La baronne profitait de l'absence de Tisis et de celle de Katalina pour songer. Elle ne savait que trop dans quoi elle venait de s'embarquer, il fallait prendre des risques pour assurer l'évolution de son domaine. Les plaines étaient souvent lieu de raids Orques ou d'entrainement militaire, volant la place aux paysans qui devaient se contenter d'endroits plus arides.
L'armée grandissait à mesure que les taxes écrasaient la population, déjà peu affluente. Le majeur problème était ici. Trop peu d'âmes pour tant d'ambition. Elle désirait tant pouvoir se séparer de l'aide du Roi, de la noblesse, disposer de terres plus vastes, d'avoir plus de soldats, pouvoir conquérir des lignes ennemies, tuer des ennemis par millier, brûler des mages renégats... Laisser une trace de sa vie dans ce monde. Le parchemin, le pacte entre Keresztur et le Duché était toujours sur la table. Traitant des engagements de chaque partie, une réelle alliance tombée du ciel. Il en faudrait d'autres... Songeait-elle.
Teresa vint la voir, elle avait assisté quelques étages plus bas aux nombreuses fouilles qui avaient enfin mené à quelque chose. Les valets avaient trouvé un comble qui pouvait correspondre à ce que la Baronne recherchait. Ensemble, elles descendirent dans les profondeurs de Keresztur, là où la pierre se faisait moite et mousseuse. Le sol glissait, Teresa manqua même de déraper. Les gouttes de la terre tombaient dans un petit bruit continuel qui rendait cette atmosphère presque sinistre. Les trois valets étaient assis à attendre leur compagnon, une corde était tirée afin de le retrouver facilement dans les boyaux souterrains. Un garde attendait Erzébeth, tous semblaient soulagés, il était clair que personne ne souhaitait la punition qu'elle imposerait en cas d'échec.
Elle fut conduite par un soldat qui suivait la corde, armés de torches et d'une outre de poix, ils s'enfonçaient encore plus dans l'épais manteau noir que la lumière avait maintenant peine à éclairer. Le valet creusait, la torche éclairait peu son visage, il grimaçait de peur et de fatigue, les traits de son visage lui donnaient une expression de dément, comme s'il venait de perdre l'esprit et était habité par la motivation de creuser jusqu'à Kendra Kâr.
Le garde lui tapota l'épaule, l'invitant à se décaler pour laisser Erzébeth passer. Sur tout le chemin, pendaient de petits pendentifs de bois qui étaient gravés au couteau. On voyait de reste de vie, de vieux livres rendus illisibles par l'humidité, il n'y avait plus qu'une compote de pages et de parchemins. Quelques os, des cruches brisées, des outils de gravure...
« On dirait que quelqu'un a été abandonné ici même...»Tout laissait à croire qu'un être avait été emmuré dans ce sinistre alcôve. Le mortier sur les murs, les pendentifs, les restes de repas carnés qui ressemblaient affreusement à des os d'humains rongés... Elle tira une grimace tant l'atmosphère était dérangeante. Ses tympans commençaient à battre, le valet s'affolait et le soldat quant à lui, regardait dans toutes les directions. Les flammes perdaient de l'intensité lorsqu'un courant d'air venu de nul part fit trembler d'effroi le servant qui recula de plusieurs pas, se perdant dans l'ombre.
Erzébeth était pressée d'en finir, elle ne souhaitait pas voir par elle même cette créature, ne lui laisserait pas cette chance. Elle attrapa la poix des mains du garde pour verser le liquide épais et grisâtre sur les restes de l'ancienne vie du condamné, aspergeant les murs, le sol, les os... Rien ne devait être épargné par les flammes.
Tous deux reculaient, le plafond était bas et les flammes risquaient de leur sauter au visage s'ils restaient trop près, plutôt que de prendre ce risque, elle versait le reste sur une petite trainée du chemin, espérant que l'humidité ne diluerait pas trop le liquide inflammable et que son geste serait porteur.
La flamme embrassa la poix qui s'embrasa et courut jusqu'au repaire sinistre du mort vivant, les couloirs éclairèrent comme si le soleil lui même était venu dans cette pièce, les flammes léchaient le plafond sous les crépitements forts des arcanes qui tournaient à la cendre... C'en était probablement terminé de cette abomination...
Teresa s'approcha d'Erzébeth, elle tremblait et lui avoua s'être inquiétée pour elle, touchée par les mots de sa jeune chambrière, elle lui sourit sincèrement, presque étonnée que malgré sa fermeté habituelle elle puisse être aimée par ses sujets proches. Elle félicita les valets, récompensant leur travail par des couvertures, de la nourriture de choix ainsi qu'une somme de dix yus chacun. Rassurés d'avoir échappé à la mort, ils commencèrent à se détendre, exténués par ces longs travaux dans ces conditions pénibles, ils remontèrent tous ensembles à l'étage du personnel pour toucher la récompense.
Teresa restait dans l'ombre de sa maîtresse, rassurée elle aussi de savoir que cette mésaventure ne serait pas soldée par la perte de quatre valets. La Baronne elle, comprenait de plus en plus l'emprise que pouvait avoir la peur sur un être...
Elle se demandait si Tisis pouvait en être victime aussi. Erzébeth devait penser à une mission, une tâche à lui confier, quelque chose d'assez honorifique sans pour autant être capital, ce n'était pas les brigands qui manquaient après tout... Peut être chasser les bohémiens sur ses terres ? Ils ne faisaient rien de mal après tout, mais devenaient de plus en plus nombreux. Elle se voyait mal demander à sa nouvelle alliance un simple travail de ronde, c'était la corvée des soldats en formation... Tandis que sa chambrière lui contait un rapport oral de ce qui s'était passé dans le château, elle écoutait d'une oreille distraite trop occupée à se demander si elle avait bien fait de s'allier avec cette jeune femme. Elle ne connaissait même pas ses capacités au combat... Mais il se pouvait bien que ça change.
***
Erzébeth se tenait accompagnée de deux soldats de Zalina dans la cours principale destinée à l'armement et à l'entrainement à l'épée. Elles avaient beau être de bois ou émoussée, chaque coup méritait d'être douloureux. Car selon la Baronne, une leçon n'est apprise que lorsqu'elle est gratifiée de la douleur. Elle avait trouvé avec Katalina, désormais surnommée officiellement la vicieuse par les valets, un entrainement qui motiverait les archers...
Elle l'expliquerait plus tard à ses troupes, pour l'instant, elle attendait Dame Tisis, l'heure de l'entrainement allait venir et elle était impatiente de voir comment elle se débrouillerait, personne jusqu'à présent avait pris soin de la prévenir qu'elle se battrait contre la Baronne dans une joute militaire.
Le combat était à arme non égales, chacun des deux parties dispose d'une arme qui lui est propre, aussi, un lancier pouvait bien être confronté à un soldat régulier armée d'une épée. Pour cela les règles étaient simples, les armes sont légèrement émoussées car trempée dans un mélange de cire. Les protections étaient un blason de coton maillé et rembourré, une plaque de croute de cuir, un casque ouvert et des gants. Katalina patientait avec sa maîtresse. L'aube, Erzébeth savait que l'aube était toujours le moment préféré des assassins et des voleurs. C'est là que les gardes en sont à leur dernier quart et en général, avant les premiers rayons du soleil, le sommeil est au plus profond. Une des raisons pour laquelle elle souhait que le meurtre du frère de Victoire se déroule de nuit, avec des assassins qu'elle aurait formé elle même, avec sa méthode et ses exigences.
Elle prit la décision de se préparer avant même l'arrivée de Tisis, ne lui laisserait pas le temps de comprendre la situation, une fois habillée et armée, la jeune femme sera contrainte d'engager le combat immédiatement. Elle endossa par dessus sa robe de lin la combinaison humide de coton. Katalina se glissa derrière elle pour serrer les lanières de cuir qui s'entrecroisaient entre les mailles blanches. Par dessus, la croute de cuir plus rigide qui une fois serrait, faisait un poids considérable, elle était loin de s'en rendre compte, mais le matériel était si lourd qu'il n'avait presque rien à envier à une côte de mailles. En réalité, les tenues portaient de petites boules de plomb dans les armatures afin de se rapprocher le plus possible du poids porté par un soldat en mission...
Bottes, gants, et finalement le casque qu'elle porta sous son bras en attendant la Dame chevalier. Katalina portait presque solennellement la dague Scélérate trempée dans la cire noire de façon à ne pas entailler sa nouvelle alliée...