La hargne qui me parcoure semble désirer me donner des ailes, puisque là où l’instant d’avant, je m’empêtrais lamentablement en m’emmêlant les bras et les armes, les pieds et les jambes, dans ces satanées lianes, voilà maintenant que je parviens à me faufiler lestement entre, jusqu’à récupérer d’un geste vif mes armes, que je ne prends même pas le temps de ranger pour poursuivre ma course effrénée, sautant, bondissant avec acharnement et agilité pour échapper à ces ennemis forcenés. Et c’est avec brio que je parviens finalement à survivre au rempart végétal et agressif qui s’est dressé devant nous suite à une regrettable erreur de jugement sur le chemin à emprunter.
(Tu aurais pu m’éviter ça !)
(Qui te dit que l’autre couloir n’était pas pire ?)
(Grmbl…)
Une fois de plus, je cède face à la logique imparable de Lysis. Je me donne quelques remontrances internes de lui donner des perches aussi évidentes, qui ne font, à coup sûr, que raffermir son côté cassant et sûr d’elle.
Mais l’heure n’est pas aux dissensions internes avec ma faera : Sidë, visiblement moins habile ou moins chanceuse que moi dans le maniement de son trident, et de ses jambes, pagaie un peu dans la semoule en tentant d’échapper aux racines meurtrières. Ces plantations vénéneuses l’ont visiblement mise à mal, puisque de trop nombreuses ecchymoses semblent peupler sa peau, qui bien qu’elle soit déjà toute bleue, n’en laisse pas moins des marques violacées à l’endroit des coups que lui ont donnés ces lianes sans pitié. C’est complètement harassée que je la vois éviter de justesse une liane assassine qui voulait la projeter au sol, mais dans son écart, une autre de nos ennemis végétale en profite pour se tendre avec un claquement sinistre, et vient s’écraser de toute sa longueur sur l’elfe bleue, qui reçoit le choc en ouvrant de grands yeux surpris. Elle titube encore deux pas, juste de quoi se mettre à l’abri de ce piège mortel, et sans dire un mot, s’effondre tout bonnement sur le sol, inconsciente, ou en tout cas très mal en point.
Si moi aussi j’ai contracté pas mal de blessure dans ce piège à rat, qui n’ont fait qu’aggraver l’état de non-vie laissé par le gentâme, je n’en suis pas au point de Sidë, qui, mêlée d’épuisement et de douleur, ne se sent plus la force de poursuivre…
Aussitôt, je me lance vers elle pour éviter qu’elle ne se fasse mal dans sa chute, mais je ne parviens à ses côtés qu’une fois qu’elle a touché le sol lourdement. Je la retourne, face vers le plafond, et regarde son visage meurtri. Ses lèvres bleutées laissent encore échapper un fin filet d’air, au même rythme que sa poitrine délicate se soulève sous le poids de sa respiration. Je pousse un soupir de soulagement tout en lui parlant.
« Tiens bon, Sidë. Je vais nous sortir de là. Je ne laisserai plus personne te causer tant de tort tant que nous ne sommes pas sortis d’ici. »
Je maintiens une main dans son dos, près de sa nuque, pour la garder près de moi, à croupis à côté d’elle. De ma main libre, je cherche dans son sac une chose qui pourrait faire effet sur ses blessures, et y trouve une petite fiole. J’hésite un instant sur son contenant, car je ne peux me prévaloir de connaître ma partenaire avec assez d’assiduité pour savoir avec exactitude ce qu’elle transporte… Poison, alcool, philtre d’amour ou démoniaque…
(Ou potion de soin ! Ne tergiverse pas. Tu es aussi blessé, bois-là et laisse cette elfe à son sort. Elle ne nous sera plus utile, à présent.)
(Lysis ! C’est odieux ! Je ne peux la laisser périr ici alors qu’elle possède un remède.)
(Ta bonté est une faiblesse, Cromax… Débarrasse-t-en.)
Ne tenant plus compte des remarques déplacées de ma faera, j’érige une barrière mentale pour ne pus entendre ses supplications mauvaises, et débouche la petite fiole pour en verser lentement le contenu entre les lèvres de Sidë, prenant bien soin de ne pas en mettre à côté de sa bouche, et lui laissant bien le temps d’avaler la mixture… tout en espérant qu’elle ait l’effet escompté.
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