Felixis réfléchissait déjà à la seconde leçon qu’il allait devoir enseigner à sa jeune élève. Elle avait besoin de tout apprendre pour devenir une redoutable combattante et pouvoir un jour espérer venir à bout des Shaakts de Khonfas. Ils étaient agiles, sauvages et redoutables. La pitié ne faisait pas partie de leurs mœurs et ils agissaient comme de véritables machines à tuer et à torturer, n’épargnant rien sur leur passage.
Une ombre passa soudain dans le cœur du Maître d’Armes qui vit dans son esprit le mal s’abattre sur Lilie. Sa motivation à la former à la perfection était décuplée par ces visions et il ne perdit pas plus de temps à s’égarer dans ses pensées. Lilie était encore capable d’apprendre l’un ou l’autre rudiment de combat pour cette séquence d’entraînement et il fallait en profiter avant que la fatigue ne la gagne.
Lilie était restée là à souffler un peu, observant les autres combattants Orgamii. Elle et son Maître se trouvaient dans un coin de la pièce et Felixis finit par l’attraper pour la conduire un peu plus au centre, cherchant à lui faire de la place pour la suite des évènements. Cette fois-ci, il allait essayer de transmettre ses connaissances de façon un peu moins théorique, mais il se devait de présenter rapidement ce qu’il était sur le point d’enseigner. Son air enjoué ne le quittait pas et il se frottait à présent les mains, faisant signes aux autres de bien s’éloigner.
« Nous allons maintenant passer à l’étude de la technique de combat appelée la Charge Armée. C’est là encore un moyen d’entrer dans une bataille, un peu moins élégamment. Femme ou pas, vous devez savoir entrer dans le combat au mieux, lorsque, ce coup-ci, vous êtes encore à assez bonne distance de votre ennemi. »Felixis installa un mannequin en tissu rembourré contre le mur et s’éloigna d’une dizaine de mètres de ce dernier. Il dégaina l’arme aux côtés de Lilie et l’invita à faire pareil, lui indiquant que le but était de foncer de toutes ses forces, et toutes lames devant, en direction de cet ennemi supposé redoutable, bien que manifestement immobile. L’elfe se mit alors à visualiser, dans son esprit, l’image d’un Shaakt dégoutant prêt à en découdre avec elle et se jeta en avant sans plus attendre, n’essayant plus, cette fois-ci, de copier tous les faits et gestes de son professeur, mais de réfléchir à agir au mieux.
Les pas s’enchaînaient, Lilie bondissait vers sa cible et lorsqu’elle parvint au bout de cette course elle tendit son arme sans trop savoir la stabiliser. Son coup rata et la lame vint finir son attaque dans le mur argileux derrière le mannequin de tissu. Quelques rires discrets retentirent dans la pièce, mais ils furent vite calmés par le regard réprobateur de Felixis. Il savait se montrer amusant et affable lorsqu’il le voulait, il ne fallait apparemment pas le chercher.
Lilie quant à elle était un peu gênée de s’être montrée si malhabile. Courir et enfoncer une cible immobile ne paraissait pourtant pas si difficile que ça, alors pourquoi avait-elle échoué ?
Elle s’était préparée à interroger son Maître sur les erreurs qu’elle avait manifestement commises, lorsque tout devint clair dans son esprit.
« Je n’ai même pas pensé une seule seconde à essayer de stabiliser mon arme ! C’était ça le problème, pas vrai ? »Elle était peut-être honteuse de son échec, mais fière de sa déduction qui venait d’elle-même. Felixis ne put qu’acquiescer, et se retenant de lui donner quelques explications quant à la façon de s’y prendre pour maintenir à hauteur plus ou moins précise son arme, l’enseignant invita Lilie à recommencer.
Dans la tête de Lilie, stabiliser l’épée allait donc devoir passer par une bonne posture et l’adaptation de ses muscles des bras et de son torse au mouvement régulier des pas durant sa course. Tout devait être bien calibré, adapté : lorsque son corps était en extension, ses bras devaient rester un peu vers le bas, et inversement durant la prise d’appuis sur le sol. Cela ne semblait pas bien dur dans son esprit et déjà ses muscles travaillaient à s’appliquer à cette tâche sans courir, car la rôdeuse faisait du sur place.
« Allons allons maintenant, Mademoiselle Lilie, réessayez donc ! Faites ça le plus naturellement possible, sans calcul, spontanément, pour voir si vous vous en sortez un peu mieux maintenant que vous avez compris la clé importante de cet enseignement ! »La Taurion avait rangé sa lame au fourreau et elle se remit donc en position sous le regard discret des combattants de la salle qui prêtaient de plus en plus attention à son propre entraînement. Elle était incapable de dire pourquoi, mais il ne faisait aucun doute que ces yeux braqués sur elle avaient de quoi la mettre mal à l’aise.
Elle essaya donc de faire le vide dans sa tête. Après tout, en combat, tout n’allait pas être reposant et détendu, et un peu de tension en cet instant ne pouvait pas lui faire du mal, elle devait surtout apprendre à la canalyser pour mieux l’exploiter.
« Bon et bien… à l’attaque ! »Son petit cri de guerre résonna dans la grande salle d’entraînement, et la charge réitérée fut bien meilleure : elle vint, à la fin de sa course, se figer droit dans le torse du mannequin qui fut cette fois-ci transpercé puis projeté contre le mur du fond. Elle était parvenue, tout naturellement et sans s’embrouiller l’esprit, à utiliser cette méthode de stabilisation de son corps et de sa lame, et même si elle sentait que la charge lui faisait inéluctablement en précision, elle se sentait tout de même victorieuse.
« C’était très bien, future Gardienne ! Mais vous n’êtes pas au bout de vos peines, hélas ! »Un air amusé sur le visage de Felixis indiquait à la jeune elfe qu’une nouvelle surprise lui était réservée. Maintenant qu’elle était capable d’enfoncer une cible immobile, elle allait devoir faire face à une cible en mouvement, qui en plus, était assez imprévisible pour elle.
« C’est déjà pas évident de s’en tirer bien avec un mannequin qui ne bouge pas ! Alors là…»Lilie voulut protester, arguant qu’elle n’était pas encore très douée avec son épée, mais Felixis ne voulut rien entendre, esquivant de façon toujours aussi guillerette sa plainte, préférant s’atteler à l’installation du matériel mouvant.
« Voilà, tout est prêt ! »Au fond de la grande salle d’entraînement aux couleurs ocre, le mannequin statique avait laissait sa place à des rails sur lesquels reposait un rondin de bois. Felixis allait le contrôler à l’aide d’un petit mécanisme de cordage et Lilie allait devoir se débrouiller pour planter sa lame le plus proche possible du centre du rondin, tâche qui lui semblait d’ailleurs éminemment difficile. Lilie était loin de se douter de tout ce qui allait l’attendre encore durant ses prochaines heures d’entraînement avec son Maître d’Armes, mais à présent il valait mieux ne pas y penser et se laisser le temps d’assimiler tout ce qu’elle devait maîtriser.
« C’est parti Lilie ! C’est quand vous voulez ! »La cible avait commencé à s’agiter, et c’était donc une nouvelle donnée que Lilie devait prendre en compte. Son cerveau travaillait à toute vitesse pour contrôler chacun de ses muscles en finesse, sans oublier qu’il lui fallait aussi mettre toutes ses forces dans son arme devenue redoutable.
Cette partie de l’entraînement lui donna beaucoup de fil à retordre, exigeant de Lilie une rigueur sans pareil. Mais finalement, à force d’essais et d’erreurs, elle parvint à un résultat probant : la lame fichée dans la cible avait été si profondément et violemment enfoncée qu’elle en eut du mal à l’extraire…
« Mort aux Shaakts ! », finit-elle par dire en s’imaginant une fois de plus sa victime agonisante sous l’effet de sa rude attaque. Peut-être que grâce à cette technique, elle serait capable de tuer son ennemi directement sans avoir besoin d’échanger des coups, mais ça, ça allait être un autre apprentissage à venir…
« Bon, nous en avons fini pour cette séquence d’enseignement militaire ! Cela fait déjà plusieurs heures que nous nous entraînons et vous devez être exténuée. Allez vous reposer… »Felixis, aussi nonchalant qu’il l’était, ne songea même pas un seul instant au fait que la jeune femme ne disposait d’aucun ‘chez elle’ pour se reposer.
« Où puis-je aller ? Marty ne m’a pas dit ce que je devais faire après ce moment d’entraînement avec vous. »Une boule d’angoisse fit alors soudainement son apparition dans la gorge de la Taurion. Repenser au fait qu’elle n’avait aucun pied à terre refaisait surgir en elle d’archaïques angoisses qu’elle était obligée de supporter malgré tout pour ne pas perdre la face. Elle s’était montrée brillante durant toute la durée de l’entraînement et elle ne voulait pas que les choses changent.
« C’est en effet un peu problématique…et bien, je vous invite à aller retrouver Marty dans le quartier des Guérisseurs ! C’est juste à côté en sortant du centre d’entraînement ! Il vous trouvera bien quelque part où dormir ! »Lilie allait pour la première fois devoir s’aventurer seule à l’intérieur de cette ville de Selarim. Même si ça ne l’enchantait pas le moins du monde, elle allait devoir passer beaucoup de temps en ces lieux, alors autant s’y habituer le plus rapidement possible plutôt que de devoir vivre aux crochets des autres.