"Laissez-nous."Les deux miliciens qui m'encadrait me relâchèrent à contrecœur et exécutèrent un salut avant de quitter la pièce.
Ils claquèrent la porte en sortant, m'abandonnant seul face à Ellias.
Ce dernier me fixait de ses yeux verts, se tenant le menton à deux mains et en laissant reposer ses coudes sur son bureau... Il ne portait ni armure, ni épée, le rendant ainsi encore plus menaçant.
Je me tortillais nerveusement, mal à l'aise sous son regard inquisiteur.
La pièce dans laquelle on m'avait mené était dénudée, le seul meuble se résumant à celui auquel était accoudé Ellias. Un grand blason de la milice rehaussé des armoiries de l'officier trônait sur le mur derrière lui, renforçant l'impression d'autorité du capitaine et rappelant à tous sa puissance. Sa propre armure (une œuvre d'art de plates frappées de glyphes d'or) était engoncée sur un mannequin prévu à cet effet, installé à la droite du blason.
"J'étais en train de revenir quand ils me so...""Fermez-la.""Bien capitaine."Il détourna les yeux (à mon grand soulagement) pour examiner les effets que les deux miliciens m'avaient confisqués, à savoir mon épée et les vestiges de mon casque. Ils m'avaient toutefois "autorisé" à garder mon armure, laquelle pendouillait lamentablement au bout de ses sangles, me donnant ainsi un aspect négligé.
Il fit tourner ma lame dans sa main et mima quelques passes d'arme à plusieurs reprises en restant assis avant de la reposer.
"Vous me posez beaucoup d'emmerdes Boer" déclara-t-il de but en blanc.
"Je sais capitai...""Fermez-la."Je me raidis, prêt à dire quelque chose mais me ravisais au dernier moment: inutile de continuer à s'enfoncer.
"On a pour habitude d'exécuter les déserteurs... Mais je pense que ça n'arrangera ni vous, ni moi. Vous parce-que vous allez mourir et moi parce-que je manque d'hommes depuis les évènements tragiques d'il y a trois jours..."(Trois jours? Je croyais n'avoir dormis qu'une nuit!)L'autre commença à examiner mon casque sous toutes les coutures et me demanda sans même me regarder:
"Comment va votre amie velue?""Capitaine? De quoi parlez-vo..."Il se leva brutalement, le visage empourpré par la colère:
"Finissez votre phrase et je vous balance votre saloperie de casque dans la gueule! Où? Où est-elle? Où est passée la liykore? Les deux miliciens qui étaient sortis entrèrent en trombe dans la pièce, armes au poing, le vacarme soudain les ayant alertés.
"Capitaine? Que...""Barrez-vous!" leur mugit Ellias.
Il s'affala sur son siège à leur départ, l'air soudain très fatigué.
"Vous êtes un abruti Boer, un sacré abruti... Avez-vous la moindre idée de ce que vous foutez? Savez-vous seulement combien d'hommes sont morts pour la capturer? Six hommes. Six enfants de putains comme vous pour capturer cette saloperie en plein jour! Elle était à moitié aveuglée et elle en a tué six! Et vous pauvre con, vous l'aidez à s'évader..."Il m'applaudit d'un rythme délibérément lent.
"Vous pensiez peut-être vos secrets bien gardés? Boer Morington, orphelin à neuf ans, voleur peu talentueux de la "lame de l'ombre" à treize ans et enfin milicien à dix-neuf ans... Ne prenez pas cet air surpris; avec une bourse bien remplie on obtient beaucoup de renseignements..."Je serrais les dents, ne pouvant rien faire: le tuer? Avec quelles armes? Mon fourreau pendait vide contre ma jambe alors que ma lame se languissais sur le bureau d'Ellias!
Et de toute façon, quel intérêt? Je serais mort avant même de sortir du poste...
"Que faisons-nous alors capitaine? Je n'ai aucune idée d'où elle se trouve et elle n'a eu aucunement besoin de mon aide pour s'évader..."Il me fixe pendant quelques secondes et se contente de me dire:
"Vingt et un.""Pardon?""Vingt et un. C'est le nombre de soldats qui sont morts à cause de vos conneries. Vous auriez dû voir dans quel état on a retrouvé ceux qui étaient de faction du côté des cellules et vous comprendriez à quel point vous vous êtes trompé à son sujet... C'est une tueuse Boer! Une saloperie de meurtrière! Et vous, vous la nourrissez! En volant dans les cuisines! Il nous aurait juste suffit d'attendre qu'elle meure de faim mais non! Vous la nourrissez! Vous a t-elle confié ce qu'elle a fait de son maître?"Je fis non de la tête tout en souriant intérieurement... Ellias parlait avec répugnance d'assassins alors qu'il a eu lui-même recours à leurs services dans le passé pour s'assurer une promotion rapide... Mais il avait toutefois raison sur un point: Skula est dangereuse, malgré l'apparente sympathie qu'elle semble dégager (envers moi bien sûr, les autres ne voyant d'elle qu'une masse informe de poils et de crocs essayant de leur arracher la gorge).
Il poursuivit:
"On l'a retrouvé mort dans sa résidence de bord de mer, terriblement mutilé... Elle l'a torturé et d'après les domestiques terrorisés présents, très longtemps. Les hurlements du marchand se sont entendus à des lieux à la ronde! Je ne parle même pas de l'état de son mage assermenté; c'est celui qui a le plus souffert semble-t-il. Quoiqu'il lui ait fait, elle lui en a fait baver: ce n'était guère plus qu'un homme-tronc quand les gardes ont aperçu son cadavre...""Je compte quitter la milice capitaine."Ses yeux s'étrécirent, me fixant comme si j'étais soudainement devenu idiot (ce qui ne changeait pas grand-chose concernant son opinion générale à mon égard).
"Vous allez quoi?""Quitter la milice mon capitaine.""Vous êtes indirectement responsable de la mort de vingt et un miliciens, ainsi que du double parmi les insurgés et vous croyez qu'on va vous laisser partir?""Ca me semble la meilleure chose à fai...""Fermez-la."J'attendis sa réponse dans un silence tendu: il pouvait me tuer. Il en avait les pouvoirs et aussi les capacités physiques... Je n'avais plus qu'à espérer que son envie de se débarrasser de moi soit aussi forte que la mienne de se débarrasser de lui (le tout sans dégainer une épée bien sûr, ce qui serait tragique pour moi en premier lieu et pour lui ensuite quand la liykore lui aura mis les griffes dessus).
Un sourire carnassier s'étendit sur ses lèvres:
"Bien. Soit. Je vous laisse partir... Mais à une seule condition."(Evidemment...)"Nous avons reçu récemment une forte donation de la part de gros cartels commerciaux afin de réduire au silence une société d'import-export... Je manque d'hommes et vous semblez être en meilleur état que la plupart de vos camarades de section."(Non... Pas ça, pas à moi...)Il continua d'une voix mielleuse:
"Je vous fait donc cette petite proposition; une dernière mission pour notre compte et on vous laisse partir Boer. Vous avez le choix. Une exécution dans la cour avec votre propre épée ou bien un dernier travail pour la milice... Rémunéré bien entendu..."En ricanant, il posa une bourse sur son bureau... Ma bourse. Celle où résidaient quatre années d'économies afin de préparer ma nouvelle vie. Cette même bourse que je croyais si bien cachée...
"Alors? Votre choix? Du l'or ou du fer? La vie ou la mort? Qui plus est, j'ai cru comprendre que vous aviez déjà une petite expérience de ce genre d'opérations non? Boer l'orphelin..."J'aurais eu mon épée, je me serais jeté sur lui. Raviver ainsi des souvenirs aussi douloureux tandis que son petit monde s'écroule autour de soi est une expérience que je ne souhaite à personne. Je ne pu donc que le regarder se jouer de moi en serrant les poings... Refuser son offre équivalait à perdre tout ce pour quoi je m'étais battu: cette nouvelle vie à laquelle j'aspirais tant et qui m'avait fait perdre toutes les personnes que j'aimais pour une poignée de yus... J'avais perdu Runat' pour cette stupide raison et si je m’étais contenté de continuer à servir la lame de l'ombre, notre destin aurait été tout autre.
(Qu'es-tu donc devenue maintenant?)Accepter au contraire revenait à exécuter le même type de boulot qui m'avait fait perdre mes parents... En inversant les rôles cette fois-ci.
Ellias me tenait par les couilles et il le savait: j'étais dans le deux cas perdant et par certains côtés, la mort était préférable... Car j'avais fait mon choix: j'allais accomplir un meurtre de sang froid pour ne pas perdre tout ce que j’avais bâtis sur quatre longues années. Je me haïrais pour cela je n'oublierais sans doute jamais mes actes mais j'avais trop perdu dans cette histoire pour abandonner maintenant. Je voulais vivre! Continuer à lutter! Plonger ma lame dans le corps de ce maudit elfe, Iriel!
Je maudissais Ellias pour ce qu'il allait me forcer à faire mais de toute façon, ces gens étaient condamnés... Que je vive ou que je meure ne leur épargnera pas la vie. Les cartels ont payés, la milice est lâchée...