HermaiSchrats
Agadesh avançait dans la flore blanche sans véritablement savoir comment trouver ce qu'il cherchait. Comment trouver un de ces guides ? Où pouvez donc se cacher ces faëras et leurs pouvoirs ?
Il marchait et marchait encore, ne voyant autour de lui que cette végétation toujours plus blanche et compacte lui ôter toute notion de distance. Il perdait quelquefois de vue Enkidu, dont la fourrure pâle aurait été un parfait camouflage dans cette végétation s'il n'y avait pas eu l'obscurité de ses yeux pour l'y trahir. Celui-ci semblait particulièrement s'amuser ici avec de petits insectes blancs qui sautaient et voletaient ça et là.
Le bédouin continuait sa route avec méfiance. Il ne savait rien de cette forêt. Il ne savait pas où il allait et sur quoi il pourrait tomber. Il avait aussi la dérangeante impression d'être suivi mais, lorsqu'il se retournait, ne voyait personne. Il marcha ainsi une heure, puis deux, puis trois. Le soleil était haut et il commençait un peu à désespérer. Il s'y était sans doute mal pris. Il continua sa recherche sans succès, encore fallait-il qu'il puisse savoir à quoi ressemblait ce qu'il cherchait.
Il se fit la réflexion qu'il serait peut-être bon pour lui de trouver quelques autochtones qui pourraient l'aider dans sa quête. Peut-être en sauraient-ils plus sur les faëras et comment les domestiquer. Aussi entreprit-il de rejoindre la route là où il l'avait laissé et de chercher sur son chemin quelques signes de vie, se repérant grâce au soleil. Sa marche lui paraissait longue et harassante, à devoir lutter contre ses mauvaises herbes, semblables à des orties, qui s'accrochaient à sa tenue bleue. Et toujours cette sensation d'être suivi, encore... Quelqu'un le regardait. Il en était sûr. Mais qui ? Pourquoi ne le voyait-il pas ? Pourquoi n'attaquait-il pas ? Attendait-il qu'il tombe dans un piège ?
C'est dans une certaine paranoïa qu'il essayait tant bien que mal de retrouver son chemin. Mais il n'y avait rien à faire, il ne se trouvait aucun repère. Pourtant, il avait toujours eu un bon sens de l'orientation mais là... Il se dit un instant que Bes aurait déjà sans doute retrouvé son chemin dans une telle situation. Ce maudit compère aurait été capable de ressortir par la gueule d'un chameau si on lui aurait enfoncé la tête dans son arrière-train. Cette pensée le fit pouffer. Il repensa à ses compagnons avec tristesse et perdit le fil de ses pensées en se rendant compte qu'il continuait à marcher sans réfléchir au chemin qu'il parcourait.
Il commençait à se sentir de plus en plus menacé, piégé dans ce labyrinthe blanc et végétal qui n'en finissait pas. Les heures s'écoulaient, le soleil continuait sa ronde et le moment de la relève se faisait toujours plus proche. Lorsque le crépuscule arriva et que le ciel prit une teinte sanguine, Agadesh en avait plus qu'assez. Il était hors de question de dormir dans cet endroit.
Puis, en plein milieu de la végétation, il vit ce bâtiment qui se détachait du reste de l'environnement. Une vieille petite maison au toit en tuiles d'ardoise. Une cheminée branlante, sur le côté droit, était envahie par les plantes grimpantes. Les deux fenêtres qui se trouvaient de part et d'autres de la porte avaient été barricadés par des planches. Mais la porte elle-même semblait avoir été défoncée, les gonds arrachés de l'embrasure.
Ce n'était guère avenant. Il s'était passé quelque chose ici, c'était certain.
Il se rapprochait doucement de l'entrée lorsqu'il entendit bouger derrière lui. Il se retourna rapidement mais il ne vit toujours rien. Il chercha Enkidu du regard et le vit juste à ses pieds, regardant en arrière, les oreilles dressés, à l'affût. Il avait aussi entendu. Il y avait bien quelque chose, mais pourquoi le suivre ? Cette cabane était-elle le piège dans lequel on attendait qu'il tombe ?
Sur ses gardes, Agadesh pénétra dans la salle en empoignant son sabre. Sur sa gauche, il vit un grand lit miteux accompagné de deux tables de chevet poussiéreuses sur lesquelles se trouvaient des bougies éteintes à moitié consumées, un livre et une dague. Juste avant le lit, une rondache mi-blanche mi-verte aux rebords noirs qui semblait avoir été déformés par des coups de masse gisait sur le sol. Non loin, une épée courbée au pommeau sombre, garnie de tout son long d'un ornement dorée, traînait là à côté d'une barbute de même facture. C'était un bel équipement de qualité, qui devait avoir été conçu par une seule et même forge. Tout cela avait dû appartenir à quelqu'un de particulièrement important. Il avait dû s'installer ici pour fuir une menace quelconque, mais vraisemblablement celle-ci l'avait rattrapé...
Le reste de la salle ne relevait pas d'un grand intérêt. Quelques meubles tout ce qu'il y avait de plus commun, un tonneau rempli d'eau croupie dans laquelle s'agitaient des larves de moustiques, divers objets usuels et une cheminée envahie d'araignées blanches qui y tissaient leurs toiles. Il se dit que s'il ne trouvait toujours rien avant la nuit, il pourrait au moins venir s'abriter ici. Il se dirigea donc vers la sortie lorsqu'il entendit un bruit métallique et strident derrière lui, comme si on avait doucement frotter une lame contre une autre. Il se retourna aussitôt, mais ne vit rien. Enkidu, lui, aboyait comme un beau diable, se précipitant en dirigeant ses cris vers le bas du tonneau.
En effet, le bédouin n'avait pas remarqué la trappe sur laquelle celui-ci était posé.
Il posa son sac non loin et poussa le lourd conteneur avant de s'abaisser pour l'ouvrir. Prudemment, l'épée à la main, il regardait ce que la luminosité sanguine du soleil tardif lui permettait de voir... C'est-à-dire absolument rien excepté un escalier en bois qui donnait contre une paroi. Le gros de la cave devait être en arrière... Puis le bruit se fit entendre une nouvelle fois, plus distinctement. Il le fit sursauter, mais pas Enkidu qui se rua dans l'obscure pièce.
"Enkidu ! Non !", criait-il à demi-voix.
Mais celui-ci y ne l'écoutait pas. Il descendit les escaliers pour le rattraper, mais c'était sans compter que celui-ci s'effondre sous ces pas, le bois ayant été moisi et usé par le temps. Dans sa chute, il laissa tomber son sabre et se cogna l'avant du crâne contre le mur d'en face.
Un peu déboussolé, il entendait Enkidu aboyer de toutes ses forces avant de lâcher un couinement aigu. Alors que du sang lui coulait sur le front, Agadesh n'arrivait pas à distinguer quoi que ce soit dans l'obscurité de la salle. Enkidu était silencieux maintenant. Des bruits de respirations saccadés et éraillés, entrecoupés de mastications, se faisaient entendre. Ce n'était pas bon signe.
Agadesh gisait encore laborieusement contre le sol terreux, incapable de bouger suite à son choc, lorsqu'il vit la créature se dévoiler dans la lumière. C'était un être humanoïde, très pâle... Il était nu et sa peau, dépourvue de toute pilosité, était ridée par un nombre incalculable de cicatrices. Sa tête abominable affichait des globes oculaires vides. Il n'avait pour office de nez que deux trous inégaux qui s'enfonçaient dans sa chair dont les parois vibraient à chaque expiration. De sa bouche sans lèvres coulait grossièrement sur son menton et son torse du sang sombre dans lequel on pouvait distinguer des touffes de poils blancs. Enkidu était mort, dévoré par cette bête immonde. C'était une fin indigne pour cet être du désert qu'il avait fini par apprécier en tant que compagnon.
Il vit cette abomination, cette vision cauchemardesque, se mettre à marcher dans sa direction. Pris d'effroi, le nomade trouva la force de ramasser son sabre et parvint à se lever en s'appuyant contre le mur.
S'approchant comme en le reniflant, la créature leva doucement ses mains auxquelles les ongles semblaient n'être que lames incrustées sous la peau et les porta à son visage. Lorsqu'il les ouvrit pour laisser apparaître ses paumes, il vit ses yeux incrustés en dedans. C'était des yeux incolores, injectés de sang, qui l'examinaient avec curiosité en se mouvant nerveusement au creux de ses mains.
Soudain, ses yeux se fixèrent sur les siens, ses bras se tendirent vers lui et les muscles de ses mains se raidirent. Brusquement, Agadesh sentit une douleur atroce s’abattre à l'intérieur de son crâne. Comme si tout vibrait en dedans, comme si sa tête était sur le point d'exploser. Alors qu'il ramenait sa main gauche à sa tête à cause de la douleur, il n'avait qu'une envie. Envie de s'effondrer, que cela cesse enfin. Après ce qui lui parut une éternité, le nomade rassembla ce qu'il restait de ses forces pour résister. Il avait une quête à mener et il était hors de question de céder face à ce monstre absurde. Il ramena ses deux mains contre le pommeau de son sabre et l'empoigna solidement. Il se décolla du mur et, dans un cri de rage, leva sa lame avant de l'abattre de son tranchant. La manœuvre s'était faite à l'aveuglette. Le nomade était bien trop préoccupé par le fait de résister à cette torture psychique et la faire cesser plutôt que de viser.
L'humanoïde lâcha un hurlement atroce alors que plusieurs doigts de sa main gauche et la moitié de sa main droite avaient été soustrait à son corps. Le fracas des ongles de métal sur le sol était presque inaudible tant son cri strident étaient aussi fort qu'insupportable. Puis il fit le silence, semblant furieux. Son œil droit ayant subi le verdict du sabre bleu, il relevait son bras gauche en sa direction. L’œil restant, qui se noyait sous le sang noirâtre qui coulait de ses phalanges mutilées, se remit à le fixer et il sentait la sensation troublante renaître en lui. Agadesh détourna ses yeux et se pressa d'attaquer à nouveau la créature, qui, dans un nouveau cri, se vit perdre son bras au niveau du coude. Le membre tranché giclait de sang et la créature, devenu totalement aveugle et désarmé, finit par s'effondrer sur le sol.
Le bédouin commençait à peine à souffler lorsqu'il vit deux autres créatures arriver dans sa direction. Semblable au premier monstre, celle-ci affichaient pourtant quelques différences. Elle était semblable en tout point. Moins grandes, plus maigres, quelques touffes inégales de cheveux blancs plus ou moins longs sur le cuir chevelu. Il pouvait aussi remarquer la présence d'une poitrine dépourvue de mamelons. Celles-ci avançaient avec une démarche malaisée mais rapide vers lui, en hurlant de plus belle.
C'était une véritable malédiction. Puis, soudain, le bédouin se souvint du don que lui avait fait les ancêtres et, avant qu'elles soient à sa hauteur, fonça dans l'ombre. Il ne l'avait encore jamais utilisé, mais Balamon lui avait dit qu'il suffirait de le vouloir. Mais il était impossible pour lui, dans cette obscurité, de savoir si cela marchait ou pas. Agadesh s'efforçait donc de ne pas faire le moindre geste ou le moindre bruit, attendant une bonne occasion. Les créatures, surprises par une telle initiative, semblaient à l'affût du moindre son. L'une des deux disparut soudainement dans un éclatement de sable gris. C'était une fichue sorcellerie. Il n'y en avait jamais plus qu'une. Il pensa rapidement à juste s'enfuir et condamner une nouvelle fois cette créature damnée dans son tombeau souterrain, mais un regard sur l'escalier effondré lui suffit pour comprendre que ce n'était pas envisageable, même en étant invisible. Non, s'il voulait sortir d'ici, il devait l'éliminer. Il n'y avait pas d'autres alternatives. Il comptait attendre que celle-ci passe assez près pour qu'il puisse l'éliminer une bonne fois pour toute, mais il remarqua un bruit. Un sifflement. De l'air qui sifflait, comme lorsque l'on bouge rapidement ses mains. Cette monstruosité ratissait la salle en agitant ses mains devant elle et elle venait droit vers lui.
Il n'avait pas le choix, il devait bouger. L'humanoïde entendit ses pas et se lança vers sa source. Revenant vers la lumière qui s'étouffait avec la venue de la nuit pour ne pas être totalement aveugle durant le combat, Agadesh put alors remarquer qu'il n'avait absolument rien d'invisible. Pourquoi les ancêtres s'amuseraient-ils à lui faire des dons inefficaces ? La question attendrait.
Elle était encore dans l'ombre lorsque la souffrance recommença. L'intérieur de son crâne qui lui paraissait écrasé d'une pression immense. C'était une véritable géhenne de douleur. L'extrémité de son calvaire était telle qu'il ne put s'empêcher de lâcher son sabre pour rabattre ses mains contre ses tempes. Et alors qu'il s'égosillait de son tourment, sa vue se floutait et son ouïe encombré par un sifflement strident qui semblait venir de l'intérieur-même de son crâne. Il ne la remarquait même plus, mais la créature marchait doucement vers lui, les bras tendus vers le nomade. Agadesh, dont cette torture faisait perdre la raison, s'était effondré au sol et se balançait de manière autistique entre les membres amputés du précédent monstre. Soudain, la douleur se fit moins forte. Ne comprenant pas, Agadesh rouvrit les yeux et vit la créature, le bras levé, prête à l'achever. Sans réfléchir, le bédouin chercha le moindre secours à sa portée. Un des doigts du précédent monstre, avec l'ongle métallique qui allait avec. Il l'empoigna et l'enfonça dans le pied de la créature. Criant de douleur, il profita de ce moment de répit pour ramasser sa lame et, avant qu'elle n'eût pu réagir, la décapita.
Agadesh resta un moment idiot, son esprit étant loin de s'être remis de ce traumatisme. Il lâcha de nouveau son sabre, plaqua son dos contre le mur puis, glissant, se retrouva assis contre le sol, la tête entre les bras en se balançant. Il marmonnait dans sa barbe ce qui devait être des souvenirs d'enfance :
"Mère, mère, le scorpion m'a piqué le doigt. Il m'a piqué le doigt mère, il me l'a piqué."Il répéta ces mêmes phrases une cinquantaine de fois sans discontinuer, sanglotant puis pleurant comme un enfant.
"Père ! Le scorpion il m'a piqué, regarde ! Il m'a piqué le doigt ! Ça fait très mal. Je veux pas mourir, je veux pas mourir. Le scorpion m'a piqué le doigt mère... Où est-ce qu'on va ? Pourquoi on va au palais, j'ai peur et j'ai mal mère ! J'ai mal au doigt ! Le scorpion m'a piqué... Père ! Je... Mais le scorpion m'a piqué et ça fait très mal ! Oui père. Je serais fort. Oui... Père... Je... Je serais fort. Je serais fort. Je serais fort. Je serais fort."Puis il sembla s'apaiser dans quelques derniers reniflements, sécha ses larmes contre ses manches et releva la tête en cessant ses hochements. Il considéra autour de lui les deux cadavres avec tristesse. Doucement, il finit par tendre son bras pour récupérer son sabre et entreprit de se lever.
En effectuant ce geste, il fut comme pris de vertige. Cette sorcellerie l'avait fortement affectée. Il mit un moment avant de s'accoutumer et pouvoir penser à une manière de sortir de cet endroit. L'escalier s'était effondré, la trappe se situait bien à deux mètres du sol et il doutait de trouver la force de se hisser. Il jeta d'abord son sabre et dût s'y reprendre à cinq fois, s'énervant à chaque fois un peu plus avant de réussir à remonter.
Il se retrouva étalé au sol à côté de son sac, dont il extirpa sa gourde pour en boire une bonne rasade. Il resta un temps ainsi, regardant le ciel du crépuscule qui laissait apparaître quelques belles étoiles brillantes. Il était fatigué, là, au milieu de nulle part, se sentant coincé par la nuit dans cet endroit maudit d'où il craignait que d'autres vices s'y cachent encore. Mais il était trop exténué pour reprendre sa marche. Se relever représentait déjà un défi, alors explorer une forêt blanche et damnée sans rien y voir...
Il se leva bon gré mal gré, laissant ses affaires gisantes sur le sol et s'effondrant sur le lit poussiéreux. Respirant ses particules, il se mit d'abord à tousser avant d'enfin sombrer dans le sommeil.
Ephialtès