L’inconnu me faisant face ne bouge pas d’un iota, si ce ne sont ces lèvres qui daignent apporter réponses à mes interrogations. Attentif à sa voix, à ses mots, à ses tournures de phrases et à leu contenu, j’écoute l’être mystérieux m’éclairer sur mes questionnements. Il commence par préciser que je pose trop de questions en même temps, et que je risquerais de ne pas comprendre ses réponses si je ne me contentais pas d’une seule demande à la fois. Je me rembrunis un peu à cette déclaration, et fronce momentanément un sourcil, légèrement vexé par ses appréciations douteuses sur mon intellect et mon attention. L’inconnu décide cependant de faire confiance à ma capacité d’analyse en affirmant vouloir répondre à mes trois questions, qui sont, selon ses mots, trop simples et trop complexes. Au vu de sa façon de parler, je lève un sourcil pour m’affirmer intérieurement que je ferais en effet mieux de poser une seule question à la fois si la créature qui me fait face s’emplit d’une transcendante explication philosophique à chaque mot que je prononce.
Ainsi donc, attention toute accordée à cet encapé qui fait la seule menace visible de ce monde inconnu, j’écoute ce qu’il a à me dire. Et ses réponses, bien que prononcées de manière alambiquées et dotées d’un style énigmatique particulier et recherché, sont claires dans leur sens profond, et ne trahissent pas chez moi une incapacité de compréhension.
Ainsi donc, je me trouve dans une espèce de monde de transition dont il est le gardien, le protecteur et le guide. Un monde exempt de toute notion de bien ou de mal, puisque le mal semble ne pas y accéder… et que je sais intérieurement que s’il n’y a pas de mal, le bien n’existe que dans toute sa neutralité absolue. Un détail me fait sourciller un instant, cependant. Dans cet endroit, nul ne semble pouvoir me trouver. Je fais une petite moue gênée à cette évocation. Sans remettre en doute la bienveillance de ce ‘passeur de mondes’, ce qu’il me décrit là pourrait très bien résonner en moi comme l’expression d’une prison particulière, dont aucun échappatoire n’est permis.
Mais sans me formaliser sur de si petit détails, je l’écoute poursuivre sa diatribe discursive avec l’apport nécessaire à ma troisième interrogation, dont la réponse est induite par ses deux autres éclaircissements. Ainsi donc, je suis ici, dans l’entre-monde, pour trouver un chemin, une voie, une destination que je ne connais pas, mais que je dois me borner à atteindre.
Les paroles de l’être énigmatique cessent sur ces mots, et m’emplissent de réflexion. Si bien que cette voix soudaine apparaissant dans mon esprit ne lui est pas directement associée. Je marque un léger temps pour me rendre compte que ça n’est pas Lysis, ni même Lirelan – bien que ce nom ne me dise rien du tout – ni aucune de mes voix intérieures et pensives. Je sais qu’il s’agit d’une transmission de pensée, et que l’être ailé qui me fait face en est la source.
Mes yeux, qui s’étaient baissés vers le sol dans une courte réflexion se relève à nouveau vers lui avec introspection lorsqu’il évoque ma personnalité propre, et la chose qui me fait le plus défaut… La méconnaissance de ce que beaucoup appellent l’Amour.
(Ne l’écoute pas, Cromax. Tu m’as, moi, nous sommes Nous et nul ne peut prétendre le contraire !)
Je chasse d’une pensée cette affirmation de Lysis. Je sais parfaitement que le lien avec ma faera n’est pas de l’amour, même si j’ignore s’il s’agit d’une chose plus forte, ou moins puissante. Je désire me laisser aller dans la discussion mentale avec cet être, et presque inconsciemment, une pensée m’échappe…
(Je ne sais pas où c’est, chez moi… Je ne sais pas si un tel apprentissage m’est possible…)
C’est ce que Lysis m’avait dit, une fois. Que j’étais dépourvu d’amour, de sentiment de lien à quiconque, et qu’il fallait l’accepter, comme une malédiction natale dont j’étais une victime, même si ma faera m’intimait autrefois d’en tirer ma force.
Puis, une autre pensée m’habite, celle qui renferme cette notion de ‘gardien de la rose’. C’est à Pulinn que je pense maintenant, à la belle, à la splendide Pulinn. De son charme et de sa grâce, elle m’a demandé de me rendre ici, et pour mener à bien ma mission, je dois ramener un artefact à Kendra Kâr… Un artefact de puissance recherché avidement par les forces du mal, les puissances occultes d’Oaxaca la Noire.
C’est avec ma voix propre que je m’exprime alors…
« Comment pourrais-je savoir où je dois me rendre, si je ne sais pas exactement ce que je cherche ? »
Derrière moi, Sidë est restée silencieuse, mais je suis persuadé qu’elle aussi a été contactée mentalement par ce Gardien des âmes perdues…
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