Je finis par ouvrir les yeux sur une touche humide me barbouillant le visage. Une créature au pelage noir-gris me regarde de ses grands yeux gris. Affolée, je me recule de près d'un mètre en rampant à moitié assise jusqu'à prendre un peu de distance. Ma vision a dû mal à s'adapter, mais je reconnais la forme générale de la créature. Sans conviction, un seul mot se présente à mon esprit :
"Panthère ?" "C'est moi, c'est Astinor, Lothi..." "Pas Lothi. Lisha !"
Une autre créature, plus lumineuse, se trouve à coté, j'ai dû mal à la voir ou du moins à distinguer ses contours, à part ses deux yeux tels deux perles noires au milieu. Les deux bestioles se regardent tandis que je tente de distinguer plus précisément. Elles paraissent tellement opposées, l'une d'une luminosité inquiétante, l'autre d'un noir grisé profond. En plus de ça, elles se regardent, j'en suis certaine.
"Toi, Astinor. Mais elle ?" "C'est moi, Anouar !" "Petite voix ?" "Oui, la petite voix."
Je me répète une bonne dizaine de fois chacun des deux noms jusqu'à être certaine de bien les avoir compris et retenu. Une fois cela fait, je regarde tout autour de moi. Je suis couchée sur un lit de plante tendre recouvert d'une peau de bête toute douce. Autour de moi le décor ressemble à un bâtiment, avec des briques grises tout autour, par moment je peux voir des piliers lisses allant dans n'importe quel sens, drôle d'architecture à vrai dire. Par contre, je suis surprise par l'absence totale de couleurs autour de moi, y compris dans le ciel qui me paraît lourd et nuageux bien que, à part le gris, il me paraît bien lumineux.
D'un coup, je me redresse et regarde mon corps, toujours nu, à la recherche de quelque chose de changer sur moi. J'ai toujours mes deux jambes, mes deux bras, aucune trace de tentacule, d'oreilles de chat ou d'ours, de poils malvenus, de palme entre les doigts, ni de queue. Je suis presque déçue pour tout dire. Je me serais attendu à un changement significatif, montrant au monde que je suis morte. Seuls mes cheveux me paraissent nettement plus rêches, mais je mets ça sur le compte des branches et autres qui doivent traîner dedans.
Un gargouillement sévère s'élève, comme une plainte douloureuse, de mon estomac affamé.
"Faim !"
Astinor et Anouar se regardent l'une et l'autre.
"Une chasse, ça te tente chaton ?" "Chasse ?" "Aller chercher à manger." "Pourquoi pas..."
Astinor se dirige dehors et je la suis, marchant difficilement, comme si mon corps avait été immobilisé depuis plusieurs semaines. Dehors tout est aussi gris, comme si la forêt avait brûlé sans perdre sa grandeur. Je me secoue la tête, espérant peut-être que cela remettrait la couleur, mais il n'en est rien.
"Que se passe-t-il, chaton ?" "Gris, tout gris, pas couleurs." "Ca reviendra. Il va te falloir de la force, tu te souviens de ça ?" "Non. Aucun souvenir..."
Soudain, une image vient s'interposer entre le décor et moi, elle représente une créature à la peau grise devenir couverte de poils avant d'aller soulever un caillou gros et lourd. Ca me rappelle quelque chose, mais sans savoir si je l'ai déjà vécu ou tout simplement vu. Je hausse les épaules en secouant la tête de dénégation et l'image s'efface. Dans le même temps, Astinor me saute à la gorge brutalement. Sans que j’aie réellement besoin d'y réfléchir, je me retrouve couvert de poils, à un mètre d'elle, à moitié accroupi, un morceau de bois à la main, prête à bondir à mon tour. Voyant ça, elle interrompt son geste et s'assoit en se léchant la patte avec ce qui pourrait passer pour un sourire sur son museau soyeux.
"A défaut les réflexes sont intacts." "Comment j'ai fait ça ?" "Je l'ignore, mais te faudra apprendre à le faire toute seule."
Astinor me conseille alors de garder mon bâton et de la suivre avec le moins de bruits possibles. Je tente de faire de mon mieux, mais elle est toujours moins bruyante que moi et toutes mes tentatives pour attraper un animal sont misérables. Pire, j'empêche la panthère de faire son travail correctement, faisant fuir ses proies.
"Je te ramène au temple. On verra ça une autre fois."
Tête basse, je suis la panthère. Nous nous n’étions guère éloignées et retourner au bâtiment n'en est que plus simple. Je suis malgré tout fatiguée de cette chasse improductive et surtout affamée. Une fois à l'entrée du bâtiment, Astinor repart, sans doute pour trouver de quoi déjeuner malgré tout. Pour ma part, j'ai trop faim, je m'assieds, rompue par l'effort et tends la main vers la touffe d'herbe la plus proche.
"Moi pouvoir manger ça ?" (Oui, cette herbe est comestible.)
J'en profite pour m'en enfiler une grosse poignée que je mâche doucement, tentant de me souvenir de l'un ou l'autre goût que j'aurais connu. Cette herbe a un goût de salade, fade mais pourtant légèrement acide comme si on l'aurait aspergé de citron frais. N'hésitant pas un instant, j'en reprends une pleine poignée que je mâchouille avec conviction et plaisir. A défaut d'être réellement nourrissant, c'est bon et ça permet d'attendre le plat de résistance. Puis ça me rappelle des souvenirs lointains, mais à la fin de la seconde dose, je n'ai pas réussi à mettre un nom dessus encore. Ce n'est qu'au moment d'avaler la troisième que je parviens à nommer l'évocation :
"Ello! Ca te dit quelque chose à toi ?" "C'était pas si loin que ça. Si je te dis Verloa, ça te dis quoi ?" "On joue, c'est ça ?" "On va dire que oui. Si tu me dis Ello, je te dis Verloa, si je te dis Verloa, tu me dis quoi ?"
Ce nom me dit quelque chose, c'est certain. Je l'ai déjà entendu et peut-être même plus qu'entendu, j'ai l'impression que j'ai vécu quelque chose par rapport à ça. Sans pouvoir fixer un nom, une ombre apparaît, une grande ombre blanche avec d'énormes ailes et des écailles d'ailleurs. Je cherche à fixer l'image dans mon esprit pour l'envoyer à Anouar comme elle le fait pour moi. Ca a l'air de marcher vu qu'elle me répond :
"Verloa t'évoque le dragon blanc... Oui, pas faux. Et je réponds alors volcan. Tu dis quoi ?"
Sans avoir le temps de trop y réfléchir, je me rappelle la fumée, la terre et la glace nous fonçons dessus. Puis un visage pâle, pas un elfe, un humain. Pas puissant, mais qui nous a sauvés la vie. Il est massif, les yeux sombres et manient la glace.
"Lillith? C'est possible ?" "Le portrait est assez ressemblant en tout cas. On va continuer avec les images alors."
Portrait d'un elfe gris, les cheveux noirs et blancs maniant les armes avec des yeux rouges par moment.
"Cromax? J'ai le souvenir de m'être fâché avec lui..." "Souvent, en effet."
Dans un éclat de rire, je revois certaines scènes où, couverte de poils, je l'ai soulevé du sol et jeté plus loin. Et pourtant, loin de me moquer de lui, c'est plutôt de moi que je rigole et de ces souvenirs qui semblent vouloir revenir tous seuls. Je vois d'autres personnes qu'Anouar m'aide à identifier : Fizold, le faiseur de feu ; Andélys, le barbare à la hache d'or ; Daio, le guerrier à la cagoule ; Seyra, l'enfant humain combattant à l'épée ; Keynthara, la poupée un peu folle ; Lelma, le jeune père combattant ; Bogast, le puissant mage d'air ; Cheylas, la traitresse que j'ai aidé à s'enfuir; Seldell, le jeune rouquin dessinateur ; Filgowen, l'éleveur de sangsues.
Loin de n'être que des bons souvenirs, Verloa m'évoque aussi une peur que j'attribue pour l'instant aux dragons et autres araignées géantes, mais une autre ombre que je ne parviens pas à nommer qu'Anouar ne souhaite pas évoquer pour l'instant traîne malgré tout sur cette île dans ma mémoire.
Mais ces sombres pensées sont interrompues par le retour de ma panthère traînant une proie de la taille d'un jeune daim. Mais ressemblant à rien de ce que je peux connaître, ou du moins me souvenir pour l'instant.
"Je suppose que tu ne manges pas cru ?" "Aucune idée." "Jamais vu un elfoïde bouffer cru, donc faut du feu. Tu t'en charges, Anouar ?"
Heureusement que les herbes à manger ne manquent pas dans les environs car les heures qui suivirent à faire du feu me paraissent extrêmement longues entre la recherche du bois -très simple quand on ne voit qu'en gris-, l'apprentissage de la technique et surtout sa mise en pratique. La journée a quasiment passée dans son entièreté quand brûle enfin un bon feu sur lequel dore de la viande arrachée à coup de dents de panthère avant d'être plantée sur un bâton. Quelques mouches commencent à s'assembler autour de la carcasse de l'animal, faisant un bruit pour le moins épouvantable, mais ça ne nous empêche pas de dévorer notre repas, pas plus que la dizaine de brûlures qui ornent mon corps et mes mains, marques des tentatives de l'après-midi.
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Je suis aussi GM14, Hailindra, Gwylin, Naya et Syletha
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