|
Plus de retour par la case aidante de la cellule de l’être ailé, cette fois-ci. Le voyage, brutal et rapide, remuant tripes et cerveau, se fait sans escale, cette fois, et nous nous retrouvons directement au fond de cette tanière que nous avons mis du temps à trouver, à l’époque : la Tanière du Souvenir Eternel. Combien de temps s’est écoulé depuis notre départ ? Je ne saurais en être certain. Des heures ? Des jours ? Des semaines peut-être ? Que puis-je savoir de la temporalité du monde duquel je viens ? Et comment pourrais-je calibrer avec exactitude le temps que prennent ces voyages planaires. Au final, cela n’importe que peu : je suis de retour chez moi. Pas encore dans un lieu que j’apprécie particulièrement, ni où je pourrais me reposer, mais au moins, c’est de la vraie terre que je sens sous mes pieds. Et cet air qui m’entoure et m’a toujours fait respirer. Certes, celui de l’endroit est vicié, renfermé. Nous sommes au fond d’une caverne sombre. Et il l’est d’autant plus par le suif des torches de créatures stagnant là, nous regardant apparaitre. Et par leur odeur naturelle particulièrement agressive pour mes narines.
Sitôt sommes-nous sortis du fluide que nous tombons nez à nez avec eux. Des créatures bipèdes recouvertes d’écailles aux coloris divers, dotées de queues et de crocs, dans une gueule allongée comme celle des sauriens. Des lézards humanoïdes, tenant des armes diverses et des torches, et nous regardant apparaitre avec une certaine stupéfaction. Ainsi voilà le danger qu’évoquait l’élémentaire de glace : une troupe d’une douzaine d’individus partis à notre recherche, et que nous croisons là en sortant du Gramenou. Je ne doute à aucun instant de leurs intentions, ni même de la raison de leur présence ici. Ils sont là pour nous prendre la Larme, au nom d’Oaxaca. Au nom de la Reine des Ténèbres.
Mon regard noir croise celui, opalin, du chef de cette troupe hétéroclite, un lézard impressionnant de stature, aux écailles bleues et blanches, et doté d’une épée redoutable et d’un bouclier semblait fait en crâne draconien. Il pousse une espèce de grognement, et souffle par ses naseaux. Au même instant, la charge est donnée contre nous… Et je n’ai le temps que de sortir mes deux armes, le fouet métamorphe et la Buveuse d’Ames, pour accueillir mes premières victimes…
La première salve d’assaut est donnée par les créatures les plus petites et chafouines de la troupe. Leurs écailles sont vertes ou noires, et jaunes sont leurs yeux. Leur gueule allongée est munie d’une petite série de dents acérées. Certains sont munis de poignards, et d’autres de lances courtes… Ce sont ceux-là qui donnent l’assaut les premiers, usant de leur lance pour nous houspiller à distance. Avant même d’avoir pu donner un coup, j’essuie trois chocs qui viennent mourir sur mon armure, alors que Sidë se protège derrière moi. D’un coup de fouet, je frappe la main d’un des lézards, qui ne peut que lâcher son arme en grognant et en se tenant la patte, un air de reproche collé sur la face si peu humaine dont il est pourvu. Un autre coup de fouet l’attrape par la gorge, et la lui tranche à moitié. Les lamelles d’acier restent coincées dans sa chair hachée, et lorsque je tire pour récupérer mon arme, il tombe en avant, mort.
À cet instant, Sidë passe à l’action, et prend à part un lancier, armée de son Katar, pour un duel singulier. Il m’en reste donc un face à moi, auquel viennent s’ajouter trois autres lézards armés de poignards, tout aussi fluets que leurs congénères. Comme mus d’une volonté commune, ils me sautent dessus sans plus attendre, alors que le dernier poignardeur s’en va aider son confrère lancier contre l’elfe bleue.
Je rage d’être désormais pourvu d’un fouet. Une épée courte serait tellement plus utile, lors d’un combat si rapproché, dans l’étroitesse de ce boyau souterrain… Et à ma plus grande surprise, l’arme que je tiens en main droite se change à nouveau. De fouet, elle devient épée courte et torsadée, finement aiguisée. Exactement le type d’arme dont j’ai besoin dans cette mêlée sauvage. Ainsi, je ne peux qu’accueillir dignement mes ennemis, en embrochant un sur ma nouvelle arme sans même qu’il ait vu mon coup venir, ne s’attendant certainement pas à recevoir un lame dans le ventre là où juste avant, un fouet stagnait… Ma seconde lame vient lui trancher la tête nettement, et son corps glisse de mes armes pour s’écrouler sur le sol dans un sanglant gargouillement. Hélas, ses compagnons profitent de mon action pour m’asséner trois coups en même temps. Les poignards heurtent mes épaules, et la lance vient percuter mon plexus, me forçant à reculer d’un pas. Je suis conscient que quoi que je fasse, si j’en attaque un, je baisse totalement ma garde contre les autres… De plus, ces coups répétitifs m’affaibliront, et je sens que tel est le rôle de ces petits lézards vicieux, afin de ne laisser à leurs frères plus puissants que des guerriers blessés et fatigués.
(Cela ne se passera pas forcément comme ça…)
(Que veux-tu dire ? Ils auraient une autre stratégie ?)
(Non, mais de ton côté, tout peut changer…)
Lysis envoie alors une sorte de puissant choc interne et magique dans la Rose fichée sur ma poitrine, et celle-ci se met à briller d’une lueur rougeâtre à travers mon armure de mithril. Ce qui arrive alors me surprend totalement, me coupant le souffle. Ma peau se métamorphose sous mes yeux. Mais pas pour prendre l’apparence de Sidë ou d’une autre personne, cette fois. Non. Au lieu de ça, elle semble se durcir, en devenant verte et souple, lisse comme la tige d’une rose. Et comme une rose, elle se passe d’épines acérées.
(Que… que m’arrive-t-il !?)
Je suis impuissant face à ce changement, qui, s’il perturbe mes adversaires, ne les empêche pas de m’attaquer. Le plus vif d’entre eux, muni d’un poignard, tente de me le planter dans le ventre, et ma consternation fait que je peux éviter sa lame… Mais à l’instant où l’acier entre en contact avec ma chair, avec cette peau végétale, quelque chose se passe… Mon ennemi pousse un cri étouffé, comme s’il avait été blessé, et titube en arrière, transpercé de nombreuses épines de rose qu’inconsciemment, j’ai projetées sur lui à l’instant où il m’a meurtri. Je profite de sa déconvenue pour tendre le bras vers lui. Mon épée courte est… trop courte pour le coup que je viens de porter, mais qu’à cela ne tienne, je comprends son fonctionnement et donc, la puissance cachée de cette arme fantastique. D’une simple pensée, mon épée courte torsadée se muni d’une pointe plus longue et acérée, droite, comme une rapière qui viendrait de se créer dans ma main. Le coup d’estoc transperce la gueule de mon ennemi de part en part, et il continue de tituber en arrière avant de choir sur le dos, abandonné de toute vie. Je profite de l’état de surprise de ses deux compagnons pour en hacher un menu, le pliant littéralement sous un coup de ma Buveuse d’âme avant de lui planter ma rapière dans la nuque, le clouant littéralement au sol.
De son côté, Sidë s’en sort bien. Elle a exécuté un des deux duellistes face à elle, et le dernier qui me fait face préfère aller la rejoindre elle plutôt que de continuer face à moi. Je le regarde fuir lâchement vers ma compagne, mais n’ai pas le temps de l’éventrer au passage : déjà, quatre autres ennemis s’avancent face à moi. Ceux là sont de vrais monstres de muscles, comparés à leurs petits comparses verts. Leurs écailles sont argentées et impressionnante est la crête sur le haut de leur tête. Deux d’entre eux ont la gorge rouge. Les plus puissants, sûrement, car ils ont tous les deux une énorme masse métallique au bout d’un manche en bois aussi large que mes jambes. Les deux autres sont munis de lances robustes en bois, à pointe taillée dans de la pierre solide.
Je grimace en voyant un premier coup de masse venir sur moi. Je l’évite en bondissant en arrière. Le second coup de masse ne tarde pas, et je ne peux que l’amortir d’un coup de rapière, bien risible face à la taille de l’arme du lézard. Je suis donc déséquilibré, et tombe sur le côté sous la force du choc. Un lancier en profite pour s’avancer vers moi et tenter de me clouer au sol de son arme, mais je me retourne pour éviter de me faire embrocher. Hélas, son compagnon a compris ma manœuvre, et sa lance vient se ficher dans mon dos, alors qu’une nouvelle salve d’épines vient l’arroser, le blessant sur le coup. Lorsque je me redresse, une douleur lancinante dans le bas du dos, mon arme s’est changée en une lance d’argent, longue et effilée. Un coup de masse tente de me déstabiliser, mais je frappe fortement contre celle-ci avec mon épée, alors que la pointe d’argent de mon arme vient se ficher dans la gorge rouge de mon ennemi, répandant son sang sur ses écailles grises. Il grogne, mais ne meurt pas, et je lui assène un coup de taille de mon épée, le faisant ployer, avant de lui replanter plus profondément ma lance dans la gorge. Cette fois, le sinistre craquement de sa colonne vertébrale cédant sous mon arme se fait entendre, et son regard saurien devient soudainement vitreux. Il meurt avant même d’avoir touché le sol. Mais au même instant, une seconde masse vient me percuter en pleine poitrine, me coupant le souffle alors que ma protection florale vient parsemer mon ennemi d’épines.
Mes assaillants ressemblent désormais plus à des hérissons sanguinolents qu’à des lézards, mais leur rage n’en est que redoublée, et lorsque je retrouve mon souffle, c’est pour parer un coup de lance, et puis un second. Et ensuite donner un fatal coup d’épée au lancier déjà bien amoché par mes épines de rose.
Un petit moment de flottement nait alors… Sidë parvient à meurtrir ses deux ennemis, en usant des métamorphoses de son arme enchantée, et finit par les tuer, dans un grognement rauque. Voyant ça, le dernier lancier aux écailles grises se rue vers elle et la percute d’un coup d’épaule. Elle recule sous le choc, et il l’embroche littéralement sur son arme… Elle recule, titubant jusqu’à heurter la paroi rocheuse de son dos. Le trou béant dans son ventre saigne abondamment, elle est grièvement blessée.
« Non !! »
Je me dois de l’aider. Mais je dois d’abord me débarrasser de cet ennemi armé de sa lourde masse. Hâtif, je lui envoie à distance la lance que je tiens en main, et elle lui traverse le poitrail. Alors qu’il tente de la dégager de sa main, je me rue sur lui avec ma buveuse d’âme pour lui trancher le bras. Ma main droite vient alors saisir le manche de ma lance, qui se change aussitôt en hallebarde, aggravant considérablement la blessure. Je pousse encore plus loin en la changeant l’instant d’après en énorme hache à double lame, qui vient ouvrir le poitrail du lézard dans un déchirement affreux de chair et d’os cédant sous la pression interne.
Repassant par l’état de lance, j’ôte l’arme du corps sans vie de mon ennemi, et elle se change à nouveau aussitôt en une arbalète de poignet, que j’ajuste vers le lézard qui s’en prend à Sidë, avant de lui décocher trois carreaux, qui viennent se ficher dans son échine avec trois petits bruits secs. Sidë, rassemblant ses forces, lui enfonce son katar dans le ventre, et le laisse pour mort, avant de glisser elle-même sur son séant, trop blessée pour espérer poursuivre. C’est alors qu’une voix sifflante et rauque retentit derrière moi.
« Rhaaa, ssstupide créature à ssssang chaud ! Tu vas regretter de t’être ainssssi opposé à nous ! »
Il s’agit du chef de cette expédition en perdition. Le lézard aux écailles bleues, avec son épée et son bouclier draconien. Je tente de lui tirer un trait, mais il le pare sans difficulté de son pavois osseux, avant de se ruer vers moi avec son épée. Je pare le coup de ma lame, mais je sens dans le choc subi par mon bras la puissance de cet animal anthropomorphe. Il ne veut pas seulement en découdre, il veut également me broyer, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de moi que quelques ossements grouillant de chair dépecée.
Mon arme enchantée a repris sa forme initiale de fouet, et je le fais claquer vers mon ennemi, qui se protège encore et toujours derrière son bouclier. À chaque nouveau coup que je donne, il le pare. Mais au moins, de la sorte, je le garde à distance…
C’est alors que trois petits chocs se font entendre, et je vois le regard de mon ennemi s’agrandir… Son torse vient d’être percé de trois traits meurtriers, tirés par Sidë, affalée contre le mur… Je profite de sa déconvenue et de sa surprise pour l’assaillir de coups, usant de mes deux lames pour le découper littéralement, n’ayant d’autre objectif que de le voir mort au plus vite… Et bientôt, plus aucun souffle ne peut espérer sortir de cet être tranché de toutes parts, aux poumons perforés, à la gorge découpée, au ventre dépareillé… Les alentours ne sont plus que morts et cadavres sauriens, et je range mes lames pour me tourner vers Sidë, afin de lui faire boire une potion de soin de mon sac…
« Sidë, ça va ? »
_________________
|