Épisode XI - Une évasion qui tourne mal
Au sortir de ma cellule, nous émergeâmes dans un large couloir qui se séparait immédiatement en trois passages. Un à droite, un autre à gauche et un dernier droit devant nous. Celui-ci ne s'étendait que sur quelques mètres avant de déboucher dans une nouvelle salle, tandis que les passages de droite et de gauche se prolongeaient bien plus loin avant de bifurquer parallèlement au premier, disparaissant de ma vue du même coup.
Je ne pus m’empêcher de noter le style - ou plutôt, l'absence de style - de ces lieux. Les couloirs en eux-mêmes étaient droits, géométriques et dénués de tout ornement. Ils avaient visiblement été taillés directement dans la pierre et les responsables de ce travail minutieux ne s'étaient manifestement pas donné la peine de sculpter une quelconque décoration.
Ajoutez à cette architecture l'éclairage sombre et oscillant des flambeaux épars disposés çà et là dans de lourds porte-torches en fer, et vous obtiendrez l'ambiance glauque et inquiétante qui régnait dans ces corridors nus.
Mais Aregh ne me laissa pas le temps d'observer plus en détails ces couloirs à l'allure sinistre. Sans même se donner la peine de refermer la porte derrière lui - après tout, l'alerte était déjà donné -, il bondit sur la droite en m'entrainant avec lui et nous plaqua tous deux contre le mur le plus proche. En effet, à l'instant même où nous fûmes à couvert, la salle d'en face bourdonna brusquement d'activité. A en juger les bruits de pas précipités et le cliquetis des armes, une petite troupe armée d'une douzaine d'individus était en train de la traverser à vive allure.
(
Heureusement qu'ils nous sont pas tombés dessus, ceux-là ... ) Me fis-je la réflexion alors que je tentais de calmer ma respiration saccadée.
Nous restâmes donc ainsi jusqu'à ce que les bruits cessent, guettant les alentours et restant à l'écoute du moindre son.
Je n'avais guère de notion de temps, mais je devinai qu'il s'était bien écoulé deux ou trois minute lorsque je pus sentir Aregh se décrisper, juste à côté de moi. La menace étant effectivement passée, j'en fis immédiatement de même. Puis l'homme des sables me tapota doucement l'épaule et se remit en marche en empruntant le passage de droite. Je n'avais aucune idée de là où il nous menait mais je lui faisais confiance et il avait l'air assez sincère et sûr de lui pour que j'accepte de le suivre sans discuter.
Tandis que nous marchions lentement et discrètement, je remarquai que le mur que nous longions, à notre droite, était muni de nombreuses portes identiques à celle de ma cellule. De certaines s'échappaient quelques gémissements tandis que d'autres laissaient entendre de véritables cris furieux et étouffés par l'épaisseur de la roche. De peur, de douleur, de folie ... qu'importe. C'étaient toutes des geôles. Nous étions dans la prison de la Crête du Serpent, il n'y avait plus l'ombre d'un doute là-dessus.
Chaque pas était une épreuve qui semblait durer une éternité et qui réclamait un effort constant. Le stress étreignait mon esprit, rendant mes mains moites et mon souffle court tandis que mon cœur battait la chamade dans mes tempes et ma poitrine. De plus, et à chaque instant, je devais faire extrêmement attention à ce que mes nouvelles et longues griffes d'acier ne touchent pas les parois en roche polie du couloir dans lequel nous progressions. Au rythme auquel nous allions, il nous fallut plusieurs minutes pour atteindre la fin de cet interminable couloir, qui bifurquait alors en angle droit sur notre gauche.
Quand nous nous approchâmes du croisement, Aregh m'ordonna d'un simple geste de la main d'attendre, le temps qu'il vérifie que le prochain couloir était bien vide. Collé au mur, il s'avança à pas de velours et jeta discrètement un œil de l'autre côté du virage. L'instant d’après, il faisait un pas en avant en se retournant fugacement pour me faire un signe de tête. La voie était libre.
Pénétrant alors dans le couloir de gauche, je remarquai que celui-ci se prolongeait sur une trentaine de mètres pour finalement déboucher dans une nouvelle salle, vivement éclairée et d'où nous parvenaient quelques échos de voix. Le couloir en lui-même, toujours droit et monotone, ne dégageait pas plus de style et d'ornementation que le précédent. On pouvait d'ailleurs y voir les mêmes portes, disposées à intervalle régulier sur le mur de droite ...
Accroupis dans l'ombre, nous progressions avec difficultés lorsqu'un bruit de fond, en plus des divers gémissements qui provenaient des cellules, attira mon attention. C'était un brouhaha, irrégulier et lointain, qui semblait provenir d'en dehors de ces larges murs de pierre et qui croissait sans cesse. Il me semblait entendre le grondement des voix et le fracas des armes caractéristiques d'un affrontement féroce ...
(
Cela expliquerait les cris que j'ai entendu en quittant ma cellule ... ) Songeais-je en conservant mon allure, lente et méthodique. (
Seulement ... Qui pourrait bien être assez fou pour s'en prendre aux Al Maijid et à une forteresse telle que la Crête du Serpent ? )
Soudainement, sans que je ne m'y attende le moins du monde, un hurlement déchirant retentit dans mon dos et résonna dans tout le couloir. Mon cœur faillit s'arrêta et je ne pus retenir un violent hoquet de surprise en me retourna vivement ... pour découvrir un couloir bel et bien vide.
J'étais tellement occupé à réfléchir aux origines du lointain brouhaha étouffé qui m'intriguait tant que je ne compris que trop tard que le hurlement n'était rien d'autre que le cri d'un prisonnier, dans sa cellule ...
Mais le mal était fait. Mon exclamation de stupeur résonna encore un court instant - qui me sembla durer une éternité - puis s'estompa pour laisser place au silence. Un silence oppressant, moite et pénible. Aregh et moi nous étions immobilisés et je pouvais le sentir extrêmement tendu, prêt à réagir s'il le fallait. L’atmosphère devint alors si lourde et si écrasante qu'il me semblait que même le temps s'était arrêté ...
L'espace d'une seconde, je crus bien que ma maladresse était passée inaperçue. Mais l'espoir fut de courte durée.
«
Qui est-là ?! » S'exclama une voix depuis la salle qui nous faisait face. Puis, au même moment, dans la lumière de celle-ci, se détacha une sombre silhouette humaine, un sabre à la main.
Elle eut un instant d'hésitation puis sursauta et brandit son arme en reculant d'un pas. Nous étions vus ...
«
Intrus, mes frères ! Des intrus dans le couloir Est !! »
Aregh jura sous son masque puis, aussi vif qu'un éclair, bondit sur ses pieds et détala à toutes jambes vers là d'où nous venions. Je m'apprêtais à le suivre, ne comprenant pas pourquoi il s'enfuyait ainsi, mais il m'en empêcha.
«
Occupe-toi de celui-là ! Je me charge des autres ! Le laisse surtout pas filer ! » Lâcha-t-il à la vas-vite en me passant devant sans même m'adresser le moindre regard. Il ne m'avait pas appelé par mon nom ... la situation devait être extrêmement grave !