Après la Tempête - Chapitre IIAprès la Tempête
Chapitre III
Mercurio fût libre de circuler à sa guise.
Il fallait dire que le royaume kendrain n'était pas des plus méfiants et laissez entrer sans problème en son sol les commerçants venant du monde entier. Laisser venir les richesses, ce n'était certainement pas une décision si bête. Tout le monde pouvait être utile au royaume. Mais en temps de guerre, beaucoup trouvaient que cette politique devait être mise en parenthèse. Avoir des espions d'Oaxaca trainant librement dans les rues était un danger probable. Mais il fallait croire que le royaume ne se débrouillait pas si mal que ça car, en tant d'années de guerre et sans changer de ligne de conduite, jamais ils n'eurent de problèmes significatifs.
Content d'être sorti de la foule, fier de passer tranquillement au nez et à la barbe des gardes sans qu'ils ne puissent rien lui dire et longer les files de réfugiés quasi-immobiles à bon pas était d'un plaisir sans nom. Peut-être pour la première fois de sa vie, il était immaculé et c'était les autres qui se retrouvaient dans la merde. Jouissif.
Le chemin ne fut pas long. Bouhen était vraiment peu éloigné de la frontière.
Cette ville grise, entourée de cette épaisse couche de muraille, au loin, ne semblait pas trop accueillante. La ville avait beau être un grand port, on voyait d'office qu'elle n'avait rien à voir avec Dahràm. Dahràm. On pouvait dire ce que l'on voulait sur cette ville, sur la brutalité des gens, le manque d'organisation et l'hygiène inexistante mais c'était une ville vivante, cosmopolite, où tout est possible, où rien n'est bloqué. A partir du moment où tu as appris à y survivre, en te débrouillant bien, tu pouvais faire ce que tu voulais. Bouhen, rien qu'à la voir de loin, te faisait déjà comprendre, par son architecture martiale et froide que tout ici était figé depuis des années. Qu'on voulait que personne n'y fasse de vague.
Arrivé aux portes de la ville, les grandes murailles grises avait perdu tout de leur superbe. De près, on distinguait clairement de la mousse en train d'y pourrir, de la crasse d'origine inconnu et une forte odeur d'urine. La grand-porte de la ville était gigantesque et devait bien faire dans les quinze mètres de haut. Mais elle était hélas fermée, et cela certainement à cause des récents évènements. Cependant, si la grand-porte était fermée, une plus petite, à sa base, était resté ouverte, gardée par deux gardes aux airs antipathiques qui arboraient sans conviction de longues lances et le blason de la milice Kendrâne. Le premier était un petit gros à favoris avec une moustache extravagante, et le second était un grand maigre aux oreilles décollées, plutôt courbé et à l'air endormi. Lui aussi affichait une moustache, mais la sienne était grasse et épaisse.
Mercurio s'avança alors et un des deux gardes, le plus petit et trapu, l'arrêta en le menaçant de la pointe de sa lance.
"Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?"Mercurio décida de répondre sagement.
"Moi c'est Mercurio, j'viens prendre un bateau pour Tulorim.""J'avais encore jamais vu une tronche pareille, qu'est-ce que t'es exactement ?"Mercurio n'avait aucun envie de raconter sa vie à ce péquenaud de garde et répondit vivement :
"Qu'est-ce que ça peut vous foutre ?""Ça peut me foutre que tu ressembles vachement à un de ces bâtards de woran qui traîne en bande un peu partout pour foutre le bordel et que j'ai pas envie d'ça dans ma ville... ""Ouais, on les aime pas trop ici les fouteurs de merde de ta sale race !""Et pis avec tout le bordel qu'y se passe à la frontière, il pourrait bien être un espion de ces putains de peaux-vertes !"Mercurio désespérait du comportement de ces deux crétins, mais en bon darasmois, il n'avait pas développé de respect ou de crainte particulière pour tout ce qui se cachait sous un uniforme militaire, bien au contraire.
"Vous êtes cons. Laissez-moi passer.""Ah ouais, sinon quoi ?""T'sais c'que j'pense Tnatos ? On a qu'à le tuer, comme ça on prend aucun risque..." dit Ipnos en prenant Mercurio par derrière, sortant son poignard de son étui et en lui mettant sa lame devant la gorge avant de se faire surprendre par son collier dominant, qui était à moitié caché par sa fourrure. 
"Qu'est-ce c'est que c'te merde ?Tnatos pointa à son tour sa lance vers l'humoran :
"Oh et regarde-moi ces armes là... Trucs d'assassins ça !, dit-il en lui retirant ses katars des mains. 
"Et regarde-moi cette bourse bien remplie... T'as volé ça à qui, p'tit enfoiré ?""A personne putain, je suis guérisseur merde !""Et alors, c'est quoi ça ?" dit-il en relevant les armes de l'humoran.
"T'es cuit mon gars, laisse tomber ton char !"Mercurio n'avait aucune intention de se laisser faire et était prêt à entamer le combat. L'homme derrière lui était trop maigrelet et faible pour l'empêcher de quitter sa prise. Pour peu qu'il force un peu, il était libre. Et le gros lard d'en face de lui était trop occupé à le dépouiller pour pouvoir rapidement dégainer ses armes en cas de combat. Il en était sûr, il pouvait mettre les deux au tapis sans beaucoup d'efforts. Il avait déjà été trop gentil de se laisser prendre ainsi en traître.
C'est alors qu'un gradé à cheval sortit de la ville et vit la scène.
"Qu'est-ce qu'il se passe ici ?""On vient d'arrêter cet espion d'Oaxaca qui voulait rentrer dans Bouhen !"Le gradé le scrute un instant et finit par demander à Mercurio, encore sous la prise d'Ipnos, l'air méfiant :
"Tiens donc...""Non ! Comme j'essayais d'expliquer à vos deux crétins de sous-fifres, je suis guérisseur et tout ce que je veux, c'est aller au port et prendre un bateau pour Tulorim !""Un guérisseur hum... Voyons voir ça... Soldat Tnatos, rapprochez-vous !""Moi ?!"Le gradé pris son bras, sortit son épée et lui fit à l'aide d'une dague une entaille sur la main. Tnatos était complètement paniqué par ce que venait de lui faire son gradé, qui n'était vraisemblablement pas des plus tendres.
"Voilà. Un guérisseur n'aurait aucune difficulté à soigner une petite plaie, je suppose ?"Mercurio n'eut même pas à réfléchir, il connaissait très bien son office et, en un coup de papatte magique qui brille, la main retrouva son apparence originelle, sans la moindre cicatrice.
"Relâchez-le, imbéciles. Et rendez-lui ses affaires." Ipnos obéit à contrecœur, Tnatos s'écarta avec l'air honteux. 
"Vous pouvez circulez.", finit-il froidement par dire avant de partir, visiblement pressé par autre chose.
Une fois les murs pénétrés, Mercurio fut choqué par l'odeur nauséabonde qui régnait dansla ville. On aurait dit un cadavre pourri de l'intérieur. Et pourtant, il venait de Dahràm, qui était loin d'être un modèle en matière d'hygiène. Pour ce qu'il avait entendu du fameux royaume du sud, c'était franchement décevant. Même les rues principales étaient pleines d'immondices et sentaient la pisse, la pourriture et l'infection la plus totale. Dans la moindre ruelle on pouvait deviner un coupe-gorge. Le pire fut lorsqu'il arriva à la place principale.
Une nouvelle odeur, encore plus immonde, régnait sur la place : celle de la mort. Des pendus de toutes races gisaient tout autour de la place, attachés à des poutres. Des garzoks, des sektegs mais aussi des liykors, des worans et des shaakts étaient largement majoritaires parmi les jugés coupables. Des mouches et autres asticots avaient trouvé refuge dans les chairs pâles et verdâtres des cadavres qui pendaient ici comme des jambons abandonnés après un été trop humide. Les corbeaux aussi se régalaient de ce festin, et les rats au-dessous se battaient pour le moindre morceau de chair pourri qui tombait au sol dans une hystérie frénétique. On pouvait même deviner au-delà des orbites vides et des peaux desséchés les os blancs des différentes victime.
Et pour toute explication, une simple écriteau près du gibet sur laquelle on pouvait déchiffrer difficilement ceci : [
Ici sont pendus les ennemis de l'empire Kendrân. Puissent-ils servir d'exemples à leur congénères.] Il ne faisait nul doute que tous ceux qui étaient pendus là n'étaient pas forcément des ennemis de l'empire, mais cela avait au moins le mérite d'avertir Mercurio qu'il valait mieux passer inaperçu lorsque l'on était pas un humain dans le coin.
Voyant les sourcils froncés des passants qui le regardaient passer avec dégoût, il n'aillait certainement pas s'éterniser dans cette ville. Il se dirigea directement vers le port.
Après la Tempête - Chapitre IV