Partie précédenteL'auberge était remplie à craquer. Une odeur d'encens mêlée à celle d'une cuisine épicée flottait dans l'air. La pièce principale n'était pas très spacieuse mais était bien aménagée. Sur la droite, une grande cheminée de pierres brutes chauffait tranquillement la pièce, et des soldats discutaient dans des fauteuils, bien installés devant les flammes. Des tables en bois vernis étaient dispersées un peu partout afin de permettre aux clients de manger leurs repas au calme. Les murs, couleur vert terre, couvert de tableaux représentants des scènes de combats entre chevaliers et animaux sûrement imaginaires. Seule les notes mélancoliques d'un troubadour venait bercer les esprits épuisés de l'auberge.
Je traverse cette salle et m'approche du comptoir afin de me renseigner sur les tarifs des différents services de l'auberge. Une charmante jeune femme me souhaite la bienvenue. Ce regard perçant, ne me laissa pas indifférent, mais la discussion coupa très vite court à mon émerveillement.
"Bonsoir, je m'appelle Trucilia, je suis la responsable des réservations de l'auberge. Que puis-je pour vous?"Elle ne semble même pas faire attention à ma couleur de peau. Elle doit voir beaucoup de voyageurs passer dans son auberge et un homme à la peau bleu est toujours moins inquiétant qu'un homme loup.
"Bonsoir, je cherche un endroit pour passer la nuit, et même pourquoi pas une semaine entière."J'essaye de m'appliquer lorsque je parle mais mon enfance à la campagne impacte fortement mon accent.
"Nous possédons plusieurs chambres. La nuit coûte deux yus et le repas est à 1 yus. Le petit déjeuné compris avec la chambre est servi dans la salle principale le matin.""Très bien je vais louer une chambre pour une seule nuit, je payerais le supplément nécessaire chaque soir. Je prends aussi un repas pour ce soir. C'est possible de manger dès maintenant?"Maintenant que j'étais dans un endroit chaud et calme, la faim se faisait ressentir. Je n'avais pas mangé depuis la veille et il me semblait déjà être partis depuis une semaine.
"Oui suivez moi je vais vous indiquer une table, vous payerez le tout après manger."Après étude de la petite carte, je commande une spécialité locale, une Sanrisa aux herbes. Je peux apercevoir de ma table la femme qui se fait appeller "la vieille paulette", s'affairer aux fourneaux.
C'est une femme plutôt petite et forte portant un beau tablier violet. Sa coupe courte nouée en queue de cheval vers l'arrière reflète l'image d'une travailleuse acharnée.
Au bout d'une vingtaine de minutes, la serveuse arrive avec le plat commandé. Une belle pièce de viande, entourée de pommes de terre et d'amandes, trône fièrement au milieu du plat, dégageant une odeur rappelant la campagne. Ce plat confirme me confirme que la cuisinière n'a pas volée sa réputation.
(Je vais pouvoir me régaler ce soir!) Me dis-je le sourire aux lèvres.
Dévorant mon repas, je finis celui-ci très rapidement. La cuisson parfaite rend la viande fondante. Remarquant ma faim, la serveuse m'apporte même une part de la fameuse tarte aux noix, spécialité de la vieille paulette. Les noix sont tendres et ont un goût des plus exquis.
Réglant ma dette au comptoir, la serveuse me tend une petite clé. Le trousseau est attaché à une petite feuille sculptée dans du bois.
"Vous avez la chambre 12. Voici la clé"Pressé de pouvoir enfin dormir, je monte les petits escaliers et me rend directement dans ma chambre. Celle-ci n'est pas vraiment à mon goût mais semble vraiment confortable. Un grand lit à la couverture violette occupe la place centrale de la pièce tandis qu'une petite porte au fond donne accès à la salle de bain. Un chevet propose également 4 livres qui me permettront peut-être d'en apprendre plus sur la culture de Bouhen. Toutefois trop fatigué pour faire quelque chose, je pose mes quelques affaires et m'allonge sur le lit me rappellant que je n'ai toujours pas ouvert la sacoche du pickpocket.
"Je verrais ça demain" réussi-je à prononcer avant de sombrer dans un profond
Les voiles frémissaient dans le vent. Le navire long d'une vingtaine de mètres avançait rapidement sur cet océan bien trop calme. J'observais la scène à travers des yeux, qui me semblent appartenir à une mouette.
(Encore ce rêve... )
J'étais témoin de ma propre jeunesse. Les jeunes Sang-pourpres avaient embarqué sur ce bateau il y avait de ça trois jours. Ce voyage d'un mois représentait l'ultime épreuve pour ces adolescents afin de s'intégrer pleinement dans leur clan.
Entraînés dès leur plus jeune âge à survivre en pleine mer, cet apprentissage allait maintenant porter ses fruits. Ils sont 40 jeunes ayant tous 12 ans exactement. J'en connais certains de vue, d'autres sont des amis fidèles, et je pense même me reconnaître, scrutant l'horizon avec méfiance sur le gaillard d'avant. Nous avions pour ordre de naviguer seuls, pendant un mois sans accoster la moindre rive. Nous étions prêts à braver les tempêtes, mais ce qui allait nous arriver était bien plus dangereux que tous les maelstroms de Yuimen réunis.
Je planais lentement au dessus du navire. L'air caressant mes plumes me procurait un sentiment de bien-être. Profitant d'un brusque coup de vent, je plongeais vers le pont afin de me poser sur une rembarde. Un marin amusé lança en ma direction un poisson cru que je me dépêchais de gobber.
Je suivis ce voilier pendant près de trois jours, profitant de la journée pour m'habituer à ce nouveau corps. Naviguant entre les voiles, je sentais mes plumes se rétracter lors de mes virages contrôlés. Plongeant dans l'océan une a deux fois par jour pour récupérer du poisson, je passais mes après-midi sur le pont à faire sécher mon plumage.
Le septième jour arriva enfin. Je connaissais déjà les événements à venir.
Le soleil se levait au loin, projetant une lueur rouge sur l'océan donnant l'impression de naviguer en enfer. Je reconnus le capitaine, regard inquiet vers les nuages noirs au loin, ne présageant rien de bon.
Dès la fin de matinée, le vent gonflait les voiles, et creusait des fosses de 10 mètres dans l'océan. Le commandant, très organisé transmettait les ordres à son équipage, haussant le ton pour se faire entendre dans cette tempête. L'équipage, infatigable, répondait en coeur, traversant le pont en courant, montant aux cordages, nouant des noeuds. Toujours coincé dans ce corps de mouette, je décidais de me poser sur un tonneau à l'abri du vent et de la pluie, la tempête m'empêchant de voler à ma guise. Fasciné par cette organisation venant d'enfants d'à peine 12 ans, je regrétais de ne pouvoir agir. L'équipage serait sûrement sorti indemne s'ils avaient rebroussé chemin dès maintenant. Un marin trébucha sur le pont, signe que j'avais noté, peu de temps avant le drame. Le spectacle allait bientôt commencer.
Un grondement résonna dans l'atmosphère, déconcertant l'équipage qui cherchait la provenance de cet étrange bruit. Malgré le vent qui continuait de hurler, un calme pesant s'était abattu sur le navire.
La queue surgit d'un coup. Mesurant près de 10 mètres, elle brisa d'un coup sec le navire en deux. Je ne connaissais pas cette créature. Mélange entre une baleine et une salamandre, elle détruisait le bateau avec une facilité déconcertante. Je me vis courir sur le ponton, attrapant de justesse un cordage au dessus de l'océan, qui s'ouvrait tel une gueule béante sur un enfant qui n'avait que 12 ans. La créature ne semblait pas attaquer l'équipage mais se focalisait sur le navire.
Nous étions arrivés à la scène finale. Un ami était tombé en dehors du pont, trébuchant sur un cordage. Je me vois me précipiter vers lui, rattrapant sa main in extremis. Malgré tous mes efforts, je n'avais que douze ans et mon ami allait basculer d'un moment à l'autre. Spectateur de la scène, je ne pouvais agir et le mât tomba derrière le jeune Hertann. Le pont se brisa derrière lui et il finirait à l'eau s'il ne partait pas d'ici. Il devait faire un choix, son ami ou lui-même allait périr dans moins de dix minutes. La mouette connaissait déjà tout de la scène. Le jeune homme savait que les adultes le tuerait pour avoir abandonné un de ses camarades, la mouette savait que le jeune Hertann ne lâcherait pas.C'est donc résigné qu'il tira une dernière fois, de toutes ses forces. Réussissant ainsi à remonter son ami sur le pont, mais tombant à sa place dans le trou béant creusé dans la coque derrière lui. Je vis mon corps tomber dans l'eau, assommé par une planche de bois dans la chute.
Ma vision changea tout à coup et devint floue. Je ne paniquais pas, habitué à ce rêve que je revoyais en boucle depuis mon naufrage. Lorsque je retrouvais la vue, je n'étais plus une mouette mais un poisson. Après un bref coup d'oeil autour de moi, je retrouvais le corps du jeune Hertann, sombrant au coeur de l'océan. La partie que je n'avais toujours pas résolue allait arriver. Je ne revoyais pas ce rêve pour rien j'en étais sûr, mais je ne comprenais pas encore le sens de celui ci. Une silhouette apparue, mi femme, mi poisson, le visage pâle et de longs cheveux noirs flottant derrière elle. Celle-ci rattrapa mon corps en train de couler murmurant des paroles que je ne comprenais pas mais des mots parvenaient toutefois jusqu'à moi.
(..... Moura ..... nord ..... vie ....ramène....... paix)
L'accent était ancien et les mots déformés par l'eau mais ces mots étaient clairs.
(Peste soit des poisson et de leur ouïe. Je ne parvient jamais a distinguer plus d'une dizaine de mots.)
Suivant la femme poisson qui emmenait mon corps, j'espérais que cette fois, elle ajouterai quelque chose à ses paroles étranges. Il ne se passa rien d'autres que dans les rêves précédents. Me ramenant à la surface, elle me déposa délicatement sur une grosse planche de bois, me poussant vers les côtes où je fût recueilli quelques jours plus tard.Quittant peu à peu mon état léthargique, je me réveillais tranquilement. Chose étrange, il faisait un peu frais malgré la couverture de laine. Me retournant, je remarquais l'unique fenêtre de la pièce, grande ouverte. La nuit recouvrait encore la cité de son manteau noir. Une silhouette se dressant en son centre. Il me semblait qu'elle me fixait, attendant sûrement ma réaction. Me précipitant vers mon bâton, l'ombre avait disparue une fois retourné.
Je décidais d'allumer la bougie, fouillant la chambre des yeux à la recherche d'un objet qui m'aurait été dérobé mes yeux s'attardèrent sur le fauteuil dans le coin de la pièce.
"La sacoche!" M'exclamais-je tout haut. Chapitre suivant