L'eau glacée sur son poignet était la bienvenue, sa température avait augmenté par la panique et le contact froid lui fit un grand bien, elle s'apaisa. L'aiguille glissait le long du doigt de la dame et s'enfonçait petit à petit sous la peau de Silmeria, réalisant peu à peu le dessin voulu. La sensation dérangeait, cette aiguille lui évoquait les échardes qu'elle avait pu se planter sous les doigts, bref, un souvenir peu agréable.
Les minutes passèrent vite, l'expérience de la Dame se faisait sentir, elle avait les doigts graciles et doux, son emprise était ferme et ses gestes maîtrisés. Silmeria avait fermé les yeux, étrangement fatiguée. Elle regarda de temps à autre l'oeuvre avancer mais sinon, le calme régnait.
Les contours de sa peau étaient rougis et elle avait une sensation de chaleur amusante qui lui courait le poignet. Bien que Silmeria ne sentait rien de nouveau, hormis une gêne à bouger le poignet, elle ne ressentit pas immédiatement le besoin de tester ses nouvelles maîtrises.
La tatoueuse lui confia alors quelque chose de bouleversant. Des cris à l'extérieur. Lorsque la porte était fermée, le havre était isolé et silencieux mais la femme avait perçu pendant le tatouage une animation suspecte à l'extérieur. Silmeria s'alarma, en effet, il y avait des cris, de rage et de colère. Sans s'en rendre compte, la femme s'était déjà rendue dehors, ouvrant de grands yeux étonnés. Les gens se bousculaient et criaient. On vit même quelques légumes être jetés par des citadins.
Silmeria tenta de s'approcher, mais la masse était trop compacte et elle fut repoussée.
« Ils sont tous hystériques... » Puis elle cria le nom d'Ayri dans la foule, espérant entendre un écho et revoir son amie. Soudain la foule se recula, se dispersa et on entendit un bruit mat et un chuintement. Une lame avait frappé la chair. A ce moment là, Silmeria paniqua de nouveau.
Qui ? Ayri ? Après tout, c'était la pleine lune et l'Oracle en avait parlé.
L'horrible coïncidence se conclu enfin, lorsqu'un homme qui fuyait elle aborda.
« C'est la faute de la vendeuse de pommes. Elles étaient empoisonnées et tout le monde l'a vu en donner aux enfants. Ils sont morts et on dresse un bûcher. Son père a tenté de s'interposer mais les Samouraïs... »Silmeria n'attendit pas la fin des propos de l'homme, elle lui agrippa la tunique et le repoussa, essayant d'avancer encore, espérant arriver à temps. Des femmes en pleurs, des hommes rouges de colères et le dernier souffle du père d'Ayri. Elle avait enfin percé la foule. L'homme gisait à terre et ses yeux s'éteignirent dans le néant.
Elle en resta bouche bée. La foule était en furie. Les enfants étaient morts, la bave aux lèvres quelques pères ivres de rage portaient le corps des marmots trempés de sueurs et l'écume encore collante aux lèvres.
Ayri était accrochée à des vestiges d'étals. Un bûcher improvisé. Les Samouraïs patrouillaient dans la foule, sabre au clair. Les villageois s'écartaient. Le feu venait d'être allumé. Il s'activait à ronger les cageots, la paille et le bois plus dur et solide qui soutenait les étals de marchands quelques minutes plus tôt. Les pommes étaient renversées et roulaient à terre. La fumée tomba, grise et lourde puis les cris d'horreur de la jeune fille résonnèrent et Silmeria était encore trop loin. Elle se mordit les lèvres pour s'empêcher de hurler, la masse était trop compacte, elle était incapable d'avancer et usa ses forces à repousser les corps qui l'écrasaient.
Puis lorsqu'elle pu enfin arriver devant le bûcher, la chaleur lui brûlait le visage, Ayri était morte et avait cessé de crier il y avait déjà quelques secondes. Les pieds nus de la jeune humaine étaient gris et tombaient en cendre, la peau avait disparue, ses cheveux et ses vêtements... Il ne restait plus qu'un corps méconnaissable sur lequel le feu continuait de danser.
Un Samouraï l'arracha à cette vision macabre. L'homme en armure rouge portait un masque guerrier aux expressions terrifiantes. Silmeria tenta de reculer mais sa poigne était trop dure et il ne laissa pas la jeune Sindel s'éclipser. Il beuglait, le son sous son casque avait un aspect encore plus dur et sévère, Silmeria comprit qu'elle avait été vue avec Ayri et donc suspectée, l'étrangère, la voyageuse, au final ils n'avaient pas eu confiance en elle. L'homme tira un sabre court de son arsenal et s'arrêta. Bloqué, paralysé, d'instinct, les sens de Silmeria avaient pris le dessus et sa dague était profondément plantée sous l'aisselle de l'homme, là où l'armure était plus légère, constituée principalement de cuir pour ne pas limiter les mouvements, la résistance de cette couche avait été trop molle et la pointe de la dague venait de percer le coeur du Samouraï qui tomba à terre, raide lorsqu'elle l'eut retiré.
La foule s'était arrêtée, l'homme tombé dans un bruit d'armure froissée, Silmeria et ses doigts en sang, arme à la main. La réaction ne fit pas un pli, la tueuse fut prise d'assaut de toute part. Une mêlée grotesque constituée principalement de paysans désarmés mais verts de rage et nombreux. Elle taillait à l'aveugle, essayant de ne pas se retrouver attrapée par derrière, bientôt les flammes du bûcher virent brûler dangereusement son dos et il suffisait qu'un homme assez fort puisse la bousculer pour qu'elle tombe dans les flammes. Son salut se trouva dans les étals, peu solides et tous accrochés les uns aux autres, elle pu d'un coup d'épaule faire basculer l'un d'eux pour que les flammes se propagent aux drapés dans un souffle sonore et brûlant. Quelques uns reculèrent mais les plus téméraires poursuivirent Silmeria qui semait des tonneaux derrière elle pour retarder ses agresseurs.
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Hrist était adossée à un mur, un peu en hauteur pour surplomber le marché. Elle observait le manège d'un air amusé. Elle avait entendu le sabre entrer dans le corps de l'homme, la jeune amie de Silmeria hurler jusqu'à son dernier souffle et la Sindel arriver à s'enfuir de la rue principale en mettant le feu, comme à son habitude.
« C'est une tradition chez vous, impossible de quitter une ville sans un incendie criminel. »« Quatre villes et une forêt, en tout. »« La forêt... C'était des sous bois déjà, et peuplés. J'aime autant pas en parler, l'odeur du Worran grillé et du lutin rôti ne fait pas partie des bons souvenirs d'un nez. »« Attendons notre amie dehors. » Hrist se décolla du mur et croqua dans la pomme qu'elle avait acheté à Ayri quelques secondes plus tôt.