Inscription: Mer 27 Oct 2010 20:28 Messages: 6658 Localisation: :DDD
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La fête battait son plein dehors et, contrairement à son habitude, Heartless restait assis, une bouteille de vieux rhum pas encore débouchée à la main, songeur. On frappa à sa porte, c'était Nark qui entrait, souriant même si ses propos étaient toujours graves et sensés. Il y avait fort à parier que ce "chevalier blanc" n'avait pas bu une seule goutte d'alcool, mais en soi, ce n'était pas un mal. Avant qu'il ne prenne la parole, Heartess serrait les dents, Nark allait sûrement se plaire à l'appeler Capitaine avec un C majuscule et à lui faire la morale, encore. Mais il ne fut rien de tout ça, rien que des conseils prononcés avec un air amical. Lorsqu'il entendit Nark l'appeler par son prénom, le borgne se sentit apaisé.
- Sirius, felicitations. Tu es enfin capitaine. Mais nous n’avons pas le temps de nous reposer. Tu dois rapidement nommer des officiers. Nous devons recruter au moins une quarantaine de marins expérimentés à Bouhen, nous sommes trop peu pour manœuvrer un navire de cette taille.
Sirius se leva de son siège et adressa un sourire plus que confiant à son camarade, il se rappela qu'il n'était encore qu'au début du chemin long et sinueux qui le mènerait jusqu'à l'accomplissement de son désir le plus fou. Alors qu'il jouait avec sa gnôle encore pleine, il adressa ces propos au dernier des Lounge :
- T'as raison, on est trop peu, alors on a pas besoin de s'appeler par des titres aussi pompeux que "capitaine" ou "second", hein ? Pour le reste, laisse-moi faire. J'te parie que quand les gardes à Bouhen verront notre proue, on passera plus inaperçus très longtemps. Tout d'abord, j'dois être franc avec toi : on est des dingues, des chiens fous pour faire ce qu'on a fait. Moi j'trouve que c'est une qualité, mais pas tout le monde. Alors quand on débarquera on laissera descendre les autres prisonniers qui veulent pas nous rejoindre et on les laissera répandre des rumeurs sur la prise de ce rafiot. Et quand on deviendra célèbres, ils se bousculeront pour avoir une place ici, c'est moi qui t'le dis !
Il lui fit ensuite une petite tape sur le dos avant de sortir de la cabine, entendant qu'on l'appelait. Le soleil tentait alors de s'extirper avec peine de la marée nuageuse qui le retenait prisonnier de l'horizon, alors qu'une centaine d'autres soleils brillaient dans les yeux ivres des anciens captifs de Von Klaash qui, pour la plupart, resteraient à Bouhen. Ils éclatèrent d'un rire sonore en voyant leur capitaine et il le leur rendit en les aspergeant du rhum qu'il ne s'était toujours pas résolu à boire. Comme des enfants avec des boules de neige, les marins le lui rendirent au centuple en déversant leurs fonds de bouteille sur l'un des anciens manteaux de Von Klaash qu'Heartless arborait à ce moment-là, avant de l'abandonner sur le pont car il empestait le mauvais alcool. En chemin, il bouscula Iguru qui amenait encore plus de rhum, et il en profita pour lui poser discrètement une question.
- Hé, dis... Je t'ai vu sortir de l'infirmerie. Mazhui et N'Kpa... ils vont... bien ?
- Pas d'inquiétude, cap'taine, la lionne vient de reprendre conscience mais quand au barbu, il a encore besoin de dormir un moment.
- C'est noté... merci.
Puis Sirius s'écarta, le pas lourd. Il se sentait coupable des blessures qui leur avait été infligées, lui et ce fou de boiteux. Lorsqu'il vit N'Kpa sortir de l'infirmerie soutenue par Thalo, il ne lui adressa même pas un regard, faisant semblant de regarder les voiles. Eliwin était au bout du navire, les yeux perdus dans le lointain, le borgne se joignit à lui et se décida lui demander après une bonne minute de silence :
- Tu voulais me voir ?
- Oui, on devrait bientôt voir Bouhen d'ici, une question de minutes.
- Et c'est tout ?
- ... Tu crois qu'il est mort ?
Eliwin regardait toujours le soleil couchant. Au début il pensait à Flynn mais il ne semblait n'avoir même pas participé au combat, Eliwin pensait plutôt à Von Klaash. Il était soucieux de savoir si ce coup de théâtre ne leur retomberait pas sur la tête un jour...
- On peut plus faire machine arrière, mais à mon avis il reviendra plus jamais nous chercher des noises.
- Tu connais pas Von Klaash...
- Et toi, tu l'connais ?
- Un peu. En tant que l'un de ses prisonniers, si tu vois ce que je veux dire.
- T'étais capitaine avant, non ? Comment il t'a eu ?
- ... Tu sais pourquoi mes gars et moi, on a accepté de jouer ton jeu de taré ?
- Non, pas vraiment.
- C'est parce que t'as la rage. Même après être passé après le lynchage de ses hommes, tu n'as pas faibli, et surtout, tu t'es pas fait dessus, comme tant d'autres, devant Von Klaash. Toi et tes gars vous êtes des fous pleins d'espoirs, et votre folie est contagieuse. Tu vois, moi c'est pas pareil, je ne vaux pas mieux que mes hommes. Lorsque Von Klaash a abordé notre navire... je me suis rendu, sans combattre, et j'ai réduite à néant la confiance que me vouait mon équipage en courbant l'échine.
- Pourquoi tu t'es soumis ?
- A l'époque, je pensais que c'était plus sage, que ça nous permettrait d'épargner le plus de vies possibles, la mienne y compris, mais j'ai déchanté après que Von Klaash se soit amusé à jeter par dessus bord mes hommes les plus valeureux.
- Et vous en avez perdu des tonnes...
- Oui, des tonnes... Le problème avec la sagesse, Heartless, c'est qu'elle passe pour de la lâcheté auprès des hommes qui versent leur sang. Et l'inconscience, à leurs yeux, c'est du courage. J'espère que tu es plus courageux qu'insouciant.
- C'est pas gagné alors, même mes potes ont pas confiance en moi.
- Oh si. A mon avis ils savent que lorsqu'il faudra agir, tu seras le premier à bondir en hurlant comme un dératé. On pourrait pas appeler ça de la confiance à proprement parler, mais une sorte de... d'entente muette. Dis-toi bien que ces gens-là ne te considèreront jamais comme leur chef, Sirius. Ils sont au moins aussi têtus que toi, c'est juste que t'as une affreuse tendance à sortir trop tôt des chantiers battus.
- Je sais...
Soudain, un singe pendu à une liane passa devant eux comme une ombre furtive et se hissa au grand-mât, emmitouflé dans les cordages. C'était Plagg qui hurlait comme deux hommes :
- Terre ! Terre droit devant !!
***
Musique.
Au loin, les remparts de la ville fortifiée de Bouhen, ses premiers habitants étaient les gardes qui dormaient contre ses murs de pierre qui cachaient sa richesse aux yeux des pirates égarés. Du haut d'une tour de guet, un vieux soldat Kendran aperçut le navire d'Heartless et ses compagnons. La curiosité laissa place à la peur lorsque de son œil vif il constata la présence d'un crâne humain sur la proue : il reconnut le navire, La Laide-les-Maines se dirigeait vers Bouhen. Et qui disait "Laide-les-Maines" disait Von Klaash, le tyran marin bien connu de ces quais, chien enragé de la baronne Erzébeth.
- Alerte ! Aux armes, on est envahis ! hurla-t-il dans un sursaut de terreur.
Les bras ballants, l'homme maladroit se laissa tomber du haut de la tour pour atterrir avec plus de peur que de mal dans une botte de foin. N'écoutant que son devoir, il courut jusqu'à son supérieur hiérarchique qui le regardait d'un air à la fois perplexe et sévère :
- Qu'y a-t-il ?
- J'ai vu un monstre dans le brouillard ! Plus silencieux que... la mort qui glissait vers moi...
- Qu'as-tu vu, soldat ? Parle !
- La... la Laide... Von Klaash arrive ! J'ai même aperçu son ombre !
Le capitaine de la garde montra à son subordonné des yeux de poisson à l'agonie avant de se retourner pour méditer un court instant.
- On n'a pas le choix. Laissez-le arriver, nous verrons bien pourquoi il vient meurtrir encore une fois nos quais. A-t-il hissé un pavillon noir à tout hasard ? Non ? Alors n'aie crainte, je vais régler ça moi-même.
L'horizon était troué par l'imposante silhouette du galion qui avait le soleil dans les voiles. Une sinistre ombre chinoise se rapprochait de plus en plus du port, alors que des miliciens en retrait craignaient que Von Klaash hisse le pavillon noir. Non pas que cet énergumène était un habitué des attaques pirates, mais le boiteux inspirait naturellement la crainte et la peur autour de lui. De nombreuses rumeurs fusaient à la simple évocation de son nom : Von Klaash tuait par plaisir, Von Klaash avait déjà violé sa mère, Von Klaash buvait du sang, Von Klaash, le fils bâtard de Thimoros... Un ange, vraiment. Lorsque la Laide-les-Maines s'imposa dans les eaux de Bouhen, une armée en sortit, mais loin d'être la "troupe de choc" de Von Klaash, c'était une armée de gueux qui courait les bras levés et hurlait "Liberté !". Le chef milicien s'en indigna :
- Dégoûtant ! Mais quelle est donc la raison d'un tel vacarme ?
D'autres hommes descendirent plus calmement cette fois, et eux étaient armés; trop légèrement pour une invasion mais assez pour inspirer la méfiance. Égal à lui-même, le capitaine des gardes avança vers l'homme qui portait un tricorne, Heartless, et lui adressa d'hostiles salutations.
- Bienvenue à Bouhen, messieurs. Êtes-vous le capitaine Von Klaash ?
Sirius fut interpellé par ce nom avec lequel on le nommait. Mais bien vite après la surprise, c'était le rire qui se dessinait sur ses lèvres. Il y avait autour de lui beaucoup de ses compagnons, dont Eliwin, Plagg, Iguru et Elias, le quatuor inséparable : tous se firent hilares devant l'homme en armure et au casque plumé. Ils disaient en riant "Von Klaash" comme si ce n'était qu'un clown, un amuseur de foules. Suite à cette moquerie, Eliwin avança d'un pas, l'air idiot et un large sourire malhonnête aux lèvres. Se désignant du pouce, il déclara :
- Von Klaash, c'est moi !
Puis Plagg lui fit une tape sur son crâne chauve pour lui voler la vedette, avec la même expression sournoise :
- Mais non, c'est moi !
Iguru passa devant et s'inclina :
- Ils se trompent, je suis Von Klaash ! Enchanté !
Elias bondit ensuite de nulle part, animé d'une vigueur alcoolique. Même l'ancien prit part à la plaisanterie :
- Abrutis ! Von Klaash, c'est moi et moi seul !
- Arrête, t'es trop vieux pour être Von Klaash !
- Lui, il est trop jeune ! C'est forcément moi !
- Vois les choses en face ! Tu es trop petit !
- Et toi t'es trop gros, crotte de bique !
- ASSEZ !! Où est Von Klaash ?
Le milicien interrompit cette douce mascarade. Le visage en sueur, il se demandait qui étaient ces étrangers qui se prenaient pour ce tyran assoiffé de sang. Il chercha le loup de mer du regard mais ne vit que des marins amusés par ses vaines questions. Le soldat poussa un long soupir lorsqu'il constata l'absence du fameux crâne de la Laide au devant du navire. Il fit venir son acolyte et lui fit jurer d'avoir bien vu ce crâne, l'emblème de Von Klaash et ce dernier acquiesça malgré les incessantes vérifications de son supérieur hiérarchique. Soudain, le borgne au tricorne sortir le terrible item de derrière son dos et le fit tourner sur son index, l'air de dire :
- C'est ça que vous cherchez ?
Le monde entier en face d'eux poussa un cri de femme et recula d'un pas. L'évidence même témoignait du fait que ce galion à peine amarré au port était la terrible Laide-les-Maines mais aucun capitaine à l'horizon. A leur demande, Heartless leur fournit une explication :
- Von Klaash est parti... à la retraite, m'voyez ? Et donc on lui a gentiment emprunté son navire. C'est ça les gars ?
Tous les hommes, aussi peu furent-ils, du navire hochèrent la tête en même temps. La vérité malhabilement dissimulée jaillissait déjà dans l'inconscient des gardes. Cette bande de vauriens était la nouvelle propriétaire du navire géant, et l'ébauche de capitaine qui se présentait devant les yeux ébahis de la foule était bien moins menaçante que le précédent tristement connu Von Klaash. Sirius sentit que c'était son heure et grimpa sur un tonneau, arborant le tricorne de son ennemi et le crâne du navire :
- Je suis le capitaine de la Laide-les-Maines, Sirius Heartless ! J'ai poussé le vieux Klaash à la retraite et son navire est mien ! Et je recrute, alors que tous les volontaires fassent un pas en avant !
Personne n'esquissa le moindre mouvement dans la foule pleine de doutes...
- Comme vous voudrez...
Sirius, exaspéré, descendit de son piédestal et fit un signe de la main à son équipage : il partira en ville chercher des recrues potentielles. Le borgne se fraya un chemin entre les badauds, jonglant fièrement avec le crâne si craint du navire dont il s'était emparé.
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Dernière édition par Heartless le Mer 21 Sep 2011 21:11, édité 1 fois.
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