Épisode X - L'aide d'un mystérieux inconnu
(
Kogan ... )
Quand je m’éveillai enfin, ce fut avec le plus grand mal. Mon corps entier, chaque membre, chaque organe, me faisait souffrir le martyr. Tous mes sens - pourtant habitués et entraînés à être en alerte - avaient été remplacés par un engourdissement total teinté d'une cuisante douleur.
Je ne pouvais discerner que le noir profond du néant et je n'entendais rien d'autre qu'un oppressant silence bourdonnant. Même mon odorat et mon goût ne m'apportaient rien qui puisse m'informer sur mon environnement ou ma situation. Je me sentais flotter, purement, simplement ... Et j'avais froid. Tellement froid.
(
Kogan ... ) C'était mon nom.
Une poignée de secondes ? Une heure ? Deux ? Une journée complète ?! Impossible de savoir combien de temps je restai ainsi, immobile et l'esprit embrouillé. Je n'arrivais pas à me rappeler avec précision, je ne saisissais que des bribes de souvenirs. Le soleil éblouissant ... Le désert ... Une chaleur accablante ... La Crête du Serpent ... L'effort, la douleur et enfin la déception ... Quel que fut le temps qui s'écoula, je le passai à rassembler, morceau après morceau, le puzzle en désordre qu'était ma mémoire.
Après ce qui me parut être une éternité, j'avais enfin les idées claires. Relativement claire, du moins. Je me souvenais maintenant de mon arrivée à la Crête du Serpent, du duel qui avait été annoncé et pour lequel j'avais été choisi. Je me rappelais aussi du combat en lui-même ... Ce combat que j'avais si honteusement perdu.
(
Kogan ! ) Oui, c'était bien comme ça que je m'appelais.
Je prenais peu à peu conscience de mon corps endoloris. J'essayai alors de remuer les extrémités, en vain. Doigts comme orteils refusaient encore de m'obéir.
J'entrepris donc de me poser maintes et maintes questions. Était-ce ça, la mort ? Étais-je donc mort ? Non, je ne pensais pas. Cela m'aurait révolté, alors que j'avais encore tant de choses à accomplir. Et puis mes sensations me revenaient peu à peu, lentement mais prudemment, accompagnées d'une douleur grandissante. Cette douleur ne m'étonnait guère. Les coups que j'avais reçus auraient dû avoir raison de moi. Comment ce faisait-il que j'étais toujours en vie ? Avait-on guérit mes blessures ? Et combien de temps est-ce que j'étais resté ainsi inconscient ? Des jours ? Des mois, peut-être ! Et Œil-de-Vautour ... M'avait-il abandonné ? Vendu ? Laissé pour mort ? En tout cas, une part de mon esprit souhaitait ne jamais le revoir. Ma défaite avait probablement jeté à bas son honneur et sa fierté, et personne ne pouvait prévoir quelle serait la réaction de cet homme des sables froid et imprévisible.
«
Kogan ! » Cria alors une voix.
D'un seul coup et sans prévenir, tout revint soudainement à moi. Je m'étais attendu à ce que mes sens me reviennent peu à peu, comme ils étaient en train de le faire. Mais il n'en fut rien. Ma gueule s'ouvrit en grand tandis que ma poitrine se soulevait brusquement dans les airs, remplissant mes poumons d'oxygène. Mes membres se contractèrent - non sans me provoquer une atroce douleur - et se tendirent au maximum de leur capacité. Mes yeux aussi s'écarquillèrent et s'emplirent alors d'une aveuglante lumière. Mon éveil brutal avait également saturé mes autres sens d'un torrent d'informations assourdissantes, oppressantes et envahissantes.
Il me fallut batailler mentalement un certain temps, haletant et clignant des yeux à plusieurs reprises, avant de parvenir à faire le tri dans ces innombrables sensations chaotiques. Après quoi, mes sens s'adaptèrent et me revinrent plus clairement.
Le dos allongé sur une surface surélevée, plane et dure, je me trouvais au centre d'une salle carrée de taille modeste et aux murs de pierres. Il y régnait une certaine obscurité, partiellement rompue par une torche qui brûlait à proximité et qui projetait des ombres sur les parois de la pièce.
Un homme se tenait là, au-dessus de moi, une main posée à plat sur mon torse. Mais, caché dans la pénombre ambiante, son visage encapuchonné m'échappa.
«
Kogan ! Kogan ! Allez, lèves- toi ! Il faut partir, et vite ! » Me lança-t-il, répétant mon nom encore et encore comme si cela allait m'aider à me redresser de mon inconfortable position.
Mais j'avais d'autres problèmes en tête. Dès lors que mes sensations étaient revenues en ordre, la première chose que j'avais pu ressentir avait été de la panique. Une grande panique, mêlée de peur. En effet, que savais-je de ma situation ? Rien ... Quel était cet endroit ? Qui était cet homme qui semblait si bien connaitre mon nom ? Que faisait-il là ? Et, par Utu, de quoi parlait-il ?! Cela pouvait fort bien être un piège ...
De plus, et malgré tous mes efforts, je ne parvenais toujours pas à distinguer son visage. Ma vue était encore trop floue et il faisait trop sombre ... D'autant qu'il venait de tourner précipitamment la tête dans la direction opposée, comme s'il s'attendait à l'arrivée de quelque chose, ou de quelqu'un.
Mais je finis par me raisonner. Si cet homme me voulait du mal, il en aurait largement eu l'occasion alors que j'étais inconscient. Il ne se serait pas donné la peine de me réveiller. De plus, il y avait quelque chose dans sa voix qui me poussait à lui faire confiance.
«
... Peux pas ... » Lâchai-je enfin dans un grognement rauque. Rien que le fait de prononcer ces deux mots m'avait demandé un douloureux effort.
«
Alors accroche-toi, Kogan. » Me motiva-t-il. Et, en un instant, une main ouverte apparut dans mon champ de vision restreint.
(
Oui, ben j'ai bien compris que je m’appelle Kogan, c'est bon ! ) Cet homme commençait sérieusement à m'agacer. Mais je n'allais pas gaspiller mes maigres forces à le lui dire, d'autant qu'il était surement mon seul moyen de me tirer de ma situation, quelle qu'elle soit. Je fermai donc les yeux, inspirai profondément, adressai une brève prière à Utu puis, rassemblant toutes les forces que je pouvais, je lançai d'un seul geste mon bras droit en direction de la main que l'on me tendait.
Lorsque mon avant-bras rencontra le sien et que mes doigts se refermèrent sur son poignet, un fulgurant élancement se répandit aussitôt de ma main jusqu'à mon épaule. Cependant, et aussi inexplicable que ce soit, cette intense douleur s'estompa instantanément. D'ailleurs, au même moment, je pus sentir mon corps entier s'apaiser et se décrisper.
Bien sûr, je souffrais encore. Mais ce n'était plus aussi insoutenable et j'étais à présent capable de bouger sans risquer de m'évanouir ou d'aggraver mes blessures. Toutefois, la cause de ce brusque apaisement m'intriguait. Était-ce ma reprise de conscience progressive ? Mon contrôle de moi-même ? Une intervention d'Utu en personne ? Ou bien autre chose ?
Même atténuée, la douleur qui me tiraillait était difficilement supportable. Ainsi, lorsque le bras que j'agrippais entreprit de me tirer vers l'avant afin de me redresser, je n'eus d'autre choix que de clore fermement les yeux et grincer une prière à travers mes dents serrées par l'effort, tentant ainsi de focaliser ma concentration.
«
La douleur n'est qu... » Commençais-je avec difficulté, puisant dans le peu de ressources qui m'était disponible.
«
Qu'une simple information. Et elle ne doit pas représenter une limite physique ... Oui, oui, je sais. » Me répondit-on du tac au tac, avec une pointe de lassitude et d'impatience. C'était toujours la même voix.
En même temps qu'une force étrangement puissante me redressait, assez pour que je puisse passer en position assise, le commentaire me frappa de plein fouet. A l'exception des worans de mon ancienne tribu - que je n'avais pas vue depuis ma capture, quatre ans plus tôt -, j'étais le seul à connaitre cette maxime. Mais qui pouvait bien être cette personne ?
C'est sur cette interrogation que j'ouvris alors les yeux ... pour tomber nez à nez avec un visage que je connaissais.
«
Vous ... » Balbutiais-je, partagé entre la stupéfaction, la curiosité et l'indignation.