Le jour s'était levé. Le son des pas de Rico s'était tu. J'avais trouvé refuge dans un bosquet à plusieurs mètres de la route. Je massais ma jambe endolori en dévorant cru un lapin que j'avais réussi à chasser.
Je regardais ma jambe avec inquiétude. Elle ne saignait plus mais avait enflé et je sentais chaque palpitation de mon cœur dans les entailles. Je savais déjà comment ça allait se passer. Peu à peu je sentirais la fièvre monter. J'aurais atrocement chaud mais tremblerait comme une feuille. Ma blessure, elle, se remplirait de pue immonde, dégageant une odeur insoutenable qui attirera tous les rôdeurs hostiles. Ma blessure s'était infecté et voilà comment j'allais mourir.
Je laissais ainsi passer la matinée et la journée en massant ma jambe et en imaginant chaque seconde l'état qu'elle aurait le lendemain. Une fois la nuit tombée, je me relevais à l'aide d'un morceau de bois préalablement volé au bosquet avant d'être affaibli par la fièvre. Je sortis du bosquet et avançais, m'aidant de ma canne improvisée. Sans rejoindre le sentier, sans savoir la direction à prendre. J'avançais dans les herbes hautes vers l'inconnu.

"Exilé !"

Le mot venait de partout et de nulle part, sortant des murs blancs et s’y réfléchissant comme contre un miroir. Lumière aveuglante, bruit assourdissant.

"Traître !"

Je voulais me protéger de la lumière avec mes mains. Mais je n’en avais plus. Je n’avais plus de corps. J’étais une pensée, errant dans une salle blanche, subissant les insultes qui m’assaillaient comme des flèches.

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"Il est brûlant."
"Regarde sa jambe."

Une des silhouette souleva la cape du malade et détourna la tête un instant. Surpris par l’odeur. L’autre soupira.

"Il sera mort dans quelques heures."
"On nous a dit vivant."
"Regarde sa jambe."
"La ferme."

Les deux silhouettes étaient visiblement des femmes. Des Shaakt servant l’une ou l’autre prêtresse. L’une était accroupie, mais on pouvait voir qu’elle était très petite. A peine 1 mètre 60. Elle parlait d’une façon vive et fluide. Comme si elle lançait des poignards. L’autre à l’inverse devait faire presque 2 mètres. Elle se tenait debout à côté de la première et s’exprimait d’une façon beaucoup plus lourde, plus blasé, à la manière d’un violoncelle mal accordé.
La première attrapa son sac et l’ouvrit, sortant divers objets. Des bandages, des baumes et une gourde. La seconde émit un long soupir avant de s’exprimer.
"C’est une blague ?"
"Elles le veulent vivant."
"Faudrait lui couper la jambe pour le tenir en vie."

Le malade commençait à gigoter et à gémir.

"La fièvre le fait délirer."

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Les murs blancs s’écartèrent et je me sentais décoller. Quittant ce cube impoli pour m’envoler vers les ténèbres, le vide, le néant. De très étroit, l’espace passait à illimitée. Je ne percevais plus de limite à ma vision. Je volais sans rencontrer d’obstacle à travers l’infini.

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"Il se réveillera dans quelques heures."

La plus grande haussa les épaules et leva le nez vers le ciel.

"Le soleil va bientôt se lever. Qu’est ce qu’on fait ?"
"Bah… on fait des gaufres."
"Ton humour me laissera éternellement perplexe."
"Ton manque d’humour également. Attaches lui les mains. Tu vas le porter jusqu'à Caix."
"Toujours les mêmes qui font le sale boulot."
"C’est moi qui ai enlevé toute la croûte dégueulasse de sa jambe !"
"C’est toi qui veux le sauver."
"C’est de ta faute si on a perdu sa trace !"
"C’est grâce à moi qu’on l’a retrouvé au milieu de nulle part."

La plus grande le souleva tout de même par dépit et le mit sur son épaule comme un sac à patate avant de marcher en direction de Darhàm en se disputant avec sa coéquipière.

La nuit était à nouveau tombé. Je m’étais réveillé quelques heures plus tôt, les pieds et les mains liées, porté comme un sac de patates sur les épaules de la plus grande des Shaakt. La plus petite qui menait la marche s’arrêta et se tourna vers nous.

"On va s’arrêter là le temps de manger un morceau. Ca doit faire des jours qu’il n’a rien avalé."

Celle qui me portait haussa les épaules et s’éloigna de la route pour me lâcher sur le sol. Elle ouvrit ensuite son sac, rapidement rejoint par sa coéquipière qui lança ses ordres.

"Ne traînons pas. Je veux arriver à Darhàm au lever du jour. On y achètera des provisions et nous partirons directement pour Caix."
"Tu viens déjà de perdre du temps en m’expliquant une chose que je savais."

La plus petite émit un bruit qui ressemblait à un grognement et vint s’asseoir devant moi.

"Tu n’as pas dis un seul mot depuis ton réveil traître. Aurais tu perdus l’usage de la parole ? Tu pourrais remercier tes sauveuses."
(Merci de m’avoir sauvé pour me réserver une mort encore plus terrible.)

Elle resta silencieuse quelques secondes avant de soupirer et de m’envoyer un morceau de pain et une gourde d’eau.

"Mange ou je te le cale au fond de la gorge."

Elle se servi ensuite dans son sac et retourna s’asseoir près de l’autre Shaakt qui avait presque fini son repas.

"On va avoir l’air fines avec lui sur les épaules."
"Pas besoin d’être deux pour faire quelques courses. Tu attendras hors de la ville avec lui."
"Hors de question. C’est toi qui attendras avec lui."

La petite ricana

"Non, non. Tu es incapable d’acheter une chose sans tabasser le vendeur."
"Tous essaient de m’arnaquer."
"Sûrement dû à ton air stupide."

La plus grande lâcha son morceau de pain.

"Peux tu me répéter ça ?"
"Tu m’a très bien entendue."

Je regardais ça d’un œil perplexe. La petite regardait l’autre d’un air amusé tandis que l’autre avait vraiment l’air furieuse, prête à lui sauter dessus pour lui ouvrir la gorge.

"Alors Hellykin. Tiens tu à offrir un spectacle au traître ?"
"Non Linwen. Il sera sûrement déjà mort le jour où je te trancherais la gorge."

Les deux Shaakt se firent un sourire avant de se tourner vers moi et de m’ordonner de manger avant de finir leur repas en silence. Quand à nouveau Hellykin me mit sur ses épaules elle ouvrit la bouche.


"J’accepte de le surveiller dehors de la ville. Mais tu me ramèneras des pierres à aiguiser. J’ai le pressentiment que j’en aurais besoin sur la route."
"C’est entendu."

Nous repartîmes, marchant dans la nuit en direction de Darhàm dont on voyait, au loin, les torches vacillantes.

Vers les alentours de Darhàm

-Tu penses qu'ils vont venir toi? Demanda pour la énième fois Chester.

-Ah j'en sais rien, arrête de me poser cette question et ferme là! Rétorqua Jedidiah.

Seymour eut un souffle amusé. Chester et Jedidiah, ces deux là se mordaient sans cesse le museau mais étaient inséparables. Chester, le petit chauve bedonnant et bavard, toujours là pour placer une réplique et Jedidiah, plus grand et plus mince, une longue chevelure noire. Plus taciturne aussi, mais certainement moins agaçant. Depuis son arrivée chez les Cerbères, ce groupe d'une dizaine de mercenaires, Seymour le Sang Pourpre, comme on l'appelait, s'était bien entendu avec ce duo. Leur chef, Lou Grismine, était impitoyable mais juste. Il avait accueillit Seymour les bras ouverts une fois que celui-ci eu fait ses preuves en tant que "justicier". Parce que pour Lou, tous les hommes ici présents en étaient. Ils pratiquaient leur justice, certes, mais une justice quand même...
Le Sang Pourpre était intimidé par tous ces mercenaires, l'idée qu'il remettait sans cesse sa vie entre leurs mains aurait pu paraître insupportable des mois plus tôt, en quelques jours elle était devenue normale.

-Tiens voilà Lou...

Seymour releva la tête. Postés tous trois en haut d'une colline dans le feuillage de quelques buissons, une vue plongeante sur la route principale entre Omyre et Dahràm, les deux acolytes et le Sang Pourpre observèrent leur chef grimper la bute le plus vite possible, arme à la main. Seymour était tendu, impatient, nerveux!

-Tenez-vous prêt bande d'asticots! Cria-t-il avant même d'être arrivé.

Aussitôt, Chester s'empara de son arbalète et y chargea un carreau. Jedidiah, plus gracieux que son compagnon, encocha délicatement une flèche sur un arc entièrement taillé dans un bois blanc. Enfin, Seymour fit de même avec le sien, modèle beaucoup moins prestigieux mais pas moins mortel.
Grismine arborait toujours un bandana rouge juste sous sa sale tignasse brune. Un regard d'acier et un visage marqué de cicatrices en tout genre. D'ailleurs à chaque fois que le chef buvait un verre de trop, avait un jour raconté Chester, il réinventait une histoire à chacune d'elles.

-Ils seront là dans moins d'une dizaine de minutes, une fois le virage passé ils pourront nous voir. J'ai envoyé Rannek en éclaireur: un chariot de marchandises, deux chevaux montés pour le tirer et une escorte de cinq hommes qui l'encercle. C'est un petit coup, l'affaire devrait être réglée en moins de deux minutes. Avec Rannek et Bud on sera en bas quand vous vous les arroserez depuis cette position.

-On est en infériorité numérique? S'étonna Chester.

-Oui crétin! Répondit Jedidiah, mais on a l'effet de surprise donc il ne devrait pas y avoir de problème!

-je vois que vous avez un cerveau pour deux, s'écria Lou, c'est au moins ça de gagné... Avec les gars on va se poster plus loin sur la route. Dès qu'ils arrivent à environ trente mètres de nous, vous faites feu! Seymour, t'es responsable! Si le tir par trop tôt, ils vont avoir le temps de monter vous exécuter, si il part trop tard, c'est nous qui sommes morts! Visez les cavaliers en premier! Et pour l'amour du ciel si Rannek, Bud ou moi sommes touchés par un de vos projectiles je vous promet qu'une fois rentrés je vous les feraient bouffer par le...

Il était comme ça Lou Grismine: franc, direct, vulgaire, mais loyal. D'après ce que Seymour savait, il avait appartenu à la milice kendrane et il était aujourd'hui recherché pour avoir assassiné son supérieur pour une querelle. C'était pas le genre de la maison pourtant, mais qui sait ce qui avait bien pu se passer. Seymour appréciait beaucoup Grismine, et ce même si cela ne faisait que trois semaines qu'il était devenu un Cerbère à part entière.

-En avant! S'exclama le chef avant de faire demi-tour.

Il dévala la pente alors que Rannek et Bud s'empressaient de le rejoindre. Rannek avait l'allure typique du barbare avec sa hache à double tranchant et sa barbe, tandis que que Bud était plus petit, armé de deux glaives. Le chef était toujours équipé d'une masse d'arme et d'une multitude de couteaux.

Seymour resta silencieux, à l'affut de la moindre anomalie. Mais le silence fut bien vite rompu...

-Tu penses qu'on pourra les abattre tous avant que le chef arrive à leur niveau? Demanda Chester d'un air amusé.

-J'en sais rien ,rétorqua Jed', mais tu peux toujours essayer... Enfin avec ça...

Il désigna l'arbalète de Chester qui répliqua d'un ton sec:

-Et alors? Au moins si j'ai plus de munition je peux toujours assommer avec. Avec ton bout de bois et ta corde tu comptes faire quoi? Etrangler l'ennemi? Tu y gagnerais plus à jouer de la harpe avec...

-Je t'emm...

-Chut! Intervint Seymour.

Entre Chester et Jedidiah, la comparaison arc/arbalète était toujours un grand sujet de conversation...
Histoire de gagner en rapidité, il ôta de son carquois quatre flèches et les planta une à une dans le sol. Il en prit une dans la main.

-Sang Pourpre, c'est quand tu veux.

Tendu, l'elfe bleu encocha sa flèche, suivit de Jedidiah. Les trois tireurs étaient accroupis, invisibles aux yeux de l'escorte. Quelques hennissements, des bruits de voix. A travers les buissons, Seymour aperçu le convoi ralentir à la vue de Lou, Rannek et Bud plus loins sur la route. Il fit un bref calcul et ordonna dans un chuchotement:

-Visez et tirez à volonté!

D'un même geste, les trois alliés se relevèrent d'un bond. Un claquement indiqua clairement que Chester avait tiré le premier. Jedidiah relâcha la tension et sa flèche parti à une vitesse fulgurante en direction du convoi. Seymour hésita un instant, déconcentré par il ne savait quoi. Le convoi était en alerte: les deux projectiles venaient de transpercer le même homme, un cavalier.

-Jed' espèce de crétin! T'a visé le même que moi! S'exclama Chester en rechargeant son arme.

-Embuscade! Hurla le deuxième soldat à cheval.

Manquant franchement de rire sous la remarque de Chester, Seymour visa du mieux que possible le deuxième cavalier. Il décocha son tir qui se répercuta dans tout son avant bras. La flèche fusa pour venir blesser l'homme à la main. Sans perdre de temps il arracha un projectile à ses pieds, décidé à faire mouche cette fois-ci.

Lou, Rannek et Bud s'étaient élancés dans une charge, déstabilisant le convoi qui ne savait où donner de le tête. Deux soldats s'engageaient sur la colline afin de tuer les archers, mais ils s'épuiseraient inutilement. Les quatre autres allèrent s'en prendre aux guerriers qui leur faisaient face.
Un trait bien placé de Chester en arrêta un en pleine course et Jed' fini d'abattre le deuxième cavalier. L'escorte n'avait aucune chance. Seymour décocha un second projectile sur un des deux arpenteurs de la colline. Transperçant sa cuisse, il l'arrêta en plein élan et lui fit dévaler la pente.

Seymour devait reconnaître en cet instant qu'après avoir eu à traquer du gibier toute sa vie, se retrouver d'un coup à tendre des embuscades à des hommes était une sacrée expérience. Il s'en sortait pas trop mal. Depuis son arrivée chez les Cerbères, être forcé de prendre des vies humaines n'était jamais un acte facile même s'il le faisait à merveille selon Jedidiah.

Plus bas, Lou et les autres faisaient un vrai massacre malgré l'égalité numérique. les soldats, apeurés par la pluie de flèches qui pouvait leur tomber dessus, étaient trop déconcentrés. Jedidiah décocha un trait qui alla finir sa course dans le bouclier du dernier soldat les approchant. Chestr mit à terre un homme qui affrontait Bud. Les trois tireurs eurent une once de panique lorsqu'ils s'aperçurent qu'aucun d'eux ne pouvait empêcher leur assaillant de lever sa lame haut dans le ciel. Ni une ni deux Chester lui bondit sous le nez et lui décocha un revers de son arbalète. Le Sang Pourpre vit clairement une dent sauter et alors que son propriétaire se tenait la bouche en suffocant de douleur, l'arbalétrier dégaina un couteau et le planta dans la nuque de la victime. il se tourna vers Jed', le défiant:

-Un commentaire?

Quelques secondes de plus et le combat fut terminé. A six, Les Cerbères écopèrent d'une simple coupure, Rannek, au bras gauche, et d'un égo blessé pour Jedidiah.

Le coeur battant, Seymour s'empara de ses flèches et en encocha une avant de descendre la colline, braquant le survivant, un de ses projectiles dans la cuisse.

-Tu as quelque chose qui m'appartient, fit-il en montrant la cuisse meurtrie du soldat.

Celui-ci, en sueur, implora la pitié. Cela fonctionna. Régulant sa respiration, reconnaissant d'être en vie, Seymour ne pouvait se résoudre à l'achever. Détendant la corde de son arc, il attendit l'arrivée des autres et inspira un air qui aurait pu ne plus gonfler ses poumons si l'embuscade s'était mal déroulée.
Lou Grismine se ramena et flanqua une tape dans le dos du Sang Pourpre:

-Bien joué mon gars, bonne synchronisation!

Une vague de fierté emplit le coeur de Seymour qui interrogea son chef du regard en pointant le soldat de sa flèche.

-Hum lui... Désarmez-le, ordonna-t-il à Rannek et Bud. Rannek tu feras soigner cette blessure au plus vite, rentré au campement.

Enfin, descendant la colline comme si de rien n'était, Chester et jedidiah discutaient, armes et munitions en mains, sur la meilleur façon d'immobiliser une cible sans la tuer.

-Non de non... maugréa Grismine. Hé les filles! On a du boulot! Six cadavres sur les bras, un cheval en vie et un chariot à fouiller. Allez donc faire les guets au lieu de discutailler! Rannek, Bud, attachez-moi ce soudard et venez vider le contenu de ce beau bébé.

-On le ramène pas? Avec le cheval restant on pourrait essayer après avoir vidé quelques babioles, interrogea Seymour en flattant le cheval survivant afin de le calmer.

-Non on vient pas piller ces soldats on vient simplement récupérer l'objet du contrat. Si éventuellement on trouve un peu de nourriture on ramènera ça au campement mais on s'encombre pas.

-Et le soldat, on le tue? On va pas laisser de témoins quand même...

L'idée d'exécuter gratuitement cet homme le répugnait, mais plutôt sa vie que la sienne. Lou se gratta le menton en observant Rannek retirer violemment la flèche de la cuisse du soldat qui hurla de douleur.

-Tiens, fit le colosse en tendant le projectile ensanglanté à Seymour. Alors chef, on en fait quoi?

-Occupe-toi donc de chercher ce pourquoi on est venu, répliqua Grismine.

Nettoyant soigneusement sa flèche avec un morceau de tissu récupéré sur un des cadavres, le Sang Pourpre rangea son arc en bandoulière et revint vers Lou.

-On cherche quoi au juste?

Le chef ne répondit pas. Après un petit moment, la satisfaction vint remplacer l'impatience.

-Ceci! Répondit Bud plein de fierté en tendant un grimoire usé à bout de bras.

-Bien joué mes enfants! Lança Grismine d'un air satisfait en se précipitant pour récupérer le trésor.

(Suite des alentours d'Omyre)


-Lou on s'arrête?

Même sans le ton fatigué de sa voix, Seymour aurait pu aisément deviner Chester prononcer ces mots. S'attendant à une réplique cinglante de Lou, le Sang Pourpre fut étonné d'entendre celui-ci rétorquer:

-Hum... c'est d'accord.

-C'est vrai? S'exclama Chester n'en croyant pas ses mirettes.

-Oui. On a environ trois jours de marche il nous faut être en forme. On va se reposer quelques heures. Je prend le premier tour de garde avec Seymour, les autres vous pouvez dormir. Thorik tu peux ranger cette bouteille je veux voir personne avec la gueule de bois au réveil.

A contre-coeur, le nain rangea son breuvage en ronchonnant. Cela faisait bien trois heures que les Cerbères arpentaient le chemin de Dahràm. Le chef avait opté pour prendre une route parallèle au tracé principal, histoire de ne pas se faire prendre en embuscade par d'autres mercenaires ou voleurs... De plus, ils se devaient de marcher en file indienne pour éviter les danger, Lou toujours en tête. Il fallait dire qu'il était très prévoyant avec ses mercenaires. Strict, mais préventif. Seymour appréciait de plus en plus cet homme au ton dur, il décelait toujours une once d'ironie dans ces tirades, si méchantes pouvaient-elles être.

Le Sang Pourpre observa ses alliés s'installer dans l'herbe, ils étaient à environ deux kilomètres de la route principale. Grismine s'empara du coffre, préalablement enveloppé dans une toile et l'emporta un peu plus loin avec lui. Avant cela il lança une invitation à Seymour, peut-être l'occasion d'en savoir plus sur la mission, ou mieux, Lou Grismine lui-même...

Assis dans l'herbe fraiche côtes à côtes, Seymour et Grismine étaient plongés dans un silence apaisant. Aucune gêne, aucun malaise, seulement le bonheur d'écouter les cris de la nuit et sentir le vent frais caresser leurs chevelures. Entre eux, l'objet de leur mission, le coffre, et une lampe à huile qui jetait sur eux une ambiance feutrée.
Un craquement de branche dans leur dos attira leur attention:

-Bonsoir, fit Tinòndil l'elfe et guérisseur des Cerbères en s'avançant vers eux.

Il s'approcha du coffre sous le regard de ses deux compagnons, s'agenouilla, et suivit les rebords de son doigt fin.

-On sait ce que c'est? Demanda-t-il à voix basse.

-Non, et ce n'est pas de savoir ce que c'est qui importe mais bien de le transmettre à Dahràm.

Tinòndil avait l'air perplexe tout en examinant le fardeau. On aurait dit qu'il cherchait à déceler quelque chose.

-On ne peut l'ouvrir que par magie, et c'est un objet magique. J'en ai rarement vu comme cela.

-Ah, et quel genre de magie? Demanda Seymour pour ne pas être délaissé de la conversation.

-Qu'importe, la magie est présente et je ne suis pas rassuré... Je sens comme un danger et pourtant je ne vois rien qui puisse nous nuire. C'est... puissant.

Il se releva lentement sous le regard de Grismine et de Seymour, perplexes.

-Il faut livrer ça au plus vite.

-Je ne vais pas tuer les hommes à la tâche, nous n'avons pas tous tes capacités physiques. Je ne vois pas non plus en quoi ce coffre peut-être dangereux pour nous. S'il doit nuire à quelqu'un ce sera sûrement à la personne qui le recevra, et ce ne sera plus notre problème.

-On nous a déjà payé?

-Non c'est... la personne en question qui recevra le coffre qui nous règlera.

-Si c'est véritablement une "commande" et que sommes les livreurs, il ne devrait pas y avoir de problème, déclara Seymour, mais si ce n'est pas le cas, hé bien je ne préfère pas imaginer de quoi il s'agit.

-On est des mercenaires, on est payé pour ça et ce qui adviendra ne nous regarde pas.

-Oui mais si ce coffre est un piège on sera de suite soupçonnés et là c'est à la justice qu'on aura à faire.

-Hé, gamin, on est des mercenaires je viens de te dire. Donc techniquement on est déjà dans le collimateur de la justice. Et puis une autorité à Darhàm? Ha, laisse-moi rire c'est des gens comme nous qui font l'autorité dans des villes pareilles!

Alors que Tinòndil se retirait, Seymour posa une question qui le titillait depuis un petit moment:

-Lou, depuis quand est-tu mercenaire?

-Depuis trop longtemps, répondit le chef, rieur.

Ce dernier sortit de sa poche une fiole, l'ouvrit et bu une gorgée de son contenu. il l'a tendu à Seymour:

-Bois donc une gouliche!


Le Sang Pourpre le remercia et avala un alcool inconnu qui lui brula le gosier mais le requinqua un instant.

-Ca fait une quinzaine d'année que je vie comme un hors là loi. Avant j'étais sergent dans l'armée Kendrane mais j'ai désobéit à un ordre direct de mon supérieur sur un front de bataille. Tu vois nous devions prendre d'assaut un campement garzok, environ une centaine. Nous étions à peu près du même nombre mais le supérieur, responsable de l'attaque, à mit en place une stratégie trop rapide et trop risquée. Je me suis d'abord opposé à ça, et puis j'ai fini par obéir sous peine de passer pour un traître, c'est le mot qu'il a employé...

Le regard de Seymour le suppliait de continué, il était absorbé par les paroles du chef Cerbère.

-Ce salop avait beaucoup de pouvoir, dans l'armée comme dans la ville: une place respectable dans la milice et dans les rangs, un oeil partout. Il pouvait aisément persuader les gens et s'attribuait une gloire qu'il ne méritait. Bref, arrivés à l'heure de l'attaque, j'ai perdu vingt-deux de mes hommes, inutilement. Il avait refusé de me laissé faire le tour avec mes troupes, pour mieux les encercler. Non à la place il a préféré faire de tous les hommes une seule vague d'attaque, ça a été un fiasco.

-Et il vous a mit cet échec sur le dos?

-Ce n'était pas un échec mais après cette chère victoire, je suis allé le voir.

Le ton de la voix de Grismine trembla un instant, ses mots crachaient la haine et la colère.

-Il... il a simplement dit: "La guerre, c'est des pertes de chaque côtés. Nous avons gagné, rejoignez donc vos camarades et buvez à cette victoire."
Nous avions perdu cinquante quatre soldats et un sergent ce jour là et ce fou me parlait de victoire. Près de la moitié de notre effectif et mon bataillon presque entièrement décimé. Des amis que j'ai connu et avec lesquels j'avais fait deux décennies de service!
Alors, ce soir là, j'ai scellé un cheval et je me suis présenté devant mon supérieur. Je l'ai appelé depuis l'entrée de sa tente et il est sortit, simplement... Je lui ai présenté mes excuses et je l'ai tué sur place avant de décamper comme un fugitif...

Ce soudain partage de souvenirs de la part de Lou n'était pas habituelle. Il aimait garder ses secrets d'habitude. Cette fin laissait Seymour choqué, et fasciné.

-Et pourquoi t'es-tu excusé? Je comprend parfaitement ton point de vue, même si le tuer était peut-être...

Il n'osa terminer sa phrase.

-Cet enfoiré était mon supérieur, et jamais je n'avais fait un pas de travers, j'avais ça dans le sang. C'est comme cela que j'ai pu monter en grade, mais là c'était trop. En respect pour l'armée et pour l'homme qu'il était devenu je me suis excusé. Pour l'erreur qu'il a commise je l'ai tué. J'ai perdu beaucoup d'homme durant mon service, mais jamais je n'en avait perdu gratuitement. j'ai été me réfugier à Mertar, ou j'ai pu me débrouillé seul, et puis j'ai rencontré Thorik. Après des évènements ont fait que j'ai été amené à prendre la tête des Cerbères et que Thorik m'a rejoint.

-Ce n'est pas vous qui avez fondé les Cerbères? S'étonna Seymour. C'était comme un mythe qui s'écroulait dans son esprit.

-Haha, c'est une autre histoire. Je ne suis pas innocent dans la création de ce clan de mercenaires, mais l'histoire est bien trop longue...

Seymour sentit qu'il ne servirait à rien d'en demander plus, lui-même ne voulait pas déranger Lou qui semblait à présent ressasser ses souvenirs, le regard ému à la lueur de la lampe.

L'aube n'était pas encore là, mais la brise du matin effleurait déjà le campement provisoire des Cerbères. C'est encore une fois Rannek qui vint réveiller Seymour, environ quatre heures après leur arrivée.
Le Sang Pourpre se souvint de la discussion qu'il avait eu plus tôt avec Lou. Un élan d'affection naquit en lui... Dans la nuit, éclairés par une seule lampe à huile, les Cerbères se préparaient une fois de plus au départ, sous les plaintes de Chester...

-On a pas dormi beaucoup, Lou, fit-il dans un bâillement en rangeant son arbalète.

-Hé mon gros t'arrêtes de te plaindre, t'étais pas de garde cette nuit! Lui répondit Jedidiah.

-Toi non plus!


-Ouai, mais moi je sais la fermer quand il faut! Alors boucle là et en avant!

-Oui en avant! renchérit Lou comme pour sonner le départ. On est pas arrivé croyez-moi bien.

A la seule lueur de la lampe et grâce aux premiers rayons de soleil lointains, le groupe se mit en marche, Lou devant et Tinòndil à l'arrière. Devant Seymour, Rannek et encore devant Bud. Ces deux-là discutaient sur la meilleur façon d'aiguiser une lame, l'un soutenait une bonne pierre à aiguiser, l'autre une lanière de cuir.

-Quelle importance, intervint le Sang Pourpre, Rannek utilise une hache et Bud des glaives. On ne parle pas de la même lame.

-Ah oui, se retourna Rannek, et toi tu utilises quoi pour aiguiser tes flèches? Si tu veux discuter avec nous apprend à manier une épée, ou va te prendre la tête avec Jed' et Chester. Si tu leur dit le mot "arc", eux ils comprendront.

Mais en jetant un coup d'oeil aux deux compères, l'envie de venir discutailler disparue soudainement. Comme d'habitude ils se contredisait sans cesse. Le sujet de l'aube: les meilleures tavernes de Nirtim. L'image d'une chope débordante de bière mit l'eau à la bouche au demi-elfe. Il crevait d'envie de se rendre dans une de ces tavernes afin d'y descendre un tonnelet ou deux en compagnie d'une charmante dame...

Le jour se leva enfin et la pause déjeuner fut accueillie avec entrain. Quelques pièce de viandes, une gorgée d'un hydromel tout droit sorti des poches de Thorik, une heure de sieste pour certain... Ils avançaient à un bon rythme et par chance les conditions météo étaient favorables. Encore moins de deux jours et Lou leur laisserait le plaisir de rester à Dahràmun temps.

Alors que Seymour s'entrainait au tir à l'arc sur un tronc, Tinòndil s'approcha silencieusement de lui.

-Tu es habile.

-Mais je ne vaut rien à l'épée.

-Nous avons tous un point faible, comme nous avons tous un point fort. Ce qui importe c'est lequel des deux on souhaite montrer.

-Hum... Je me souviendrai de ça, lança-t-il en décochant une flèche.

Et puis le souvenir de la veille, lorsqu'il avait quitté Lou pendant la garde, Tinòndil s'était approché du chef pour lui parler. Seymour avait pressenti qu'il s'agissait du coffre. Il demanda en allant chercher ses flèches:

-Tu es toujours cerné par l'idée que ce coffre est mauvais pour nous?

-Pour nous j'en sais rien, pour qui non plus d'ailleurs. Mais j'ai comme l'impression que le temps joue contre nous. J'ai perçu des ondes de fluides négatifs, comme des fluides d'ombre.

-Et alors peuvent-ils nous affecter?

-Ca je n'en sais rien...

L'elfe fit volte-face et s'en alla:

-Il faut rapporter ce coffre, vite!

C'est en fin d'après-midi que les Cerbères eurent du fil à retordre. Les jambes déjà lourdes d'avoir marché, le groupe de mercenaires s'était volontairement égaré de la route principal sous les conseils de Lou. Apparemment le chef de clan n'avait pas confiance sur cette partie du chemin, il avait préférer contourner, toujours sous les plaintes d'un Chester fatigué et fatiguant. Cependant, à force de marche et d'inattention, tous se retrouvèrent près d'un bois entouré de fougères, et la route principale pour Dahràm n'était plus...

-Heu... ça doit être par là je crois. Fit le chef Cerbère essoufflé.

-Tiens, j'aurais plus dit vers le Nord moi, ajouta Jedidiah.

-Je suis de l'avis du chef moi, répondirent en coeur Bud et Hern'.

Le silence s'imposa pendant que tous réfléchissaient. Seymour lui-même ne savait réellement où aller, perdu dans ses pensées il ne faisait que suivre le troupeau tel un mouton. Le vent flirtait avec ses cheveux, ses pensées s'égarèrent un instant. Thorik s'approcha de lui, sa démarche de nain un peu chaloupeuse.

-Mais... comment on a pu se perdre? S'énerva Chester.

-Du calme, intervint Tinòndil de sa voix ferme. Jedidiah a raison, c'est par là, on a trop dévié au Sud.

-Et tu vois ça toi?

-Oui je vois ça, moi, rétorqua l'elfe en prenant la tête du groupe.

Dos à la forêt, le groupe se remit en marche, lorsqu'un bruit attira l'attention de Thorik et Seymour, restés en arrière à bavarder sur la durée du voyage. Les deux compagnons firent volte-face, un frisson parcouru l'échine du Sang Pourpre. Il s'empara de son arc, Thorik de sa hache. Dans les branchages feuillus un grognement se fit entendre...

-Allez venez on a pas de temps à perdre, lança Grismine à ses Cerbères. Thor'?

Le chef s'arrêta en voyant Seymour et Thorik aux aguets. Il s'approcha en dégainant un couteau:

-Quoi? Chuchota-t-il.

Une soudaine tension plomba l'atmosphère. Tous les Cerbères avaient les yeux rivés sur la forêt. Les branches bougeaient de partout, on aurait dit que quelque chose tentait de se frayer un chemin. A son tour Tinòndil se joignit au trio de tête. Seymour encocha délicatement une flèche et arma son tir en direction des arbres. Derrière lui il entendit tout le monde préparait ses armes... Le Sang Pourpre était tendu, sa flèche pouvait partir à tout moment et si danger il y avait, il n'hésiterai pas à protéger les siens. Après un énième tremblement de feuilles, son odorat d'elfe capta des effluves fort désagréables. Un cocktail sauvage de sueur, de sang, de crasse... et puis:

-Tiens cette odeur, je la connait. Fit soudainement Tinòndil l'air perplexe.

Les Cerbères n'eurent plus besoin d'attendre longtemps puisque dans un grand fracas de branches, une ombre colossale apparue bientôt sur le tapis de fougères.

Ecartant d'un revers de main gigantesque la flore devant lui, un véritable troll venait d'apparaître devant les yeux médusés des Cerbères. Une peau blanchâtre, des phalalanges capables de broyer une tête humaine, une gueule sauvage et barrée de cicatrices... il mesurait un bon trois mètres de haut, pas un poil sur le corps, le ventre bedonnant. Enfant, Seymour avait déjà vu des spécimens de ce genre courir au loin dans les plaines de Nirtim. Et déjà de loin ils paraissaient colossaux, alors en débusquer un à quinze mètres devant soi...
Il y eut un instant ou la bête sembla aussi étonnée que les hommes qui se tenaient devant elle, mais son instinct primitif reprit vite le dessus. Par chance le troll ne tenait pas d'arme, mais la charge dans laquelle il s'était élancé aurait pu faire fuir un dieu. Dans un cri guttural il fonça sur Lou, Seymour, Thorik et Tinòndil. Maladroitement le Sang Pourpre décocha son tir qui vint d'abord se planter dans la cuisse du monstre avant de tomber lamentablement, n'accrochant sa peau dure.
Une solution, vite! Bondissant sur sa droite, Seymour pu éviter l'assaut et échapper à une baffe du Troll. Lou avait ramener Thorik en arrière mais Tinòndil eu des ennuis. Ses mains étaient en position pour stopper le mastodonte, la magie commençait à opérer le long de ses doigts. Mais le troll fut plus rapide. D'un revers de son énorme paluche droite, il envoila valser comme une poupée le pauvre elfe. Celui-ci retomba lourdement sur la terre, immobile.

-Ca se fera sans magie...

Dans un sifflement accompagné d'un vrombissement, une flèche et un carreaux firent mouche en même temps. La flèche de Jedidiah ne fit presque aucun dégât. Cependant, le carreau de Chester, plus puissant, s'enfonça profondément dans le flanc du monstre. Ce dernier, faisant preuve d'une once d'intelligence, avait choisi sa nouvelle cible. N'ayant pas le temps de recharger, Chester aurait pu faire ses adieux si Lou n'était pas intervenu. Brandissant sa lame, le chef la plongea dans la jambe gauche du troll qui eut vite fait de le repousser d'un autre revers. A l'instar de Tinòndil, Lou ne fut que partiellement touché par la main du colosse et sa chute fut bien moins lourde. Les Cerbères tentant de construire quelque chose, Hern' le manchot accouru vers Seymour qui encochait tant bien que mal une flèche.

-Argh... Hum... Fait chier! S'empourpra de colère le Sang Pourpre alors que l'adrénaline secouait ses doigts.

-Seymour, ça va?

-A merveille! Ragea le demi-elfe en armant son tir.

Il ne visa pas un point précis du troll mais bien ce qu'il pourrait toucher le plus facilement. Cette fois le projectile frôla sa cible au grand désespoir de son propriétaire.

-Recule, ne reste pas dans sa ligne de mire! Une charge et tu vas finir comme Tinòndil.

-Pourquoi, il est mort? Ironisa Seymour en obéissant.

Devant eux, Bud, Rannek, Thor' et Lou contenaient le monstre en attaquant à tour de rôle. Derrière, Jedidiah décochait des flèches tant qu'il pouvait. La bête ne savait ou donner de la tête et lorsque sa colère fut à son comble, celle-ci poussa un rugissement assourdissant et chargea directement Thorik.

-Non!

Le nain ne faiblit pas sous cette menace. Gardant sa position, il attendit le dernier moment pour se détourner et planter sa hache au niveau du genou de leur ennemi. Cependant, le manque d'agilité de Thor' lui fit faux bon. Ne pouvant éviter la riposte du Troll, il reçut un véritable coup de marteau lorsque le géant abaissa sa main sur son crâne.

-Oh non...

Seymour allégea une fois de plus son carquois. A côté, Hern' était occupé à remonter sa manche gauche, là ou sa main n'existait plus. Spectacle curieux, le Sang Pourpre s'arrêta dans sa lancée. Le Cerbère manchot dévoila une arbalète de poing à double carreaux. Un mécanisme complexe joignait l'arme à un gant noir au poing fermé, feu la main de Hern'. Ce dernier fouilla dans sa poche et en sortit deux carreaux qu'il saisis entre les dents. Levant son bras en direction du troll, il fit feu.

Deux traits d'à peine dix centimètres fusèrent à une puissance phénoménale et vinrent creuser l'épaisse peau du mastodonte pour se loger vers sa colonne vertébrale. Celui-ci se cabra d'abord avant de se retourner en leur direction.
Rannek, le barbare du groupe, s'interposa lorsqu'il devina l'idée de leur ennemi. Il voulait couper son élan et abattit sa hache vers le pied du monstre. Figés d'horreur, Les autres Cerbères virent leur compagnon se faire agripper par le troll qui avait retirer sa jambe au bon moment. Le soulevant à deux mains, il semblait décidé à broyer sa prise. Malgré sa musculature imposante, Rannek allait devenir le jouet du géant. Une flèche de Jedidiah et un carreau de Chester n'arrêtèrent pas le monstre qui secouait l'humain dans tous les sens.
Seymour n'arrivait même plus à armer son tir, il était véritablement tétanisé par le destin que Rannek connaissait actuellement...

Imperturbable à ses côtés, Hern' était déjà occupé à charger deux nouveaux carreaux dans son arme. Au loin Bud reculait un Thorik inconscient tant bien que mal et Lou tailladait les bases de la créature.

-Mes tirs ne dépendent que de la puissance, déclara-t-il. Toi, Seymour , c'est ta précision qui doit prendre place.

S'élançant alors, le manchot chargea le troll afin de trouver un endroit propice où loger ses traits. Le Sang Pourpre banda son arc, expira et... retint sa flèche. Il fallait s'approcher aussi. Même au risque de blesser Rannek, si celui-ci était toujours vivant, Seymour préférait choisir la sécurité. Il fit quelques pas en diagonale et repositionna sa flèche au niveau de son oeil droit. Hern' n'était pas encore arrivé qu'il osa enfin décocher son tir. Son projectile transperça l'air, passant une dizaine de centimètres au dessus du manchot, et vint se planter dans le ventre gargantuesque du Troll. Hern' se retourna, dans sa course et hurla:

-Encore! Fais-le!

Un claquement sec indiqua à Seymour que deux nouveaux carreaux venaient de blesser leur ennemi, grâce à Hern'. Jed' et Chester faisaient de même et Lou, en rage de voir ses précieux Cerbères se faire tailler en pièce attaquait hargneusement les jambes du troll. Gravement affaiblie, la créature s'affaissa légèrement et relâcha un Rannek inconscient.
Ils touchaient tout de même au but! Cette pensée eut l'effet d'un coup de fouet pour Seymour qui une fois encore tira sur la corde de toute ses forces.

Dans un baroud d'honneur, le mastodonte avait levé son énorme bras avec pour projet d'écraser la première cible venue. Le dos raide, le souffle contrôlé, ce n'était pas la tête que le Sang Pourpre visait. Le vent était nul, les conditions parfaites. Lorsqu'il détendit les muscles de ses doigts endoloris, l'élan de son tir fit perdre l'équilibre au Demi-elfe qui ne quittait pas sa flèche des yeux. Simple bout de bois qui signerai peut-être leur victoire...

Le cri rauque du géant se transforma en symphonie de douleur lorsque la pointe de la flèche pénétra son aisselle gauche pour venir y loger vingt bon centimètres. Le souffle coupé, le monstre posa illico son autre main sur la plaie.

-Ah! S'exclama Seymour dans un sentiment de triomphe certain.

D'une autre flèche, Jedidiah fit mouche dans la nuque et Chester dans le ventre.
Le corps ruisselant d'un sang noir, le troll, comme tous, ne s'attendit pas à recevoir à cet instant le coup de grâce. Dans un fracas détonnant, un éclair vint le percuter de plein fouet dans le dos et l'électrisa pendant une dizaine de secondes. Un spectacle effrayant dont Tinòndil était la figure centrale, le magicien. Allongé sur un coude, le visage marqué par la douleur et la haine, son bras tendu déversait comme un surplus de magie sur l'entité vivante qui l'avait blessé. Les flashs de ses fluides projetaient sur son visage une lueur blanche, presque divine. Le voir ainsi affaibli et dominer sans peine un troll de cette taille relevait de l'exploit.

Lorsque enfin le mage retira sa main, le colosse pu s'effondrer dans un nuage de poussière, l'âme en paix.

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((Hrp: Tentative d'apprentissage: Tir précis))

La joie de la victoire fut de bien courte durée, évaporée par la vague de désespoir à la vu des blessés. Tout le monde se précipita sur Rannek, inconscient, peut-être mort. Bud s'occupa de réveiller Thorik et Jedidiah s'en allait vers Tinòndil.
Seymour n'osait s'approcher de Rannek, mais il prit son courage à deux mains. Surplombant son corps, les Cerbères étaient muets. Lou se baissa et prit son pouls...

-Il est vivant! S'exclama Grismine, il est vivant

-Au nom des dieux c'est impossible...

-Si!

Le bras de Rannek, remarqua le demi-elfe, formait un angle étrange. Après sa minute passée dans les mains du troll, le guerrier ne pouvait s'en sortir sans quelques séquelles...

-Tinòndil! Hurla Grismine en levant la tête.

Plus loin, l'elfe se relevait avec l'aide de Jed'. Il se tenait l'épaule gauche et approchait avec peine.

-Il faut aider Rannek, tu en es capable?

-Il a le bras salement amoché. Je vais tenter de le réveiller et de calmer sa douleur mais là... il chancela, je suis trop faible pour le soigner entièrement.

S'agenouillant tant bien que mal, il posa une main sur le torse de l'homme. Une aura blanche enveloppa ses doigts et la magie opéra. Pendant ce temps, Seymour s'en alla voir Thorik, toujours dans les vapes. De son crâne filait un fin trait de sang qui allait mourir dans sa barbe. Malgré les claques de Bud, le nain restait immobile. Le sang Pourpre fouilla alors dans les affaires du nain et dégota une bouteille: de l'alcool. Arrachant le bouchon avec les dents, il fit ouvrir la bouche du nain et y versa un peu de son contenu. Dans une toux violente et un gargouillis désagréable, Thorik se redressa.

-Maintiens-le assis! Fit Seymour à Bud.

Le Cerbère obéit alors que le demi-elfe s'en allait rejoindre Rannek. Le colosse avait ouvert les yeux mais paraissait toujours faible. Des grimaces de douleur tordaient son visage, il crachait un peu de sang.

-Il... il y a sans doute des hémorragies internes, déclara Tinòndil essoufflé.

Il se laissa tomber sur les fesses et farfouilla dans une de ses poches. Sous le regard perplexes de ses alliés, il sortit une fiole emplit d'un liquide transparent. Il dévissa soigneusement le bouchon en verre et approcha le goulot à ses lèvres:

-Santé!

Il bu en une gorgée le contenu. Et puis, des éclairs lumineux jaillirent soudainement de ses doigts, l'elfe semblait avoir reprit du poil de la bête.

-Je voulais garder ça pour un moment plus critique mais on ne va pas prendre de risque.

Alors Tinòndil se mit à l'oeuvre. Il lui fallu un bon quart d'heure, dans le silence de ses alliés, pour soigner Rannek. Il remit son bras en état, sembla panser les plaies intérieures et stoppa les hémorragies...

-J'ai bien fait, déclara l'elfe sur la fin... Il avait trois côtes de brisées et un poumon perforé.

Seymour fut choqué d'entendre cela. Il n'imaginait pas la douleur lorsque Rannek avait été emprisonné dans l'étau "trollesque". A côté, Thorik avait reprit conscience,$ mais restait faible. Il s'occupait à descendre la bouteille afin de reprendre ses esprits. Bud observait comme les autres Tinòndi opérer .Seymour était fasciné par les exploits du jour de l'elfe.

-Voilà, fit-il en arrêtant le flux de magie. Il se releva doucement et regarda Lou: il faut camper. Rannek est trop faible encore, c'est de repos naturel qu'il a besoin. Je ne crois même pas qu'il puisse marcher.

Un peu contrarié, le chef céda sous les arguments de l'elfe.

-C'est d'accord. On ne va pas camper ici, près de ces bois. Il nous faut trouver un autre endroit. Bud et Chester vous vous occupé de Rannek. Jed', aide Thorik s'il en a besoin. Hern' et moi on va chercher un endroit où passer la nuit. Restez tous ici mais ne vous aventurez pas dans les bois...

Seymour jeta un oeil à la créature morte qui avait été leur ennemi. La terre sous son cadavre était gorgée de sang. Avec un dégout certain, le Sang Pourpre retira comme il pouvait les flèches de la chair du monstre. Se rapatriant vers les siens, il s'occupa à nettoyer ses projectiles tandis que Tinòndil soignait la blessure de Thorik, ce dernier le laissant faire à contre-coeur...

Histoire de rester calme, Seymour se chargea de faire une ronde de surveillance en attendant le retour d'Hern' et Lou. Son regard s'attarda sur les bois, craintif de ce qui pourrait en sortir d'autre. Les mercenaires avaient vaincu un troll, sans pertes lourdes grâce à Tinòndil. Cet elfe savait cacher son jeu, jamais Seymour n'avait auparavant vu une telle déferlante de magie...

Il fallu attendre une bonne heure avant de voir Lou revenir seul. Il expliqua que Hern' était resté garder les affaires, qu'il était temps d'y aller.
Les mercenaires se relayèrent pour transporter un Rannek presque inconscient. Thorik tenait debout grâce aux soins de Tinòndil. Le Sang Pourpre emboita le pas à Lou qui leur indiquait le chemin.

-c'est pas si loin mais on a mit pas mal de temps pour trouver. Et puis il fallait rester loin de ces bois...

Soudain, Seymour eut un mauvais pressentiment. Du même vice que s'il se sentait épié, il se retourna et croisa le regard inquiet de Tinòndil. Celui-ci lui rendit une expression interrogative que Seymour devina: "Tu sens ça?" Le crépuscule tombait lorsque Lou déclara:

-On doit être à environ trois cent mètres. En fait avec Hern'...

Le chef ne finit pas sa phrase. Comme si Valyus venait de marteler la terre de sa foudre, toute la troupe fut projetée au sol par un tremblement violent. Au loin, un flash, puis une explosion cataclysmique traduisit ce phénomène étrange. Plaqué au sol, le Sang Pourpre distingua une colonne de flammes blanches à environ trois cent mètres devant...

-Hern'! Hurla Lou désespérément.

Le chef se releva d'un bond et couru comme un dératé vers le feu qui se dissipait... Une fumée noire s'élevait à présent.
Seymour, médusé par cette incroyable spectacle désigna le lieu de l'explosion et interrogea Tinòndil:

-Il y a de la magie là-dedans?

-Hum... tu l'a sentie en même temps que moi, répondit l'elfe en s'élançant. Ramenez Rannek, prenez votre temps.

Lou était déjà loin. Jed' et Bud s'occupaient de transporter le colosse, Thorik s'était élancé dans un sprint féroce malgré ses courtes jambes. Le Sang Pourpre le suivit.

Si Hern' était sur les lieux, il ne devait plus rester grand chose de lui. Les larmes montèrent aux yeux du demi-elfe, en plus d'avoir une idée de l'origine de l'explosion. Il dépassa Thorik et rejoignit Tinòndil et Lou. Il s'arrêta une trentaine de mètres avant. Le chef était à genou, l'elfe s'affairait à chercher des choses dans son sac... entre eux, le corps d'Hern'. Plus loin gisait un cratère noir et fumant d'une vingtaine de mètres de diamètre. Quelques débris témoignait de la présence d'objet, à présent presque désintégrés...

-Oh merde... s'exclama Thor' de sa voix rocailleuse.

Les deux compères s'avancèrent, l'angoisse au coeur.

-Par Valyus...

Seymour ne pu trouver les mots. Hern' était à terre, sur le dos. Le côté gauche de son corps était touché... De sa tignasse, en passant par sa main déjà amputée puis jusqu'à sa jambe gauche: brulées. Il était déjà étonnant qu'il survive, le voir tenter de prononcer quelques mots fut un exploit:

-Oh... me...merde. Je suis... bon je... crois...

La partie gauche de son crane et de son visage avaient été déformée... Son oeil était hors-d'usage. De son arbalète de poing il ne restait rien, son moignon était à vif, ses vêtements laissaient voir de graves blessure. Les spasmes l'empêchait d'articuler...

-Lou, maintiens-le, ordonna calmement Tinòndil en plantant une seringue dans un minuscule pot en verre.

-Tu peux le soigner? S'étonna le chef.

-Je ne vais pas le laisser partir sans avoir tenté.

Il déchira la manche du bras valide d'Hern' et chercha la veine au niveau du coude. Enfin il y planta l'aiguille et injecta le contenu:

-De la morphine, expliqua-t-il.

-c'est quoi? Demanda Thorik.

-Neutralise la douleur, ça le plongera dans un état moins douloureux. Je vais user de tout mon matériel et de mon pouvoir. Ses blessures son très graves...

Pas longtemps après, les spasmes d'Hern' se calmèrent. Le manchot réussi même à articuler une phrase:

-'Pensais pas... qu'une envie de pisser pourrait m'éviter... de mourir désintégré... A la place je vais mourir brulé...

-Hum... au travail.

Seymour préféra laisser Tinòndil opérer. Le coeur serré, l'arc à la main, il s'enfonça dans le cratère. L'odeur âcre lui fit plisser des narines, il couvrit son nez de sa manche. C'était de la magie, il en était certain. Pourtant, lui-même était dénué de ces fluides étranges, ce pressentiment devait provenir de ceux de sa mère. Un héritage qui lui avait sauvé la vie... Circulant entre les volutes de fumée, le Sang Pourpre chercha. Il chercha et comme il l'avait deviné, il ne trouva rien. Certain de son idée, il préféra attendre que Tinòndil en ai fini avec Hern' pour exposer sa situation. Au loin, le reste des Cerbères approchait, les yeux dépités...

-Tu penses à ce que je pense?

Seymour se retourna, surprit de ne pas avoir entendu Tinòndil approcher. Il contemplait encore le cratère de l'explosion.

-Hum... le coffre...

-Oui, le coffre, répéta l'elfe. Je n'irai pas voir Lou en lui disant "Je te l'avait bien dit", ce serait déplacé en vue des circonstances actuelles.

Le Sang Pourpre eut le coeur serré:

-Il est...

-Je ne sais pas. Il est dans le coma pour l'instant, on ne sais pas s'il va s'en sortir. L'explosion a causé des dommages magiques, c'est très dur à soigner. C'est comme si elle opérait encore.

Tinòndil était resté presque deux heures sur le corps meurtri de la Main Blanche. Il faisait presque nuit à présent.

-On doit le mener au plus vite à Dahràm, on est à un peu plus d'un jour de marche. Jed' et Chester sont partis confectionner une civière avec du bois et les toiles des tentes, il faudra se relayer pour transporter Hern'. Bud est resté auprès de Rannek et Lou boit avec Thorik.

-C'est une bonne idée ça?

-Peut-être, répondit l'elfe en haussant les épaules. Mais dis-moi, qu'as-tu ressenti...

Seymour savait que Tinòndil aborderait le sujet. Après tout, c'était un expert en la matière.

-Un malaise. J'étais oppressé, presque angoissé par... je ne savais quoi.

-C'est étrange. Tu es certain d'être dénué de fluides magiques?

-Eh bien maintenant, je ne peux pas te répondre franchement. Je ne vois qu'une explication: ceux de ma mère. Ma mère était guérisseuse, c'est peut-être un peu de son pouvoir qui m'a persuadé du danger aujourd'hui...

-Moui, répondit L'elfe perplexe. C'est plausible. En attendant, quelqu'un a voulu notre mort.

Ces mots sonnèrent comme un glas dans la tête de Seymour. Pour la première fois, quelqu'un voulait la mort de tous les Cerbères.

-Oui, je crois qu'on a un nouveau contrat.

-Lou passe son temps à rager et à pester contre la personne qui lui a refourgué le coffre. On ne va pas retourner à Omyre maintenant, à cause d'Hern', mais après...

-Je suis de son avis. On doit élucider ce mystère, qui a voulu l'extinction des Cerbères?

L'elfe soupira.

-Je n'en sais rien mais une chose joue en notre faveur: pour l'instant nous passons tous pour morts. La vengeance n'en sera que plus fatale.

Par miracle, Hern' tenait bon. Le reste des bandages de Tinòndil recouvrait à présent les parties les plus meurtries de son corps. L'elfe avait réussi à soulager la douleur de l'homme, il avait réduit l'état critique des plaies. Rannek, lui, était de nouveau sur pied.

Il avait fallu un jour entier pour que les Cerbères puissent se remettre en route pour Dahràm. Mais aujourd'hui, il n'y allait plus pour remettre le coffre... Lou avait admit, sous les arguments nourris de Tinòndil et Seymour, que ce coffre leur était forcément destiné. Programmé pour décimer le clan de mercenaires loin de la ville, le plan semblait avoir échoué. Une seule question persistait: qui voulait leur mort? Le chef faisait particulièrement attention aux gens qui l'employait. Il tenait plusieurs personnes de confiance, avait-il déclaré. Ces gens là qui se comptaient sur une main payaient cher le prix, les contrats étaient intensément plus risqués aussi. Lou leur faisait confiance, comme eux le lui faisait.
En revanche, l'ennemi qui leur avait confié ce coffre, ce contrat maudit, Lou ne le connaissait pas. Il avait avoué à ses hommes, chose qu'il ne faisait jamais, les closes du contrat: Avant sept jours, il leur fallait transporter ce coffre à Darhàm à un certain Rufus Glorhoï. Cet homme tenait apparemment un petit trafic d'armes dans toute la ville.
Si les informations s'avéraient être bonnes, le trouver ne serait pas une chose trop compliquée. Lou ne savait malheureusement rien sur l'employeur qui leur avait remit le coffre, sauf un surnom: Le Clou d'Ombre. Il devait ainsi présenté le coffre, signé de ce nom étrange... une lourde somme à la clé avait de plus relancé la motivation du chef Cerbère qui avoua avoir accepté bien vite ce contrat. Ce Rufus Glorhoï devait leur remettre la somme, chose qui n'arriverait probablement jamais.

Etre ainsi prit pour cible plongeait Seymour dans un état de panique. Tantôt il arrivait à ne pas y penser, tantôt le fait d'être encore vivant lui rappelait que la mort était omniprésente. Faire partie des Cerbères tirait en lui une force invisible, une solidarité qui gonflait son courage et sa motivation. Mais le demi-elfe s'était aperçu bien vite que l'union, si elle faisait la force, n'éloignait certainement pas la mort...