<-- CimetièreOn avait dû marcher quelque dix minutes pour apercevoir enfin le manoir à l'horizon. C'était le Manoir des Brumes. Rod avait raconté à Kinsuke sur le chemin que personne n'était jamais revenu du manoir en état normal. Certains devenaient fous, voire pire encore. En s'approchant du manoir, on distinguait les décorations précisément sculptées sur toute la surface des énormes murs du bâtiment où les premières ronces poussaient déjà. Le soleil n'avait pas encore commencé à se coucher, et les deux courageux hommes qui s'apprêtaient ce soir-là à franchir la gigantesque porte du Manoir des Brumes décidèrent d'attendre la tombée de la nuit vers la côte, face à la mer. Une incroyable vue panoramique du crépuscule se dresserait devant eux dans quelques minutes, mais ils n'auraient malheureusement pas le temps d'y assister.
Les minutes passèrent rapidement dans une discussion dynamique qui ne laissait place à aucun blanc. Kinsuke et Roderick se trouvaient devant l'immensité du manoir dans lequel ils entrèrent après s'être échangés un regard plutôt hésitant. Après avoir traversé un étroit couloir, ils se retrouvèrent dans le hall d'entrée, perdus comme des invités qui ne savent pas où se diriger, attendant l'un des maîtres de la maison pour suivre. La pièce était immense et d'une symétrie irréprochable. À leur droite comme à leur gauche se trouvaient quatre ou cinq portes de chaque côté, et devant eux se dressaient avec magnitude un énorme escalier qui se divisaient en deux autres rangées, laissent place au centre à une grande porte. L'atmosphère sombre du local rendaient les deux garçons encore plus pâles qu'ils ne l'étaient déjà. Seul le peu de lumière du crépuscule qui entrait à travers les nombreuses fenêtres du manoir éclairait le lieu, rendant la visibilité relativement restreinte.
Par simple instinct, ils empruntèrent la porte centrale, derrière laquelle ils trouvèrent une très grande magnifique salle de bal, dont les décorations en or reflétait de façon éblouissante l'illumination du crépuscule donnant à la pièce un ton rougeâtre et la rendant ainsi très accommodante. Le manoir ne montrait pour l'instant rien de ce qu'on pourrait attendre d'un manoir hanté, et pourtant, on avait une drôle de sensation quand on s'y trouvait.
Les deux hommes contemplaient l'extérieur du manoir par l'énorme toit vitré de la salle de bal, voyant la lumière s'estomper peu à peu, quand un bruit sourd les fit sursauter. Ils se lancèrent tous les deux un regard effrayé, puis se dirigèrent en courant vers la sortie, d'où semblait venir le bruit. En s'approchant de celle-ci à grande vitesse juste après avoir quitté la salle de bal, ils s'aperçurent qu'elle avait claqué. Kinsuke courut encore en direction de la porte afin d'essayer de l'ouvrir en vain. Il avait beau tirer sur la grande poignée de toutes ses forces, elle ne bougeait pas même d'un pouce. Elle semblait non seulement verrouillée, mais aussi coincée, comme si l'on avait posé un objet très lourd devant depuis l'extérieur. Super, ils étaient enfermés dans le manoir. Quel intérêt un passant aurait-il à faire une connerie pareille? Malgré la question qui tournait en boucle dans la tête de Kinsuke comme un disque raillé rayé, il refusait de croire qu'il existait une quelconque sorte d'être doté d'une vie après la mort, fantôme ou esprit bienveillant. Il fit encore quelques tentatives en d'ouvrir la porte en vain, après quoi il se retourna pour rejoindre Rod qui se trouvait juste derrière lui... 10 secondes plus tôt.
Rod s'était volatilisé, évaporé, envolé, il n'était plus là. Pourtant, pour une raison totalement inconnue par le garçon, il n'avait pas cette sensation bizarre de transformation ou de perte de contrôle malgré la gravité de la chose, et de la panique que celle-ci provoquait en lui. Peut-être Kinsuke avait-il juste appris à mieux se contrôler, mais il sentait tout de même comme une sorte d'entrave qui le rendait plus résistant à cette force dont il avait habituellement tant de mal à maîtriser. En effet, le manoir avait quelque chose de très étrange, et quelque chose jouait avec lui, soit-elle vivante ou pas. Quoi qu'il en soit, s'il s'agissait d'un jeu, il s'agissait aussi de le gagner. Kinsuke revint à la salle de bal, jetant un rapide coup d'oeil, puis la quittant aussitôt en refermant la porte derrière lui. Par quel côté commencer? Kinsuke n'hésita pas plus longtemps que ce qu'il lui avait fallu pour compter 13 marches sur le côté est et 12 sur le côté ouest.
Le bois grinçant devait être âgé d'une bonne centaine d'années, au moins. À chaque marche où Kinsuke posait le pied, il essayait d'éviter le grincement auquel il s'attendait toujours, comme s'il essayait de ne pas réveiller les habitants de la maison. Il savait, dans tous les cas, qu'il n'était pas seul dans le manoir. En plus de Rod qui avait disparu, son kidnappeur ne devait pas se trouver bien loin.
« Kinsuke, Rod est monté par le côté ouest. »
« Hein? T'as pu voir celui qui l'a emmené? »
« Non, mes yeux sont les tiens. Mais je ne sens aucune présence humaine de ce côté là. Au côté ouest, par contre, mes sens sont brouillés, comme s'il y avait une barrière télépathique faisant entrave à mes pouvoirs. »Tout ceci était bien curieux, mais c'était encore un mystère dont il était au jeune garçon d'élucider. Celui-ci comptait bien trouver réponse à toutes ces questions louches, mais il fallait premièrement retrouver Roderick.
« Oh mon Dieu, Kinsuke... »
« Qu'est-ce qu'il y a? »
« Quelque chose arrive... cette chose n'est pas humaine! »La voix de la femme semblait complètement paniquée comme si elle perdait tous ses moyens, mais Kinsuke, lui, gardait sang-froid en alternant son regard entre les deux escaliers en reculant en direction de la porte d'entrée.
« Ne reste pas là, il faut trouver une sortie! »
« Une sortie? Non, il faut sauver Rod, je peux pas partir sans lui. »
« Il n'y a plus assez de temps, Kinsuke. Allons-nous en! »Refusant d'obéir, après avoir senti le pouvoir de la femme essayant de prendre encore une fois le contrôle sur son corps, il courut le plus vite possible vers le côté ouest du manoir, là où se trouvait l'entrave pouvant empêcher la prise du contrôle de son corps. Il montait les escaliers en sautant une marche à chaque fois, espérant arriver avant qu'il n'appartienne à la femme.
« Qu'est-ce que tu fais? »
« À ton avis, tu crois que je vais te laisser utiliser mon corps encore une fois? »
« Mais... je n'ai pas essayé de prendre le contrôle de ton corps, Kinsuke... »Il empruntait déjà le loin couloir en haut des escaliers dans lequel la flamme des chandelles dansait donnant à toute la pièce un air doré, magique. Le courait le long d'un énorme tapis dont les décorations de fils qui s'entrecroisaient suivant une trajectoire étrangement compliquée étaient probablement faites à la main. La force qui essayait de prendre emprise de son corps ne s'était toujours pas estompée alors que la voix déclara que ses pouvoirs avaient pour de bon perdu toute efficacité.
« Kinsuke! Utilise tes pouvoirs! »
« Mes pouvoirs? De quoi tu parles, j'ai pas de pouvoirs! »
« Si! Tu ne t'en rappelles pas, dans la forêt? »C'était là la première fois que la femme mentionnait l'évènement qui s'était déroulé 10 ans en arrière. D'habitude, elle refusait de répondre à toute question sur ce qui s'était passé ce jour-là. Si elle en a parlé aujourd'hui, il devait y avoir une raison. Probablement, la chose qui essayait de prendre le contrôle sur moi était vraiment dangereuse et il fallait absolument réagir. Alors que le garçon se débattait physiquement et mentalement, essayant de comprendre de quels pouvoirs parlait la femme, de gigantesques bruits de pas qui s'intensifiaient progressivement vinrent casser sa concentration et augmenter son niveau de panique. La chose s'approchait et l'emprise sur le jeune s'accentuait à chaque seconde qui passait, quand les bruits de pas s'atténuèrent soudainement.
En levant la tête juste en face de lui, Kinsuke aperçut cette énorme chose dégueulasse se tenir sur ses trois pattes beaucoup plus fines que son corps. Une tête faite d'une matière étrange et dégueulasse qui dégoulinait sur ton son corps recouvert par une coquille épineuse de laquelle sortaient deux grandes ailes de mouche. Ses deux autres têtes lui servaient de main, se trouvant au bout de son bras court, fait de la même matière que la tête du milieu. Cette chose répugnante s'apprêtait probablement à manger Kinsuke, comme elle l'avait sûrement fait pour Rod. Ce n'était pas un esprit, mais bien une créature magique. Il n'était pas question de combattre une chose comme ça, mais Kinsuke ne voyait plus de possibilités. L'emprise l'avait complètement paralysé et il ne pouvait pas s'enfuir, ni s'éloigner à plus de 4 ou 5 mètres de la créature, comme si celle-ci était un aimant. Le garçon fut soudainement illuminé par un souvenir, et prononça clairement en fermant les yeux:
« Délibérations. »D'étranges lumières bleues se mirent à tournoyer autour de Kinsuke, après quoi il sentit une énorme légèreté s'emparer de lui: ça avait marché. Son corps n'était plus sous le contrôle de la créature et il ne lui restait plus qu'à trouver une sortie le plus rapidement possible. Il se mit à revenir sur ses pas le long du couloir jusqu'à arriver à la porte de la salle de bal, qu'il traversa en vitesse. La créature était beaucoup plus lente que Kinsuke, et sans l'efficacité de ses pouvoirs d'emprise, elle ne pourrait jamais le rattraper, mais le garçon devait à présent trouver un moyen de traverser le toit vitré de la salle. Impossible. Il se retourna vers la porte pour essayer d'emprunter les escaliers est, mais la créature se trouvait juste là, barrant le passage, prête à le manger tout cru. En émettant un hurlement que Kinsuke n'avait jamais entendu, la créature fit gicler quelques goutes de sa matière liquide sur le garçon. En se nettoyant le visage à l'aide de son bras, il tenta de sauter sur la créature pour atteindre le balcon intérieur de la salle de bal qui se trouvait juste en dessus d'eux. Une main s'accrocha à l'un des petits piliers dorés qui soutenaient l'appui du balcon, depuis lequel il pourrait atteindre une porte menant à une salle du côté est du bâtiment, mais le bras gauche du monstre mordit le pied du garçon en le tirant de toutes ses forces vers le sol.
Le garçon sortit sa faux qu'il avait accroché à son dos, et entailla le bras de la créature en se balançant maladroitement. Le membre repoussa aussitôt, mais Kinsuke put remonter sur le balcon une fraction de seconde avant que la créature ne puisse l'attraper à nouveau. Il entama sa course vers la porte qui le mena vers un couloir identique à celui qui se trouvait de l'autre côté, puis il se mit à le longer jusqu'à voir apparaître des escaliers qu'il monta sans songer à le hauteur depuis laquelle il devrait sauter, puis se retrouve dans une chambre à coucher.
Celle-ci était parfaitement rangée, avec les livres organisés par ordre alphabétique sur l'étagère, une peluche posée sur le coussin du lit bien fait, un petit meuble à tiroirs au dessus duquel un miroir était accroché au mur. Sur le petit meuble se trouvait un petit livre à la couverture rose, dont Kinsuke prit le temps d'ouvrir pour lire sur la première page « Mon journal intime ». Il se mit à le feuilleter rapidement, jusqu'à ce que par on-ne-sait quel moyen le monstre se trouve dans la chambre à faire de l'ombre au garçon en lui cachant la lumière des chandelles. En apercevant le monstre, Kinsuke se tourna vers la fenêtre, le journal à la main, posa un pied sur le rebord et fit un mouvement de recul effrayé par l'altitude. Il se trouvait face à la mer, mais distancé d'une bonne dizaine de mètres de hauteur de celle-ci. Le garçon se retourna vers la créature qui se trouvait pratiquement sur le lui, puis sauta par réflexe, se mettant en position de plongeon après avoir soigneusement protégé le journal dans la partie intérieure imperméable de son gilet. Le jeune sentit l'air traverser traverser son corps à l'intérieur de ses habits pendant quelques secondes qui semblaient durer une éternité, puis il toucha la mer.
En revenant sur la terre ferme à la nage, il prit le journal dans les mains en se lamentant à haute voix:
« Tout ça pour une journal... »Le petit journal rose avait bien intérêt à être intéressant, et il l'était sans doute, mais le jeune garçon était bien trop fatigué pour le lire maintenant. Il ne lui restait plus qu'à aller passer une bonne nuit de sommeil à l'auberge dont Rod lui avait montré l'emplacement.
L'Auberge du Pied Levé -->