"C'est magnifique n'est-ce pas ?" "Tu vois aussi cette lumière ?" "Nous la voyons toutes les trois, car des fluides coulent dans nos veines à toutes les trois." "Je suis déjà venue dans cette forêt. Je connais cette lumière..." "Cela est la vérité. Tu es déjà venue ici en rêve. Nous sommes dans le coeur de la magie druidique et tu t'en es approchée trop tôt et de trop près à mon goût."
Mais je n'écoute déjà plus Anouar, je ne peux détacher mes yeux de cette lumière et mon coeur la réclame, comme mon âme et mon corps. Je voudrais pouvoir l'attraper, m'en gorger, la manger, la boire, la respirer pour qu'elle devienne moi et qu'elle emplisse mon être et surtout que je devienne elle. A cet instant, je veux devenir une faera, je veux être faite de magie pure.
"Je le veux... Je le veux... JE LE VEUX!"
Folie de l'être désirant plus que tout au monde une chose particulière et inaccessible, Puissance du désir à l'état le plus pur et le plus démentiel, obsession morbide de celui qui voit pour la première fois la chose qu'il recherche au fond de son être depuis trop longtemps. Les poils poussent sur mon corps, donnant de la force au moindre de mes geste, me permettant de sauter plus haut et plus loin. Les chutes sont blessantes, mais le désir me tient debout, plus encore que l'air que j'aspire à grande goulée. Je me relève et saute à nouveau, je cours sur les troncs et les branches, je me jette pour mieux me rattraper dix mètres plus bas avant de remonter en suivant une autre voie. A ce moment, je suis une bête parmi les bêtes, mais mon âme est celle d'un elfe rongé par l'envie et le désir de possession.
L'aliénation de la magie se montre enfin dans toute son ampleur, je sens mes tatouages comme s'ils vibraient, les fluides se mettent à bouillonner dans mon corps, me tissant des ponts de plantes sans que j'ai besoin d'y réfléchir. La lumière est là et devient ma seule raison de vivre ... ou de mourir. Je n'existe que pour elle et que par elle. En cet instant, elle détient sur moi un droit de vie et de mort plus encore que Yuimen en personne.
Je cours, je cours, une nuit et une longue journée entière sans m'arrêter, ne buvant et ne mangeant rien d'autre que la lumière qui touche mon corps à mesure que je m'approche de sa source. Je saute, je bondis, je me réceptionne, je m'accroche et m'écorche sans cesse. Mon pouvoir de gardienne et mon désir me maintiennent debout contre toute attente et me donnent la force d'aller plus loin, toujours plus loin. J'ignore où sont Astinor et Anouar, s'ils me suivent ou non, s'ils m'ont abandonné ou non et à vrai dire, je ne m'en préoccupe même plus. Seules l'obnubilante lumière et son attirance comptent désormais pour moi et rien ni personne ne pourrait freiner ma progression, je pourrais tuer mon père lui-même juste pour m'en approcher plus près. Mes pensées deviennent sacrilèges et blasphématoires en plus d'être parricide quand j'évoque la possibilité de résister à Yuimen en personne s'il cherchait à m'en empêcher. Mais j'ai la conviction qu'il m'a envoyé ici juste pour ça, juste pour que je puisse toucher et approcher cette lumière et sa source.
Puis soudain, je freine des deux pieds et m'arrête. Je sens une présence proche de moi, ainsi Anouar et Astinor m'ont suivies, tant mieux, tant qu'elles ne m'arrêtent pas. Devant moi la lumière est devenue palpable, je pourrais enfoncer ma main dedans, la sentir vibrer et onduler autour de mon corps. Une souche, c'est de ce reste on ne peut plus naturel et végétal que provient ce magnifique et attirant rayonnement. Maintenant que j'y suis, je n'ose m'en approcher, même si je le souhaite de tous mes voeux. Assise sur mes talons, je frôle les racines, je glisse mon doigt sur elle et une douce aura vient marquer la trace de ma main, comme le charbon marque un mur sous les doigts d'un enfant. Prise d'une folle idée, je fais le tour, marchant sans me redresser et marque pareillement toutes les autres racines de cette souche. A chaque fois, elle se met à briller et bientôt elle même se retrouve lueur au coeur d'une lumière.
Je vais pour me redresser et mettre le pied sur la souche, pour me laisser envahir et pénétrer de toute part par ce pouvoir immense, mais une voix me pousse à attendre.
"Attend s'il te plaît. Je ne te retiendrais pas, Lothindil Lirelan, mais l'acte que tu vas accomplir est lourd de conséquences, pour toi et d'autres."
Plus que la voix et les paroles, c'est le ton lourd en larmes qui me pousse à me retourner vers mes deux compagnes. Des gouttes d'eau viennent suivre le museau de ma panthère, couchée, tête au sol, Anouar sur sa tête me regarde. Sans comprendre pourquoi les larmes viennent couler le long de mon nez, lissant les poils qui ornent toujours mon corps. Je m'accroupis et lève la lourde tête d'Astinor, la tristesse me fend le coeur, laissant les fluides y pénétrer plus profondément. Un coup de langue de l'âme de mon épée vient essuyer ces pleurs avec tendresse et douceur.
"Nous savons toutes les trois que si tu vas sur cette souche, tu trouveras une chose que ton coeur désire et réclame. Nous savons aussi que non seulement tu dois, mais qu'en plus tu veux le faire et c'est mieux ainsi."
Nouvelle crise de larmes des deux cotés. Mais ce sont des pleurs de joie pour ma part, je suis heureuse qu'elles me comprennent. Rien n'aurait été plus douloureux que de devoir lutter contre des amis pour une cause qu'on croie juste. Astinor est trop perdue dans sa tristesse et c'est Anouar qui continue :
"Mais tu dois le savoir que, si tu y trouves par hasard ton bonheur, tu y trouveras quoiqu'il arrive la mort. C'est ici que s'achève ton initiation dans cette forêt, Lothindil, gardienne de Yuimen. Tu as le choix désormais : mourir heureuse d'avoir trouvé ce que tu cherchais, ou partir et vivre en risquant de regretter de ne pas avoir fait le pas." "Il n'y a pas de choix, Anouar, pas pour moi."
Dans mon coeur, la tristesse se dispute la place avec le désir et la joie immense. J'en tremble tellement je suis à la limite de la folie pure. Anouar quant à elle hoche la tête, sa question n'était que pure rhétorique face à moi et elle le savait ; Astinor sèche tant bien que mal ces pleurs et reprend :
"Qu'il en soit ainsi, Lothindil. Je suis celle qui a vaincu les éléments dans le passé, mais je ne peux rien faire pour t'aider. Yuimen m'a chargé de veiller sur toi et de chasser pour toi. Je veillerais sur toi alors, que tu reviennes ou non, je t'attendrais." "J'apprécierais de voir un ami au réveil." "Au revoir, Lothi. Là où tu vas, nous ne pouvons t'accompagner. Puisse Yuimen te protéger." "Puisse Yuimen vous garder toutes les deux."
Les larmes aux yeux, Astinor se détourne et je fais de même, regardant la lumière en face. Je prends une longue inspiration, comme on le ferait avant de plonger et m'enfonce dans la lumière sur la souche.
Je suis aspirée dès que mon pied se pose et me retrouve emportée dans un flux de magie pure. Elle cherche à pénétrer mais mon corps ne peut pas en tolérer plus que ceux déjà absorber, elle cherche à s'immiscer au travers de mes tatouages, à entrer par ma bouche, mon nez, à entrer en moi avec toute la violence de son pouvoir par tous les trous et les pores de ma peau. La douleur est insupportable, mais je ne peux hurler, mon corps vole en tout sens à moins qu'au contraire il ne puisse quitter le sol. Je suis debout ou plutôt non, je suis couchée ou assise... Je ne sais plus, je veux juste que cela cesse et encore, je n'en suis même pas certaine. La douleur devient caresse pour reprendre de plus belle, torturant mon corps, mon esprit, mon âme elle-même.
Les caresses reviennent, aussi douce que celles provoquées par de l'herbe par une brise d'automne, mon corps s'écarte, se libère, devient joie, s'écartèle complètement. Il s'ouvre, s'offre, se donne, la caresse devient amour intense, trop sans doute. Je me soumets et me laisse entraîner vers cette douceur que je sais fausse pourtant. Puis soudain la tendresse devient violence, le bonheur devient douleur. Je suis bousculée, frappée, blessée, jetée, rejetée, fouettée avec hargne. La nature elle-même s'acharne sur mon corps qui ressemble de plus en plus à une dépouille, se laissant faire, incapable de lutter ni mentalement, ni physiquement. Je suis violentée, les fluides me pénètrent, me transpercent et me traversent. J'ai l'impression d'être percée de cent flèches ou plus, meurtrie par cents lames et battue par cents marteaux torkins. Rien ne semble pouvoir calmer la douleur, ni couper court au mal qui s'acharne contre moi.
Puis soudain, le vide, pas simplement l'absence de coups, de douleur, mais le vide complet, le manque de tout, la non-existence de toute chose. La mort, ma mort...
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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