«Vous êtes-vous égaré jeune homme ? »
La voix, féminine, me parvint du couloir sans que je puisse en distinguer la propriétaire. Le ton de la question était assuré et ferme, mais on pouvait aussi déceler une légère trace d‘ironie. Interdit, je restai sur le pas de la porte, avec la sensation d’être un gamin pris en flagrant délit de chapardage.
« Et bien je suppose que vous n’êtes un voleur, ou vous n’êtes pas très dégourdi. Alors je suppose que vous êtes venu pour autre chose… »
Elle se rapprocha de l’entrée et je pus enfin la voir. J’eus une réaction de surprise en découvrant une elfe devant moi. Je n’eus en effet que rarement l’occasion de côtoyer les nobles gens de sa race, et ils étaient encore un peu pour moi ces êtres légendaires qui peuplaient les contes de mon enfance. De par la teinte bleutée de sa peau, je devinai que l’elfe qui se tenait devant moi faisait partie de l’ethnie des elfes bleus. Je ne connaissais que très peu de chose sur ce peuple en vérité, mise à part les quelques lectures anthropologiques que j’avais effectué de par le passé. Je vis qu’elle devait être âgée, même pour une elfe.
« Et bien ? N’avez-vous point de langue ? »
« Je…Je ne sais pas…Enfin je veux dire je suis arrivé ici par hasard et je me suis dis que peut être j’aurai pus…Mais je suis désolé, je vais m’en retourner… »
« Vous ai-je dis de partir ? Je n’ai jamais empêché quiconque de lire depuis que je tiens cette bibliothèque, d‘ailleurs je serais bien incapable d‘empêcher quiconque voudrait passer cette porte. Alors si votre intention est bonne, vous êtes le bienvenu. Votre conduite est cependant pour le moins surprenante… »
« J’ai pensé que…Et bien qu’à la vue de mon accoutrement je n’étais pas le bienvenu ici. »
L’elfe bleue prit un air pincé.
« Pfft ! Pour qui me prenez vous ? L’argent n’a aucune valeur pour moi. Riche ou pauvre, tout le monde a accès aux trésors de ce lieu si il le souhaite. Je ne suis pas de celles qui jugeront de votre apparence. Je n’exige qu’une chose, le respect de la connaissance, des livres. C’est la seule richesse que je reconnais. Vous êtes assurément nouveau en ville. D’où venez vous ? »
« Eniod ma dame. Sur la côte sud. »
« Eniod…Oui je connais naturellement. J’ai dû y passer autrefois, et je n’en garde pas de mauvais souvenirs. »
« L’eau y est claire là bas… » Ajouta-elle avec nostalgie.
Il est vrai que les gens de son peuple étaient considérés comme de formidables navigateurs, des amoureux de la mer, me souvins-je.
Elle reprit :
« Pourquoi quitter une si douce vie, pour venir dans une citée comme Tulorim ? Mes sens ne me trompent pas, vous ne venez pas d’un milieu modeste cela saute aux yeux. Vos manières, votre éducation sont bourgeoises. »
Cette remarque me désarçonna quelque peu. Je ne pensai pas que mon attitude puisse être aussi lisible.
« En effet je suis un fils de marchand, et j‘ai eu la chance d‘avoir bénéficié d‘une éducation d‘honnête homme. Il en reste quelques traces apparemment. Quand à ma venue ici j’ai… J’ai ressenti un besoin impérieux de partir. Je ne puis accepter plus longtemps ma condition, je serais bien en peine d’en expliquer la raison. C’est une fatalité. »
« Il n’y a de fatalité que la volonté. Vous êtes jeune, vous avez le temps d’apprendre. Bien, je dois m’en retourner à mes comptes. Je vais vous conduire dans la salle principale. Au fait…Vous recherchez un livre en particulier ? »
J’eu en tête un vieux livre que possédait mon père, et dont le nom ne me revint pas. Je ne sus pourquoi ce livre en particulier me vint à l’esprit, je ne pus décrire ce qu’il représentait pour moi.
« Oh…Je cherche un vieux livre de contes, de très vieux contes, mais je ne me souviens plus du titre. »
L’elfe acquiesça en souriant.
« Ce n’est pas courant pour quelqu’un de votre âge ce genre de demande. Mais vous avez raison. Les gens pensent à tord que les contes ne sont fait que pour les enfants, alors qu’ils nous enseignent parfois bien plus qu’un livre de philosophie. Venez suivez moi. »
Je parcouru en compagnie de l’elfe bleue divers rayons de la bibliothèque. La quantité de livres était impressionnante, et il y en avait vraiment pour tous les goûts. Rien que d’imaginer tout le savoir que l’on pouvait accumuler en ce lieu... Cela donnait le vertige. Finalement nous arrivâmes devant une rangée de livres située au fond de la bibliothèque. Ceux-ci paraissaient très vieux, et n’avaient visiblement pas été utilisés dernièrement.
« Voilà, ici se trouve les livres de contes les plus ancien. J’espère que vous y trouverez votre bonheur. Je vais vous laisser à présent, n’hésitez pas à venir me voir si vous avez une question. Je vous souhaite une agréable journée. »
Je la remerciai de sa sollicitude puis, une fois seul, j’entrepris ma recherche. Nombre des couvertures des livres présent ici avaient leurs écritures effacées par le temps, à tel point que parfois on ne pouvait lire le titre du livre ou bien le nom de l’auteur. Un livre attira tout particulièrement mon attention. C’était un petit livre, fait de cuir marron, et dont toutes les écritures avaient été complètement effacées. Seul subsistait un symbole gravé sur la couverture. Le livre était des plus banal, mais étrangement il me fut familier. J’eus l’impression d’avoir déjà vu ce symbole auparavant, sans que j’en puisse déceler la signification ni me souvenir où j’aurai bien pus le voir. J’emportai ma trouvaille et me mis en quête d’un endroit ou m’asseoir. La bibliothèque étant vide je n’eu que l’embarras du choix. Je m’assis à la première table venue, un vieux meuble en bois robuste, avec un chandelier solitaire posé dessus. Installé, j’ouvris le livre. Ma crainte fut de découvrir une langue étrangère que je n’aurai pu déchiffrer, mais je vis avec soulagement que tel n’était pas le cas. L’écriture était petite, avec ci et là quelques lettres effacées. Mais cela ne gêna pas ma lecture outre mesure. Je compris, en le feuilletant que l’ouvrage consistait en un recueil de contes. Je n’en reconnu cependant aucun. Une excitation enfantine monta en moi, c’était un véritable trésor qui se présentait à moi. Sans plus attendre je commençai ma lecture.
Au bout d’un moment, mes yeux commencèrent à fatiguer. Je relevai la tête et, surpris, je vis que la lumière du jour avait commencée à décliner. Absorbé par ma lecture, j’avais perdu toute notion du temps. Je m’étonnai d’être resté assis là toute la journée durant à lire, sans même qu’il me soit venu à l’idée de manger, ou de me dégourdir les jambes. Mais quel livre ! Les histoires étaient toutes plus fantastiques que les autres, et j’étais encore loin d’avoir tout lu ! Les histoires m’avaient transporté, me faisant oublier le monde réel, mon quotidien, mes ressentiments, pour un monde, ou plutôt des mondes imaginaires et féeriques. La magie s’estompa peu à peu et déjà ma mission de ce soir me revint en tête. La fatalité…
Sans hâte je me levai, pris le livre entre mes mains pour aller le reposer. Une pensée s’imposa à moi alors. Je ne voulais pas me séparer du livre. L’idée me fut presque insupportable. Pourtant je ne pouvais non plus me résoudre à le voler en repensant à la vielle intendante elfique qui m‘avait si gentiment accueillit. Cruel dilemme.
« Prenez-le »
Je sursautai. Elle se trouvait derrière moi et je ne l’avais pas entendu venir.
« Vous me le rapporterez quand vous l’aurez terminé…J’ai le temps » Précisa-t-elle avec bienveillance.
« Comment pouvez-vous me faire confiance ? Qui vous dit que je reviendrais un jour ? »
L’elfe sourit à mes paroles.
« Je vous l’ai déjà dit jeune homme. J’ai beau être âgée je ne suis pas gâteuse. Je sais apprécier une personne. Et combien même vous ne me le rapporteriez pas, il sera mieux avec un lecteur fidèle que sur une étagère poussiéreuse. Les livres ont une vie propre, et qui voudrait être oublié seul dans un coin. Allez maintenant, continuer la vôtre. »
Sur ces mots emprunt de sagesse, je quittai la bibliothèque, promettant un jour de rapporter le livre. Une fois dans la rue, je me dirigeai vers le port.
_________________ Cornélius, Humain, Guerrier

"I must not fear. Fear is the mind-killer. Fear is the little-death that brings total obliteration. I will face my fear. I will permit it to pass over me and through me. And when it has gone past I will turn the inner eye to see its path. Where the fear has gone there will be nothing. Only I will remain."
The Fear Litany, F.H.
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