Le guide de Daemon l’invita silencieusement à le suivre, sans pour autant préciser où il le menait. Il répondit à la place à son interrogation sur le débouché qu’il avait aperçu à l’extrémité du chemin. Selon lui, ce n’était pas une entrée, mais il s’agissait du « vide des âmes ». Un endroit qui ne ressemblait en rien au monde matériel, sans sol ni roche, juste un néant habité par la brume des esprits des défunts. Cette perspective de vide indescriptible troubla profondément Daemon, qui devenait angoissé à l’idée qu’une telle chose puisse exister, là, de l’autre côté du défilé… Rapidement son imagination remplit le vide supposé par des images de créatures chimériques et impossibles, des horreurs cosmiques issues du vide, qui feraient frissonner même la mort.

Il eut d’ailleurs un léger frisson, mais son regard fixe ne laissa rien paraître.

« Je suppose que je vais bientôt découvrir cet endroit, lorsque ce corps s’écroulera… Cela viendra vite. »

Ils rebroussèrent chemin sans ajouter autre chose, jusqu’à l’entrée de Jésuir à présent familière à au semi-elfe. Ils y rejoignirent Azra qui s’excusa auprès du guide, de « Tribar » apparemment, déclarant ne pas l’avoir reconnu sous sa nouvelle condition. Il s’adressa alors à Daemon et l’invita à écouter ce qu’il avait à dire, avant de l’attirer vers Anastasie et le Sans Visage qui étaient en train de discuter assis sur la roche piquée de gemmes. Lorsque les mages noirs arrivèrent assez près d’eux pour pouvoir les entendre, le Sans Visage acheva la conversation en déclarant devoir les laisser, d’une manière hésitante, inhabituelle, presque imperceptible, mais assez pour que Daemon bascule la tête d’un air scrutateur. Il implora la porteuse de lumière de ne rien dévoiler de ce qu’il venait de raconter de son histoire, car le monde n’était pas encore prêt ; et il disparut de leur vue, tout simplement, comme s’il n’avait jamais été présent.

« Que vous a-t-il raconté ? » demanda Daemon malgré la demande du Sans Visage. « Il nous avait aussi promis des éclaircissements… »

Azra prit alors la parole pour dévoiler les conclusions de son entretien avec le maitre des lieux. Il voulait prétendre qu'Elysea, la prisonnière des Ol’Toga, s’était faite tuer alors qu’elle eut attaqué les ombres. Colporter ce ragot devrait permettre, disait-il, d’inspirer assez de crainte pour éloigner tous les curieux.

Daemon émit un rire amusé.

« Il est vrai que le cœur d’Elysea bat encore, je l’ai vu. Cependant son existence ne représente plus rien. Elle est enfermée dans une cage de verre, dans un état de stase, privée de vie… mais aussi de mort. J’ignore d’ailleurs ce que les Ol’Toga comptent faire d’elle. » finit-il en adressant un regard à son guide, comme s’il s’agissait d’une question. « Mais j’accepte d’adhérer à ta manœuvre, même se je pense qu’une brume mortelle reste plus contraignante qu’une triste histoire. »

Il fit une moue attendrissante pour souligner l’effet dramatique, avant de rengainer d’impatience.

« Bon ! On fait quoi maintenant ? Il n’y a pas grand-chose à faire par ici pour les vivants… »

(((500 mots)))

Alors qu'elle terminait de poser ses questions, Azra et Daemon sortaient de la ville des Ol'Toga, au loin. Anastasie ne leur prêta que peu d'attention, plutôt attentive aux réponses du Sans-Visage. Celui-ci lui déclara que les morts ne souffraient pas, ou en tout cas de rien d'autre que des regrets de leur vie passée, ainsi cette transformation n'apportait aucun changement pour eux. Il ajouta que les spectres de la cité devant laquelle ils se trouvaient était les seuls à pouvoir souffrir, et que cette transformation de la Savane Tanathéenne les ravissait. Ainsi, il semblait dire qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter à propos des défunts et de leurs âmes. La jeune femme pinça les lèvres, à moitié convaincue ; la mort était décrite comme un passage reposant, sur Yuimen, elle peinait à imaginer un monde sur lequel tous les morts se comportaient comme des âmes en peine mais n'en ressentaient pas pour autant la moindre gêne. Les seuls morts qu'elle savait se comporter de cette manière, par chez elle, étaient ceux utilisés par les Nécromanciens.

Elle décida cependant de ne pas creuser plus loin, du moins pas pour le moment, et hocha la tête lorsque le Sans-Visage lui fit part de son intention de partir. Sans doute aurait-elle pu profiter de ce moment pour poser d'autres questions, mais en même temps elle ne devait pas trop s'attarder ici. Alors qu'il disparaissait comme il était apparu, non sans lui demander de ne pas trahir son secret, Anastasie se tourna vers les deux non-morts venus de Yuimen, remarquant avec un froncement de sourcils qu'Elysea n'était pas avec eux. Et la réponse à cela lui fut donnée avant même qu'elle ne demande des explications : Azra déclara simplement qu'elle était morte, provoquant une expression de choc et de surprise sur le visage de la Comtesse. Il expliqua alors une histoire à dormir debout selon laquelle elle, une prisonnière, logiquement désarmée et probablement surveillée par des gardes, avait attaqué seule tous les Ol'Toga et qu'ils durent la tuer pour se défendre. Après la surprise vint la colère sur les traits d'Anastasie.

( Arrête, ) fit simplement Zekiel dans son crâne.

Mais sa main se posait déjà sur le pommeau de sa rapière.

( Elle est morte, c'est trop tard ! ) s'énerva l'Ombre.

Mais la jeune femme n'en avait cure. Ce dont Azra parlait ressemblait à s'y méprendre avec l'assassinat d'un prisonnier.

( Et qu'est-ce que tu comptes y faire ? Tous les tuer ? Seule ? )

Mais ce ne fut pas lui qui parvint à calmer la rage de la jeune femme, mais Daemon, qui prit la parole à son tour... pour désavouer ce que venait de raconter son compagnon. Il déclara qu'Elysea était toujours vivante, enfermée dans une cage de verre. Il ne savait pas ce pourquoi les Ol'Toga la gardait, mais il semblait s'en moquer. Il demanda à la suite de cela, presque nonchalamment, ce qu'ils pourraient bien faire désormais, ce à quoi Anastasie répondit d'un ton sec.

« Vous vous faites ce que vous voulez tant que vous disparaissez de ma vue, » cracha-t-elle en passant d'un pas décidé entre eux pour se diriger vers l'entrée de Jésuir.

Azra lui avait demandé de raconter à tous que cette Savane était dangereuse et indigne du moindre intérêt pour éviter que « cela ne se reproduise », mais avec la version de Daemon elle commençait à comprendre de quoi il en retournait. Le but était d'obtenir son aide pour raconter à tous qu'il n'y avait rien ici. Et sans doute gardaient-ils Elysea en otage pour la convaincre si elle refusait de les aider après le mensonge d'Azra.

( Laisse-la donc ici, ) tenta de la raisonner le Vaahs'Umbra.
( Tu ne comprends pas, ) balaya-t-elle simplement en descendant les marches de pierre.
( C'est vrai, ce n'est pas comme si j'étais dans ta tête, ) railla l'autre. ( Tu penses que tu aurais pu être elle, une fanatique stupide et irréfléchie. Mais ce n'est pas pour autant que tu es responsable d'elle : elle a ton âge, probablement plus d'expérience que toi, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour être devenue si stupide. )
( C'est bien ce que je dis, tu ne comprends pas, ) conclut la jeune femme en s'approchant du gardien de Jésuir.

« Je comprends votre manigance, » fit-elle en s'arrêtant à moins de deux pas de lui. « Mais laissez-moi vous donner un conseil pour l'avenir : Adressez-vous plutôt aux passions qu’aux vertus quand vous voudrez persuader une femme. Si vous voulez que je vous aide à rendre ce lieu secret, dites-moi donc qu'Elysea est en vie, et qu'elle le restera tant que j'obéirai, ne me faites pas croire à une fable moralisatrice. »

Son ton était piquant, presque méprisant. Si elle avait accepté, qu'auraient-ils fait alors que leur prisonnière ? Ils l'auraient simplement exécutée ?

« J'accepte, » finit-elle par cracher. « Mais voilà ce qu'il va se passer : je dirai à travers votre monde que cette Savane ne représente aucun intérêt et de multiples dangers. Je dirai que je l'ai fouillée de fond en comble sans trouver la moindre trace d'indice sur quoique ce soit. Cette Savane, pour tout le monde, ne sera rien de plus que l'endroit où vont se reposer les morts une fois qu'ils ne sont plus que des âmes. Cependant lorsque je reviendrai, vous relâcherez Elysea, vivante évidemment. Je l'escorterai moi-même en dehors d'Aliaénon, jusqu'à Yuimen, pour qu'elle ne puisse trahir votre secret, et vous n'entendrez plus jamais parler d'elle. Si vous deviez rompre cette part du marché, alors nous serions ennemis. Et croyez-moi que j'aurai pris mes précautions pour que, si je ne reviens pas de ces landes, le monde entier soit mis au courant que vous êtes ici, et que vous êtes un peuple qui assassine ses prisonniers. »

( Tu vas nous faire tuer, ) s'agaça Zekiel.

Mais elle l'ignora et tourna simplement les talons. S'ils avaient besoin d'elle pour colporter des rumeurs, alors elle le ferai : n'était-ce pas tout ce qu'ils attendaient d'elle ? Si pour se faire ils avaient juste besoin de ne pas tuer leur prisonnière, alors ce devrait être une tâche à leur portée, ils n'avaient aucune raison de la tuer. Sur ces pensées, elle prit la direction de la sortie de la caverne. Lorsqu'elle serait enfin dehors, elle tâcherait de trouver le Nord en repérant l'endroit par lequel ils étaient arrivés et s'orienterait vers l'Est pour se diriger hors de la Savane tout en se rapprochant d'Esseroth. Elle ne savait plus exactement où celle-ci se trouvait, si ce n'était vaguement au Sud-Est de sa position, mais elle se poserait cette question plus tard, quand elle aurait mis ces landes de mort derrière elle.

Le spectre ne sembla pas comprendre les premiers mots d'Anastasie, avant, après ses explications, de lui affirmer qu'ils ne la tueraient pas. Ainsi si la jeune femme tenait parole, ils songeraient à le la lui restituer.

La Comtesse tourna donc les talons pour se rendre en direction de ce qu'elle pensait être la sortie de la grotte... avant de se rendre compte de son erreur. Elle n'avait pas pensé à regarder derrière elle à leur arrivée en ces lieux, ainsi elle n'avait pas pu remarquer que ce qu'elle avait pris comme une pente très raide était bien plus verticale qu'elle ne l'avait initialement pensé. Ainsi c'était une véritable falaise qui se dressait devant elle et qu'elle devrait escalader si elle voulait espérer sortir de là par ses propres moyens. Et elle était tentée de le faire. Très tentée. De quoi aurait-elle l'air, après ses menaces et son pas décidé, si elle rebroussait chemin pour leur demander de l'aide ? D'une parfaite idiote. Pour autant, les mots du Sans-Visage résonnaient dans son esprit : la protection dont il l'avait affublée ne durerait pas éternellement, et lorsqu'elle flancherait elle devrait se risquer à lancer un nouveau sort pour se protéger des âmes assassines qui arpentaient la Savane Tanathéenne.

Elle avait donc d'un côté le choix de l'orgueil, qui consistait à grimper jusqu'à l'extérieur au péril de sa vie, risquant une chute dangereuse, voire mortelle, chaque seconde, avant de ressortir de là épuisée, sans eau, de longues minutes plus tard, pour finir par certainement devoir lancer un sort dans un état critique à cause du temps perdu. De l'autre côté elle pouvait tenter sa chance auprès des Ol'Toga, leur demander un moyen de sortir de là rapidement et sans risque. Après tout ils avaient intérêt à ce qu'elle reste en vie. Mais la situation serait embarrassante, après les termes en lesquels elle et le gardien s'étaient quittés.

( Ta fierté est si mal placée pour que tu aies vraiment besoin de peser le pour et le contre ? ) railla Zekiel.

Elle ignora son commentaire et, après avoir inspecté la roche qui se dressait devant elle, consentit à se retourner, cachant une moue boudeuse que ses joues rouges de honte ne faisaient qu'accentuer. Elle n'avait pas tellement le choix. Aussi s'avança-t-elle de nouveau vers l'entrée en forme de crâne, s'approchant de nouveau de son gardien.

« Il n'y a pas d'autre issue que cette falaise à votre grotte ? » demanda-t-elle nonchalamment. Le meilleur moyen de ne pas faire ressentir sa gêne était encore de prétendre que rien ne s'était passé. « Je vais avoir besoin de sortir d'ici si vous voulez que je dise à tout le monde qu'il n'y a rien sur ces terres. Vous pouvez m'indiquer une sortie plus... commode ? Et pourquoi pas, si c'est possible, une qui m'amènerait le plus proche possible d'Esseroth ? »

Elle n'était pas tellement emballée à l'idée de faire un bout de trajet avec eux, mais s'ils pouvaient la guider hors de ces terres avec plus de sécurité qu'à l'aller, elle n'allait pas le refuser. Après tout son effet de style était fichu maintenant.

La liche et la porteuse de lumière se toisaient chacun plein de méfiance. Un sinistre silence, empreint d’une réelle tension, persistait après les propos de Daemon, qui résonnaient encore dans l’immensité comme le glas de la tranquillité de la nécropole. Il avait une nouvelle fois contrarié ses compagnons, en se moquant du plan d’Azra qui consistait à colporter des mensonges par-delà la lande, ainsi qu’en décrivant la captivité d’Elysea en détail à son acolyte.

Cependant, la tension entre Azraël et Anastasie avait atteint une telle culminance, qu’ils semblaient l’avoir totalement occulté. La guerrière notamment, qui paraissait atterrée par le comportement d’Azra, qui lui demandait l’air de rien d’adhérer à son plan postiche et de raconter à qui veut le massacre de sa collègue.

Daemon crut un instant qu’ils allaient dégainer et il observa la scène avec une grande attention. Pourtant, à sa grande déception, une résignation forcée et rageuse se lut sur le visage de la guerrière, qui finit par cracher un : « J’accepte. », avant d’imposer ses conditions, qui consistaient notamment à reprendre Elysea une fois la tâche accomplie. Cependant, toujours dans la même tirade et sans détourner les yeux, elle n’hésita pas à menacer Azra, en entendant qu’elle prendrait ses précautions au cas où il ne respecterait pas sa parole.

Cette réplique agaça promptement Daemon qui était outré qu’elle ose ainsi s’imposer, alors qu’elle n’avait strictement rien pour négocier : seule et encerclée par ses ennemis naturels. Son expression amusée s’estompa brutalement et il fit quelques pas en direction de la théurgiste.

« Vous et vos précautions… Je vous conseille de changer de ton. Expliquez-nous - et surtout aux Ol’Toga qui écoutent et partagent en silence – quels intérêts ont-ils à vous laisser partir d’ici vivante ? Vous devriez être plus reconnaissante envers leur hospitalité. Peu de vivants peuvent se vanter d’avoir contemplé ces portes et d’en être revenu… Enfin je suppose. »

Azra aussi reprit la parole et refusa catégoriquement d’accéder à la libération d’Elysea. Elle était une fanatique avec pour ambition d’éradiquer les ombres et la laisser en liberté était beaucoup trop risqué ; elle méritait son sort.

Après cela Anastasie intima son désir de partir pour Esseroth et demanda au squelette à la lance s’il existait une autre sortie que l’impraticable falaise par laquelle ils étaient venu. Daemon jaugea de loin la paroi accidentée perdue dans la pénombre, avant de lui demander, par curiosité :

« Et que comptez-vous faire à Esseroth ? »

Au contraire d’elle, il n’avait plus aucune perspective de voyage et d’avenir ; emprisonné dans cette lande de mort. En un certain sens, il jalousait l’insouciance qui la poussait à quitter les lieux. Il voulait partir, lui aussi. Jésuir ne lui convenait pas. Il avait embrassé Phaïtos et il souhaitait rejoindre son royaume, mais pas cette nécropole perdue dans le cosmos… pour l’éternité.

L’éternité, à ce qu’on disait, c’était plutôt long.

Il s’était sacrifié par orgueil envers ses préceptes et pour une quête qui s’était révélée n’avoir aucun sens ; et ce sacrifice, il allait le payer par la dépossession de tout ce à quoi il aspirait. Une colère sourde monta peu à peu en lui.

- 500 mots -

Anastasie souhaitait toujours quitter la nécropole et ses questions furent accueillies par le squelette à la lance de manière glaciale. Il lui répondit qu’aucune autre issue ne lui était accessible. L’ironie du sort se refermait donc sur la jeune guerrière. Elle était entièrement libre de partir, mais seulement par ses propres moyens et en prenant de grands risques, car cette fois-ci le Sans-Visage ne sera pas là pour la faire léviter.

Daemon écoutait la réprimande aux allures de condamnations avec intérêt, sans quitter l’imposante falaise des yeux, l’unique accès connue à Jésuir. Alors une exclamation retentit. Azraël insistait sur le fait qu’il devait lui aussi partir pour Arothiir et il ne s’attendait pas à cette situation. En tant qu’invité d’honneur chez les Ol’Toga, il réclamait un nouvel entretien auprès du seigneur pour qu’on lui indique un passage plus pratique.

Un sourire amusé se dessina sur le visage hâve du semi-elfe. La naïveté de son compagnon le surprenait beaucoup, puisqu’il était évident que les habitants du coin évitaient de révéler leurs passages à une ennemie potentielle. Cependant, le fait que son invocateur voulut quitter Jésuir aussi vite lui déplaisait. Azra allait continuer à arpenter le monde dans la peau (ou les os) d’un immortel, alors que lui allait le suivre pour quelques jours et ensuite croupir dans la solitude de la tombe.

« Soit. Allez demander conseil à votre confrère, d’autres passages doivent bien exister. »

Son ton était sanguin. Il n’avait pas apprécié l’attitude dédaigneuse et presque hostile qu’Azra avait adopté à son égard lors de sa confrontation avec Anastasie. Il l’avait clairement ressenti… Il préférait donc vaquer à ses occupations, le temps de se défouler.

« Je vous y rejoindrai, attendez-moi. »

Puis il se replongea dans la contemplation de la falaise. Il songeait à son enfance à Dahràm et à ses aventures en compagnie d’Asad. Plus jamais il ne plongera son regard dans le sien… Une foule de regret l’assaillit alors, des moments passés à attendre et à espérer, de toutes les choses qu’il n’avait jamais osé faire, qu’il avait reporté à plus tard ou simplement parce qu’il s’imaginait avoir le temps. Il comprit alors qu’à vénérer la mort au quotidien, il en avait oublié de vivre… Il aurait souhaité claquer des doigts et renier tous ses choix passés ; obtenir une seconde chance et recommencer sa vie sans jamais entrer dans cette caverne.

« J’avais aussi promis à ma tante Olwë de lui rendre visite une fois ma mission accomplie. Elle doit m’attendre en ce moment même, dans mon village natal et désert, au sommet du pinacle surplombant la forêt. Quand la reverrai-je ? Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village fumer la cheminée, et en quelle saison reverrai-je le clos de ma pauvre maison, qui m’est une province et beaucoup davantage ? »

Il essuya ses larmes. Il aurait voulu montrer le vieux temple à Asad. Son cœur ne battait peut-être pas, mais une intense douleur ravageait sa poitrine. Il fit quelques pas en direction de la falaise et adressa un regard morne à Anastasie.

« Venez avec moi, je vais vous ouvrir la voie. Si le passage s’avère difficile à escalader, j’aurais moins à perdre que vous. » Puis en abaissant la voix de manière à ce qu'elle seule entende ce qu'il disait. « À l'avenir, vous pouvez compter sur moi pour entrer et sortir de cette cité. »

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(((Daemon se dirige vers la falaise pour entreprendre l’escalade.
Post précédent non noté : ici
Citation de Du Bellay)))

Le spectre répondit à Anastasie qu'il ne voyait toujours pas de quoi elle voulait parler, et refusa de l'aider à sortir, apparemment peu soucieux de la voir mener à bien sa mission, qui semblait de plus en plus avoir été inventée de toute pièce par Azra, à moins que le garde de l'entrée ne soit pas au courant de la supercherie.

( Calme toi, ) apaisa Zekiel dans son crâne, la sentant bouillonner de plus en plus face à cette situation qui échappait à son contrôle.

Mais pour ne rien arranger, Daemon arriva bientôt derrière elle pour la railler gratuitement, apparemment de plus en plus enclin à la puérilité depuis sa mort. Là où elle avait vu en lui un gamin perdu la veille, elle ressentait maintenant toute la stupidité de la jeunesse, mais accompagnée d'un sens de l'humour plus que douteux et d'un manque flagrant de respect pour toutes les choses de la vie. Il était passé de l'enfant rebelle au gosse insupportable et potentiellement mortellement dangereux, et ce pour, visiblement, aucune espèce de raison logique. A moins que l'on considère la mort comme une raison logique, ce qui pouvait avoir du sens.

Azra également sembla choqué par les réponses du garde, cependant, craignant visiblement que la restriction s'applique également à lui et qu'il ne puisse s'en sortir. Il était soudainement paniqué, ce qui arracha une certaine satisfaction à la jeune femme. Elle se doutait cependant qu'en qualité d'ami il lui serait donné la possibilité d'emprunter une issue interne, contrairement à elle. Qu'en serait-il de Daemon ? La question restait entière. En attendant elle n'avait plus qu'à essayer l'immense pente par laquelle ils étaient entrés, sans quoi elle serait obligé de tenter l'entrée par la force, et y succomberait certainement.

Elle se désintéressa alors rapidement de l'entrée de la cité des morts pour retourner près de la falaise, en même temps que Daemon, qui lui aussi semblait considérer l'ascension. Celui-ci, contre toute attente, lui proposa son aide, attirant un froncement de sourcils suspicieux de la part de la Comtesse. Il lui offrait de passer en premier pour tester la solidité des appuis, histoire qu'elle, mortelle contrairement à lui, passe juste après et puisse éviter les endroits plus fragiles. L'idée ne lui coûtant rien, elle acquiesça et, alors que le jeune homme entamait la montée, se concentra pour lancer un sort. Elle le suivrait et ferait attention de suivre le même chemin que lui, au moins tant que la roche semblerait solide, mais d'abord elle voulait être certaine de ne pas tomber de fatigue en chemin. C'était un sort qu'elle connaissait bien, y ayant eu recours de multiples fois par le passé, notamment avant ses plus douloureux combats, mais elle craignait quand même de l'effet qu'il aurait en ces lieux, au vu du résultat de certains sorts. Elle lança tout de même la magie dopante sur son corps, pour se prémunir de la fatigue et rester endurante pour les heures à venir. Dès qu'il ferait effet, elle irait à la suite de Daemon et laisserait, elle l'espérait, cet endroit de malheur derrière elle.

Un froissement de sourcil de la part d’Anastasie accueillit l’offre de Daemon de lui offrir son aide. Il était indéniablement étrange qu’il souhaitât ouvrir la marche jusqu’à l’entrée de Jésuir, située à une cinquantaine de mètres plus haut, alors qu’il avait été aussi peu cordial à son égard quelques minutes avant. La théurgiste devait bien se douter qu’il y avait anguille sous roche ; que le mort-vivant allait lui réclamer une contrepartie… Pourtant, elle acquiesça sans un mot et elle le suivit jusqu’au pied de la falaise.

La paroi sombre et suintante d’humidité disparaissait dans l’ombre. Son image paraissait incertaine, comme si les perspectives étaient faussées. La pierre luisait en certains endroits et renvoyait une image presque organique. Trouver des prises sur une surface aussi glissante allait s’avérer difficile, même avec les griffes du gantelet de Thimoros.

Mais dans un sens cela l’arrangeait. Des prises peu sûres accroissaient le risque de chute et en donnant un peu du sien, la besogne s’annonçait enfantine. D’un simple geste, il pourrait mettre la nécropole en sureté et s’assurer une compagnie pour explorer la porte du néant lors de la longue éternité qui s’annonçait devant lui.

Daemon se frictionna les poignets en tapant machinalement des talons sur le sol, avant d’adresser un sourire amical à Anastasie.

« Il est temps de s’y mettre. Attends un peu que je trouve le truc et une voie praticable. »

Elle semblait préparer un sortilège, surement pour maximiser sa condition, car escalader un mur avec autant de ferrailles sur les épaules s’annonçait fatiguant. Il la laissa à ses préparatifs et glissa ses doigts dans une anfractuosité. Une fois sa prise assurée, il se hissa jusqu’à poser ses bottes, les jambes arquées, prêt à atteindre l’extrémité d’une élévation.

Alors qu'il se préparait à s'élancer, un bruit marqué retentit derrière lui, lui rappelant une bourrasque, mais avec l'écho si caractéristique de la magie. Il se figea instantanément, avant de se retourner avec prudence : Anastasie avait disparu.

Il lâcha prise pour se laisser retomber au sol et scruta attentivement les environs sans trouver de trace de la théurgiste. Il ne l’avait pourtant quitté des yeux que quelques secondes. Si elle s'était enfuie en courant, elle serait encore visible et les tintements de son armure lui seraient parvenu…

Daemon resta coi quelques secondes devant l’inexplicable. Il se demanda si, ayant flairé le piège, elle se serait dissimulée à l’aide de la magie. Il passa alors une main dans son sac et en sortit un caillou gravé. Il s’agissait d’une rune, sorte de pierre magique, qui pouvait provoquer des événements spéciaux. La pierre en question se nommait « aoy » et signifiait invoquer. Il la fit rouler entre ses doigts en murmurant silencieusement son nom. Si Anastasie était dans les environs, la rune pourrait surement la révéler à ses yeux, voire même l’attirer à lui.

Mais il lui vint l’idée qu’elle n’était peut-être plus ici. Le Sans-Visage avait aussi disparu sans laisser de trace, juste devant ses yeux. Donc l’hypothèse qu’il eut transporté Anastasie était la plus probable. C’était même cohérent, puisqu’ils avaient manigancé lors de sa visite de la ville.

Il se demanda alors pourquoi il n’avait pas attendu le départ d’Anastasie. Sans doute était-ce pour connaitre le sort d’Elysea…

L’affaire devenait de plus en plus louche à ses yeux et il replongea la pierre dans son sac.

« Je vais devoir me passer de la compagnie d’Anastasie… »

Il décida donc, n’ayant plus personne à assassiner, de rejoindre Azra dans la cité.

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