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Auparavant~
~8~
Oublier momentanément. Je dois me focaliser sur ce qu'il se passe, et sur ma mission. Inspirant vivement, j'observe le terrain. Outre l'adolescent, l'arbalétrier est aussi à terre, de même que l'un des attaquants à lame courte. Par contre, l'autre et le hallebardier sont toujours en train de se battre, tenus en respect par Junji. Le serviteur compresse le flanc blessé du dignitaire, une expression proche de la colère peinte sur ses traits. J'ignore ce que font les autres miliciens, mais l'ynorien a visiblement besoin d'aide. Sauf que je suis encore hors de portée, et que ma hanche me fait trop mal pour me permettre de faire une pointe de vitesse. D'un coup, l'épée courte du milicien vole sur le côté, chassée par l'arme longue.
A cette distance, et sans sort offensif, je n'ai qu'une seule solution pour gagner du temps.
Je plisse les yeux, étendant ma main gauche devant moi, et concentrant mes fluides de lumière. Ma volonté de faire cesser un instant le combat se matérialise sous la forme d'un halo doré, entourant les protagonistes. Leurs mouvements ralentissent, comme s'ils savaient que, quoi qu'ils tentent, cela ne servirait à rien. Immédiatement, milicien et serviteur reculent, aidant le dignitaire à venir jusqu'à moi. Junji est désarmé, et lorsque le sort prendra fin, nul doute qu'il sera en danger, quand bien même je le devine agile.
Plongeant la main dans mon sac, j'en extirpe l'étui protégeant la dague de Père. Vivement, je la présente au milicien.
"
Uzuuma ! Ma dague !"
"
Merci !"
Ses doigts souples se referment dessus, puis il retourne au combat. Je ne sais pas s'il s'en sortira à deux contre un, mais le plus urgent est de soigner l'oranien à protéger. Calant mon arme sous mon bras, j'inspecte la plaie. Elle est large et saigne abondamment. Sans que j'ai besoin de dire quoi que ce soit, le serviteur est déjà en train de retirer la pièce d'armure gênante. J'essaie tant bien que mal de faire fi des sons de métal et de combat proche, appliquant les mains de part et d'autre de la plaie, sans y toucher. Accumulant la lumière dans mes paumes, j'y mêle ma propre énergie pour pouvoir refermer efficacement la blessure.
Un léger vertige me prend, mais je parviens à soigner l'oranien. Ynorien dans toute sa spendeur, il n'émet pas le moindre son douloureux, gardant un visage stoïque. Seules quelques perles de sueur attestent de son état. D'un coup, un son d'agonie attire mon attention.
Debout, derrière l'assaillant à hallebarde, Hidate se tient légèrement penché. Émergeant du torse de son adversaire, les deux katanas brillent sous le liquide carmin. Au même moment, Junji parvient à toucher son opposant au bras, occasionnant une hémorragie intense. Nawakura et notre capitaine arrivent à leur tour, leur armure mouchetée de brunâtre laissant peu de place au doute sur l'état des attaquants. Elles ont l'air un peu fatiguées, mais néanmoins encore d'attaque.
A leur vue, le dernier homme valide affiche un air paniqué. Il recule, et se retourne, filant sur le chemin. Ce n'est qu'à ce moment là que j'aperçois trois autres silhouettes progressant vers nous à vive allure. Le fuyard se retourne, nous jetant un air de nouveau confiant. Je ne peux pas m'empêcher de m'interroger sur son attitude quand, soudain, décochée de derrière lui, une flèche à tête crantée lui transperce la gorge. Un air incrédule se peint sur le visage blêmissant, puis il s'effondre à son tour.
Je sens mon coeur tambouriner à mes oreilles, mais la vue des blessures de mes compagnons me rappelle à mon devoir. Hidate a une jambe en sang, Harkan se masse le poignet depuis son arrivée, et Nawakura a la pommette gonflée. Seul Junji semble en bonne forme, et j'ai beau scruter les alentours, Genji reste invisible. La seule chose que je comprends, c'est que mon fluide de lumière ne sera peut-être pas suffisant pour tout le monde. Il me faudrait tenter de soulager l'ensemble des blessés en une fois, mais comment faire ?
Alors que je cogite, le trio d'arrivants se présente en baissant les armes. Un blason orne les plastrons des humains casqués. Serait-ce là l'escorte de Bouhen ? Je dresse l'oreille lorsque notre capitaine entame la conversation.
"
Comme d'habitude, toujours en retard."
Elle esquisse un sourire amical, puis scrute les nouveaux venus, l'archer en particulier. Échangeant quelques paroles avec eux, elle semble soudain un peu surprise.
"
Le capitaine Madvön n'est pas avec vous ? "
Devant l'échange de regard des miliciens, elle s'empresse d'ajouter une remarque avec un air blasé.
"
Je vois. Je parie qu'il ne s'est pas encore remis de l'union de sa fille adorée, et qu'il cuve encore à la taverne."
Le milicien de tête affiche un large sourire, assurant que notre capitaine connait bien le bon à rien duquel ils dépendent. Harkan répond d'un signe de tête, puis elle se tourne vers nous, scrutant le dignitaire qui se relève. En le remarquant, l'un des miliciens s'empresse de l'approcher, le rassurant sur le fait qu'il sera entre de bonnes mains. Un étrange sourire se dessine sur les traits de l'homme âgé, et soudainement, un léger vacarme se produit.
Harkan place sa lame sous la gorge du milicien, Hidate fait de même avec le deuxième, tandis que Genji, réapparaissant enfin, enserre la gorge de l'archer de son coude. Je viens à peine de songer qu'un incident douloureux s'achève enfin qu'un autre événement surgit. Je n'y comprends plus rien. N'est-ce pas la milice de Bouhen ? Mais alors pourquoi les menacer ? Ce n'est tout de même pas ma troupe qui veut s'en prendre au dignitaire ! Cela n'a aucun sens !
Je commence à percevoir un début de mal de crâne quand, à la demande d'explication du chef du trio, Harkan s'explique.
"
Quand on usurpe l'identité de miliciens, on s'assure être bien renseigné auparavant. Aucun milicien ne partirait en mission d'escorte sans équipements pour la nuit, ou rations de voyage... Le capitaine Madvön n'a pas d'enfants, ne touche pas à l'alcool, sert actuellement à Yarthiss, mais surtout... C'est une femme."
Avant que je puisse cligner des yeux, une gorge est tranchée, une nuque est brisée, et le troisième larron est assommé avec force. Je ne ressens rien à cette soudaine violence. Aurais-je déjà perdu ma sensibilité envers les autres ? Pourquoi suis-je hanté par les yeux du gamin, mais pas par le sang versé à l'instant ?
"
Vous avez oublié "et quand on est chargé de protéger quelqu'un, on s'assure de saluer la bonne personne"."
En percevant les échanges de regards et de paroles, je commence à comprendre certaines choses. L'humain âgé que je prenais pour le dignitaire n'est en vérité que le chaperon du vrai. J'en viens à me demander pourquoi je n'ai pas prêté attention auparavant à la posture du discret serviteur. Droit, au regard fier, il ne ressemble pas aux servants de maisonnée, et manie visiblement bien les fluides de terre. Je m'en veux d'être encore aussi naïf et aveugle. Moi qui ai mené une enquête avec réflexion il y a une poignée de jours, je ne vois même pas l'évidence présente sous mon nez.
La douleur de ma hanche me ramène durement à la réalité, et aux soins à prodiguer.
J'aimerais les soulager tous à la fois, mais j'ignore si j'en serai capable. Plissant les yeux, je rassemble ma lumière intérieure, visualisant les blessures de mes camarades. Je suis en mesure de créer un halo de pacifisme, il est donc envisageable que j'utilise ce savoir pour l'appliquer aux soins.
Tendant la main, je place mentalement des parcelles de mon fluide aux endroits à soulager. L'exercice est rendu difficile par ma propre douleur, mais aussi par les déplacements des miliciens. Ma concentration se dissipe par deux fois, mais ma fierté d'ynorien m'incite à ne pas abandonner. Petit à petit, je parviens à placer des parcelles de lumière sur eux, sauf qu'une fois apposées, je n'arrive plus à les manipuler.
Heureusement qu'elles ne sont pas trop visibles, sans quoi le groupe pourrait se demander ce que je fais. Je m'y prends mal, sans aucun doute. Abaissant la main, je réfléchis. Puisque je ne peux pas faire réagir mon fluide une fois attaché à un autre être, peut-être me faut-il charger d'abord la lueur d'énergie curative. Observant ma paume, je suis un instant troublé par le sang en train de sécher qui s'y trouve. Chasser cette image de l'adolescent de mon esprit me demande un bel effort de volonté, et me laisse un arrière-goût amer.
Pendant quelques minutes, alors que les préparatifs pour reprendre la route s'achève, je m'applique à modifier la nature de la lueur. J'en profite d'ailleurs pour appliquer un soin léger sur ma hanche meurtrie. Le visage soucieux de Genji entre dans mon champ de vision alors que je retente l'opération. Je songe avoir besoin d'entrainement lorsque, diffusant mes parcelles de soin, je constate qu'elles se répartissent inégalement. Toutefois, leur but semble atteint. Hidate boite un peu moins, mais les autres miliciens ne semblent pas ressentir de changement notable.
Lorsque nous reprenons la route, je ne parviens pas à empêcher mon corps de se retourner. Le violet de mon regard entre en contact avec le grisé souillé de la cape. D'un coup, de longs doigts rudes se plaquent contre mes paupières, m'obligeant à les fermer.
"
Nous devons avancer, notre mission n'est pas encore terminée."
J'acquiesce, et quand ma vue me revient, c'est le visage concerné du jumeau sérieux que j'aperçois. Mes lèvres s'entrouvrent, mais aucun mot ne sort. Dans l'ombre du coche, je ressens un léger réconfort à la présence silencieuse de cet ynorien.
[Tentative d'apprentissage sur sort "Lumière régénératrice"]