...Étonnamment, rien ne tenta de l'arrêter lorsqu'elle gravit les marches de l'escalier. Aucun obstacle n'apparut devant elle, aucun mur ne bloqua sa route, aucun phénomène magique bizarre pour l'empêcher de monter. Elle déboucha donc dans une pièce emplie dans une obscurité profonde, qu'elle parvint cependant à percer de ses yeux aguerris dans les tréfonds de Dahràm. On aurait dit, à première vue, exactement la même pièce. Mais il n'y avait pas de lumière, donc pas de fenêtre pour laisser entrer les rayons lunaires. Si la ressemblance était frappante, il y avait au moins ce détail qui lui prouvait que ce n'était pas exactement la même pièce. Il était évident qu'on souhaitait lui faire croire qu'il était inutile de monter là-haut, mais ça ne marcherait pas comme cela avec elle.
Simplement, en guise d'accueil, un message toujours aussi glauque, fait du même liquide rouge dégoulinant, qui n'était pas sans lui rappeler le précédent. Sur son visage apparut une expression rebutée. N'avait-il donc que ce mot à la bouche, “fuir”, “fuir”, “fuir” ? Elle s'apprêta à répliquer, à retourner ses torts à ce « je » qui lui donnait des ordres, mais un bruit attira son attention. Était-il là ? Pourquoi lui écrire un message s'il venait directement ? S'accroupissant immédiatement, prête à bondir sur l'ennemi, s'il y en avait tout du moins un qui surgissait de cette aile obscure, elle saisit sa dague dans sa main, pour frapper et tuer.
Mais ce fut l'ébahissement qui l'atteint la première. Quelle était donc cette forme massive qui se dressait, immense et imposante, hyperboloïde fermée, remplie d'un sable doux et fin qui glissait inéluctablement ? Ce ne fut sans doute que la vue de ce mouvement, cet égrènement irrésistible qui se poursuivait sous ses yeux effarées. Un... sablier. Un nouveau message, ou plutôt un nouveau mot, s'afficha sur le mur entre les deux escaliers. Yurlungur restait bouche bée, les yeux grands ouverts et les pensées en effervescence se cognant et démenant dans sa petite caboche.
Ce sablier contenait une inconnue insoutenable pour la petite fille. Elle ne pouvait résister à la tentation de supposer que c'était un leurre, un moyen de la faire partir, de la faire fuir devant un danger qui n'existait pas, afin de ne plus jamais lui ouvrir la porte par la suite. Elle aurait alors perdu toute occasion de trouver l'une des reliques d'Aethalin et sa quête s'achèverait bien misérablement... Mais si ça n'en était pas un ? Si le sablier représentait un réel danger ? Elle ne pouvait imaginer décemment ce qui se passerait lorsque le dernier grain passerait dans la partie inférieure. L'écroulement du château ? Sa simple mort ? L'apparition d'un monstre grand comme trois montagnes, épais comme quatre, qui l'anéantirait d'une seule pichenette ? Mais alors, pourquoi lui avait-on ordonné de monter en haut, pourquoi lui avoir dit de venir alors que maintenant l'on s'évertuait à essayer de la sauver de ce piège tordu fondé sur un mécanisme temporel nécessairement magique ?
Soudain, une idée qui pourrait tout résoudre lui vint à l'esprit. Elle n'avait encore osé bouger, restant immobile quelques instants, mais elle avait maintenant en tête exactement tout ce qu'il lui fallait pour répondre à ce piège. Quelle que soit la nature du sablier, cela marcherait... à condition que le maître des lieux soit effectivement attendri par elle-même, ce qui ne manquerait pas d'arriver si elle arrivait à bien jouer son rôle.
Pour la seconde fois depuis son arrivée dans le castel, elle se laissa tomber au sol, tremblante et frémissante, parcourue de frissons qu'elle aurait voulus de terreur mais qui étaient principalement dus à l'air légèrement frisquet qui régnait ici. Venant se rouler en boule, cachant son visage entre des mains fines et immaculées, elle ramena ses jambes à elle jusqu'à une magnifique position fœtale, représentative de la position de faiblesse dans laquelle elle souhaitait se montrer, avant de laisser éclater un gémissement sonore qui n'était que le prélude d'une série de pleurs, de lamentations et de sanglots plus osés les uns que les autres.
«
Ah... Ah... Bouhouhou... S'il vous plaît, aidez-moi, j'ai peur... Pourquoi... Pourquoi je suis venue ici... Pourquoi on ne veut pas de moi... Pourquoi il fait tout noir... J'ai peur, j'ai peur... Papa... Maman... À l'aide...
Qu'est-ce que c'est que ça-ha-ha... Mais... S'il vous plaît... Je ne veux pas... S'il vous plaît... Aidez-moi... Bouhouhouhouhou... »
Et ainsi continuaient les larmes et les cris de détresse, évidemment adressés à celui qui l'avait menée jusqu'ici. N'y avait-il pas que lui qui devait se mordre les doigts d'avoir mis une petite fille, si douce, si naïve, si innocente, dans une telle situation ? N'y avait-il pas que lui qui était responsable de sa douleur, pour lui avoir dévoilé les mystères de cette maison, pour lui avoir fait croire qu'elle pourrait vivre ici, et pour l'avoir ensuite chassée sans remords ? C'était donc bel et bien à lui d'agir désormais pour la tirer de ce mauvais pas. En supprimant ce sablier, par exemple.
Et en attendant qu'il se montre ou qu'il agisse, Yurlungur se roulait par terre, rivalisant dans ses plaintes avec la plus pure des fillettes, summum de sa capacité d'attendrissement, tout en veillant à cacher son visage étrangement dénué de véritables larmes dans ses chaudes paumes.
...