... Le contraste était saisissant. La pièce n'était plus sombre comme tout à l'heure, mais éclairée d'une lumière invisible qui illuminait tout, du moindre recoin à ce grand tapis rouge, ce trône imposant, ces escaliers intimidants. Et partout, des fioritures de décorations, comme si l'endroit même avait ignoré le passage dévastateur de cette brute d'Armont. Évidemment, ce n'était pas très étonnant si l'on y réfléchissait un peu : tout à l'heure, Yurlungur avait bien monté des marches pour se retrouver dans la même salle que précédemment... Si Enulcard était capable de réaliser de telles prouesses magiques -
(Beurk, la magie !) -, ça ne devait pas être un grand mal de laisser Armont casser quelques faux meubles. Enfin, toujours était-il que la petite fille ne pouvait que supposer, émerveillée devant le spectacle qu'on lui révélait après sa victoire et encore remplie d'adrénaline à moitié consommée.
Et au milieu de cette pièce grandiose, une silhouette apparut. Elle se tenait, altière, en haut des marches, faisant bouillir d'impatience la fillette qui s'imaginait déjà une momie desséchée, un vieillard apathique ou encore un Elfe dans la plus grande forme, comme s'il avait réussi durant tout ce temps à conserver son apparence passée, bravant le temps et Phaïtos aussi sûrement que son visage le laisserait peut-être apparaître.
Mais non.
Car il s'agissait d'une femme. Une Elfe, sûrement, celle qui avait parlé durant tout ce temps, celle qui s'était montrée sous la forme d'un sablier, celle qui avait ri. Une femme ?! Une femme, de plus, en aucun cas troublée. De même qu'Armont ne l'avait en rien considérée comme un danger au début de leur tumultueuse rencontre, cette femme non plus ne semblait pas vouloir estimer le moins du monde Yurlungur, lui souriant comme on adressait un compliment à un saltimbanque venant divertir.
Et le pire, c'était qu'elle était élégante. Elle se comportait, à vrai dire, tout à fait comme on aurait pu l'attendre d'une véritable comtesse, propriétaire d'un domaine, à la fois assurée et supérieure par la simple force de sa volonté, de sa gestuelle et de son élocution. Oui, c'était bien cela : face à elle, Yurlungur se sentait écrasée, incapable, gauche et surtout nulle. Elle se rendait compte qu'elle n'avait été ni remarquable ni admirable lorsqu'elle montait les escalier : mais cette femme, elle, elle l'était. Et, le cœur à la fois rempli d'admiration et de haine envers celle qui ressemblait à une rivale en tous points dominante, elle écouta la proposition de mort qu'on lui fit, ses poings s'étant refermés.
«
C'est vous, Enulcard ? demanda-t-elle à brûle-pourpoint en osant ne pas répondre à la question et le ton empli d'un certain étonnement. »
Elle regardait la femme assise devant elle, à moitié déçue, à moitié prévenue. Certes, le spectre avait annoncé que la voix elle-même était bien Aethalin, mais Yurlungur avait pensé à une simple manifestation de la présence du seigneur. Pas à une vraie... femme. Finissant enfin par se rendre compte que son attitude allait peut-être déplaire à celle qui avait sa vie entre ses mains, Yurlungur ajouta :
«
Bah, je me doute bien que vous ne faites ça que pour me faire peur, mais c'est raté. Vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit au spectre ? J'ai pensé que ce serait bien de m'installer ici pour vivre tranquillement : la preuve, vous, vous avez réussi. Et puis, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait que vous et Armont à avoir le droit de trucider d'illustres inconnus, conclut-elle en souriant intérieurement à cette dernière remarque. »
Il fallait qu'elle continue à impressionner cette dame, bien que cela ne lui plaisait pas trop. Avant qu'elle lui réponde, elle ajouta tout de même :
«
Vous êtes sûre qu'Aethalin Enulcard n'est pas là-haut, plus loin ? »
C'était une sorte de petite vérification désespérée, mais c'était toujours ça.
...