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Laewllyn, malgré sa formation martiale, ne se sentait pas vraiment l'âme d'une guerrière. Oh, indubitablement elle l'était, mais cela était davantage dû aux événements qu'à une quelconque volonté de sa part. Ce qui, plus que tout, faisait battre son coeur et rêver, n'était autre que le mystère. Plus ce dernier était profond et impénétrable, plus grands étaient son désir et son obstination à le percer. En particulier, elle éprouvait une totale fascination pour les légendes ou, plus précisément, pour tous les artefacts magiques s'y rapportant. Passion qui l'avait menée à quelques extrémités frôlant le regrettable de nombreuses fois avant de lui être, en définitive, fatale. Elle soupira en enjambant précautionneusement une racine traîtresse, il ne lui restait de cette vie passée qu'un tsalion joliment décoré mais banal et de nombreux souvenirs, il était peut-être temps de s'assagir. "Concentre-toi sur l'instant présent", aurait été la réponse de son père. Un socle immuable, mais il était temps pour elle d'en prendre son envol.
L'Elfe trébucha sur une pierre en sentant une vague d'approbation l'envahir, en provenance du volatile flamboyant qui se désignait sous le nom de Faëra et nouvellement d'Aube. Pour une raison qui lui échappait, elle se sentit soudain étrangement réconfortée par cette présence perturbante, qui se réjouissait si sincèrement qu'elle prenne son essor et se détache de son pesant passé. Néanmoins, songea Laewllyn, il lui faudrait se constituer un équipement valable pour se lancer pleinement dans cette nouvelle vie, les dangers étaient nombreux pour les voyageurs et plus encore pour une voyageuse solitaire. Il était certes peu probable qu'elle trouve son bonheur en pleine forêt mais, même lorsqu'elle se trouverait en ville, comment payerait-elle ce dont elle avait besoin alors qu'elle ne possédait rien d'autre que ses vêtements et son arme? Le problème s'annonçait épineux, voler n'était pas dans sa nature et elle n'avait jamais manqué d'or jusqu'alors. Distraite par ses pensées, Laewllyn manqua de peu se fouler une cheville en franchissant maladroitement un petit fossé, un léger cri de surprise lui échappa et elle s'accroupit pour masser son articulation endolorie en se maudissant intérieurement de son étourderie.
(Tu devrais commencer par te trouver un bâton de marche), remarqua le volatile d'un ton légèrement ironique.
(Gardez vos moqueries pour vous, je n'ai guère besoin de cela pour le moment), répliqua sèchement l'Elfe, vexée.
(Réfléchis, Laewllyn: avec quoi as-tu appris à te battre dans ta vie précédente?)
(Avec un bâton), marmonna mentalement la guerrière avec une mauvaise grâce évidente.
(Et qu'est-ce qu'un bâton, pour toi?)
(Vous le savez fort bien si vous êtes vraiment capable de lire dans mes pensées!)
(Oui, mais certaines choses doivent être exprimées pour être comprises, acquises.)
(Peut-être, oui...), répondit l'Elfe, songeuse.
Un bâton représentait l'arbre dont il était issu. Il en contenait l'histoire, la force, et l'arbre était un symbole puissant. Il représentait un lien, un trait d'union entre les éléments. Puisant sa force dans la terre et l'eau il se dressait dans les airs, le feu le rendait bienfaisant ou destructeur, il reflétait la lumière ou fournissait de l'ombre. Mais c'était aussi, pour Laewlyn, un symbole aux sens beaucoup plus ésotériques, un moyen spirituel de se lier à cette terre inconnue et de réapprendre. Sa vision du monde était proche de celle d'un Chaman, elle se sentait liée aux éléments, aux végétaux et aux êtres, elle croyait en la force des symboles, des initiations rituelles et des épreuves. Elle avait appris à reconnaître en son éducation un mélange surprenant de notions primitives à connotation tribale et de sophistication épurée très semblable à celle des nobles Elfes qu'elle avait aperçu au cours de ses pérégrinations, mais y repenser la conduisait sur une pente glissante. Qui était-elle au juste? Une Elfe, parce que sa mère l'était? Elle ne savait pas de quelle race était son père, il avait une apparence presque humaine mais elle était certaine qu'il ne l'était pas, sans pour autant avoir la moindre preuve à cet égard. Le seul trait qu'elle avait reçu de lui étaient ses oreilles, étrangement rondes pour une Elfe.
(Le caractère aussi...)
(Pas d'impertinence, je vous prie, c'est une question sérieuse.)
(Tu es une Haute Elfe, un peuple que l'on nomme Hinïons sur Yuimen, n'en doute pas un instant.)
(Mais mon père...)
(...était ce qu'il était. Accepte les ténèbres qui l'entourent, c'est un mystère qui appartient au passé. Crois-moi, l'ignorance est parfois une bénédiction. Tu as une nouvelle vie, prends-la, vis-la. Que rêvais-tu de devenir, quand tu étais enfant?)
(Je ne m'en souviens pas. C'est si loin. La question ne s'est jamais posée je crois, pas assez pour qu'elle ait un sens, tout du moins.)
(Ce n'est pas tout à fait exact.)
(Non. Mais qu'importe?)
(C'est important. Tu es à l'aube d'une nouvelle vie. Rares sont ceux qui ont cette chance, cet honneur. Profite de l'expérience que te confère ton vécu mais détache-le soigneusement du présent, Laewllyn. Tu viens de renaître sur un monde régi par d'autres règles, d'autres magies et d'autres dieux. Ton ancienne vie est terminée, fais de la nouvelle celle dont tu as rêvé?)
(Je n'ai pas l'impression d'être morte. Enfin si, je l'ai été bien sûr, je le sais, mais pour moi ce n'est pas discontinu, il n'y a pas de rupture entre celle que j'étais et celle que je suis. Si ce n'est que je me sens faible et que tout ce que j'avais appris en termes de magie n'a simplement...pas de sens ici. Pas de source, en quelque sorte.)
(La source est en toi, tu ne la vois pas encore pour la simple raison que tu es encore trop attachée à ta dernière incarnation. Mais patience, tout voyage commence par un premier pas, et ce premier pas c'est tout simplement de choisir ta vie.)
(Vous parlez bien, mais ce ne sont que des mots. Tout semble si facile, à vous entendre...mais ça ne l'est pas, pas pour moi), rétorqua Laewllyn d'un ton dur et amer.
(Oh mais si, ça l'est. Il suffit d'un pas, d'un seul petit pas.)
L'Elfe poussa un hurlement paniqué en sentant le sol se dérober subitement sous son pied, puis un cri de douleur lorsque son corps heurta rudement le sol, quelques mètres plus bas. Elle se redressa en grimaçant, le souffle encore coupé par la violence du choc, puis palpa précautionneusement les endroits douloureux. Elle poussa un léger soupir de soulagement en réalisant qu'elle ne s'était apparemment rien cassé, mais il s'en était fallu de peu et son épaule gauche la lançait effroyablement. Elle examina d'un regard circulaire l'endroit où elle se trouvait, réalisant vite qu'il s'agissait d'un piège creusé artificiellement et qu'elle n'en sortirait pas seule. Le trou ne mesurait pas plus de deux fois sa taille en hauteur, mais les parois étaient de terre friable et creusées de manière à former un surplomb circulaire. Qu'elle tente de gravir ces murs et des masses terreuses s'effondreraient aussitôt, assez conséquentes sans doute pour risquer de l'ensevelir vivante. Laewllyn donna un grand coup de pied rageur dans l'un des murs, sifflant hargneusement entre ses dents:
"Un seul pas hein? A quoi jouez-vous? Vous m'avez piégée!"
(Un peu, j'admets, mais c'est pour ton bien. Fais-moi confiance, garde l'oeil ouvert et tout ira bien, tu verras!)
Le visage de la guerrière se crispa en une moue méprisante, elle avait presque fini par croire le volatile lorsqu'il disait vouloir l'aider, mais il l'avait précipitée droit dans une fosse à gibier. Faire confiance à ce traître d'oiseau? Même pas en rêve! Vexée et dépitée, elle s'assit lourdement au sol et s'adossa contre l'un des murs de terre. Il lui suffisait d'attendre, les chasseurs finiraient bien par revenir et ils la tireraient de là. Quant au volatile, mieux vaudrait pour lui qu'il s'abstienne de ses fourbes conseils à l'avenir, sans quoi elle mettrait à l'épreuve du fer sa soi-disant immunité aux coups.
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