Ma belle ne sembla pas enchanter de devoir rester dehors dans la nuit, mais cela restait moins dangereux que d’entrer dans ces sombres lieux. Ses lèvres se posèrent non loin des miennes, déposant un baiser exquis. Être à ses côtés m’offrait toujours cette sensation de bien-être et de désir mêlé. Mes yeux se glissèrent dans les siens, alors que je lui murmurai :
« Je ne serai pas long. »
Je m’éloignai alors, et après un dernier regard franchis le portail. La magie était plus forte, et semblait m’aspirer. J’appelai les ombres dissimulées dans mon médaillon, qui jaillirent et m’enveloppèrent, me faisant disparaître aux yeux des mortels. Ombre parmi les ombres, je traversai le jardin, n’entendant plus que mon nom murmuré par la maison et ses fantômes.
Quand je fus au niveau de la grande porte à double battant, le monde avait pris une teinte d’une grande noirceur, de ténèbres insurmontables. Je posai la main sur la poignée d’argent, et je pus entendre le cliquetis de la serrure avant que la porte ne s’ouvre. Personne ne se tenait à l’intérieur. J’entrai.
La grande salle d’accueil était plongée dans l’obscurité, mais cela ne devait pas durer. A peine posai-je le pied sur le tapis que les nombreux candélabres ornant les murs s’allumèrent, un à un, découvrant l’intérieur du manoir. Un tapis rouge conduisait à un double escalier de marbre, menant vers les deux étages. Le flanc gauche arborait une dizaine de grands vitraux, dont les motifs semblaient obscurs. De l’autre côté des candélabres aux formes allongées étaient embrasés, d’une flamme un peu trop vive pour être naturelle. Quant à l’ameublement de la pièce, des tables et probablement un bureau étaient recouverts d’un drap blanc. Tout sentait le luxe et l’élégance, mais le côté blafard et abandonné rendait le tout inquiétant.
C’est à ce moment que j’entendis un bruit de pas, léger et discret, provenant de l’étage. Il ne me fallut qu’un instant pour dégainer ma lame sombre, prêt à rencontrer celui ou celle qui allait apparaître devant moi. Et il ne fut pas long.
Un homme, à l’âge incertain, descendit lentement les marches qui menaient à moi. Ses cheveux d’une blondeur irréelle descendaient sur des épaules puissantes. Vêtu d’une chemise noire brodée, d’un gilet aux multiples nuances de rouge et d’un pantalon noir, une finesse sans commun émanait de lui. Quant à ses traits, ils étaient doux mais l’éclat de ses yeux verts lui donnait une aura de force.
« Longinus il me semble. » Sa voix était claire, mais sa perfection n’avait pas grand-chose d’humain. « Je vous attendais. »
Le manteau d’ombre qui m’enveloppait se dissipa peu à peu, bien qu’il eut probablement put me voir ainsi.
« A qui ai-je donc l’honneur ? -Je me nomme Viktor, je suis le maître de ces lieux. Du moins par intérim. -Je vois. Vous étiez membre des Dragons. -Pas tout à fait. Disons que cela n’a plus guère d’importance. Êtes-vous venu prendre possession des lieux ? Si oui vous allez devoir prouver votre valeur. -En effet il semblerait que je sois là pour cela. Comment devrai-je donc prouver ma valeur ? -Oh ce sera quelque chose de sûrement très aisé pour Longinus, le Chevalier des larmes. »
Avant que je n’aie le temps de répondre à cela, une magie noire à la puissance terrifiante fit irruption dans la pièce. Elle ne semblait pas émaner de l’homme, mais plutôt avoir sa vie propre. Toujours est-il que la salle en fit bientôt emplie, une tempête noire soufflant. Les lumières s’éteignirent, les vitraux crièrent leur désespoir alors que l’attaque me pourfendit avec une véhémence d’outre tombe. Je fus happé dans sa colère, et mon âme même fut comme déchirée, se disloquant sous l’impact du souffle sombre. Mes pieds quittèrent le sol, mon dos heurtant avec force le mur, arrachant quelques pierres au passage.
Je ne criai point, n’en ayant pas le courage. Et alors que je sentais mon cœur prêt à lâcher, la sombre magie s’affaiblit. Elle ne disparut pas, mais me laissa l’opportunité d’en appeler à mes propres ombres. Celles-ci, d’abord faibles, se laissèrent finalement invoquées et déferlèrent dans la pièce, l’emplissant de ma propre force. La lutte invisible ne dura que quelques instants, et finalement le calme redevint roi.
Je me relevai, l’arme à la main, plantant un regard noir dans les yeux de Viktor.
«-Parfait Messire Longinus. La magie de mon ancien maître a désormais définitivement quitté l’endroit, et il est à présent libre à vous de le prendre. -Cela n’était pas vraiment ce que j’appellerais un test aisé. -Vous avez survécu, ce qui est déjà très bien. Maintenant si vous voulez bien me suivre, nous allons accomplir le rituel. »
Toujours énigmatique, Viktor finit de descendre les escaliers et ouvrit une porte que je n’avais pas vue en entrant, face aux vitraux. Il me fit signe de le suivre, et je ne le fis pas attendre. Nous entrâmes alors dans les couloirs du manoir. Viktor ouvrit une nouvelle porte, donnant dans un petit bureau dont le mobilier une fois encore était recouvert de draperies. Il poussa ensuite une étagère, comme s’il s’agissait d’une simple poussière, et ouvrit une petite trappe. Un faible flot de magie semblait en émaner, mais une magie différente de celles que je connaissais.
Je descendis à la suite de l’homme – s’il s’agissait vraiment d’un homme – et le suivis dans les sous-sols du manoir. Viktor nous guida jusqu’à une petite pièce, ou plutôt une crypte. Au centre, un autel recouvert d’un drap noir. Il s’en approcha, empoigna le tissu avant de le faire couler sur le côté. Une boule transparente reposait sur le piédestal. Non pas transparente, mais plus semblable à de l’éther. Fantomatique.
« Cette maison est sous le contrôle de cette sphère d’âme. La magie de son possesseur protège la demeure, tandis qu’elle s’offre à lui. Vous devez lui offrir votre énergie magique, et elle l’utilisera quand le danger se présentera. Tout à l’heure la magie du chevalier Alin a fini de s’épuiser, en luttant contre vous. La demeure est à présent tout à vous, et si vous le voulez je resterai son gardien. En attendant, à vous de lui faire part de votre magie. »
Ainsi c’était la magie d’Alin qui avait manqué de me détruire. Cela ne m’étonnait guère, qui d’autre aurait pu disposer d’une telle puissance. Dans tous les cas cette demeure serait bientôt mienne, et je pourrai recommencer à vivre dans une ville civilisée, avec Lyssena.
Je m’approchai de la sphère d’âme et jetai un dernier regard à Viktor avant de poser ma main. Je sentis aussitôt la puissance de la sphère, celle-ci tentant d’aspirer mon énergie. Je résistai d’abord, puis libérai les ombres. Je les sentis jaillirent de mes mains, arrachées à leur tranquillité par la soif de la sphère. Le rituel dura quelques instants, et c’est bientôt épuisé que je rompis le contact. Mes yeux se posèrent sur une sphère, noire de geai à présent.
Viktor parla :
«-La maison est à présent calquée sur votre énergie, et vous appartient. Si vous voulez de moi, je la ferai remettre en état rapidement. Ah, et voulez vous que j’aille chercher votre amie à l’entrée ? - Oui s’il vous plait. - Bien messire. Quant à la sphère, il vous faudra l’entretenir régulièrement, plus elle possédera votre magie plus puissante elle sera. Mais ça, vous aurez tout à loisir de le découvrir après un repos mérité.»
Je restai prendre mes esprits quelques instants après le départ de Viktor, avant de remonter à la rencontre de Lyssena.
edit: perte 41 pv (souffle Thimoros niveau 19) Sphère d'âme: absorbe le mana d'un individu unique, et en cas de danger utilise les sorts de cet individu pour se défendre. Inutilisable en dehors du manoir.
_________________ Longinus, Chevalier des ténèbres.
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