Nous trouvâmes bien vite une auberge, qui ma foi était loin d'être mal famée. Elle n'était pas pleine cela est sûre, aussi la dame qui tenait les lieux, décorés avec gout, nous trouva facilement une chambre. Elle ne rechigna même pas en voyant l'état miséreux dans lequel nous étions et nous promit un bon bain le lendemain matin, comme demandé par la guerrière aux yeux de topaze.
Nous montâmes ensuite à l'étage, trouvant une chambre plus qu'élégante. Aglaeka s'écroula mollement et ne fut pas longue à sombrer dans un profond sommeil, exténuée qu'elle était. Je la regardai un instant, ses traits bien toujours mais se détendant peu à peu, à mesure que ses inspirations se faisaient plus longues. C'était ma faute si elle était dans cet état, ou plutôt la faute d'Akane, mais une fois encore elle ne m'avait pas tenu rigueur. Sa vie était un enfer depuis qu'elle m'avait rencontrée et pourtant elle restait à mes côtés. C'était une amie.
Une fois sûre qu'elle dormait bien, j'ajustai ses couvertures avant de descendre chercher de quoi manger. Les prix étaient assez élevés certes, la tenancière m'expliquant ce que je savais déjà. Ce n'était pas encore la famine à Bouhen cependant, du moins pas pour ceux qui avaient quelques pièces de monnaie. Les pauvres, eux, restaient pauvres. Je pus donc déguster une omelette avec un peu de blé, accompagnée d'un vin rouge, ce qui me remit d'aplomb. Il fallut payer certes, mais pour une fois je ne rechignais pas.
Une fois repue je remontais dans la chambre, refermant la porte derrière moi. Je m'étirai un peu, puis j'allai m'asseoir devant la table branlante. Je portai à mes lèvres la bouteille de vin que j'avais apportée. Il n'était pas mauvais, nous avions à présent suffisamment d'argent pour ne pas nous abreuver de piquette. Le seul avantage d'avoir eu un été sans la moindre goutte de pluie, les vignes s'étaient gorgées de soleil.
Je repensais au lendemain. La pauvre créature avait vraiment l'air désespérée d'aider le peuple. Cela me faisait étrange, je ne me souvenais pas avoir déjà rencontré quelqu'un désirant juste faire le bien. Même les prêtres qui souvent se désignaient comme les champions de la justice le faisaient la plupart du temps pour l'autosatisfaction qu'ils en tiraient. Finalement c'était un homme chien, sûrement un cousin proche des loups garous, qui voulaient sincèrement œuvrer pour le bien commun. Dans quel monde vivions nous?
Cela ne changeait rien à rien cependant, je n'étais pas plus apitoyée que cela par le sort des gens. Chacun ses problèmes et si c'était vraiment un mage qui causait tout cela, il devait avoir ses raisons. Je n'aimais pas me mêler de politique, que ce soit pour un sadique duc tulorien, pour un pirate exechois ou pour un despote kendran. On m'avait très tôt appris que les puissants étaient dangereux et que s'acoquiner avec eux ce n'était pas se faire un service, mais bien au contraire mettre sa tête en jeu le plus souvent pour des lubies stupides.
Je fus arrachée de mes pensées quand la fenêtre s'ouvrit d'elle-même, laissant un instant entrer le vent de la cité. Je crus d'abord à une chauve-souris, voire à une chouette, mais ce qui rentra par cette même fenêtre n'avait rien d'animal, ni même de vivant. En effet, ce fut un parchemin de papier, plié comme un oiseau, qui entra sans bruit, allant lentement se poser devant moi. Je m'en saisis prestement, dépliant le papier rapidement. Il était totalement vide, mise à part un petit symbole, représentant une demi rune dans un cercle. Je posai la main à plat sur parchemin, me concentrant un instant. Oui, de la magie l'entourait, et pas seulement celle qui l'avait fait venir par les airs.
J'allai chercher mon petit couteau dans mon sac, revenant me rasseoir, celui-ci en main. Je passai la lame sur mon doigt, plissant les yeux alors que je me coupai légèrement. Je poussai un juron imagé, détestant absolument ce genre de jeu. Je posai alors le doigt légèrement rougi dans le cercle, pour presque aussitôt sentir une succion. Je relevai ma main, observant mon sang prendre la forme de la demi rune. Le résultat ne se fit pas attendre et bientôt le vide laissa place à une écriture fine mais marquée. Le papier n'avait pas été épargnée par cette écriture énergique:
Dame Isulka,
Nous n'avons pas encore le plaisir de nous connaître, aussi commencerai-je par me présenter. Mon nom est Lunica Firelia et je suis actuellement la rectrice de la Faculté de Magie de la cité de Kendra Kâr, qui a récemment rouvert ses portes. Je suis aussi archonte au conseil de la Nouvelle Obédience de la Magie, qui est responsable de la Faculté susnommée mais aussi de deux autres grandes écoles. Le conseil a entendu parlé de vos faits d'armes à la cité d'Oranan et en a été intrigué. C'est ainsi en porte-parole du conseil, mais aussi à titre personnel que je viens vous faire une proposition. Excusez le fait que je ne puisse me présenter en personne à vous, mais si mes paroles sont pour vous convaincantes, je ne doute pas que nous ayons l'occasion de nous rencontrer in personnae.
La Nouvelle Obédience de la Magie, dont j'ai déjà parlé, est une organisation apolitique dont le but simple et affiché est de protéger les intérêts de la magie et de ses pratiquants. Nous nous sommes basés sur l'organisation séculaire du Conseil de Magika et d'Occulta, que vous connaissez très certainement, mais dans une organisation qui n'est plus oligarchique mais au contraire démocratique. Comme je l'ai dit notre société est apolitique, aussi avons nous des membres de chaque continent, de chaque ethnie et de chaque branche de la magie. Nous n'avons pas non plus de vocation religieuse, mais bien entendu aucune d'entre elle n'est écartée. Nos instituts d'enseignement s'adressent au plus grand nombre, afin que tous ceux ayant été touchés par les arts puissent développer leur talent, sans nécessairement devoir trouver un maître unique comme ça a longtemps été le cas.
C'est dans cette politique d'expansion que votre candidature nous intéresse. Vous avez démontré les qualités nécessaires, en protégeant le peuple d'Oranan, pour être un nouveau porte parole de l'Obédience. Je conçois que les événements et ma proposition sont très sûrement rapides pour vous, mais sachez bien que pour notre part la question a été posée et soupesée avant que ma lettre ne vous soit envoyée.
Ainsi donc si vous vous sentez prête à rejoindre l'Obédience et ainsi à propager le savoir, à protéger les intérêts de la magie et à participer au développement de notre influence, ce sera un réel plaisir que de vous accueillir parmi nous.
Comme vous le savez à présent ce parchemin est enchanté. Il vous suffira d'écrire votre réponse à son dos après avoir mis du sulfure dans votre encre et votre réponse apparaitra dans mon office. Nous vous laissons bien entendu le temps de réfléchir, mais votre réponse rapide serait des plus appréciée.
Je vous prie, Dame Isulka, Magicienne de la Foudre, d'accepter mes sentiments les plus sincères,
Lucina Firelia Rectrice de la Faculté de Magie Archonte de la Nouvelle Obédience de la Magie Magicienne du Feu, du Vent, de la Lumière et de l'Eau.
Je jurai de nouveau, une bonne dizaine de fois. J'étais abasourdie, pour rester polie. D'une je n'avais jamais entendu parlé de cette obédience, de deux on ne m'avait jamais trop remarquée pour mes talents, jusque maintenant. Les mages avaient même tendance à me regarder de haut, quant aux magiciennes, elles me prenait pour une souillon: l'une des leurs qui se ballade à droite à gauche en offrant ses services au plus offrant n'avait jamais attiré les bonnes grâces et, si je n'étais pas laide, en tout cas je ne prenais pas le même soin qu'elles pour ma présentation. Cela paraissait stupide, mais pourtant c'était l'un de leurs critères d'amitié les plus décisifs. Et puis m'appeler magicienne, moi? Si j'avais pris le nom de Mageresse c'était bien pour une raison, je n'étais pas comme elles et ne l'avais jamais été. Alors qu'est-ce qui avait changé? Où était l'arnaque? Non, il n'y avait peut-être pas d'arnaque, le sortilège de camouflage était puissant et si cette brave dame était bien qui elle prétendait être, elle ne devait pas être le genre à faire des plaisanteries.
Ma tête s'étais mise à bouillonner en un instant, mais rien de bon n'en sortait. J'entendais beaucoup parler de magie ces temps-ci et de tout côté on me demandait allégeance. Je détestais ça, je n'avais pas envie d'aider le bon roi à nettoyer son image crottée par les mauvaises récoltes, ni passer pour la chèvre émissaire si j'échouais. Je n'avais pas envie d'entrer dans une organisation apolitique dont la politique était sûrement des plus présentes.
Je repliai la lettre. Demain le jour se lèverait et, si ce n'était pas le cas, avoir choisi ne m'aurait pas tant que ça avancé. J'allai m'allonger, cherchant le sommeil.
Dernière édition par Isulka le Lun 31 Jan 2011 09:10, édité 2 fois.
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