L'introduction du Tigre Vagabond
Mercurio quittait le temple de Rana le coeur gros, mais les enseignements de son maître et mentor, le très sage Hermetis, était sans équivoque. Nul ne peut prétendre atteindre une quelconque sagesse ou paix intérieure sans s'être frotté au pire et au meilleur de ce que la vie pouvait offrir. Deux pas en avant, un pas en arrière, c'est ainsi qu'il faut avancer dans l'existence, car celui qui ne fait qu'avancer sans se soucier de ce qu'il laisse derrière lui est, à un moment ou un autre, destiné à tomber de haut.
Hermetis avait toujours été pour lui un modèle de sagesse et de dévotion. Pacifiste à l'extrême, il faisait parti de ce trop rare genre de personne qui, lorsqu'on lui donnait un coup, se redressait fièrement en tendant l'autre joue. Et il ne faisait nul doute que si un jour, il devait sacrifier sa vie pour pouvoir sauver celle d'un total inconnu, sans même savoir si celui-ci est un parfait saint ou l'incarnation du mal, il le ferait sans la moindre once d'hésitation.
Mercurio se rappelait avec suspicion d'une phrase qu'Hermetis aimait à répéter lorsqu'il voyait son petit protégé ou toute autre personne s'énerver et en vouloir au monde entier pour toutes ses injustices et ses cruautés :
"L'erreur la plus absurde que nous ferions avec le Diable, ce serait de ne pas lui accorder le pardon, aussi terribles que ses actions passés aient pu être."
Mercurio était toujours resté dubitatif par rapport à cette remarque, et malgré tout l'admiration et le respect que son maître lui inspirait, il n'avait jamais réussi à croire que la bonté, l'abnégation et le sacrifice de soi puissent être le remède à tout les maux de ce monde. Certains problèmes sont tellement ancré profondément dans les racines de l'histoire et des gens que seul le sang versé pouvait en être la solution...
Il en fut d'autant surpris lorsqu'au moment de son départ, Hermetis lui confia la noirceur et la bassesse dans laquelle il s'était auparavant lancé corps et âme. Comment un être dégageant une aura aussi pure, qu'il avait toujours cru irréprochable et en totale paix avec lui-même, avait-il pu être auparavant et durant tant d'années un bandit de grand chemin, dont la vie n'était rythmée qu'aux bruits de l'effroi de ses victimes, aux gestes machinalement exercés des lames tranchant les gorges, et aux cris étouffés de femmes définitivement humiliées et souillées ? Cette confession de la vie passé d'Hermetis lui laissait une vision amère et un grand froid dans le dos. Difficile de penser qu'un être ayant été si abject puisse être devenu cet homme à la sagesse sans faille, ce même homme qui l'avait recueilli, élevé et choyé durant toutes ses années.
Aussi Mercurio préféra-t'il se dire que ceci n'était qu'un mensonge destiné à lui faire quitter le temple sans regret.
C'est donc dans un état d'esprit plutôt perturbé qu'il suivit les conseils de son mentor et quitta le temple avec comme unique équipement ses quelques habits, une sacoche juste rempli du maigre pécule que les prêtres lui avait donné et d'un grand bâton en bois d'ébène sculpté tel celui d'un pèlerin.
Aussi eut-il l'honneur, juste avant son départ, de se voir gratifié du rituel de la bénédiction de Rana par l'ensemble des prêtres du temple. Et il ne lui faisait nul doute que la bise qui agitait doucement sa fourrure comme une caresse à ce moment-même était le signe de l'approbation de la grande déesse.
Les prêtres de Rana avaient tous à leur manière influé sur sa vie et sa vision du monde, et lui sur les leurs. Aussi son départ du temple provoqua en eux un sentiment comparable à celui que peuvent ressentir des parents lorsque leur premier enfant décide de quitter le foyer familial. Un d'eux ne pût même se retenir de faire couler quelques larmes devant cette perte. Lui avait toujours espéré qu'il devienne à son tour un prêtre de Rana, et croyait en son fort potentiel. Son départ ne fût pas sans conséquences pour l'ensemble du temple, et si chacun avait un pincement au coeur plus ou moins fort de le savoir partir, tous espéraient que cette âme encore jeune et insouciante trouve sur son chemin la destinée qu'elle mérite. Mais, si une chose était pour tous certaine, c'est que le chemin qu'il parcourra sera loin d'être commun.
Quant à ce que pouvait penser Mercurio, tout cela était déjà de l'histoire passé. Il était maintenant tout à la réflexion du but qu'il pourrait maintenant se fixer. A présent, il était seul. Absolument seul, seul face à une immensité de choix possibles. Choisir soi-même un sens à sa vie était une responsabilité à la fois grandiose et effrayante. Mais vers quoi pouvait-t'il donc se tourner ?
Pourquoi ne pas s'engager dans la milice d'Oranan, se disait-il, et aller en finir avec cet incessant combat contre les orques d'Omyre, qui à chaque bataille laissait dans Oranan des veuves ayant dans chacune de leurs larmes l'envie d'en finir, et des orphelins livrés à eux-même dans les rues, dont certains vont même jusqu'à se nourrir de rats morts trouvés sur le bord d'un caniveau, préalablement écrasé sous les sabots d'un quelconque mulet insouciant ?
Ou bien encore tenter de s'imposer dans ce monde absurde, dans le but idéaliste d'y faire régner sa propre justice et sa propre loi... Et, pourquoi pas le faire conquérir sous sa propre bannière, comme beaucoup avant l'ont essayé, comme beaucoup après l'essayeront, et comme beaucoup l'essayent en ce moment-même ?
Ses deux options l'ont tourmenté l'espace d'un instant... Elles étaient loin d'être sottes et sur de nombreux points défendables, mais toutes deux consistaient à vouloir changer le monde selon sa volonté. Cela aurait pu être grisant et en aurait attiré plus d'un, mais Mercurio, bien qu'audacieux, avait aussi appris l'humilité, et se lancer dans une telle entreprise lui semblait d'un orgueil démesuré pour le grain de sable qu'il était dans le désert de l'existence.
Non, ces décisions n'étaient pas sages. Il se replia alors vers une envie de cheminement plus spirituel, et décida, en toute simplicité, de prendre la route de Bouhen, sans but particulier, se laissant juste porter par la destinée. Après tout, il n'avait encore jamais quitté les terres d'Ynorie, et commencer par aller découvrir les autres cités lui semblait être un bon point de départ dans sa quête d'expérience et de sagesse. Se déchainant alors en lui un fort sentiment où se mêle confusément la fierté et l'assurance d'avoir fait le bon choix, l'impression regrettable d'abandonner ce qui a fait son existence jusqu'à maintenant, l'angoisse des lendemains incertains et sa foi en la déesse du vent et de la sagesse, Mercurio savoure avec un enthousiasme inédit le fait de mettre un pied devant l'autre, insufflant dans ses narines l'air pur de Rana et le nouveau de l'aventure qui l'attend...
Premières Désillusions
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Playlist de Mercurio
A propos, j'ai trouvé la morale de la fable que ton grand père racontait,
celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croqué...
C'est la morale des temps nouveaux.
Ceux qui te mettent dans la merde, ne le font pas toujours pour ton malheur
et ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur.
Mais surtout ceci, quand tu es dans la merde, tais-toi !
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Jack Beauregard (Henry Fonda), Mon nom est Personne, écrit par Sergio Leone, Fulvio Morsella et Ernesto Gastaldi