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Auparavant~
Le binôme d'iris ébène se rive au mien, comme cherchant à me transpercer, à me sonder. La situation est inconfortable, et le soudain éclat de voix de la jeune femme semble même avoir eu un effet négatif sur le sourire de Junji. En quelques pas, elle franchit la distance qui nous sépare, sans me quitter du regard. Elle me jauge et me juge. En d'autres circonstances, je n'aurais sans doute pas tenu rigueur de ses propos, mais là, c'est différent. Par sa remarque, elle doute non seulement de mes compétences en tant que milicien, mais aussi du bon sens du ou des gradés m'ayant octroyé cette mission. Fronçant très légèrement les sourcils, je me décide.
Décroisant les bras, je lui renvoie son regard. Je n'ai aucune intention de la menacer, mais je refuse de me laisser marcher sur les pieds sans réagir. De plus, les propos qu'elle a tenu ne font honneur à personne, et surtout pas à elle. Un sourire mesquin étire soudain ses lèvres tandis qu'elle incline légèrement la tête sur le côté. J'ai beau être quelqu'un de calme et de réfléchi, son air suffisant et immature m'agace. Elle me lance une pique, profitant du silence gêné des miliciens présents.
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Bouh, qu'il me fait peur ! Qu'est-ce qu'il y a ? La vérité te blesse, débutant ?"
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Eh !"
Lorsque j'entends la voix de la milicienne, faisant un pas en avant pour s'interposer, je lève la main et la regarde. Je sais que je manque d'expérience, mais avoir toujours une personne pour me protéger ne m'aidera pas à grandir. J'en suis conscient, et c'est pour cela que je fais un signe de tête négatif à Uzuuma Akiko. Rendant son regard à la jeune femme qui me fait face, j'inspire, prenant un instant de calme. Je n'ai pas l'intention de la provoquer, mais il est hors de question que je ploie.
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Pas du tout. Vous n'avez pas tout à fait tort, dans le fond. Je ne suis pas un guerrier expérimenté, ni rompu aux combats difficiles. Néanmoins..."
Je tends ma paume droite devant moi, y rassemblant mes fluides de lumière, que je manipule à la surface de ma peau. La lueur magique qui en résulte éclaire doucement les environs, du chariot proche aux visages des présents. Je n'y accorde pas un regard, conservant une ligne de vue directement dans les yeux noirs.
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La milice ne m'a pas intégré dans ses rangs par pitié. J'ignore ce que vous avez contre moi, mais à me dénigrer de la sorte, vous pensez indirectement que nos supérieurs sont des inconscients."
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Je n'ai pas..."
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Si, en suggérant que je n'ai pas ma place ici, vous remettez en cause leur jugement. Si vous me cherchez querelle, soit, tant que cela n'influe en rien sur notre mission.Mon coeur cogne rudement dans ma poitrine, mais j'essaie malgré tout de conserver un air stoïque. Je n'aime pas les conflits de ce genre, ni d'être pris à parti par quelqu'un que je ne connais pas, et qui ne sait sans doute rien de moi.
La jeune femme reste silencieuse, me poignardant du regard. Ce n'est qu'à son air contrarié que je constate que les autres membres du groupe se jettent des coup d'yeux gênés. D'un coup, le grand humain tend le bras, apposant sa main gantelée sur l'épaule de la jeune femme. Celle-ci le regarde sévèrement, recevant un signe de tête négatif. Ses yeux balaient ensuite les personnes autour d'elle. Son expression énervée disparait peu à peu, se changeant en un air contrarié et boudeur.
Haussant vivement l'épaule, elle se débarrasse de la main qui la touche, croisant ensuite les bras.
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C'est cela, maintenant on dirait que c'est moi la mauvaise graine ! Peuh ! Bande d'hypocrites. Je suis sûre que vous avez tous pensé la même chose en le voyant !"
Les bras se croisent, les regards se font un peu distants et un léger silence s'installe. Une sensation désagréable m'enserre la gorge. Je sais bien que mon physique fait partie de mes points faibles, mais j'ignorais que les miliciens présents y accordaient une telle importance. Le silence est soudain brisé par la voix posée de Genji.
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J'avoue que j'ai eu la même réflexion... Mais je me suis dit, au fond, pas la peine d'avoir un physique de colosse pour être milicien. Tu en es un exemple parfait, pas vrai Ayame ?"
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Et tu peux parler ! Il y a encore une semaine, c'est toi qu'on appelait la novice !"
La jeune femme semble pétrifiée un court instant. Elle croise les bras avec force, puis va se planter devant le jeune homme. Elle lève d'un coup les bras, comme une enfant cherchant la bagarre avec un adversaire bien plus grand.
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Uzuuma Junji ! La divulgation de ce genre d'information est passible d'une belle punition !"
Alors que le milicien lève les mains pour intercepter les assauts aux poings, c'est la pose douloureuse d'un talon sur ses orteils qui le fait réagir. Tandis qu'il se réfugie derrière son jumeau presque impassible, la jeune femme grogne, cherchant à l'atteindre. La scène me laisse perplexe, mais l'atmosphère négative semble se dissiper. Uzuuma Akiko pousse un soupir, puis me pose doucement une main sur l'épaule. Son expression est difficile à déchiffrer, mais pas ses paroles.
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Le contrôle de soi est une qualité primordiale dans la milice. Garde toujours cela à l'esprit."
J'acquiesce, percevant le mouvement du grand humain, appelé plus tôt Hidate par Junji. Ses yeux sombres se rivent aux miens, comme s'il voulait dire quelque chose. Au bout de longues secondes de silence de sa part, il entrouvre les lèvres. Après une courte phrase, il se présente à son tour puis désigne la jeune femme d'un signe de tête.
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La nervosité a diverses manifestations. Tanigura Hidate et Nawakura Ayame."
Je lui rends sa salutation, regardant de nouveau Nawakura et Uzuuma se chamailler assez amicalement. Soudain, une voix féminine fait cesser tout mouvement.
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Ahem ! Si vous pouviez arrêter de faire honte à la milice en place publique, je vous en serais gré."
Une femme de grande taille, montée sur un cheval d'un brun roux, s'approche de nous. Elle est revêtue d'une armure à l'aspect lourd, et est coiffée d'un casque arborant un léger panache blanc. Une cicatrice marque la droite de sa lèvre supérieure, et son attitude me parait bien imposante. Le jeu entre les jeunes gens cesse, et en la remarquant, ils prennent une position respectueuse. Calant mon poing droit dans ma paume gauche, je fais de même. Seule Akiko n'a pas cette attitude. Avec un grand sourire, elle s'approche de la guerrière, tendant une main vivement empoignée en retour.
Détournant les yeux, je remarque l'approche d'un coche de belle facture. Le véhicule fermé est tracté par un cheval mené adroitement par un homme d'une trentaine d'années. A la fenêtre, un visage sévère se penche. Un autre oranien, aux cheveux grisonnants et aux longues moustaches, scrute notre groupe à mesure qu'il approche. Un peu perturbé par le regain d'activité, je manque quelques paroles de la guerrière. Secouant la tête, je m'oblige à prêter attention.
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... D'entre vous me connait. Je suis le capitaine Harkan. Je représente l'autorité, je donne les ordres et j'attends de vous un respect et une discipline faisant honneur à la République. "
Sur ce, elle adresse un court regard sévère à Junji et Ayame. Elle reprend, désignant le coche derrière elle.
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Notre tâche consiste à protéger notre dignitaire pendant le voyage. Dans trois jours, nous rejoindrons d'autres miliciens qui prendront la relève. Des questions ? Eh bien nous n'avons pas le temps ! Nawakura ! Vous conduirez le chariot d'équipement. Tanigura, vous fermerez la marche. Pour les autres, restez de part et d'autre du coche."
L'équidé monté se met à piaffer, tapant le pavage du sabot droit. Un lourd grincement se fait entendre tandis que les portes sont finalement ouvertes. Notre convoi de deux véhicules et huit personnes se met en route. J'ai un tas de questions en tête, mais vu le rythme imposé, je doute avoir le temps de m'en préoccuper. Se positionnant à ma gauche, Junji se retourne brièvement, saluant Akiko avec un grand sourire.
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On se revoit dans une semaine, cousine !"
Je suis tendu, mais empli d'impatience. J'ai hâte de savoir ce que nous réserve ce voyage en groupe. Peut-être est-ce l'occasion de forger des liens avec des camarades miliciens ?