Inscription: Lun 6 Déc 2010 20:42 Messages: 754 Localisation: Oranan
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Le shaman ou le passé tourmenté d'un lutin peu commun < Les rues de BouhenLe port n'avait pas changé d'un poil depuis les dernières heures écoulées, les navires semblaient toujours endormis par le froid de la nuit, comme s'ils n'avaient pas été témoins de la bataille, comme s'ils avaient été épargnés. D'ailleurs, c'était sans doute le cas, les troupes d'Oaxaca n'avaient pas eu le temps d'arriver jusqu'ici, et la bataille s'était déroulé en grande partie près de la grande porte et sur les remparts. L'endroit ressemblait à un havre de paix en plein enfer, tranquille et calme, où seule l'odeur marine régnait. Je me baladai nonchalamment le long du port, laissant les embruns de la mer venir s'échouer sur mon visage, observant les reflets lunaires sur l'étendue tranquille qui s'étalait sous mes pieds. Je me sentais étonnamment bien, en sécurité, comme loin des atrocités et des méandres de la guerre. J'en devenais presque philosophe, me demandant pourquoi les êtres vivants s'acharnaient-ils à se vouloir du mal et à s'entre-tuer. Dans quel but l'on se vouait à éradiquer toute vie ne ressemblant pas tout à fait à la sienne. Le pouvoir ? L'argent ? La haine ? Je n'en savais rien, mais j'étais convaincu qu'il en avait toujours été ainsi, et que cela durera sûrement bien des années. Pendant que je m'étalais dans mes réflexions intérieures, j'aperçus un petit être, assis sur un ponton, les pieds dans l'eau et le visage dans les mains. C'était lui ! C'était Bab ! Pourquoi n'y avais-je pas pensé ? Il m'avait pourtant bien dit qu'il aimait se rendre ici. Doucement, je m'approchai de l'alchimiste. Une bouteille de rhum à moitié vide était posée à côté de lui. Sans dire un mot, je retirai mes bottes et m'assis à ses côtés, plongeant mes pieds dans l'eau. La mer me glaça la peau, mais c'était agréable. Je restai là, sans prononcer quoique ce soit. Je ne savais si Bab pleurait où s'il était endormi, mais dans tous les cas, je ne voulais le déranger. Je l'avais trouvé, c'était déjà ça. Après un long moment, il prit enfin la parole. Quand il releva la tête, je pus apercevoir des yeux rougis. "Comment tu m'as retrouvé ?""Qui t'as dit que je te cherchais ? Je peux survivre sans toi t'sais ? Na !" répondis-je un sourire aux lèvres. L'alchimiste pouffa. "C'est bizarre comme c'est calme ici. Comme si on était dans une autre ville ..." dis-je pour continuer la discussion. "Oui ... Je ne regrette pas d'être venu. Au début je suis allé à la taverne, mais elle était ...""Fermée." répondis-je en finissant sa phrase. "C'est là que je t'ai cherché en premier. Je commence à te connaître." continuai-je, toujours sur le ton de la rigolade. Je regrettai immédiatement mes mots lorsque je vis le visage du lutin se fermer. Il hocha la tête et regarda à l'horizon. "Tu sais, j'ai pas toujours été comme ça ... Je veux dire, l'alchimie, la boutique, Bouhen, les tavernes, tout ça ... Avant je vivais dans un petit village agricole comme toi. D'ailleurs, il n'était pas très loin du tiens. Un peu plus près de la forêt. J'avais une ferme, et aussi une famille ... Une compagne, et deux enfants." Il sourit. " Deux petits lutillons, une fille et un garçon, pleins de malice, comme leur père. Je peux te dire qu'on en a bavé avec eux. Pas un seul jour sans qu'on ne subisse leurs farces ! On était leurs cibles préférées, bien qu'il m'aient bien abîmé un ou deux Harney ... Je ... Je n'en ai jamais reparlé à quiconque depuis ... "Je vis les larmes remonter aux yeux de l'alchimiste. Je savais qu'il était sur le point de me révéler quelquechose de très important, quelque-chose qu'il s'était décidé à cacher depuis longtemps. "Bab, tu n'es pas obligé de ...""Non. J'ai envie de t'en parler. Sinon je ne le ferais pas, crois-moi, ça fait longtemps que je garde ça pour moi."Il marqua une pause. "Un jour, nous sommes partis pour pique-niquer dans la campagne. C'était un beau jour, il faisait chaud et le soleil était haut. Nous nous étions installés près de la rivière et dégustions les produits que j'avais cultivé. Les enfants jouaient à s'éclabousser avec l'eau de la rivière, je m'en souviens encore ... Nous étions heureux. Trop heureux pour que ça dure."Pendant qu'il racontait son histoire, Bab s'enfilait de longues rasades de rhum, augmentant ainsi le suspense insoutenable que provoquait son récit. "A l'endroit où nous étions, la rivière était peu profonde, et il y avait peu de pont dans cette région. Aussi, c'était un endroit privilégié pour traverser ... C'est ce que fit un petit groupe de gobelins, montés sur des loups. Bien sûr, il ne passèrent pas la rivière sans nous apercevoir, et nous, tout occupés à nous amuser, nous croyant à l'abri de tout, ne les avions même pas remarqué ! Imagine toi un groupe de six gobelins, affamés par une longue route qui tombent sur quatre lutins sans défenses."Il prit une nouvelle lampée de rhum, s'essuyant la bouche d'un revers de la main. "Ils nous ont capturé sans rencontrer de résistance. J'étais trop couard pour tenter quoique ce soit ! Je ne les ai même pas protégés !"
A présent, de fines larmes coulaient sur les joues du lutin. Je tentai de dire quelquechose pour le réconforter, mais il me coupa de nouveau. "Mais ça ne s'est pas arrêté là. Ils nous ont emmené avec eux, tous les quatre entassés dans une cage. Mes enfants et ma femme pleuraient, ils avaient peur ... et moi aussi. Le soir venu, les gobelins ont campé. Ils ont fait un feu, puis ils m'ont pris à part, et m'ont demandé lequel de mes enfants je préférais. Ils voulaient que je choisisse lequel devait mourir en premier. J'ai refusé dans un premier temps, ne sachant quoi faire devant tant de cruauté. Mais ce n'était pas le bon choix. Il ont torturé ma femme jusqu'à ce que je me décide.
J'ai fini, à contre-coeur, par choisir le plus jeune, mon fils, me disant qu'il souffrirai moins longtemps, qu'il n'aurait pas à subir la vision de sa famille torturée puis tuée. Ce n'était pas non plus le bon choix. Ils se sont 'amusé' avec lui, ils l'ont torturé d'une horrible manière, je n'avais jamais vu autant de cruauté. J'entends encore ses hurlements insupportables ..."Nouvelle lampée. Il me proposa la bouteille que je refusai poliment. "Puis ce fut au tour de mon deuxième enfant, ma fille. Ça a été un peu plus rapide pour elle. D'après leurs dires, ils 's'étaient ouverts l’appétit avec le premier et mourraient de faim à présent'. Il ont pris la peine de la tuer avant de la manger, elle n'a pas souffert ... Ma femme a subi le même sort que ma fille, puis il me promirent de me manger au petit déjeuner avant de s'endormir. Dans la nuit, le camp des peaux-vertes fut attaqué par un ours, et ses sales trouillards se sont enfuis, me laissant perché dans un arbre, ligoté.
Au bout de quelques jours, j'ai fini par me libérer. J'ai pleuré ma perte, j'étais égoïste. J'ai récupéré ce que j'ai pu des restes de ma famille, puis je les ai enterré. Je ne sais pas combien de temps je suis resté devant cette tombe de fortune, immobile, sans manger ni boire, me déshydratant petit à petit au rythme des larmes qui sortaient de mon corps. Je m'en voulais atrocement, je n'avais plus rien à perdre."Il me regarda, un sourire forcé au coin de la lèvre. "Je ne sais plus vraiment comment cela s'est passé, mais au bout d'un certain moment, le manque d'eau eut raison de mon corps et je me suis évanoui. Je suis tombé dans le coma, entre la vie et la mort, un coma dans lequel j'ai fait d'étranges rêves. Ce jour là, en vision, j'ai rencontré Phaïtos et ma vie changea à jamais. J'ai d'abord hurlé ma haine envers celui-ci, j'étais en colère contre lui. Je lui ai demandé pourquoi il avait emporté ma femme, et mes enfants pourtant si jeunes.
Il m'a répondu que ce n'était pas ce qui importait, ce qui importait c'était la haine que j'éprouvais alors. Que je devais l'utiliser pour me venger. Il m'a dit que mon âme et celles de ma famille n'auraient de cesse d'être en peine tant que nous ne serions pas vengés. Il m'a alors appris que j'étais un être doué de magie, et que je pouvais utiliser ses fluides préférés : ceux de l'ombre. Il m'a ensuite proposé un marché : il me rendait la vie et m'offrait de plus puissants pouvoirs si je lui offrait les têtes de nos tortionnaires. Je n'ai pas réfléchi longtemps, aveuglé par la haine et la souffrance.
Je me suis réveillé au milieu du campement, mes plaies s'étaient refermées et je pus rentrer chez moi. Au fil des jours qui suivirent, je me suis vite rendu compte que je pouvais apprendre des sorts d'une façon très rapide. Mais pas n'importe quels sorts, des sorts de la magie de l'ombre, à la fois puissants et terrifiants. En contrepartie, j'avais perdu ma magie lutine, celle qui me liait à mon nom, celle qui faisait de moi un lutin. Celle dont tu es fait et dont j'étais fait. Phaitos m'avait aussi fait un drôle de cadeau, celui de pouvoir me changer en animal. Cet animal, tu sais lequel c'est Psylo, tu t'en ai douté quand tu m'as vu tout à l'heure. Je pouvais me changer en ..." "Gros rat noir." dis-je. L'alchimiste hocha la tête. "Comme je n'étais plus vraiment un lutin, j'ai décidé de quitter mon village et de faire ce que j'avais à faire. Fort de mes nouveaux pouvoirs, je me suis donc mis en quête de débusquer les gobelins. Passant incognito grâce à ma métamorphose, je pouvais mener l'enquête sans peine dans les plus vils tripots de tout Yuimen. Je suis allé dans les villes les plus noires et les plus malsaines que tu ne pourra jamais imaginer, et je les ai tous trouvés. Puis un par un, avec une démence et une violence incommensurables, je les ai tués.
Une fois ma besogne finie, j'étais perdu, je ne ressentais plus rien. Je ne savais plus vers quoi me tourner, ma famille était vengée et pouvait à présent aller en paix, mais que faire maintenant que ma soif de vengeance était assouvie ? C'est là que j'ai atterri à Bouhen et que j'ai rencontré Alcofribas Chantelierre. Il m'a donné un toit et un travail, et depuis, je noie mon chagrin dans l'alcool ..."Il but la dernière gorgée de rhum, puis râlant, jeta la bouteille à la mer. Je ne savais quoi dire. Son histoire était tout simplement ... horrible, je comprenais maintenant ce qui semblait le tourmenter à longueur de temps. Pourquoi il avait perdu sa malice de lutin, pourquoi il était si étrange. J'étais empli de compassion envers l'alchimiste, les yeux ronds je fixai son visage. Je n'avais jamais entendu une histoire pareille. Bab tenta de se mettre debout, il tangua sur ses jambes, manquant de tomber à l'eau. Je le retenais par le bras pour l'aider à se relever. "M'en faut d'autre" dit-il en montrant la bouteille. "Je ne crois pas que ..." répondis-je. Mais il mis son index devant sa bouche pour me faire taire et tituba vers le port de commerce. Je le suivais, de peur qu'il ne fasse quelquechose de regrettable.
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Dernière édition par Psylo le Lun 2 Mai 2011 11:55, édité 6 fois.
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