Nous aurions du montrer franc jeu dès le départ plutôt que de jouer au plus malin avec Kardan car de toute évidence, il avait compris notre petit manège depuis le début si on considérait le petit sourire qu’il affichait à cet instant sur son visage. Il nous fit signe de la main afin de le suivre dans une grande salle de lecture qui était vivement éclairée.
Après avoir balayé la salle du regard, le bibliothécaire trouva un employé bien jeune à qui il formula une demande, aller récupérer « le livre de Maldwin ». Kardan nous dirigea ensuite vers une nouvelle salle de la bibliothèque, sans être moi-même du métier, il était évident que nous trouvions dans la salle de géographie. De nombreux atlas et cartes s’alignaient sur les murs.
Tout en avançant, Kardan précisa que le jeune boutonneux se prénommait Gauvin et avait déjà sorti ce livre pour un milicien. Ce recueil traitait de l’histoire et des légendes aldrydes, ce que nous cherchions précisément mais le commentaire du bibliothécaire modéra ma joie car selon ses dires, très peu de choses étaient connus sur ce peuple.
Un autre élément m’ennuyait profondément au sujet de ce livre, un milicien avait demandé ce livre, ce qui voulait dire que la milice savait déjà des choses sur ce peuple et avait oublié de nous le préciser. Pour cela, il fallait partir du principe que l’information avait circulé au sin de tous les membres de la milice. Le garde à l’entrée ne devait pas faire parti des personnes mises au courant par cette recherche.
Glissant un regard vers Ehemdim, je vis que lui aussi était dubitatif, était-ce au sujet de ce livre ?
(Le milicien qui ne dit rien te pose aussi problème ?)
Connaissant ma particularité magique, il n'en fut pas surpris et acquiesça de la tête à mon message télépathique, j’avais vu juste. La milice avait-elle délibérément oublié de transmettre cette information afin de nous tester et de vérifier nos compétences ? Les autres aventuriers avaient-ils étaient mis au courant de l’existence de ce livre ? Non, cette question trouvait sa réponse toute seule. Si tel était le cas, ils seraient avec nous à chercher, Kardan nous aurait prévenus de leur présence.
Le bibliothécaire pendant ce temps se mit à la recherche des rapports météorologiques dans les rayonnages de géographie. En regardant sur le côté des meubles, je pus y lire qu’ils contenaient des observations météos de Kendra Kâr relativement récentes puis de plus en plus anciennes, même mes parents n’étaient pas nés pour les plus anciens. J’étais impressionnée par la présence d’esprits des humains.
Pratiquement tous les rayonnages météos concernaient la ville de Kendra Kâr mais le dernier concernait les rapports provenant de d’autres villes voir de d’autres continents et ce fut ce rayonnage qui retint particulièrement l’attention de Kardan.
Nous étions, Ehemdim et moi, à observer le bibliothécaire dans son travail de recherche lorsque nous fûmes interrompus par le retour de Gauvin et du fameux livre de Maldwin. Il rougissait à vue d’œil en approchant de moi, les jeunes et les hormones, apparemment, à son regard, j’étais la plus créature qu’il lui était donné de voir dernièrement. Je lui rendis un magnifique sourire qui l’acheva et il partit de la pièce béat d’admiration. Levant les yeux au ciel, je m’assis à l’une des tables disponibles dans la pièce.
- « Tu as besoin d’aide Naria ?
- Merci mais je devrais pouvoir m’en sortir avec ce livre. Va donc voir si Kardan n’a pas besoin d’aide pendant que j’entame la lecture.
- C’est toi le chef après tout. »
De nouveau, je levai les yeux au ciel avant de ramener mon attention sur « Le chant du cygne et des étoiles : une histoire des aldrydes », livre écrit par un érudit du nom de Maldwin. Cet ouvrage d’une taille relativement importante était vieux d’un siècle, les éléments inscrits à l’intérieur ne devaient donc pas être trop éloigné de la réalité actuelle.
En ouvrant la première page, je tombai sur un sommaire qui semblait bien tenu avec la numérotation des chapitres. En tournant les pages, je lus rapidement l’introduction et un mal de tête me prit soudain. Le style de l’auteur était très pompeux, voir trop, l’auteur se prenait plus pour un poète narcissique que pour un historien traditionnel, rapportant des faits et des témoignages.
À la lumière de cette première information, je relus attentivement le sommaire et au final, ma première impression sur l’auteur s’avéra juste, verbeux et peu informatif dans le contenu. Ma lecture détaillée commença par le chapitre sur les origines de ce peuple. Selon les dires de l’auteur, du moins, ce qu’il fallait comprendre entre les allégories et autres figures de style, les aldrydes seraient nés durant l’ère des dieux selon la croyance populaire.
Concrètement, cela voulait dire que ce peuple existait depuis plus de 30 000 ans, les historiens estimant que la disparition de Yuimen de la planète mettait fin à cette première ère. Le peuple avait-il évolué depuis sa création comme les elfes primitifs devant des taurions ou des garzoks ou bien conservait-il son apparence primaire ?
En continuant ma lecture, j’appris que Maldwin avait passé un certain temps auprès d’une riche aldryde avant d’en être chassé, pourquoi cela ne m’étonnait pas ? Cependant, de ce passage, il avait appris par les chants de ce peuple et ses observations, enfin un raisonnement d’historien, que ce peuple était né de la magie tout comme leurs cousines, les faeras. Un petit rire narquois résonna alors dans ma tête.
(Tu confirmes ?)
(Ce n’est pas le cas.)
(Et alors ?)
Sa voix avait disparu de ma tête, de toute évidence, elle voulait que je me triture les méninges. J’acceptais le défi. En parcourant les pages suivantes, je n’en appris malheureusement pas plus sur l’histoire de ce peuple ou sur ses origines, dommage, car cela était une bonne piste de recherche.
Les chapitres suivants concernaient le calendrier des aldrydes, je n’avais jamais vu un ouvrage qui s’étendait autant sur un élément aussi futile et régulier que le calendrier. Nous avions l’habitude de suivre le calendrier lunaire sur le Naora et je fus alors frappé de mon manque de connaissance sur le sujet, car je ne savais pas si les autres continents faisaient de même.
Maldwin expliquait que le calendrier aldryde était différent des autres et qu’il était basé sur des cycles de cinq cent ans. Il avait pris connaissance de cette information à travers les chants et les légendes de ce peuple, il s’était bien gardé de noter ces chants et ces légendes dans son ouvrage.
Autre élément digne d’intérêt, les aldrydes ne pratiquaient pas les religions traditionnelles du panthéon yuiménien, les remplaçaient par une vénération certaine envers ce calendrier. Ce comportement remettait en cause tout ce que j’avais appris sur la population de Yuimen. La vénération des divinités de l’ère des dieux était au fondement de nombreux peuples, ce livre venait dire le contraire.
Néanmoins, Maldwin évoquait le fait que de plus en plus les aldrydes se détachaient de la vénération de leur calendrier afin de se rapprocher du panthéon yuiménien. Ce fut l’occasion pour l’auteur de partir dans de grandes tirades, voir des envolées lyriques sur la sagesse oubliée des anciennes générations d’aldrydes.
Toutefois tout ce verbiage avait une finalité et je pris la conclusion de réflexion personnellement. Il pensait que ce qui rythmait ce cycle de cinq cent ans était connu des elfes et que nous devions cacher cette information aux humains. Encore une fois le complot contre les elfes, les grands méchants qui gardaient toujours tout pour eux et ne partageaient pas leur savoir. Tout ceci avait le don de m’énerver prodigieusement même si cela était en parti vrai. Il y avait plus méchant que les elfes sur cette planète !
Je continuai ma lecture encore quelque peu mais le reste ne m’apprit rien de plus, connaître le régime alimentaire ou bien la vitesse de pointe des aldrydes ne faisaient pas parti des objectifs du jour. Je refermai ainsi cet ouvrage et vit Ehemdim approcher près de ma table. Il prit une chaise et s’installa à mes côtés.
- « La pêche aux informations a-t-elle était fructueuse ?
- Plutôt oui, j’ai découvert que personne n’était d’accord sur l’origine des aldrydes, qu’ils avaient beaucoup de chants racontant leur histoire, qu’ils utilisaient un calendrier cyclique de cinq cent ans qui était vénéré comme nos dieux mais que la situation tendait à changer. Tout cela me laisse de nouvelles questions et possiblement de nouvelles demandes pour Kardan. Et toi ?
- La lecture des rapports météo s’est révélée particulièrement inutile. J’ai appris qu’en Nosvéris, il tombait régulièrement de la neige, qu’il y avait des tempêtes et pas mal de pluie ! »
J’eus un petit rire nerveux face aux propos de mon fiancé.
- « Effectivement, tu ne m’apprends pas grand-chose sur ce coup-là, mais dis-moi que tu as trouvé autre chose.
- Ce que femme veut, femme l’obtient ! »
(Arrête ton char !)
- « Si on ne peut plus rigoler je me tais. Donc les météorologues ont tenté de prévoir le temps du lendemain sans trop de réussite mais c’est la suite qui va t’intéresser. Des aurores polaires sont présentes dans tous les rapports que j’ai lu.
- Ah bon ? Tu attises ma curiosité !
- Ces rapports datent de treize, huit, six et cinq ans en arrière et ne considèrent pas cela comme anormal. Selon Kardan, ces aurores polaires apparaissent tous les ans en Nosvéris sans possibilité de noter leur régularité. D’ailleurs toujours selon le bibliothécaire, plus personne sur le continent ne s’étonne d’en voir dans le ciel, c’est devenu aussi commun que les aynores dans le ciel. Mais ce n’est pas tout ! »
Je pouvais sentir l’excitation poindre dans la voix de mon fiancé, apparemment il n’avait pas fait que lire des rapports météos sans grand intérêt pour notre enquête. Ehemdim repoussa le libre de Maldwin devant moi avant de poser un autre ouvrage dont je n’eus pas le loisir de lire le titre. Le livre était ouvert sur une double page bien précise mais ma rapide lecture ne m’enchanta que très peu.
Le texte donnait une description des aurores, de longs filaments lumineux qui illuminaient le ciel, chose que nous pouvions voir depuis plusieurs nuits maintenant, éclairant les routes. Relevant la tête vers Ehemdim, je m’adressai à lui en ces termes.
- « Peux-tu m’expliquer ce qui a pu t’intéresser à ce point dans la lecture de ce passage parce que je ne vois pas trop l’intérêt ! »
Pour simple réponse, il pointa un passage du doigt qui se concentrait sur la couleur des aurores polaires. Selon cet ouvrage, les aurores les plus courantes étaient de couleurs vertes mais de temps en temps elles viraient au violet voir au rose. Relevant le nez vers Ehemdim, je l’interrogeai.
- « Et alors ? Les aurores sont vertes voir violettes, en quoi est-ce une révélation ?
- Poses-toi cette simple question : de quelles couleurs sont les aurores qui illuminent le ciel toutes les nuits ?
- Bah, vertes voir violettes, comme ce qui écrit dans le livre, je ne comprends pas vraiment le sens ta question !
- Ton sens de l’observation te fait défaut ma belle. Les aurores qui illuminent le ciel depuis plusieurs nuits sont de toutes les couleurs ! Ce ne sont pas des aurores polaires ordinaires Naria ! Quelque chose se trame dans le ciel et je ne sais toujours pas quoi.
- Il doit y avoir un rapport avec le calendrier aldryde, il est cyclique, si seulement je trouvais quand a commencé le cycle en cours, nous en saurions plus. Il doit bien y avoir des éphémérides yuiméniens dans cette bibliothèque. Nous savons donc sur quoi poser nos recherches suivantes.
- Oui, nous avons encore un peu lecture à faire avant de quitter ce lieu. »
Kardan choisit ce moment pour passer non loin de notre table, Ehemdim le héla au passage afin de l’amener vers nous. Arrivé à notre hauteur, il fut plus aisé de lui formuler nos nouvelles demandes.
- « Nous avons déjà appris beaucoup mais nous avons de nouvelles recherches à vous soumettre. Pour ma part, j’aurais besoin de savoir si vous avez des éphémérides yuiméniens, des calendriers des différents peuples de la planète. Je voudrais aussi savoir si vous conservez des livres avec les chants des aldrydes.
- Quant à moi, ce sera plutôt des livres concernant les aurores mais également des informations sur les couleurs et leur signification, le fait que les aurores ne soient pas de la couleur habituelle a peut être un sens caché. »
Nous avions un nouveau plan de bataille, espérons que Kardan pourrait répondre favorablement à nos différentes demandes.
(((2 123 mots et quatre demandes formulées :
- pour Aenaria : des informations sur les calendriers de Yuimen et des informations sur les chants aldrydes ;
- pour Ehemdim : des informations sur les aurores polaires et des informations sur les couleurs et leurs signification.)))