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Le temps s’alourdit encore tandis qu’il avance dans les ruelles, en direction d’une des portes au nord d’Oranan. Il arrive tout juste aux remparts quand une pluie fine lui mouille le visage.
(Le début des pluies…la mauvaise saison arrive.)
Vohl ignore encore la façon dont il va passer les portes. Il n’est pas sûr d’en avoir vraiment envie. Il appartient, corps et âme, à la ville de l’ordre et du respect. Sortir ne lui fait pas peur ; c’est surtout le risque de ne plus pouvoir y rentrer de nouveau qui le fait hésiter.
Dans sa tête défilent quelques scénarios possibles de sa sortie de la ville fortifiée. Un mauvais pressentiment le taraude. Il risque de croiser d’anciens camarades. Depuis qu’il est devenu un déserteur, il est recherché par ses pairs : ils ont pu voir son portrait sur des avis de recherche, ou pire, ils ont pu le connaître personnellement ! L’ynorien se modère : la malchance de tomber sur des soldats de son ancienne compagnie n’est qu’un risque moindre.
Il avance, suivant la lente avancée des passants qui franchissent la porte. La foule qui se presse pour entrer et sortir est un allié dont il compte bien profiter ! Baissant la tête vers les pavés, voutant les épaules et laissant ses cheveux voiler son visage, l’assassin tâche de se fondre dans la masse.
Le bruit environnant est une cacophonie pour ses oreilles : ça hurle, ça braille, ça caquette, ça jacte, ça jappe, ça s’exclame, ça hennit et renâcle.
(Hennit et renâcle ?)
Une compagnie montée progresse vers la porte, encourageant les passants à se presser sur les côtés de la rue par l’impressionnante carrure des cavaliers caparaçonnés. Se jetant sur le côté pour éviter de passer sous les sabots lustrés des hussards d’apparat, Vohl trébuche, et emporte plusieurs badauds dans sa chute.
(Que… ?) « Enfin jeune homme ! Mais faites attention ! Ne poussez pas ! Tu te prends pour qui ! Les jeunes d’aujourd’hui…» « Pardon…je suis désolé…je n’ai pas fait exprès…Désolé »
Vohl s’excuse platement, et à de multiples reprises ; il ne comprend pas comment ce petit saut sur le côté a pu le propulser directement sur le côté de la route. Par chance, la pagaille importe peu aux cavaliers, qui continuent leur itinéraire de patrouille vers, probablement, le territoire Garzok. C’est moins le cas des soldats en faction au niveau de la porte, qui écartent sans ménagement ceux qui s’approchent trop près d’eux. Les éclats de voix attirent l’attention d’un des gardes, qui tourne la tête. Vohl baisse rapidement les yeux. Une vieille dame continue de l’invectiver, et un jeune matador semble prêt à jouer des poings, exigeant un dédommagement pour la bousculade.
Le jeune ynorien s’incline à de nombreuses reprises, enchainant les formules de politesse et les excuses. Déclencher une rixe sous le regard des gardes est de loin une bien pire idée que celle de s’excuser. Finalement, la peau parcheminée de la sorcière disparait, happée par le flux qui reprend vers la porte, et le fier-à-bras laisse tomber, lassé d’humilier et de provoquer un dépenaillé qui ne lui rapportera de toute façon pas grand-chose si ce n’est de salir ses vêtements.
La tête basse, l’ancien soldat reprend sa marche. Même ainsi vouté, sa silhouette se détache un peu du profil typique de l’oranien.
« Monsieur, par ici s’il vous plaît. » (…) « Je dois aller prier, monsieur… » « Monsieur, par ici s’il vous plaît. » (C’est bien ma veine ! Je n’y couperai pas.)
Un violent frisson le secoue. La bruine s’intensifie progressivement, et ses habits chauds sont dans son sac : Vohl est glacé, épuisé et n’a pas la force de résister. L’ynorien en armure prend ce mouvement involontaire pour une rebuffade et saisit avec fermeté le bras du déserteur. Lorsque le second garde, de l’autre côté de la porte, l’interroge du regard, il lance :
« Je m’en occupe, Takuya. »
Et Vohl de se faire entrainer vers l’extérieur, tiré par un garde un peu trop enthousiaste.
« Qu’est-ce que tu fais là ? » « Je ne comprends pas… » « Ne fais pas l’imbécile. Relève la tête. »
La voix a changé.
(Chika…Chikafusa.)
Vohl redresse la tête. Si les yeux sont vraiment le miroir de l’âme, alors les yeux de Vohl expriment une détresse mêlée à un soulagement.
« Qu’est-ce que tu fous là, bordel… Pourquoi t’as pas fui ? Il te cherche encore, t’es au courant ? »
Son ancien camarade de dortoir le regarde avec inquiétude.
« T’as pas l’air en forme, mon vieux. » Vohl baisse à nouveau la tête, honteux de l’état dans lequel il se trouve, face à son ancien ami. « Je m’en doutais un peu… »
Une main vient saisir son menton pour lui faire relever les yeux.
« Te savoir en vie me réjouis, Vohl. Nous avions parlé de ta fuite, mais je n’imaginais pas que tu partirais si vite. » « Désolé de t’avoir laissé sans prévenir…je me doutais qu’ils t’interrogeraient. Je ne voulais pas que… » « Tu n’avais pas confiance en moi ? »
Les yeux bruns de son ami sont indécis, oscillant entre la tristesse et la colère.
« Bien sûr que si…si je l’avais dit à quelqu’un, tu aurais surement été le premier soldat qui en aurait été informé. » « Mais tu ne l’a pas fait. » « Je n’ai pas envie de me battre avec toi aujourd’hui, Chika. » « Sans blague ? Tu préfères les cachots ? » « Je… » « Je plaisante. Même avec ton allure de criquet insomniaque, tu serais capable de me pincer deux ou trois fois avant que je ne te terrasse… »
La tristesse a disparu, comme toujours chez lui, remplacée par une joie innocente. Et comme toujours, cette joie contamine Vohl, lui redonnant assez d’énergie pour sourire avec un mépris feint.
« Toi ? Ha, laisse-moi récupérer un peu et t’auras une vraie raison d’aller te plaindre à Kimiko ! »
A l’évocation de ce nom, Chika sourit avant qu’une autre émotion ne se glisse dans ses yeux remplis de malice. Vohl sent que son ami a quelque chose à lui dire.
« Je ne peux pas rester plus longtemps avec toi : tu allais vers où ? » « Honorer les vents » « Ah ! Toujours Rana, hein ?! Tu ne changes pas, Vohl ! » (Si tu savais…)
Haussant soudain le ton, son ami lui envoie un genou dans l’estomac, avant de le pousser sans ménagement vers le chemin.
« Aller l’ancien, va donc mourir dans les bois, si tu y tiens ! »
Vohl reste plié en deux, cherchant son souffle. Il s’éloigne en titubant, conscient que son ami vient de lui fournir une couverture, mais notant dans un coin de sa tête qu’il lui revaudra cette bassesse.
_________________ "Enchanté: Vohl Del'Yant, Humain d'Ynorie, Voleur...Pour me servir!"
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