Hélas, la belle se borna à lui répéter ce qu'il savait déjà : que la magie était différente ici. Avec un soupir de frustration, il poursuivit sa route.

Le soir tomba en même temps que de gros flocons. La visibilité diminuait et avancer devenait plus difficile, si bien que ce fut un soulagement quand le chef des gardes proclama qu'ils allaient bientôt faire une pause.

De fait, ils arrivèrent à un campement où se trouvaient quelques rudes soldats, auxquels la princesse expliqua leur désire de se reposer ici. Apparemment, tout les yuiméniens ainsi que l'homme en noir allaient dormir dans une même yourte Azra sentit son visage s'empourprer à l'idée de dormir avec d'autres gens. Cela faisait... seigneur corbeau, cela faisait plus d'un an qu'il n'avait pas dormi aussi près d'inconnus ! Bien sûr, dormir dans les maisons d'Omyre était un peu comme ça, et il y avait de l'espace, mais là... il ne comprenait juste pas comment ils allaient tous tenir dans une de ces petites tentes.
Les mercenaires comme Azra allaient tous devoir partager la même tente. Cette seule nouvelle suffit à miner le morale déjà légèrement défaillant du jeune homme. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas été forcé de se coller à d'autres. Comme en plus, visiblement, personne ne l'aimait ormis le sinari...
Il se présenta devant la yourte dans laquelle était déjà entré Mathis et l'homme en noir et entendit le bellâtre parler d'Omyre. Il semblait à peu prêt bien renseigné, parlant des garzok et des sekteg, mais ses connaissances semblaient tout de même assez vague.
Azra entra alors :

« Vous prétendez connaître nos ennemis ? Bah, il en faut plus que les voir de loin pour les comprendre... »

L'intérieur semblait assez chaud, mais ils allaient quand même être serrés. Azra s'installa sur une couverture. Il se tourna vers l'homme à la peau noire :

« Peu de gens connaissent vraiment Omyre, la reine noir est impitoyable avec les étrangers. Heureusement, cette chienne à trop de chiot à commander pour pouvoir avoir l’œil partout. C'est notre chance. On raconte que ses troupes ont gagné chaque bataille où elle est apparue en personne. Mais peut-être, n'osera-t-elle pas si la magie est différente ici... Personne ne veut m'expliquer. Peut-être pourrez-vous le faire, vous-même ? Si la magie ne fonctionne pas, nous serons peut-être à l’abri d'Oaxaca. En revanche, je crains de ne pas vous être d'une grande aide... »

A la réplique d’Azra quant à mieux tenir sa bête, Rosie fronça les sourcils tout en donnant un coup sur les rennes de son cheval qui tentait de ralentir et dévier de sa trajectoire. S’il parlait de la piètre façon dont la jeune femme se débrouillait avec sa monture, elle faisait de son mieux. S’il osait plutôt lui signifier de calmer Mérové, elle ne le prendrait pas. L’ours n’était pas une vulgaire bête apprivoisée à qui elle avait appris assis et couché. Elle n’avait aucun réel contrôle sur lui autre que sa confiance et sa fidélité.

Elle ne fit rien. Mérové pouvait bien faire ce qu’il veut, ça lui était égal. S’il voyait une menace dans ce loup, elle ne vit pas pourquoi elle n’en verrait pas autant. Toutefois, n’étant pas de mauvaise foi et voulant s’éviter plus de problème elle tenta sans grande conviction de calmer son compagnon.

« shhhut, Mérové. Tout va bien, reste près de moi. »

Elle leva les yeux pour voir si Azra était satisfait, mais celui-ci avait déjà les pensées bien loin auprès de la princesse. Ce fut une sorte de soulagement pour la jeune encapuchonnée de rouge qui constata que l’ours n’avait pas vraiment baissé la garde et continuait de lorgner le loup, mais juste d’un petit peu plus loin.

Quel ne fut pas son soulagement lorsqu’on leur annonça qu’on camperait pour la nuit. Rosie ne souhaitait plus qu’une seule chose, mettre pied à terre. Elle était particulièrement épuisée, sa monture lui ayant offert tout un voyage, le froid n’aidant pas la chose. Elle porta que très peu attention à leur hôte, notant surtout son agacement et ses muscles. On leur assigna une yourte. La semi-elfe ne se fit pas prier deux fois pour descendre de son cheval qu’elle tira sans attention jusque-là où Mathis avait installé sa jument. Elle allait partir sans un regard, mais fut pris de quelques remords et revint pour tenter une caresse avec précaution.

« S’il te plait, soit gentil demain et je le serai aussi. Le voyage sera tellement plus agréable pour nous deux. »

Elle s’était adressée au cheval sur le même ton qu’elle prenait pour Mérové. Si seulement sa bête pouvait se montrer plus docile. D’ici demain, elle trouverait bien quelque chose pour attirer ses bonnes faveurs.

En s’approchant de la yourte, Mérové à ses talons, Rosie surpris une conversation assez sérieuse à propos d’Omyre et d’Oaxaca. Elle en ignorait beaucoup sur le sujet. Elle se retourna vers Mérové placide et se colla contre lui pour profiter un instant de la chaleur de sa fourrure. Alors qu’elle se réchauffait tout en le caressant de ses fins doigts gelés, elle lui murmura doucement à l’oreille :

« Tu ne peux pas rentrer avec moi, mais je veux que tu restes ici tout près. Monte la garde et n’hésite pas à venir me voir si quoi que ce soit te semble louche. »

Elle lui embrassa le front.

« Ne part pas chasser et reste ici, du moins pour la nuit. Tu as entendu ce qu’a dit le monsieur? Les nuits sont dangereuses, peut-être même pour toi. »

L’ours se contenta de lui lécher la joue, ce qui arracha un « beurk » affectueux à Rosie et plia ses pattes sous lui et engouffra son nez dans son poil, son corps formant une énorme boule de fourrure. La fatigue l’avait atteint lui aussi.
Rosie pénétra donc la tente à son tour en s’essuyant la joue de la bave de Mérové et s’installa non loin de l’entré et s’enroula complètement dans sa cape, attentive à la conversation qui avait lieu.

C’est à ce moment que Rosie constata d’ailleurs, que cette mission comptait beaucoup d’hommes.

L'homme noir expliqua alors que la magie était au contraire bien plus puissante ici, mais qu'elle se nourrissait de la force vitale des gens. Aussitôt, la voix dans la tête d'Azra se réveilla :

(Hum... que n'ai-je pas connu ce monde plus tôt ! Il y aurait bien des expériences à faire ici... Il faudra que j'y retourne !)

L'homme demanda ensuite si les garzok et les sekteg maîtrisaient la magie et si Oaxaca risquait de venir en ce monde. Azra, qui s'efforçait de digérer son discours, sentit des tremblements dans sa voix.

« Pourquoi ne viendrait-elle pas ? En vérité, ce n'est peut-être pas pour attaquer Oranan qu'elle vient ici... mais bien pour diriger ce monde et s'approprier son pouvoir ! Si la magie est si puissante que vous dites... »

La voix de Chandakar explosa dans son esprit en un hurlement de rage dont il donna bien vite l'explication. Azra sursauta et répéta ce qu'il disait :

« Par Phaïtos ! Le conseiller nous a dit que la lande noire contenait même le pouvoir de créer la vie, tant la magie y était grande ! Bon sang, bien sûr que nous devons la craindre ! C'est une demi-déesse ! La plus grande magicienne de notre monde ! Elle n'utilise pas vraiment la magie : la magie fait partie intégrante d'elle... Si elle vient en personne... Tout ce que nous pouvons espérer, c'est qu'elle ait peur. Si elle a un peu de sagesse, elle redoutera de venir ici trop vite, de crainte de déclencher un cataclysme... »

Il bascula la tête en arrière et prit une inspiration. Il préférait détourner son esprit de ces horribles pensées et continuer à répondre aux questions de l'esserothien, même si elles étaient adressées au bellâtre Mathis, à la base...

« Pour ce qui est des garzok et des sekteg, ils peuvent bien sûr utiliser la magie, bien que je n'ai jamais vu un sekteg le faire... Quant aux garzok... »

Il se rappela ce qu'une des guerrières avait dit dans l'arène.

« Selon la légende ils auraient été les premiers magiciens de notre monde. Ils ont l'air rustre et stupides, mais ce n'est qu'une apparence. Ils sont capable de plus de subtilité qu'il n'y paraît. Oui, certains sont des magiciens, et parfois d'excellents... »

Impoli un jour, impoli toujours. Alors que j’entamais une discussion avec Egregor, l’homme au loup entra dans la yourte et se mêla à la conversation sans plus de préambule affirmant de façon condescendante que les voir de loin ne suffisait pas à comprendre l’ennemi. À cette remarque, je rétorquai aussitôt, sur un ton confiant.

« Pour avoir combattu des gobelins qui m’ont attaqué sournoisement pendant la nuit, je peux considérer les avoir vus d’assez près pour être en mesure d’en parler. »

À mon grand étonnement, le dénommé Azra posa une question pertinente au sujet de la magie qui règne sur Aliaénon. Vraisemblablement très fier de son monde et des pouvoirs magiques dont ils disposent, Egregor, d’une voix sévère, expliqua que leur magie au moins dix fois plus puissante s’avérait par le fait même plus dangereuse et réellement plus épuisante. Je compris alors ce qui était arrivé au blondinet du groupe d’Esseroth. Il avait tant épuisé ses forces, qu’il peinait à se tenir debout.

Se tournant alors vers moi, l’homme aux yeux rouges me questionna sur les pouvoirs des peaux vertes et sur les intentions d’Oaxaca. J’ouvris la bouche pour répondre, mais le jeune homme sans manières s’empressa de me couper l’herbe sous les pieds. Bien que froissé de tant de manque de savoir-vivre, je ne laissai rien paraître et me contentai d’écouter ce qu’il avait à dire. Sur Oaxaca, il en connaissait beaucoup plus que moi.

Perplexe, je regardai Egregor. Il était on ne peut plus clair qu’il accordait beaucoup d’importance à la magie, allant même jusqu’à mépriser ceux qui en étaient dépourvus. Il oubliait qu’il y avait toujours deux côtés à une médaille. Si leur magie était leur grande force, elle pouvait aussi s’avérer leur perte. L’épuisement de leur compatriote en était un bel exemple. Sachant le citoyen d’Esseroth très susceptible et ne voulant pas être une fois de plus sa cible, je pris le temps de bien choisir mes mots.

« Comme le dit si bien Azra, les orques et les gobelins peuvent effectivement détenir des pouvoirs magiques, mais il nous est impossible d’en connaitre la proportion. »

Jusqu’à présent, je n’avais rien dit qui pouvait insulter Egregor, la suite de mes propos était plus délicate.


« Puisqu’ils ne connaissent pas la puissance de votre magie, ces ennemis, les détenteurs de magie du moins, s’épuiseront sûrement très vite. Une fois qu’ils seront vulnérables, il sera plus facile de les exterminer. Cependant, nous devrons être vigilants. Les segteks sont fourbes, rusés et doués d’une réelle agilité, ils pourront eux aussi tenter d’exténuer les porteurs de magie. »

Tout en demeurant sur mes gardes, au cas d’une nouvelle attaque de sa part, je terminai mon petit discours.

« Je crois que la force de notre troupe réside dans la différence ! Les forces des uns compenseront pour les faiblesses des autres et vice versa. Ne sous-estimez pas les sans-magies, nous pourrons vous être plus utiles que vous ne l’imaginez !»

Je lâchai un petit regard à Rosie puis à Azra, puis souris sincèrement à ce dernier. Je me devais d’avouer que cet homme au visage creux et osseux pourrait être un bon allié qu’il ne fallait point négliger.

C’était une conversation à laquelle Rosie ne se sentait pas d’hauteur à participer. La magie, les garzok et les sekteg, rien qui entrait vraiment dans son champ de connaissance. Elle avait une fois côtoyé un gobelin bien sympathique, mais sans vraiment plus. Elle en avait aussi affronté d’autres, un peu moins charmant. Dans tous les cas, au grand jamais elle en avait vu un utiliser la magie.

L'émissaire d'Esseroth sembla montrer de l’intérêt un peu plus grande à ce que les aventuriers avaient à dire qu’il n’en eut jusqu’alors. Il demeura toutefois de pierre comme à son habitude. Froid, distant. Rosie ne s’en étonnait plus vraiment.

Azra se montra plus inquiétant. Comme s’il réalisait l’ampleur de la situation, comme si une vision de fin du monde défilait devant ses yeux. Il semblait troublé, alarmant. La jeune femme qui s’était installé sur ses genoux, toujours enroulé dans sa cape, eut un mouvement de recul effrayée. Elle ne saisissait pas tout de ce qu’il expliquait surtout par crainte de comprendre. Il reprit bien rapidement contenance, ce qui troubla Rosie davantage et continua simplement.

(Mais qu’est-ce que c’est que cet homme? Qui peut-on être pour parler d’apocalypse de la sorte et changer de sujet comme si on parlait de beau temps.)

Elle eut un regard instinctif pour la sortie de la yourte, comme si elle voulait s’assurer qu’elle s’y trouvait toujours. Elle avait peur. Ce que craignait Azra était une chose, mais de réaliser l’ampleur de la concentration magique des lieux, là terrifiait. On leur avait dit maint fois, l’homme noir en avait fait démonstration, mais les tremblements dans la voix d’Azra commençait, à la faire hésiter. Elle qui avait toujours un peu répugné la magie, l’ayant si peu côtoyé, elle ne pouvait qu’associer sorcellerie et chaos. Un infini de possibilités puissantes qu’elle avait plus souvent vu servir la destruction que l’harmonie. Elle avait toujours vu cela comme une source de problèmes plutôt qu’une solution.

L’encapuchonnée de rouge écouta Mathis vanter la force de leur union. Il était difficile de dire si ses encouragements pouvaient vraiment convaincre, mais Rosie s’en contenta pour se ressaisir un peu. Si seulement ils pouvaient savoir ce qui se passait là-bas. S’ils pouvaient connaitre les avancements de cette guerre au loin.

« Y a-t-il moyen de savoir ce qui se passe au front en ce moment même? Savoir ce qu’ils affrontent ou pas. Profiter de notre recul pour mieux se préparer… »

Ce monde était si emplis de surprises, qu’elle ne trouvait pas sa demande si étrange. Si un homme pouvait créer des portails, si un homme pouvait faire sortir du sang des pores d’un autre, dur à croire qu’un homme ne peut pas communiquer rapidement à distance.

Mathis était visiblement contrarié de l'interruption d'Azra dans la conversation mais, à la grande surprise du jeune homme, il déclara que la différence était ce qui ferait la force du groupe. C'était faire preuve de beaucoup d'optimisme, mais aussi une preuve d'intelligence inattendue. Peut-être pourrait-il être utile, finalement... Il lui adressa même un sourire ! Azra n'était pas prêt à l'apprécier, mais il fit l'effort d'un sourire crispé. Trop de révélations, trop de crainte... il était embarqué dans une situation qui le dépassait.
Il sursauta en entendant Rosie demander s'il y avait moyen de savoir ce qui se passait au front. Elle avait dû entrer alors qu'il était perdu dans ses pensées, et celles de Chandakar.
La question était pertinente, mais l'esserothien répondit que c'était impossible à savoir. Il ajouta, répondant à la conviction de Mathis sur la puissance des sans-magies, que les sans-magies de ce monde étaient égoïstes et ne les aideraient pas.
Il conclut en assurant qu'il était tout à fait capable de tuer Oaxaca, mais qu'il souhaitait d'abord en savoir plus sur son pouvoir, au même titre que sur son armée.

Azra mit quelques secondes à réagir. Chandakar et Arek étaient complètement surexcités.

(Il pourrait tuer Oaxaca ? Impossible !)

(Il pourrait tuer Oaxaca ? C'est une chance à saisir !)

Lorsqu'ils se furent calmé et qu'Azra put s'entendre penser, il demanda plus posément :

(Bon, quelle information est-ce qu'on a sur les pouvoirs d'Oaxaca ?)

La liche maugréa :

(Pas grand-chose. C'est une demi-déesse Je ne peux pas plus la comprendre que tu ne peux me comprendre. Elle est la fille de Thimoros et son pouvoir dépasse de loin celui des simples mortels...)

(C'est une version dénaturée de la nécromancie, entre autre...) ajouta Arek.

Faisant peu à peu la synthèse des quelques informations de ses compagnons intérieurs, le jeune homme déclara :

« C'est une demi-déesse, incroyablement puissante. Elle est accompagnée de treize lieutenants redoutables. Ses pouvoirs sont titanesques, cela ne fait aucun doute, bien que je n'aie aucun exploit en tête à vous relater. Mais le vrai problème... »

Il fut obligé de s'interrompre car Chandakar s'arrêta là, aussi abruptement que lui.

(C'est quoi, le problème ?)

(La ferme, misérable insecte ! Comment oses-tu remettre mon jugement en question ?)

(Ah la barbe ! Ce n'est pas le moment de me faire une crise !)

(Silence ! Ma faute, ma faute...)

Le nécromancien ne sut quoi répondre. Il savait déjà qu'il y avait eu quelque chose. Un événement impliquant Chandakar et Tal'Raban, et que cela avait un rapport avec Oaxaca. Mais le souvenir du rêve qu'il avait eu alors était flou... un parchemin... l'immortalité...
Il renonça :

« Tout ce que je sais, c'est qu'elle peut parler avec les morts, comme moi, et qu'elle utilise la magie noire. Elle a sûrement bien d'autres pouvoirs, mais je n'ai pas idée desquels. Elle est toujours resté très secrète, ne se dévoilant que quand elle n'avait vraiment plus le choix. Elle a alors toujours remporté la victoire. On dit même qu'à la grande bataille de Pohélis, elle chevauchait un grand dragon noir, une créature immortelle créé par mon Seigneur Phaïtos, et qu'elle a soumise à sa volonté. »

Mais Azra avait lui aussi des questions :

« Mais dites-moi, messire, qui êtes-vous ? Quel est votre nom ? Et pourquoi pensez-vous être capable de tuer une créature divine que toutes les forces de mon monde n'ont pu au mieux que temporairement emprisonner ? Tout ce que j’entends ici me glace de sang. Votre confiance est certes rassurante, mais n'avez-vous pas peur qu'elle soit déplacée ? Comme vous l'avez dit, vous ne savez rien de ce que vous devez affronter... »

Le reste du voyage se déroula sans encombres et le petit Sinari fut bizarrement partagé entre la déception et le soulagement. Il se demandait quand l'épique arriverait mais en même temps, il reconnaissait qu'il appréhendait un peu. Beaucoup.
Alors que la nuit tombait, ils finirent par arriver en vue d'un campement constitué de cinq drôles de tentes en peaux de bêtes. Le petit Hobbit distingua quatre hommes dans ce campement dont un, posté au milieu de la route, qui avait le visage sévère et son magnifique sabre argenté planté dans le sol.
Le capitaine les informa qu'ils avaient devant eux le sergent Genki-quelque chose. Sirop ne s'en sortait plus avec tout ces noms compliqués et alambiqués... "Sirop", ça, c'était simple et classe.

"Encore un type bien sympathique ma foi..." marmonna le Sinari à propos du sergent alors que ce nouvel inconnu leur indiquait sèchement où dormir.

Après qu'il eut attaché son cheval là où Egregor l'avait fait, Sirop lui caressa le haut de la patte avant, le plus haut endroit qu'il pouvait espérer toucher et lui murmura, par besoin de parler :

"Bon, mon pote, c'est bien, tu as été sage...je crois que tu as bien compris à qui tu avais à faire. Je t'apporterais peut-être une pomme ou autre chose tout à l'heure..."

Ces derniers mots avaient été accompagné d'un gargouillement sonore en provenance de son estomac et d'un regard envieux en direction de la marmite posée sur le feu central du camp dans laquelle un soldat préparait le repas et vers lequel Chihiro s'était approchée. Sans doute avait-elle froid dans sa petite tenue.

Alors qu'Azra, Rosie, Egregor et Mathis entrèrent tour à tour dans la tente où ils allaient tous dormir, le Hobbit se dirigea vers ce feu qui semblait si chaud et vers cette marmite qui semblait si appétissante.

"Agréable ce p'tit feu, là. Bonne idée que de l'avoir fait, tiens." lança-t-il autant au soldat qu'à la jeune femme en frottant ses paumes l'une contre l'autre devant sa bouche.

Il leva les yeux vers la jeune femme et lui fit son sourire de Hobbit mignon, plus pour lui signifier qu'il venait en toute amitié qu'autre chose. Il était encore trop naïf pour être troublé devant l’excès de chair que la jeune femme dévoilait et de toute façon, les grandes ne l'avaient jamais vraiment attiré.

Il lança ensuite au soldat qui s'affairait à la préparation du dîner :

"Alors, chef ! Qu'est-ce que tu nous prépare de bon pour ce soir ?"

« Je suis Egregor Carminès. Et si votre Oaxaca est faite de chair et de sang, je peux purger totalement son être de cette matière vitale. Demi-déesse ou non, qui survivrait, sans sang ? »

La réponse avait de quoi glacer le sang, c'était le moins qu'on puisse dire... En revanche, selon l'homme, il y avait des dragons en ce monde, et ils étaient redoutés pour leur insensibilité à la magie. Il poursuivit sur un sujet plus intéressant encore : selon lui, les habitants de Jesuir, la cité maudite, étaient justement des nécromanciens. La magie des morts était dangereuse ici et, semblait-il, ils ne pouvaient perpétuer leur lignée. Azra resta un moment silencieux à ressasser tout ça...
Egregor affirma qu'Oaxaca devrait se méfier de ces pouvoirs en venant ici, ce qui tira un rire de Chandakar :

(Pour qui sait façonner la chaire et l'esprit, et tous les plus grands maîtres de magie savent le faire, la stérilité n'est pas un problème...)

Rapportant ses dires, Azra expliqua qu'Oaxaca n'avait pas à se soucier de stérilité, elle et ses lieutenants pouvaient créer toute sorte d'horreur à volonté. Quant à la vider de son sang...

« Si... si cela pouvait marcher... J'ignore si c'est possible. A-t-elle seulement du sang ? Je ne sais pas. Mais s'il y avait la moindre chance... Alors en lui opposant suffisamment de résistance, nous pourrions la forcer à venir, et il suffirait que vous vous approchiez suffisamment pour la détruire ! »

Le jeune homme bascula la tête en arrière. L'impression d'être embarqué dans quelque chose d'immense ne s'était jamais fait autant sentir. Se pouvait-il réellement que lui, le fils d'un quelconque propriétaire terrien, bien éduqué, mais tout de même paysan, se trouve aujourd'hui à avoir un moyen de vaincre Oaxaca ? C'était trop beau pour être vrai...
Mais il y avait autre chose à penser :

« Ces dragons, est-il possible de leur parler, forment-ils un peuple ou s'agit-il de bêtes sauvages ? Excusez si ma question peut sembler stupide, mais chez nous, il s'agit de créatures de légende... »

Et plus important encore :

« La princesse d'Esseroth m'a déjà parlé de la ville maudite de Jesuir. Qu'en est-il réellement ? Leur mal est-il contagieux ? S'il s'agit juste de stérilité... »

Le garçon laissa échapper un rire amer :

« Je ne pense pas que ma ligné ai besoin de se perpétuer. En revanche, nous avons désespérément besoin d'alliés. Je pourrais peut-être les convaincre de nous aider en jouant sur la fait que j'ai les mêmes pouvoirs qu'eux. Même s'il n'en reste qu'une poignée, ce serait toujours une aide appréciable... »

Car nul doute que ce n'était pas leur petite poignée qui briserait le siège de l'extérieur.

Par l'absence de vent, la température dans la yourte s'avérait plus chaude, mes mains étaient à présent réchauffées, je me permis alors d'abaisser mon capuchon puis je portai mon regard sur Rosie.

Cette dernière qui s'était faite discrète depuis le début questionna Egregor sur la situation actuelle à Esseroth. De sa voix toujours aussi froide, il l'informa qu'à moins de posséder des talents de divination ou de vision il était impossible de savoir ce qui s'y passait actuellement. Il avoua qu'on lui avait fourni quelques informations, mais il aurait aimé savoir, ce qu'il considérait de crucial: comment les vaincre ?

La question pouvait sembler évidente, mais la réponse ne l'était pas autant. Afin de ne pas répondre n'importe quoi, je me permis un petit temps de réflexion. Le silence n'eut pourtant pas le temps de s'installer qu' Azra qui s'avérait très volubile meubla la conversation en donnant beaucoup d'informations sur Oaxaca. Ne sachant que peu de choses sur cette femme, j'écoutai attentivement ce qu'il disait.

Probablement très satisfait de l'attention qu'on lui portait, Azra termina ses explications sur les pouvoirs de la semi-déesse, puis enchaîna à son tour une série de questions à l'endroit du citadin d'Esseroth.

Egregor se présenta à nouveau et précisa la nature de son pouvoir magique. Précisions qui m'étaient inutiles puisque j'avais subi sans raison valable les effets néfastes de son pouvoir.

(Carminès ! Un nom prédestiné ! )

Je gardais un souvenir amer de cette récente et brève mésaventure, ainsi qu'une petite rancune envers l'homme aux yeux rouges. L'entendre expliquer les ravages qu'il pouvait causer, me donna quelques crampes à l'estomac. Petit malaise que je cachai à l'ensemble de la petite troupe. Egregor affirma aussi que les sans-magies de son monde avaient refusé de leur apporter leur aide lorsqu'ils le leur avaient demandé. Je compris alors un peu plus son dédain envers nous. Mais comprendre, ne l'excusait en rien, il s'était mal comporté envers moi et j'étais bien décidé à prendre ma revanche au moment opportun.

Lorsque les deux principaux locuteurs se turent, je pris à mon tour la parole :

"Savoir comment vaincre les troupes d'Oaxaca n'est pas si simple sans informations adéquates. Tout d'abord, je ne connais rien des gens de votre peuple, êtes-vous en nombre supérieur à nos ennemis ? Si oui, la bataille sera vite réglée en votre faveur moyennant un peu d'organisation de vos armées. Mais si les gobelins et orques sont plus nombreux, il faudra alors user de stratégies, de ruses afin de les piéger. Connaître la géographie d'Aliaénon serait aussi utile. Une carte serait l'idéal ou à la rigueur un dessin sur le sol pourrait nous aider à établir un plan. "

Je m'arrêtai quelques secondes avant de poursuivre:

"Pour ce qui est des gens sans-magie, étant sans magie moi-même, peut-être m'écouteront-ils davantage. Et puis, les gens égoïstes, ça me connait, j'ai ma petite idée pour les convaincre de s'allier au peuple d'Esseroth. Je pourrais faire le messager afin de rallier des troupes. "

Eh oui, j'en savais un bout sur l'égoïsme, puisque je l'étais moi-même. Petite précision que je me gardai bien de préciser puisque la plupart des gens ne comprennent pas qu'il s'agit là d'une qualité en fait. Quel mal y a-t-il à penser à soi en premier ? Aucun ! Et puis même les gens qui donnent le font par égoïsme, parce que donner leur fait plaisir à eux, leur donnent de l'importance.

"...Hmm, à l'odeur en tout cas, ça n'a pas l'air mauvais..." répondit Sirop en reniflant un peu l'air ambiant et n'ayant aucune idée de ce que pouvait bien être un "rustaud des neiges". "Quel fumet !"

En réalité, il ne sentait rien de spécial mais comme il souhaitait se faire des amis...Et ce soldat-cuisinier avait déjà l'air un peu plus sympathique que le sergent qui les avait accueillis.
Alors qu'il s’apprêtait à vanter les saveurs de la cuisine de Shory, Chihiro prit la parole d'une voix douce :

« Quelles qualités avez-vous, dans l’art du combat, pour prétendre sauver Esseroth, et protéger ma princesse ? »

Là, il ne fallait surtout pas qu'il se plante. S'il réussissait à obtenir le respect de la suivante de la princesse, sa place dans le groupe augmentera obligatoirement et on le respectera davantage. Peut-être pourra-t-il se lier d'amitié avec la princesse elle-même.
Être ami avec ce genre de personne ne pouvait qu'être bénéfique pour sa renommée...

Sirop répondit à la question de Chihiro par un sourire silencieux, presque arrogant avant de lentement dégainer son petit glaive et d'annoncer :

"Vous voyez cette arme ? Dans mon monde, les malfrats l'appelle...euh... "Dernier éclat". "Dernier éclat" pourquoi ? Car c'est la dernière chose qu'ils aperçoivent de leur vie avant de trépasser...ou de finir dans les geôles. Cette lame est toutefois uniquement abreuvé du sang que je fais couler pour la justice, sachez-le..."

Il la rengaina et ajouta en balayant de la main l'air réchauffé par le feu :

"Vous savez, je suis pas du tout du genre à me vanter mais j'ai bien peur d'être aussi talentueux au combat que petit. Et cela grâce à un entraînement draconien que je m'inflige tout les matins avant le petit déjeuner et grâce à ma nature de combattant de... de...et bien... de l'extrême ! Non, je peux vous assurer que votre princesse est entre de bonnes mains avec moi dans l'expédition."

Il ponctua sa phrase d'un sourire confiant, les yeux levés vers son interlocutrice. Si seulement elle savait qu'il ne s'était jamais servi de "Dernier éclat" de sa vie, tout comme il ne s'était jamais servit de ses petits poings de menteur...

(J'ai mis le paquet, là !) se félicita le petit Hobbit.

Mathis tentait de se renseigner sur les forces en présence et ajouta fièrement qu'il ne fallait pas négliger les sans-magies, se portant volontaire, étant lui-même sans pouvoir, pour les convaincre. Azra aurait préféré s'étouffer que l'admettre mais c'était là des propos pleins de sagesse. Cet homme pourrait peut-être être utile.
Il adressa un regard à Rosie mais celle-ci restait silencieuse, peut-être encore trop soupçonneuse à son égard.
Finalement, Egregor entrepris de leur répondre, affirmant que les forces en présence étaient mal connues. Décidément, cette guerre se révélait de plus en plus brouillonne !
Il poursuivit ensuite en expliquant que, sans surprise, les dragons étaient inaccessibles et de toute façon plus portés sur l'idée de dévorer ceux qui iraient les rencontrer que de parlementer. À sa description, nul doute que si tout Aliaénon devait tomber, les dragons resteraient les derniers survivants. Et Oaxaca devrait mettre toutes ses forces pour les déloger.
Azra fit plus attention à ce qu'il parla des Ol'toga de Jesuir. Hélas, il ne révéla rien de plus, réitérant ses menaces tout en affirmant que personne ne savait grand-chose d'eux, pas même s'ils étaient toujours en vie. Il indiqua tout de même comment les rejoindre au plus vite.
Qu'était-il sensé faire de si peu d'informations ? Pas grand chose, mais il faudrait s'en contenté. Tout comme Mathis était fait pour discuter avec ces hommes pâles sans magie, il était fait pour discuter avec ces nécromanciens maudits. Entre maudits ils devraient s'entendre...

(J'ai hâte de rencontrer ces gens, s'enthousiasma Chandakar, ils pourront peut-être nous apprendre des choses utiles...)

Sa curiosité naturelle semblait presque le faire redevenir humain. À ces moments là, Azra aurait presque pu l'apprécier...

(Je n'aime pas beaucoup cette affaire, murmura Arek. Mais nous avons le choix entre ça ou faire partie d'une dizaine de héros qui vont tenter de briser un siège à eux seuls ! Autant dire que ce n'est pas vraiment un choix...)

En l'absence de Rendrak, on pouvait dire que l'idée remportait l'unanimité. De plus, Azra savait bien que le liykor se bornerait à dire qu'ils allaient au devant d'une fin atroce, et c'était fort possible, mais la majorité resterait contre lui.
Néanmoins, le jeune homme ne put retenir un mouvement d'humeur. Malgré la chaleur et le confort relatif de la yourte, il était contrarié.

« Vous passez votre temps à répéter que cela est dangereux, mais vous n'apportez pas beaucoup d'arguments à part le fait que tout le monde en a tellement peur que personne ne cherche à savoir... C'est un argument en soit, mais insuffisant à me dissuader d'essayer de trouver des alliés là où vous pensez que notre petite poignée pourra sauver toute votre cité... »

À ce moment là, une cloche sonna.

« Bien, je suppose que c'est le signal de la soupe... Ça fera du bien par ce temps... » maugréa-t-il.