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Iyaroak me rassure concernant mes capacités, me disant que mon sort n'était pas issu de la transformation des fluides en moi. Il me fait ensuite signe – ainsi qu'à Yakone, toujours présente – de le suivre jusqu'à l'arrière-boutique, une grande salle qui semble plus proche d'un terrain d'entraînement que d'un dépôt.
« Je vais d’abord vous en faire la démonstration, puis je vous expliquerai comment vous y prendre, » me fait-il.
Puis, joignant le geste à la parole, il se place à un bout de la pièce, où nous le rejoignions très rapidement, et se concentre. Sa main s'enrobe alors de volutes d'ombres semblable à la manifestation du muutos lorsque je lui laisse prendre le dessus. Mais très vite, les volutes se concentrent, formant une orbe sombre au creux de sa main. D'un geste, il la lance alors en l'air, où elle se déplace lentement jusqu'au centre de la pièce avant d'éclater en une multitude de petites étincelles noires, tombant sur une surface de quelques mètres. Je suis restée stoïque pendant toute la démonstration, ne sachant trop quoi attendre, mais je dois maintenant m'avouer intriguée. Quels dégâts aurait provoqué chacun de ces fragments si une cible faite de chair et d'os s'était trouvée à l'endroit de l'impact ? Une certaine curiosité malsaine s'empare de moi. J'ai hâte d'essayer ce sort sur quelqu'un, d'observer les effets de ma magie nouvelle d'ombre sur un ennemi. Mais avant cela, il faut apprendre à maîtriser ce sort.
« Ca a l'air efficace, » fais-je à l'attention de mon professeur improvisé. « Mais c'est... lent... enfin, je suppose que ça ne pouvait pas être parfait. »
Je lève alors ma main droite devant moi, paume vers le ciel, tout en suivant les instruction de Iyaroak. Ou du moins, en essayant de les suivre, car je bloque à la première étape. Amener mes fluides à se manifester ? Et comment suis-je censé faire cela, au juste ? Je ne comprends même pas comment les contrôler, comment les manifester, et si ce que dit le Tisseur est vrai les seules choses se rapprochant de la magie que j'ai jamais faites, à savoir le contrôle du muutos et cette invocation d'ombre, n'ont rien à voir avec le lancement d'un sort conventionnel. Je n'ai pour ainsi dire jamais utiliser la magie de ma vie, à part de manière absolument accidentelle et incontrôlée. Comment utiliser une partie de soi dont on ne soupçonnait même pas l'existence quelques minutes plus tôt ? Une chose si invisible et impalpable que je ne saurais même pas déceler sa présence en moi ? Et je dois transformer cette énergie inconnue en une sphère noire ? Je chasse ma frustration et mes doutes de mes pensées, me reconcentrant sur mon membre, toujours tendu devant moi. Et puis, enfin, une fumée noire enrobe ma main. Une fumée qui n'est autre que le muutos.
Je laisse s'échapper un soupir d'agacement entre mes dents avant de laisser retomber mon bras le long de mon corps. Je m'y prends mal. Comment suis-je censé manifester mes fluides au creux de ma main alors que je n'en saisis pas encore la nature ? Il est évident que je dois prendre pleinement conscience de ceux-ci avant de m'atteler à cette étape. Je ferme alors les yeux et régule ma respiration utilisant mes techniques de méditation pour me concentrer sur mes muscles, mon épiderme, toutes les fibres de mon corps et de mon être. Les secondes sont des minutes, les minutes des heures, mais le temps n'a plus d'importance ici et, petit à petit, je prends conscience de chaque particule qui me compose, de la plus physique à la plus spirituelle. Ce n'est pas la première fois que j'effectue cette introspection, mais la dernière remonte à plusieurs années. Cependant, il ne m'est pas difficile de trouver une énergie étrangère dans ce labyrinthe de sang et de chair. Une énergie puissante et inconnue. Une énergie noire et effrayante. Une énergie étrangère et pourtant ô combien familière.
J'ouvre soudain les yeux et tend de nouveau ma main devant moi, paume vers le haut. Je fais appel à cette énergie brut qui semble trouver racine au plus profond de mon être et la façonne lentement en une masse sombre, informe et vaporeuse que je libère de mon membre tendu. D'abord, cette fumée noire semble émaner de tout mon avant-bras, mais très vite je concentre cette énergie autour de ma seule main, comme l'a fait Iyaroak quelques secondes – à moins que ce ne soit des minutes ? – plus tôt. C'est une première victoire, mais quelque chose me dit que c'est un acte tout à fait anodin pour quelqu'un d'habitué à manier les fluides. Je n'ai jamais fait que matérialiser ceux-ci en quelque chose de concret, mais ce n'est là que la base d'un sort, il me reste à appliquer tout ce qui fera de cet amas d'énergie une attaque concrète et efficace.
La deuxième étape, qui consiste donc à condenser ces fluides en une sphère, se révèle plutôt difficile. Je me retrouve d'abord dans l'incapacité complète de donner une forme quelconque à la manifestation de mes fluides. Si je parviens plus ou moins à contrôler l'endroit où je veux la faire apparaître, ou la quantité de fluides que je veux administrer dans cette aura, je suis parfaitement inapte à la transformer en autre chose qu'une volute. Non pas que la tâche soit physiquement ou spirituellement compliquée, non. Je ne sais tout simplement pas comment m'y prendre. Encore une fois. C'est après plusieurs tentatives infructueuses que me vient soudain une idée. Je referme les yeux, pour plus de concentration, et visualise mes volutes se concentrer au cœur de ma main, je les visualise se faire happer par un point d'ombre, se condensant en une sphère. Et alors que je l'imagine, je sens la manifestation fluidique esquisser les mêmes changements autour de mon membre. C'est à ce moment là que je sens que l'énergie n'est plus en moi. Je sens qu'elle a finalement quitté mon corps, qu'elle s'est enfin manifestée en un sort. Et c'est à la fois enivrant et éreintant. Lorsque j'ouvre mes yeux, une boule noire et inquiétante trône dans ma paume. Je la lance alors en l'air, à l'instar de Iyaroak quelques minutes – à moins que ce ne soit des heures ? – plus tôt.
Hélas, il semblerait que j'ai crié victoire trop tôt. En effet, arrivée à sa destination, la sphère explose en quelques pathétiques petites étincelles sur une surface tellement réduite qu'elle en ferait peine à voir. Un nouveau soupir d'agacement traverse mes lèvres. Mais je crois savoir ce qu'il manquait à mon sort. Je retends alors la main devant moi et ré exécute chacune des étapes maîtrisées, jusqu'à avoir de nouveau cette grosse sphère noire au creux de ma main. Et alors, avant de libérer le sort, avant de lâcher mon emprise sur celui-ci, je visualise de nouveau cette boule. Je la visualise se contracter, se condenser encore plus et se densifier alors que son volume s'amoindrit jusqu'à ne faire que la moitié de sa taille initiale. Et, cette fois, lorsque je la lance, la sphère éclate en une multitude d'éclats sombres et inquiétants.
Je me tourne alors vers Iyaroak, à la fois épuisée et quelque peu fière de moi. La démonstration ne doit rien avoir de particulier pour lui, peut être même paraît-elle bien pâle et faiblarde, mais pour moi c'est un exploit d'une nature nouvelle.
« Désolée que ça ait pris tant de temps, il semblerait que je ne sois pas très douée en magie. Néanmoins, merci, ce sort pourra très certainement m'être utile. »
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Merci à Dame Itsvara pour la signature
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