de Meryl qui ne voulaient jamais se lever, tu faisais de longues journées, te mettant tôt en route, souvent à l'aube, t'arrêtant lorsque tu n'étais même plus capable de voir tes pieds. Quand tu ne pouvais te mêler aux conversation des voyageurs parce qu'il n'y en avait pas, tu faisais passer ton luth sur le devant, le caressait un instant et chantais. Siliwiih dansait devant toi, de son corps éthéré. Sans auberges, cependant, tu ne pouvais vivre de tes chansons et les provisions que t'avait données Mme Curtis arrivèrent à épuisement. Tu dus prendre une pause de deux jours pour cueillir des baies, chasser - heureusement, avec ton agilité hors du commun, cela te fut étonnamment facile. Quand tu passas à proximité de la forêt des faera dont tu avais plus ou moins entendu parler par les autres voyageurs, tu voulus y faire un détour, croyant que cela ferait plaisir à la tienne, mais le papillon se transforma en petite fée, t'offris un bisou sur la joue et te demanda de continuer. Plus tard, comme tu arrivas dans un village de pêcheurs sur le lac d'Estina, tu pus chanter, dormir dans un vrai lit et faire le plein de nourriture, te permettant d'atteindre enfin Oranan.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mar 28 Fév 2017 19:36 
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A travers les plaines d’Ynorie

Après une courte nuit de repos pour récupérer mes forces, nous entreprenons notre voyage vers Oranan en partant vers le nord du continent. Nous faisons bien attention à rester à l’écart de Bouhen, en réalisant un léger détour par l’est avant de récupérer la large route pavée qui nous guidera vers notre destination. Bien que je n’aie encore une fois aucun regret d’être parti, et que l’idée d’être reconnu par des gardes de la ville et réexpédier manu militari à la milice me déplaise particulièrement, je ne peux m’empêcher d’avoir un léger pincement au cœur quand je vois les hautes murailles de pierre s’éloigner derrière moi. Je quitte désormais tout ce que j’ai toujours connu et je fais face à l’inconnu.

Nous évoluons à travers les larges plaines fertiles qui ceignent le nord de la cité. Mon apparence me permet d’être confondu de loin avec un des paysans du coin, exposant ses épaules au soleil déjà chaud de ce début de printemps. Quand mon épieu de fortune, il ressemble facilement à un vulgaire bâton et ne devrait ainsi pas être perçu comme une arme de guerre. Je continue à marcher pieds nus, appréciant le contact direct du sol, malgré les régulières moqueries d’Ænarion :

« Je te sors à peine de ta milice que tu te transformes déjà en homme sauvage… Je préfère ne même pas à avoir à croiser ta route dans les prochains mois, je risquerai de tomber nez à nez avec un animal sauvage…»

Je ne prête pas toujours attention à ses paroles, préférant laisser mon esprit vagabonder. Ces derniers jours ont réussi à combler le manque d’animation de ma vie à Bouhen. Après le choc du premier jour, et l’incompréhensibilité toujours totale de ce qu’il s’est passé lors de l’épisode du cerf et du braconnier, j’ai fini par embrasser totalement mon nouveau rythme de vie. Je me sens désormais plus apaisé, plus en accord avec ma nature profonde. La liberté… les grands espaces… Je peux enfin respirer et ne plus avoir l’impression d’être étouffé entre quatre murs. En dehors de ces quelques piques bien placées, mon nouveau professeur est peu loquace et préfère marcher seul devant moi, la capuche enfoncée. Je veux bien le comprendre, au vu de son apparence, la xénophobie des gens de ce comté pourrait lui attirer des ennuis. A côté de lui, je passe pour un humain sans aucuns soucis, mais ces origines elfiques sont difficilement dissimulables.

Après moins d’un jour de marche nous atteignons la frontière entre le Royaume de Kendra-Kâr et la République d’Ynorie. Quelques gardes distraits errent aux alentours de la route. Je reconnais sur le bouclier de l’un d’eux les armoiries du Comté de Bouhen avec lesquelles j’ai grandi pendant mes années à la milice : la tour surmontée d’une épée couchée. Je frémis à sa vue. L’homme regarde fixement ses pieds et ne m’a pas encore aperçu. Avec un peu de chance, il ne me connait pas et le passage pourra se faire sans difficulté. Je suis nerveux et je pense que cela commence à se sentir : je jette de légers coups d'œil autour de moi et je serre fortement mon arme des deux mains. Ænarion s’approche de moi et met sa main sur mon épaule, dans le but de me calmer. Il se dirige alors vers un des gardes et d’un geste subtil de la main me fait signe de rester sur place. Je le regarde s’éloigner, impuissant. Il commence à discuter à voix basse avec un homme de petite taille. Ce dernier porte sur son tabard deux grandes ailes déployées. J’y reconnais alors le blason de la République d’Ynorie. Je souris. Finalement ces années militaires m’auront permis de réunir quelques connaissances pouvant s’avérer utiles sur le terrain. La discussion s’arrête et mon nouveau tuteur me fait signe d’approcher avant de s’engager sur la route pour reprendre notre chemin. Si le garde de Bouhen me dévisage de la tête aux pieds d’un air dédaigneux, celui d’Ynorie me fait un large sourire et me lance :

« Bienvenue dans la République d’Ynorie ! Puisse votre chemin vers Oranan se dérouler sans embûche ! »

Je le regarde les yeux écarquillés, ne sachant trop quoi répondre et me contente finalement de lui adresser un signe de tête pour le remercier. Je m’empresse alors de rejoindre mon maître, de peur que les gardes ne reviennent sur leur parole et me renvoient d’où je viens.

Nous reprenons alors notre chemin. Les jours se suivent et se ressemblent. Mon mentor préfère voyager de jour tout en restant bien sur le tracé de la route pour nous éviter toute rencontre potentiellement dangereuse avec ce qui pourrait rôder dans les plaines alentours. Notre faible besoin de sommeil nous permet de parcourir de longues distances chaque jour. Nous nous reposons quelques heures régulièrement à tour de rôle. La large route pavée laisse désormais place à une large route de terre, empruntée par quelques caravanes marchandes que nous croisons régulièrement. Lorsque nous commençons à nous trouver à cours de vivres, Ænarion marchande auprès des convois une miche de pain, de la viande séchée et des fruits pour quelques piécettes. Le paysage change peu autour de nous : larges plaines d’une lassante platitude, petits bosquets qu’il est difficile de qualifier de bois, vastes champs dont les premières pousses commencent à pointer le bout de leur nez, petits hameaux éparts sporadiquement éparpillés autours des terres cultivées… Au loin, une masse sombre se détache de paysage de jours en jours. Serait-ce à nouveau une forêt ? La possibilité de retourner cabrioler parmi les arbres protecteurs me réjouis intérieurement, car l’ennui commence à me gagner fortement.

Heureusement pour moi, l’attitude d’Ænarion, s’est améliorée depuis notre passage de l’autre côté de la frontière et il s’est révélé nettement plus causant que lors de notre premier jour de voyage ensemble. Mon entraînement magique a donc pu commencer. Mon nouveau professeur m’a préparé une avalanche d’exercices méditatifs sensés m’aider à progresser dans ma maîtrise de ma magie. Je profite de chaque pause pour essayer de les effectuer, sous le regard inquisiteur de mon mentor, n’hésitant pas à me corriger sèchement à la moindre erreur de ma part. Si certains exercices sont simples, demandant simplement un contrôle de la respiration pour me permettre de mobiliser mes forces magiques en un temps record, certains sont bien plus compliqués et sollicitent nettement plus de temps avant d’être effectués correctement. Notamment quand je dois, par exemple, être capable d’appeler mes ressources magiques en équilibre dans la position du poirier… Parfois je me demande s’il ne profite pas juste de sa position de professeur pour s’amuser avec moi…

« Tu dois être capable d’invoquer tes fluides en un minimum de temps et ce par toute situation. Ils sont tes meilleurs atouts, défensifs comme offensifs. »

Et en effet, la dernière lubie de mon mentor, après avoir observé mes progrès au fur et à mesure du temps, est de m’apprendre à attaquer avec mes fluides de lumière.

« Mais je croyais que les fluides de lumières étaient associés à Gaïa et qu’il ne permettaient seulement de soigner et de protéger… »
« Cesse de croire tout ce que l’on te dit et cesse de faire des raccourcis avec ce que tu penses avoir entendu. La lumière peut se faire agressive en temps voulu et elle est un merveilleux rempart contre les créatures des ténèbres. »

J’apprends ainsi à concentrer rapidement mes fluides dorés au niveau de mes paumes de mains puis à essayer de les envoyer violemment sur une cible définie auparavant. Si l’invocation de ces derniers est devenue quelque chose d’intuitif désormais, la seconde partie du rituel laisse encore à désirer. En effet, je peine à créer quelques étincelles qui se font chasser au loin par un simple coup de vent. Ænarion me regarde alors d’un air sombre m’indiquant que je dois recommencer. Ce que je fais sans discuter. Enfin, après plusieurs jours d’entraînements acharnés, je commence enfin à concentrer suffisamment de magie dans le bout de mes doigts et parviens à créer un léger trait lumineux de la taille d’un carreau d’arbalète que je projette vers la branche que nous nous étions fixés pour cible. La fine branche cède à l’impact et tombe sur le sol. Je regarde alors mon mentor, les mains sur les hanches, un large sourire sur les lèvres, fier de ce que je viens d’accomplir. Ænarion me répond par un léger hochement de tête, visiblement satisfait lui aussi. Je m’approche alors de lui et m’assois en tailleur à ses côtés, quelque peu fatigué.

« Parlez-moi encore des elfes… »

Il s’agit désormais de notre rituel. A chaque fois que je sens que l’utilisation intempestive de la magie drainer mes forces ou qu’Ænarion se trouve satisfait des efforts fournis au cours de la journée, il se met alors à me conter des légendes elfes, des anecdotes sur la culture elfique et essaie de m’inculquer quelques rudiments de la langue des elfes. Si ma progression est laborieuse sur ce dernier point, maitrisant lentement mais sûrement des mots du quotidien comme « bonjour », « au revoir » ou encore même « merci », je suis en revanche complètement absorbé par l’ensemble de cette nouvelle culture qui s’offre à moi. C’est dorénavant tout un pan de mon héritage que je peux enfin découvrir, après avoir assimilé une partie de la culture humaine, du moins de celle des Kendrans. Mais ce nouveau savoir à quelque chose de fascinant pour moi, sûrement du fait de cette nouveauté qui me fait envisager les elfes comme un peuple presque disparu, ayant rencontré pour ma part leur premier membre à peine quelques jours auparavant. Je me laisse ainsi bercer tous les soirs par les paroles de mon mentor, avant de me glisser dans les bras de la méditation, me jurant régulièrement que je devrais un jour visiter ce fameux royaume elfe dont me parle Ænarion, le Royaume de l’Anorfain.

Après cette semaine de marche, Bouhen, la milice et ma vie chez les humains ne me manque définitivement plus. Ni mes supérieurs, ni mes camarades, ni tous les autres. Le soir cependant, j’ai de régulières pensées pour Théo. J’espère qu’il a fait bonne route et qu’il est arrivé sain et sauf à Kendra-Kâr. Je ne me fais en revanche pas trop de soucis pour sa bonne intégration dans l’équipe de la milice de la capitale. Théo est quelqu’un de bien et avec un fort potentiel militaire, contrairement à moi. Après mon départ quelque peu rapide de Bouhen, je souhaite aussi qu’il ne m’en veuille pas trop d’être parti sans avoir eu le temps de lui dire au revoir. Je me suis aussi promis que je lui rendrai visite une fois le mystère de mes rêves éclaircis à Oranan.

A la fin de notre première semaine de marche, nous atteignons enfin l’orée d’une large forêt sombre et inquiétante.


Questionnements et adieux >>>

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Dernière édition par Kívan le Mar 5 Juin 2018 22:18, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Route entre Oranan et Bouhen
MessagePosté: Mar 25 Juil 2017 18:08 
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Sarenrae

« T’es qui toi ? »

Je me réveille rapidement au son de la voix inconnue avec une désagréable sensation au niveau de ma gorge. Comme si un objet tranchant était appliqué dessus. J’ouvre les yeux, essaie d’avancer la tête et sens une pression au niveau du cou. Une voix féminine retentit à nouveau :

« Ne t’avise même pas de bouger ! »

J’essaie de loucher vers la droite, d’où provient la voix. Je perçois une silhouette perchée sur mon épaule. Silhouette qui tient fermement de ses deux mains une longue lame métallique au plus près de ma gorge. De longs cheveux couleur argent dansent autour d’elle pendant que des ailes blanches battent l’air de manière agacée. Voilà que celle que j’ai sauvée se retourne contre moi.

« Qui es-tu ? Qu’est-ce que je fais là ? Qu’est-ce que tu m’as fait ? »

Je commence à lever les mains pour montrer que je ne suis pas armé, mais je sens la lame qui se colle encore plus à ma peau, prête à la transpercer d’un coup sec.

« Je… »
« Et tu réponds sans bouger s’il-te-plait ! »

La voix se veut autoritaire, mais elle tremble légèrement, trahissant une certaine peur. La lame frémit aussi, les bras de la petite femme ailée sont à bout de force. Il faut croire que mes premiers soins prodigués hier à la va-vite n’ont sûrement pas été suffisants. Je pousse un long soupir et essaie d’expliquer le plus calmement possible.

« Je ne fais que passer. Je me rends à Oranan. Je vous ai vue vous faire attaquer par une sorte de corbeau aux trois yeux. Je l’ai tué. Puis je vous ai soignée. Du moins, j’ai essayé… »

L’inconnue ne répond plus. Je sens la lame qui se décolle petit-à-petit de ma gorge. Et soudainement, le poids qui se trouvait sur mon épaule s’effondre devant moi. J’ai tout juste le temps de la rattraper avant qu’elle n’atteigne mes genoux. Elle lâche sa lame qui tombe au sol faisant un son métallique. Elle tente encore de se donner de la constance dans mes mains, mais je la vois qui tourne à nouveau de l’œil. Je la dépose délicatement sur le sol, fouille ma sacoche à la recherche des dernières tiges de Nays qu’il me reste et lui tends.

« Buvez la sève, ça vous fera aller mieux ! »

Elle me regarde un peu méchamment, quelque peu méfiante. Je soupire encore.

« Si j’avais souhaitez votre mort, je l’aurais fait bien avant que vous repreniez conscience… »

Elle accepte à contrecœur la tige qui fait facilement la moitié de sa taille. Je sors par la même occasion les racines qu’Ænarion m’avait données.

« Et tant qu’on y est, mâchez-ça. »

Je dépose la racine à ses pieds. Elle me fixe toujours aussi durement malgré son état, mais ne décroche toujours pas un mot.

« Ce sont des tiges et des racines de fleurs de Nays, si cela peut vous rassurer. Elles ont été cueillies il y a moins d’une semaine dans cette forêt. »

Je la vois alors qui commence à porter la tige à ses lèvres tout en scrutant tous mes mouvements, à l’affut du premier geste agressif. J’en profite pour rapidement jeter un coup d’œil à ses blessures. Ses bras et ses ailes sont encore recouverts d’hématomes et d’estafilades. Il va falloir que je recommence mes soins. Je commence à concentrer mes fluides vers mes paumes.

« Je vais vous soignez maintenant. »

Je tends mes mains vers la femme ailée. Pour éviter de l’effrayer d’avantage, j’essaie de ne pas coller mes mains sur ses blessures et d’ainsi les garder légèrement éloignées de son corps. Et tant pis si je perds des fluides dans l’air. L’opération se déroule plutôt bien et je vois ses dernières blessures se refermer doucement. Cela dure au moins quelques minutes, mais cette fois, je suis certain d’avoir terminé ce que j’avais commencé plus tôt dans la journée. J’éloigne mes mains de l’inconnue et la regarde reprendre ses couleurs. Je me prends alors à me demander pourquoi je fais cela. Je ne la connais pas. Elle non plus. Je n’ai rien à y recevoir en retour, mais pour autant, j’ai l’impression de ressentir une certaine satisfaction personnelle. Peut-être est-ce le fameux état d’esprit dont voulait parler mon ancien mentor ?

« Voilà, je pense que cela devrait aller. Votre état semble s’améliorer. Je peux vous laisser les restes de Nays, ils vous seront sûrement plus utiles à vous qu’à moi… Je peux vous raccompagner quelque part si vous le souhaitez. »
« Non ! »

Sa voix a repris de l’assurance et elle montre à nouveau une certaine autorité.

« Je ne souhaite pas revenir d’où je viens. »
« Où souhaitez vous aller dans ce cas ? »
« Tu as dit te rendre à Oranan. Cela m’intéresse. »
« Je ne suis pas sûr que vous ayez encore regagné toutes vos forces… Il reste encore au moins une semaine de marche et… »
« Dans ce cas, tu me porteras ! »

Je reste légèrement interloqué, mais accepte d’un hochement de tête face au ton impérieux. Mieux vaut cela que de se retrouver avec la gorge transpercée... Et cela me permettra au moins de surveiller son état de santé pendant les prochains jours de marche. Je décide donc que nous ne repartirons que dans quelques heures, le temps qu’elle puisse encore regagner quelques forces. J’en profite pour réunir quelques racines et baies comestibles, qu’Ænarion m’avait indiquées pendant notre trajet ensemble, ne sachant pas encore quand nous pourrons retrouver un accès à de la nourriture dans un futur proche.

Quand nous nous décidons enfin à partir, je l’aide à grimper sur mon épaule, ou elle s’installe délicatement, les ailes rabattues. Elle n’est pas très lourde et ne devrait pas représenter un fardeau pendant les prochains jours de marche. Je prends alors la direction du nord, me dirigeant vers l’étendue du lac de Nostyla repéré précédemment. Je tourne alors ma tête vers mon nouveau compagnon de route.

« Au fait, je m’appelle Kívan. »
« Moi Sarenrae. »

Long silence.

« C’est étrange de voir un humain dans cette forêt. D’habitude on croise plutôt des brigands, mais toi tu as juste l’air d’être un pauvre gars paumé, arrivé ici par hasard… »
« Je n’étais pas seul. J’étais avec un elfe qui m’a guidé à travers les bois. »
« Tu connais le Pèlerin Gris ?! »
« Le Pèlerin Gris ? »
« Le vieil elfe avec son grand manteau gris, qui erre souvent par ici… Lui n’est jamais juste là par hasard… Il disparait souvent aussi vite qu’il est arrivé. »
« Ce doit être Ænarion effectivement. Je ne l’ai connu que deux semaines au total. Il m’a quitté à l’endroit où on s’est rencontré, après m’avoir indiqué la direction pour Oranan. »
« Et pourquoi tu veux y aller ? »
« Il m’a parlé d’une femme capable d’expliquer les rêves qui se trouverait là-bas. Et vous ? »
« J’ai mes raisons. »

La réponse est sèche et cassante et je sais que je n’aurai pas plus d’information. Nouveau silence. Cependant une autre question me brûle les lèvres. J’ose alors :

« Êtes-vous… une faera ? »

Je sens son regard se poser sur moi et elle éclate alors d’un léger rire cristallin.

« Tu es encore plus bête que tu n’en as l’air ! Bien sûr que non ! Je suis une aldryde ! »

J’essuie la critique en faisant la moue. Je m’en veux de ne pas avoir passé plus de temps à la petite bibliothèque de la milice ou à demander l’accès à celle du temple de Gaïa de Bouhen. J’ai toujours l’impression de passer pour un abruti fini à chaque nouvelle rencontre. Je me passe la main gauche dans mes cheveux et essaie d’improviser une excuse tant bien que mal.

« Désolé, cela fait depuis seulement peu de temps que je suis sorti de mon trou et que je côtoie d’autres races que des humains… C'est la première fois que je vois une aldryde... »
« De ton trou ? »

Je prends une profonde inspiration et commence à lui expliquer ce qui s’est passé dans ma vie depuis quelques semaines : Bouhen, la milice, ma fuite, Ænarion, la forêt des faeras… Elle ne décroche pas un mot pendant mon récit. Cela permettra peut-être de rompre le mur invisible qui s'est créé entre nous. Une fois mon histoire terminée, je l’entends dire à voix basse, de manière à peine perceptible :

« Comme je te comprends… »

Le reste du voyage en longeant le lac de Nostyla se déroule sans encombre. Sarenrae se montre assez silencieuse, encore un peu sur la défensive à mon avis. Elle ponctue seulement mes rares questions de remarques sèches ou sarcastiques, ne manquant pas de me faire régulièrement remarquer mon manque de jugeote ou mes égarements pendant le trajet, quand je me perds dans mes pensées.

« Qui est-ce qui m’a refilé un empoté pareil ?! » « Eh oh ! Redescends sur Yuimen ! Tu as failli trébucher et me faire tomber ! »

Je profite de nos quelques temps de repos pour vérifier son état de santé. Celui-ci semble être complètement rétabli, et elle volète régulièrement autour de moi pendant nos trajets. Pendant qu’elle dort, j’en profite pour continuer les exercices mentaux transmis par Ænarion. Une fois ces derniers réalisés, je me plais alors à contempler les étoiles dans le ciel, allongé sur le sol, les mains derrière la tête. Les phénomènes lumineux déjà observés du côté de Bouhen sont aussi présents dans cette partie du continent, dessinant leurs volutes colorées sur l’étendue sombre de la voûte céleste. Je me perds dans l’immensité de ce que mes yeux me permettent de contempler.

Une de ces nuits, j’entends Sarenrae qui se retourne à côté de moi. Elle ose alors :

« Vaan ? »

Je suis surpris d’entendre sa voix, plus douce que lors de ses nombreuses piques qui rythment nos journées. Quelque peu amusé aussi qu’elle m’ait trouvé un surnom.

« Hmmm ? »
« Au fait, merci de m’avoir soignée et de t’être occupée de moi… »

Je me contente de sourire en guise de réponse. Elle n’est finalement pas si terrible que ça.

☙ ❧


Après quelques jours de marche, le long du lac nous atteignons enfin une vaste plaine parcourue de terres cultivées. Au loin, il est possible de distinguer une masse sombre et compacte qui doit être, si ma déduction est bonne, la capitale d’Ynorie : Oranan. A mi-distance, de la fumée s’élève de ce qui semble être un petit village. Nous approchons enfin de notre destination.



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