Retour du Maître.Après être restée un moment sans rien faire, je me décidai finalement à sortir. L'air était doux et bientôt la nuit s'installa sur la ville. La lune, encore à quelques jours de sa plénitude, brillait d'un éclat si intense qu'elle semblait effacer les étoiles qui tentaient de luire à ses côtés. Jalouse détentrice des cieux des ténèbres, elle trônait au milieu de l'écran bleuté que lui offrait la nuit, majestueuse et arrogante, elle m'observait en silence. Je la contemplais moi aussi, sa beauté se reflétait merveilleusement dans le rouge de mes yeux, elle m'éclairait parfaitement les rues et me paraissait éternelle. Mais y a-t-il chose éternelle dans cette univers ? Non. La réponse avait fusé dans mon esprit, comme une évidence qu'il était absurde d'ignorer. Pourtant je refusais d'admettre la disparition de l'astre qui guidait mes nuits, mon âme, ma vie. Je me perdais dans des divagations inutiles. D'un même mouvement j'ajustai ma cape et relevai mon capuchon. Je pris une direction de façon à garder la lune devant moi. Un vent léger chuchotait à mon oreille, sans que je parvienne à comprendre ses dires. Même s'il rafraîchissait l'air, la nuit d'été que je parcourais restait chaud et quelques peu désagréable. Depuis toujours j'avais vécus dans les montagnes du nord, dans la neige, au milieu des glaciers. Ici la neige ne se montrait qu'en hivers, les gens à qui j'en avait parlé s'en plaignaient et semblait en souffrir, pourtant je me languissais son arrivée. J'avais du temps devant moi avant de pouvoir me rouler dans la pureté des neige hivernales.
J'avais, pour le moment, d'autres priorités. J'étais incapable de battre Deïko en combat, et pire encore, de lui infliger un quelconque coup. Frustration intense.
Le vent souffla de nouveau mon visage. Je m'arrêtai immédiatement, mes yeux restèrent clos.. Plus un mouvement, plus un soupir. J'inspirai longuement, profondément, puissamment. Le vent charriait avec lui une irrésistible odeur de sang. La senteur tentatrice dansa un instant autour de moi, je cédai. Je pivotai sur les pointes et me glissai avec la plus grande discrétion dont j'étais capable dans la noirceur d'une ruelle. Je suivais l'odeur, effroyablement obnubilée par cette dernière. Découvrir d'où elle provenait... Et puis après ? Je stoppai ma course, le regard planté au sol.
"A quoi cela va m'avancer, savoir d'où vient cette odeur... Délicieuse senteur... irrésistible effluve..." Mes mots n'avaient été que soupir, ma course reprit, plus folle et rapide qu'avant de s'arrêter.
Ma course effrénée s'arrêta lorsque le découvris le cadavre d'un homme d'une quarantaine d'années. Simplement égorgée, il avait été dépouiller de sa bourse, ses bottes, et ses bijoux, dont je percevais encore la marque sur l'annulaire et le majeur. Une grimace de dégoût s'afficha sur mon visage, je ne pus pourtant m'empêcher de m'accroupir près du malheureux. Je n'eus pas besoin de le toucher pour savoir qu'il était encore chaud, fraîchement tué, et que le tueur en question se trouvait certainement encore dans les parages. L'homme à terre ne m’intéressais que peu, son âme étant déjà partie loin, je n'aurais pu tirer aucun cris de douleur, peu importe les châtiments infligés.
"Quelle drôle de pensée que voilà." Le mot, le bruit, le manque de discrétion.
Une ombre surgit au dessus de moi, en armure légère, une femme me tenait tête bientôt. Une femme. Pour la première fois, j'affrontais une femme. Aucune cape ne la dissimulait. Par dessus de simple vêtements de toile se trouvait épaulettes, jambières et une protection pour le torse en métal - peut-être était-ce simplement de l'alliage - constituait se qu'il semblait être son armure. Un rictus moqueur m'étira les lèvres. Je savais n'être que très peu expérimentée, mais elle, elle était juste pitoyable à mes yeux. Son épée n'était, de toute évidence, pas entretenue, et elle paraissait entièrement dépourvue de force. Je pouvais percevoir les petits tremblements qui envahissaient son corps. Elle passa tout de même à l'attaque, se ruant sur moi. C'était idiot, attaquer de front ne faisait qu'agrandir de gouffre qui s'était ouvert entre elle et moi. Je posai la main sur la poignet de mon poignard, attendis. Encore, un tout petit peu. A peine. Une esquisse de seconde, peut être moins. A quelques mètre de moi, elle leva haut, autant que maladroitement, son arme. D'un même mouvement je me baissai, sortis ma lame, pivotai sur les hanches, lançai la jambe. Elle trébucha ridiculement, je lui plantai ma dague dans la cuisse. Le hurlement perçant qui s’échappa de ses lèvres me tira un sourire de satisfaction.
Se mêlant au cri de ma proie, les cris de quelques hommes tout proche et approchant à grand pas me détournèrent de celle-ci. Je percevais un regard froid se glisser sur moi, je compris aussitôt. Piégée. J'avais été piégée.
La femme, jusqu'alors frêle et pitoyable à mes yeux, m'observait avidement, un sourire terrifiant dessiné sur ses lèvres.
"C'est fini." "Non !"Je me relevai d'un bond, saisis l'idiote - idiote ? - qui m'avais piégée, me glissai dans son dos et portai ma dague à son cou.
"Si je meurs, tu meurs.""Tu devras alors t'habituer à la solitude." Ma voix avait été glacial, elle me fit moi-même frisonner. Qu'est ce qu'il m'avait prit d'agir ainsi ? Je ne savais même pas combien ils étaient, ni quelles étaient leurs intentions, et j'avais la prétention de lui garantir la mort, et ma survie.
Quatre hommes apparurent devant nous, tous de toile et de pièces d'armure. L'un avec une lance, un autre avec une hache de combat, les deux autres aux épées similaires à celle de mon otage. Je laissai échapper un juron avant d'égorger celle à qui j'avais promis la mort. Action insensée, je le savais. Pourtant je n'avais pu répulser l'envie de le faire. Les quatre hommes qui se tenaient face à moi écarquillèrent les yeux avant d'ouvrir une bouche grande comme le poing.
(Sont-ils, eux aussi, débiles ?)Cette pensée m'arracha un nouveau sourire et je bondis en avant. Oui, j'avais attaqué, et non l'inverse. L'effet de surprise fut total, eux qui me pensaient prise en embuscade et désemparée, se retrouvaient attaqués par leur propre proie. Ils restèrent figés un moment avant de bouger. Suffisamment longtemps pour que je puisse tuer le premier, un possesseur d'épée. Mon coude s'était encré dans son plexus solaire, lui bloquant la respiration. La douleur l'avait replié sur lui-même et ma dague était venue se planter entre ses deux yeux. Evidemment, les autres étaient déjà en garde de combat. Je me retrouvai au centre d'un cercle de mort qu'ils avaient formé en une fraction de seconde. Le premier, armé de la lance, passa à l’offensive. Il tendit seulement un bras tremblent en avant, pointe droit devant, vers moi. Le coup fut facile à esquiver, presque inutile. Presque. Trop concentrée sur cette attaque inoffensive, je ne vis qu'au dernier moment l'escrimeur se jeter sur moi. Je me laissai volontairement tomber à terre, sur le dos. L'homme vola au dessus de moi, je le saisis par le col et l'accompagnai d'un coup de pied. Il vint frapper le sol violemment, je me retournai, et puis plantai ma lame au coeur. Sans m'arrêter j'envoyai les jambes en saut de lune, mon dos décrivit une courbe presque parfaite et j’atterris debout sans trop de mal. Je me retrouvai devant l'homme à la hache, grand et bien bâtis il me faisait face avec une implacable assurance. Sans prendre compte de mon analyse rapide je fléchis les genoux, prête à attaquer. Trop lente. Le poing du colosse vint percuter ma poitrine. Je sentis ma respiration se bloquer, un ultime souffle m'échapper. D'une vitesse fulgurante il rabattit sa hache vers mon cou. Je me jetai à ses pieds, esquivant le coup et l'immobilisant miraculeusement. Non, je ne l'immobilisais pas, j'étais juste bêtement accrochée à ses jambes. Mon souffle revint, et, ridicule dans cette position je me hâtai pour en changer. Alors qu'il levait une jambe pour me faire lâcher prise, j'empoignai mon arme et roulai sur le côté. Le mouvement permit au lancier de passer enfin à l’offensive. La lance se ficha entre mon bras et ma hanche, par chance il était vraiment maladroit et semblait ne jamais parvenir à ses fins.
"Dégage ! Tu ne vois donc pas que tu gênes ?!" La voix du colosse s'accordait parfaitement à sa carrure: imposante, impressionnante et débordante d'assurance.
Le lancier entra la tête dans les épaules et recula, l'air confus d'avoir ainsi gêner son camarade. Le colosse à la hache posait sur lui des yeux méchants et mauvais, pleins de rage et de haine. Il regardait son compagnon. Il ne me regardait pas. Erreur que je lui aurait pensé fatale. Une artère vitale passe par l'aine, j'y traça un trait de feu du bout de mon arme. La douleur le fit immédiatement réagir, il pivota et m'écorcha d'un tranchant de sa hache. Heureusement, la blessure n'était pas profonde. Je m'éloignai d'un bond et me remis en garde. Jambe droite tendue en arrière, la gauche fléchie, dague ramenée au visage, main gauche sur poignet droit. Dans cette position, je savais que j'étais presque intouchable, pourtant l'assurance, toujours aussi puissante, que dégageait le colosse me faisait perdre confiance en moi. J'avais l'atroce impression de ne pouvoir rien faire contre lui.
On resta ainsi longtemps, chacun contemplant l'autre de son côté. Que pensait-il de moi ? La question fusa aussi vite que son attaque. Puissante, elle filait vers moi telle une vague promettant la mort. La force qu'elle libérait était telle qu'il était certain que je ne pouvais la parer.
Il ouvrit grand le bras, portant son incommensurable arme du bout de se dernier, prêt à m'attaquer sur le flan. Je n'avais pas bougée, presque pétrifiée devant cette fulgurante puissance. Lorsqu'il referma l'étreinte de mort, je me collai à lui, en tournant du côté interne de de l'étau qui resserrait sur moi. Je dessinai une ligne de sang le long de son bras. Ma lame traversa son poignet. Il lâcha sa hache sous un grognement de rage qui me fit frisonner.
Immédiatement son poing opposé vint percuter violemment mon dos. La douleur envahis entièrement mon corps. Je me cambrai brusquement, lavai la tête pour crier, mais seul le silence daigna caresser mes lèvres. Je tombai à genoux. J'avais mal, très mal. Le colosse observa un court instant son bras, dans lequel était encore plantée ma dague. Il l'a retira avec une brutalité si haute qu'il se déchira un peu plus la chair. Du sang en grande quantité s'échapper de son bras, mais peu lui importait. Il jeta mon arme, loin derrière lui. Trop loin pour que je puisse espérer la récupérer pour le tuer avec. Le tuer ? En étais-je seulement capable ? Il me regardait, froidement, puissamment, horriblement. Il prenait lentement ma vie, d'un simple regard.
(Bouge..) Mon esprit hurlait à mon corps de se reprendre.
(Bouge..! Attaque, et tue !)Il s'accroupit face à moi, m'écrasant toujours du regard.
(Allé !)La douleur quitta peu à peu mon corps, je retrouvai lentement mes jambes. Pourquoi n'attaquait-il pas ? J'étais là, devant lui, à son entière merci, et lui ne faisait rien. Il me regardait. Je ne pouvais plus attendre, j'avais peur, et si cette peur ne quittait pas mon corps, j'allais devenir folle. J'avais envie de crier, trembler, pleurer.
Ridicule.
D'un mouvement rapide, je posai les mains à terre et frappai, les deux pieds en même temps. J'aurai espéré faire le chuter. Impossible, il était bien trop lourd et musclé pour pouvoir espérer une telle chose. Il vacilla à peine. Je me relevai, il fit de même. Sans armes je ne voyais pas comment je pouvais le battre. La différence de force qui s'étendait entre nous était infinie.
Je me rappelai soudain de mon tout premier meurtre. J'avais juste retourné, sans m'en rendre compte, la force de mon adversaire contre lui-même..
(Parfait !)Au même moment le colosse fondit sur moi, le poing fermé, la tête en avant, dans une redoutable course. Je bondis, le plus haut possible, passant au dessus de lui. Mon pied s'écrasa sur sa tête, déjà baissée vers l'avant. Il chuta lourdement au sol, tête contre les pavés. Sans réfléchir je me ruai sur lui. Je lançai mon poing, le plus fort possible, dans la nuque. Un sinistre craquement raisonna dans la nuit. Très vite il s'immobilisa.
Je ne pris pas le temps - cette fois-ci - de "jouer" avec le corps de mes victimes. Je leur pris leurs biens, bijoux et bourses. Le lancier me regardais, pétrifié, mais debout, en garde. Je réajustai ma cape, remontai ma capuche sur ma tête et passai à côté de lui.
"Là, c'est le moment où tu cours, très vite." Mes mots étaient à peine audibles, mais le lancier n'en demandais pas plus. Il lâcha sa lance et parti dans une course folle.
Un sourire psychédélique illumina mon visage, brilla sous la lune, nimbée de sang.
Tellement maladroit.
Je me retournai.
Tellement maladroit.
Il trébucha à quelques mètres de moi.
Sous mes yeux.
Quelle maladresse.
Je me baissai pour ramasser sa lance.
Il se releva.
Maladroit.
Courut encore.
Inutile.
Je brisai la lance, seul restait la pointe et un infime morceau du manche.
Il chuta encore.
"Meurs."Je m'élançai à mon tour, plus rapide que lui, plus fourbe que lui. Une pointe mortelle luisit sous la lune, il se retourna, l'air surpris.
Son coeur hurla. Se tut.
A jamais.
Je pris également sa bourse et rentrai à la propriété.
Seconde tentative.