L'Univers de Yuimen déménage !


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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 2 Juil 2014 13:47 
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« ‘Man Grenotte, pourquoi mon sang ne coule pas comme celui des autres femmes ? Ma mère disait que le temps viendrait. Mais les années passent, et rien ne vient. »

Le soupir de ‘Man Grenotte me restera sans doute à jamais dans l’âme, chevillé comme l’annonce d’un jugement. Je lisais alors dans ses yeux la résolution face à une perspective qui ne l’enchantait guère, une épreuve par laquelle il fallait que nous passions toutes les deux, celle de la vérité : elle pour la dire, moi pour l’entendre. Une idée avait germé dans mon esprit, pour être aussitôt étouffée par lui, comme les plantes d’un parterre peuvent engloutir l’étrangère osant dresser quelques feuilles malingres vers leur soleil, étirer des racines frêles dans leur terre.

« Tu sais qu’la magie est en nous. Qu’nos fluides coulent dans notre corps comme le sang. Tu l’sais ça ? »

« Oui ‘Man Grenotte, on me l’a appris, et tu me l’as dit. »

« Ben parfois… C’est rare, mais j’en ai entendu parler… Ben parfois, les fluides y font leur sauce dans les corps dans lesquels y sont. Une femme qui avait d’la terre qui lui sortait des narines au lieu d’la morve, un marin mage qu’avait la sueur qui sentait l’iode. Pas grand-chose, mais des fois ça s’passe. Ben… Ben dans ton cas, j’crois bien qu’les fluides d’ombres… On peut dire c’qu’on veut de Thimoros, y’a quand même Phaïtos aussi. Dieu des Enfers et d’la Mort. Tu vois Esmé, l’corps d’une femme, quand y saigne, c’est qu’chez la femme tout fonctionne pour faire des marmots. Pour donner la vie. »

« Et moi, donner la vie, je ne pourrai pas. Parce que mes fluides ont… abimé ma matrice. C’est ça ? »

« Je peux pas te dire… J’suis qu’une sorcière de campagne, j’fais qu’supposer. Si tu veux êt’ sure, faudrait qu’t’ailles voir les gens du temple de Yuimen, à Kendra Kâr, y d’vraient pouvoir t’en dire plus. »

« Pas la peine, je me contenterai de cette explication. Elle n’est pas mauvaise. De toute façon, je n’ai pas le temps de m’occuper d’un enfant, et je vois mal avec qui je pourrais en faire un. »

Aucun garçon, ou plutôt aucun homme – car à cet âge où j’étais, les garçons deviennent des hommes, et les regards des hommes déjà faits ne sont plus retenus par les conventions sociales liées à l’âge – n’occupait ma vie alors ; et aucun n’homme n’y a jamais eu sa place. Je sentais parfois des regards sur mes jambes nues lorsque je remontais ma robe pour traverser un ruisseau, ou éviter qu’elle traine dans une flaque de boue ; jamais elle n’allait aussi haut que celle de certaines femmes, qui dévoilaient sans trop de complexe leurs cuisses au point que l’on devine les domaines attenants, sous un jour favorable et un angle convenu, mais un mollet, un peu de genoux suffisaient à donner des idées aux moins imaginatifs, comme si un peu de peau leur suffisait à se peindre en pensée l’ensemble du corps. Parvenir au tout à partir d’un élément de l’ensemble… Il y avait un mot pour ça, un mot que j’avais dû apprendre sans doute, dans les livres, dans ma « famille »…

Tant de mots dans les livres, tant de phrases que j’ai oubliées. Et pourtant je me souviens encore des noms des plantes qui peuvent guérir les coliques chez le nourrisson, d’autres qui peuvent faire tomber la fièvre, seules ou mêlées, et de leurs méthodes de préparation, et de leurs effets secondaires, et des doses pour chaque âge et chaque constitution. Tout cela me sert, aussi je m’en souviens. Je n’ai pas besoin d’aller consulter un livre à chaque cas qui se présente : lorsque je devais aller dans la montagne, avec ‘Man Grenotte, nous ne pouvions pas nous encombrer de livres. Et que ferais-je avec des livres ? Ils sont plein de mots, et les gens ne se rendent pas compte de ce que cela implique, de laisser des mots se balader sur des pages, à la portée du premier imbécile venu. On parle des soins dans les livres, mais on parle aussi des poisons : le maître peut juger de la fiabilité de son élève, mais n’importe qui peut lire un livre. J’avais un jour discuté de cela avec ‘Man Grenotte, plus jeune, bien plus jeune, intriguée que j’étais encore de l’étendue de son savoir alors qu’elle n’avait aucun livre chez elle. Bien entendu, les livres coûtent cher, il faut les copier, il faut les payer, les entretenir, les surveiller, mais tout de même… A cette époque, j’ai commencé à prendre conscience de l’opulence dans laquelle vivait ma famille, et ce débat sur l’écrit joua plus dans ce sens que l’écart qui existait entre la maison familiale de Kendra-Kâr et la chaumière des montagnes. Ce fut comme un voile que l’on soulevait de mes yeux : les miens faisaient sans doute le bien autour d’eux, mais ils étaient des nantis, ils soignaient sans doute les pauvres, les miséreux, cependant soutenus par l’assurance d’une vie confortable permise par leur clientèle la plus riche et la plus fidèle.
Fière de ma logique, ou plutôt d’un argument hérité mais peu médité, je répondis aux propos de ‘Man Grenotte sur la transmission du savoir par une question que je croyais des plus pertinente : que devenait le savoir si le maître venait à mourir avant de l’avoir transmis à son élève ? Elle haussa les épaules, et me répondit que ma question était pertinente, à ma grande satisfaction à l’époque ; mais je sais maintenant que c’était elle qui avait triomphé de moi : elle ne me répondit, et me laissa la responsabilité terrible de trancher. Le temps aidant, l’éloignement de ‘Man Grenotte, la fin de mon apprentissage et le départ pour un autre continent m’apportèrent des éléments de réflexion. La question ne devait pas être celle de la disparition d’un savoir, mais celle du savoir à transmettre : tous les savoirs peuvent-ils être écrits dans les livres ? Et les livres peuvent-ils être accessibles à touts ? Ils ne le sont pas, cette restriction d’accès n’est toutefois pas celle que j’aurais pu attendre. Ne lisent des livres que les riches, ceux qui peuvent se les payer. Les savoirs écrits accessibles à tous ceux qui ont de l’argent. De l’argent et du savoir. Trop de pouvoir. Cet état de fait, lorsqu’il advint pleinement à ma conscience, me révolta, bien plus que l’idée de savoir donnés à tous. Et il me révolte encore.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 6 Juil 2014 14:40 
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Trois coups à la porte : le premier puissant, le deuxième moins insistant, le troisième dénote une soudaine faiblesse, comme si toutes les forces du bras se sont épuisées dans les deux premiers. L’écho du plus vigoureux n’avait pas commencé à mourir dans la pièce à vivre de la chaumière qu’Esmé était déjà debout, prête à agir.

« Qui est-ce ? » lance-t-elle d’une voix pleine d’assurance.

« Madame Esmé, je viens de la part d’Ivan Lomet. Il m’a dit que vous pourriez m’aider. » La voix de l’autre côté du battant de bois a quelque chose de la supplique, mais ça ne suffit pas pour la sorcière, qui ne se laisse pas infléchir pour si peu.

« Aider à quoi ? »


« Je suis victime d’un empoisonnement, madame. » L’accent de l’homme, l’intonation de ses mots, sa manière de prononcer « madame » « ma Dame », avec la majuscule qui s’entend, ces tournures de galant piquent la curiosité d’Esmé ; et puis s’il meurt devant sa porte, cela fera mauvais genre, sans compter qu’il lui faudra déplacer le cadavre, perspective qui ne l’enchante guère. Aussi ouvre-t-elle la porte à celui qui se prétend empoisonné.

Du galant, l’homme n’a pas que les tournures. Bien que vêtu pour la guerre, d’un plastron de cuir renforcé d’acier, de solides épaulières du même métal, de braies de laine sombres, contre lesquelles battent dans leur fourreau deux épées, pendues à une ceinture dont les ornements révèle l’œuvre d’un maître maroquinier, le spécimen mâle qui se révèle sous les yeux de la sorcière trahit une élégance dont elle n’est pas coutumière. Certes, sa vêture est celle d’un spadassin, mais ses cheveux sont soigneusement peignés et élégamment ramenés en catogan sous son chapeau aux larges bordes, ses moustaches fines et noires soigneusement cirées en deux lignes droites et sévères, ses joues rasées de près même si la fin de la journée laisse deviner une ombre bleutée sur la peau ; sous le plastron, la chemise est brodée aux cols de cerfs bondissant, le foulard qui enlace le cou est sans doute de soie d’Oranan – il en a tout du moins les motifs bucoliques épurés – les bottes toutes couvertes de la poussière sèche de la garrigue n’en sont pas moins des effets avec lesquels, une fois brossés, un jeune homme ne rougirait pas de se présenter dans une maison de la haute. Tout ce qui se révèle à la clarté vacillante de la chandelle allumée par Esmé ne manquerait pas d’impressionner une femme du monde, mais n’arrache qu’un reniflement de dédain à la sorcière. Tout bien mis qu’il est, le soldat n’en a pas moins le teint cireux, tendant vers le verdâtre malade, et cela n’est en rien dû à une lumière défavorable.

« Je vous ai réveillée ? »

« En effet. »

« J’en suis sincèrement navré. Le soleil pointe encore ses rayons sur l’horizon… Je n’imaginais pas qu’une sorcière se couche si tôt… »


« L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. » Le ton est volontairement acéré ; Esmé n’aime guère les bruits qui courent sur les sorcières : la plupart ne sont pas à leur avantage, ou les font passer pour des choses qu’elles ne sont pas. Des mangeuses d’enfants par exemple… Qui veillent la nuit durant et pratiquent des rituels répréhensibles lorsque l’obscurité est assez profonde. « Mais vous n’êtes sûrement pas là pour parler de mon sommeil. Qu’est-ce qu’un kendran vient se faire empoisonner devant chez moi ? »

« Kendran madame ? Je… »

« Votre accent. Vous n’êtes pas kendran ? »

« Si… Si, bien sûr, mais… »

« Pourquoi pensez-vous que vous êtes empoisonné ? »

« Eh bien… » commence le spadassin, faisant un effort visible pour réprimer un haut le cœur ; « j’ai commencé à souffrir ce matin de nausées, de fièvre, de maux d’estomac violents, alors que je me sentais en parfaite santé, et que je n’ai rien mangé qui d’habitude me cause de tels symptômes. »

« Un plat mal préparé peut parfois faire cet effet là. On n’est jamais à l’abri. »

« Je suis mercenaire. Je viens de Kendra-Kâr pour remplir un contrat : je dois défier et tuer en duel un membre de la famille d’un des sept marchands du Conseil. Mon arrivée devait se faire de manière discrète, mais bien des rumeurs peuvent filtrer. Je suis assez connu dans mon milieu… Alors il y a de fortes chances pour que j’aie été empoisonné. »

Esmé soulève un peu sa chandelle pour éclairer la face de celui qui la domine bien d’une tête ; le teint est gris, les traits tirés par la souffrance, il a une odeur de bile dans l’haleine, mais cela ne suffit pas, elle cherche un signe plus précis. En s’attachant plus spécialement aux yeux, d’un bleu profond, elle trouve ce qu’elle cherche : le blanc commence à prendre une teinte verte sur la périphérie de la partie visible du globe oculaire.

« Bon… Je crois que vous avez raison. Je vais m’occuper de vous. » Claquant la porte derrière elle, elle lui fait signe de la suivre jusqu’à la seconde partie de sa longue habitation de pierres sèches. Lorsque la sorcière ouvre le double-battant branlant de sa bergerie, une odeur puissante de paille et de chèvres monte au nez du spadassin, qui fait un pas en arrière, se retenant de vomir tant bien que mal. « Faites pas votre délicat et entrez là dedans, poussez une chèvre, trouvez-vous un coin de paille fraîche et couchez vous. Je vous conseille également de retirer tout votre barda et de le coincer dans une des poutres : je doute qu’il soit très agréable de suer dans un plastron, ou de tacher votre joli chemise avec du vomi. »

« Avec les chèvres ? C’est une plaisanterie ? Donnez-moi une paillasse près de votre âtre, je m’en contenterai. Je vous jure sur mon honneur que vous ne risquez rien en ma compagnie ! »

« Gardez vos serments. Je n’ai pas peur de vous, simplement, si vous devez vous compisser, vous conchier ou rendre tripes et boyaux, je préfère que ce soit ici, où je n’aurai qu’à changer la paille, comme pour mes chèvres. »

« Madame » tout dans l’attitude de l’homme trahissait la dignité offensée, jusqu’à sa voix tremblante de colère – à moins que ce ne soit un effet de l’empoisonnement « auriez-vous été un homme, et dans d’autres circonstances, je vous aurais jeté le gant pour de telles paroles. Je suis encore assez maître de moi-même pour me trainer aux latrines plutôt que de me souiller comme un nourrisson. »

« Qui soigne ici ? Nous verrons demain matin. Si vous êtes toujours malade, et toujours propre, je vous céderai mon lit. »


« Il ne sera pas dit que je laisse une femme s’engager seule dans un pari. Si je me trompe, je vous céderai une de mes lames en guise d’excuse pour avoir remis en cause votre savoir. Cela vous convient-il ? »


« Je me serais contentée de vous entendre reconnaître que vous aviez tort. Mais si ça peut vous faire plaisir… Bon, trouvez-vous un coin, ôtez tout ce qui va vous gêner pendant la nuit, je vais vous chercher quelque chose à boire qui devrait contribuer à vous remettre sur pied… Ou au moins à vous maintenir en vie jusqu’à ce que je trouve l’antidote. »


« Merci madame. »

L’ayant abandonné, non sans expliquer en quelques mots à ses chèvres qu’elles allaient devoir faire avec cet hôte pour quelques heures, voire quelques jours, Esmé étudie l’ensemble de ses bocaux, fioles, pots et autres contenants tout en essayant de rassembler ses pensées et ses souvenirs en matière de poisons et antidotes. Dans sa profession, elle a plus souvent eu affaire aux intoxications par des produits naturels, donc des remèdes simples pour des maux simples. Mais face aux complots des hommes, elle est impuissante. Les poisons les plus redoutables sont sans doute les plus foudroyants à ses yeux, et ceux dont les symptômes sont les plus exotiques et les plus impressionnants. Pour faire passer l’empoisonnement pour une maladie somme toute naturelle, et détourner les soupçons, il faut parfois sacrifier l’efficacité à la discrétion, et c’est sur cela que compte Esmé.

« Les Cheveux de Gaïa ! Il me faudrait des feuilles de Cheveux de Gaïa ! Mais bien sûr il faut que cet arbre, gourmand comme il est, pousse près des cours d’eau pour pomper toute l’eau dont il a besoin. A ma connaissance, il n’y a qu’au temple de Gaïa qu’il y en a un qui pousse aux alentours… D’ailleurs pourquoi n’est-il pas allé au temple cet imbécile ? Il y a sûrement là bas des prêtres dont la magie aurait pu le guérir en moins de temps qu’il ne lui en a fallu pour se trainer jusqu’ici… »

Tout en réfléchissant à voix haute, elle descend des contenants des étagères, renifle le contenu lorsque celui-ci n’est pas nocif, hésite, replace le pot à sa place, reprend son manège. Finalement, elle revient sur une bouteille scellée de liège qu’elle a dans un premier temps écarté, puis s’empare d’un gobelet de bois.

« Si ça ne l’achève pas, ça aura au moins le mérite de le maintenir en vie jusqu’à ce que je trouve une solution. »

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 10 Aoû 2014 16:37 
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De retour à sa chaumière, Esmé, après avoir déposé ses affaires dans sa pièce à vivre, se dirige vers celle de ses chèvres : elles sont là, soigneusement alignées, sages, à attendre d’être menées paître, se tenant à une distance respectueuse de l’étranger venu cohabiter une nuit avec elles ; à l’odeur habituelle des caprins, de leurs flatulences, du foin et de la paille, ce dernier vient ajouter les relents d’excréments humain et les effluves acides des vomissures qui tachent son beau pourpoint.

« Eh bien je crois qu’il va falloir qu’il se sépare d’une lame, ce garçon » constate Esmé en même temps que son état. Plissant le nez de dégoût, elle s’approche tout de même du corps pour vérifier qu’elle n’a pas un cadavre sur les bras ; le souffle est léger quand elle approche son oreille de la bouche mi-close, l’haleine fétide, le pouls irrégulier au poignet, mais il est vivant, encore assez solide pour se voir administrer une médecine. Son inconscience n’en est pas une, c’est un profond sommeil que le corps s’impose pour ralentir ses fonctions vitales, et probablement dans le même temps la progression du poison. « Et c’est tant mieux… Je vais te sauver et te virer d’ici dès que tu seras sur pied. Qu’Ivan ne m’ait pas demandé un sous pour te soigner doit signifier que tu vaux cher, et les types à trop grand prix, je préfère ne pas les avoir sous mon toit, des fois que quelqu’un décide de venir s’intéresser de trop près à eux… » Elle ignore s’il l’entend et s’en fiche : elle n’a rien à cacher.

De retour dans son antre, à sa table de travail, elle sépare les feuilles en trois tas distincts ; le feu qu’elle a allumé sous un petit poêlon de cuivre lance de rouges éclats sur son œuvre, le frémissement de l’eau et les craquements du bois qui se consume troublent le silence tandis que ses mains trient la récolte. Certaines feuilles sont trop vieilles, tachées, seraient bientôt tombée, celles-là, elle les écarte ; d’autres encore sont grandes, alors que la sorcière ne veut que les plus jeunes : elle s’en servira tout de même – car à ses yeux, rien ne doit se perdre, gaspiller c’est avouer son manque de maîtrise des choses – mais pas pour faire face à l’urgence de la situation. Un premier tas, soigneusement haché, est versé dans l’eau, tandis que le poêlon est remonté sur la crémaillère pour que le liquide demeure à petit bouillon ; le deuxième est étalé sur une grille d’osier tressé fin, celui-là est destiné au séchage ; le troisième sera traité ultérieurement, dans la confection d’un onguent, et est donc placé dans un pot de terre fermé de liège pour attendre quelques jours. Pendant qu’Esmé nettoie son plan de travail, cherche un récipient adapté – une chope de grès et une cruche de même facture – les feuilles finissent d’infuser, diffusant leur parfum léger et rafraîchissant malgré la chaleur ambiante dans toute la pièce. Le liquide dans le poêlon a la teinte dorée caractéristique de cet antipoison, même passé à travers un torchon pour filtrer les résidus de feuille, il révèle toujours d’aussi beaux reflets lorsque le col de la cruche l’offre à un rayon de lumière.

Le gosier d’un homme n’étant pas de bois ni de pierre, faire ingurgiter le liquide au spadassin reviendrait à l’ébouillanter, et probablement à le pousser à s’étouffer avec une eau brûlante, ce qui n’améliorerait pas non plus l’état de ses poumons ; sans compter qu’il a vomi, se dit Esmé, et qu’il doit avoir la gorge passablement irritée par les régurgitations de bile. Pendant que le contenu de la cruche refroidit, Esmé s’en va remplir un seau dans les deux grands tonneaux qui lui servent de réserve. Des barriques d’un tel volume sont chères quand de bonne qualité, et Esmé les a achetées neuves à prix d’or : sa bergerie a été construite près d’une petite source – un filet d’eau sortant de la pierre serait plus juste, mais assez pour la décider à s’installer en ce lieu plutôt qu’ailleurs dans les collines arides – dont le débit dépend beaucoup des orages et des sécheresses, mais n’est jamais suffisant pour ce qu’elle a à faire, aussi prend-elle le soin de remplir les barriques au fur et à mesure, pour y puiser quand le besoin se fait ressentir à grands seaux. Et le besoin d’une toilette se faisait sentir pour le kendran dans la bergerie, au point de piquer les narines.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 10 Aoû 2014 18:14 
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« Aaaaaaargh ! Mais vous voulez ma mort ? C’est infect ! »

La voix, bien que faible, est véhémente, et à raison : la boisson que la sorcière a versé entre les lèvres du spadassin redresserait un cadavre, une décoction d’herbes amères et odorantes qui ne manquent pas de stimuler le corps, même endormi ou profondément inconscient, en maltraitant le goût comme l’odorat, sans compter le toucher tant le liquide irrite la gorge. C’est également, par cet effet secondaire peu engageant, un bon moyen pour encourager le patient à boire ce qu’on lui servira : quand bien même la médication serait infecte, cela ne pourrait pas atteindre le degré de la première. Esmé n’est pas partisane de la médecine douce, caressante, câlinante : le seul bien être du patient qui compte, c’est sa guérison pour qu’elle en soit débarrassée le plus vite possible.

« Si je voulais votre mort, je vous aurais laissé crever dans votre merde, et j’aurais emporté votre corps quelque part dans la garrigue, où les charognards se seraient régalés. Alors maintenant fermez-la et buvez, avant que je ne change d’avis ». D’autorité elle lui colla la chope pleine de l’infusion de cheveux de Gaïa tiède entre ses mains agitées de tremblements. Il but sans protester, trouvant même au breuvage un goût plutôt agréable. Comme il avale son remède, ses esprits lui reviennent, et une drôle de sensation s’impose à lui, une idée qui dérive à la lisière de sa conscience et sur laquelle il n’arrive pas à mettre le doigt : cette démangeaison l’empêche de se concentrer. Démangeaison ?

« Mais… Mais ? … Mais ! Je suis nu ! » proteste-t-il, profondément indigné, le rouge lui montant aux joues malgré le linge qui voile pudiquement ses parties intimes.

« Et après ? Je faisais comment, moi, pour laver vos nippes tachées de merdes et de vomi ? Pour vous rincer de vos chiures comme un chiard ? Vous allez pas me faire croire qu’aucune femme ne vous a jamais vu nu ? Vous êtes pas le premier homme que je vois comme ça, et vous serez sûrement pas le dernier. Rassurez-vous, je n’ai pas abusé de vous. Maintenant arrêtez de faire votre pucelle effarouchée, buvez et rendormez-vous. Ca devrait aller mieux, si le poison ne vous a pas tué, c’est qu’il le devait pas être si terrible. Il y a une couverture là, et la paille est fraîche. Buvez et dormez. Demain vos vêtements seront secs, je vous donnerai de quoi manger, je vous rendrai vos frusques sèches et propres, et vous vous en irez loin de chez moi, accomplir votre contrat ou dieu sait quoi encore. Mais loin de chez moi. Clair ? »

« Très clair Madame. »

« Madame qui ? »

« Madame Esmé… »

« C’est mieux. Dormez maintenant. Je vous laisse l’infusion. Si vous vous réveillez, buvez encore. Les latrines sont à quelques pas sur votre droite, en sortant. Il y a là, près de la porte, un bâton sur lequel vous pourrez vous appuyer si vous vous sentez trop faible. Je vous préviens, je ne vous laverai pas une deuxième fois. »


Sur ces dernières recommandation, Esmé laisse le convalescent dans la bergerie, en faisant toutefois sortir les chèvres : il est temps pour elle d’aller brouter les herbes sèches des alentours pour se sustenter, sous l’œil acéré de la sorcière qui, bâton en main, veille au grain, prête à battre comme plâtre le moindre prédateur, bipède ou quadrupède, qui souhaiterait s’en prendre à ses précieuses bêtes. Elle profite également de ces moments en pleine nature pour ramasser des simples qu’elle fourre dans sa besace, avec plus ou moins de précaution suivant la fragilité des plantes ; dans sa récolte elle veille, comme le lui a appris ‘Man Grenotte, à ne pas abimer les plans, à leur laisser l’occasion de pousser encore, de se reproduire pour permettre à l’avenir de nouvelles récoltes : damné soit l’imprudent qui tue la plante à son premier passage.

A son retour de cette journée au grand air, Esmé profite du moment consacré à rentrer les chèvres et à leur traite pour jeter un coup d’œil à son malade : il dort profondément, son pouls est plus rapide et plus régulier, il ne s’est pas conchié, la guérison semble suivre son cours. Le début de confection de petits fromages qu’elle échange contre d’autres denrées alimentaires et de menus service l’occupe une bonne partie de la soirée. Comme souvent, lorsque la nuit se fait profonde, elle est fatiguée de sa journée, une saine fatigue qui la conduit à un sommeil sans rêve : après avoir verrouillé sa porte, mis les barres à ses volets, la sorcière s’endort comme bien ses semblables humains dont elle se veut différente, vulnérable pour quelques heures encore.




L’après-midi du lendemain est déjà bien avancé lorsqu’Esmé se retrouve à nouveau seule chez elle. Le spadassin kendran s’en est allé un peu plus tôt après s’être restauré et avoir placé dans ses bagages quelques fioles des restes de l’antipoison concocté par la sorcière. Sa gratitude était débordante, mais sa sauveuse y a coupé court : elle a refusé les yus, n’a accepté que la lame promise, un couteau – gagné aux dés par le soldat – dont elle trouverait bien l’utilité, ne serait-ce qu’en tranchant ses oignons avec. Et puis il avait abandonné sur la table en même temps que l’arme une drôle de petite pierre gravée, autre de ses gains dont il ne savait quoi faire, mais dont le signe intrigua la sorcière : il lui semblait en avoir déjà vu, mais elle ne savait plus où. Ce souvenir devait dater de sa jeunesse à Kendra-Kâr sans doute.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 13 Aoû 2014 19:54 
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La vie tranquille d’Esmé suit son cours, les mois passent et viennent avec eux les prémices de la mauvaise saison : les nuits se font plus longues, les températures plus fraîches, à son rythme la nature, bêtes et plantes, se prépare à affronter les rigueurs de l’hiver. Dans la garrigue s’étendant au sud de Tulorim, les assauts du froid ne sont en rien comparables à ceux qu’à pu connaître Esmé dans les Duchés des Montagnes, lors de son apprentissage. Bien moins de bois lui sera nécessaire pour chauffer son humble logis, et elle ne sera pas obligée de se dissimuler sous des couches de vêtements tous plus chauds et épais les uns que les autres pour pointer le nez hors de sa maison.

Tant qu’il reste de l’herbe encore assez verte pour être broutée, la sorcière emmène avec elle ses chèvres pour passer la journée dans les hauteur ; emmitouflée dans sa cape pour se protéger du vent incisif, elle veille d’une oreille sur ses bêtes : chacune porte à son cou une cloche au son distinct, que leur maîtresse reconnaît, aussi cette dernière revient elle vite sur ses pas lorsque le tintement ne correspond pas aux mouvements lents du coup qui s’abaisse pour arracher une touffe végétale appétissante, ou plus rapide du caprin qui se gratte le dos à l’aide de ses cornes. Durant ces moments de retraite, Esmé ne reste pas inactive, emmenant toujours avec elle quelques bricoles, de menus travaux pour s’occuper les mains tandis que son esprit vagabonde : ce sont tantôt des pièces de cuir qu’elle perce et coud pour en faire des bourses où elle glisse ses herbes, d’autres fois des fibres végétales séchées qu’elle tresse pour faire les mèches de ses lampes à huiles, et autres activités qu’elle pourrait sans doute effectuer dans sa bergerie, mais qu’elle préfère réaliser au grand air, profitant de la lumière du soleil. Et quand elle ne s’occupe pas il y a toujours des fleurs à cueillir, des simples à ramasser, des collets à poser ou à vérifier. En somme, sa vie pastorale lui permet de chasser l’ennui, de palier à l’oisiveté sans pour autant charger ses journées au point qu’elles ressemblent à celles que font ces fermiers qui, en plus de devoir verser le fermage, nourrissent souvent toute une marmaille aux bouches avides et aux ventres sans fond. Ces problèmes là, Esmé ne les connaît pas : aucun enfant ne se suspend à ses jupes, et la terre sur laquelle est construite la bergerie n’appartient à aucun des riches marchands de la ville – du moins aucun n’est jusque là venu lui demander un loyer. Sa seule responsabilité pourrait être son chat, et encore, ce dernier, sans doute mu par l’orgueil immodéré de sa race, ne vole que quelques morceaux d’une viande en marinade, ou les reliefs d’un repas, plus pour affirmer son emprise sur l’intérieur où il règne que par faim, car la garrigue est un vaste terrain de chasse où ses crocs et ses griffes prélèvent leur comptant de proies à plumes, à poils ou à écailles.

Toutes les fins d’après-midi pourraient se ressembler : les chèvres reviennent doucement vers leur maîtresse, l’air fraîchit, la lumière décline, et il est temps de rentrer, selon le bon vouloir de la sorcière et l’avancement de ses activités. Seulement, cet après-midi là, un évènement inhabituel vient troubler cette sérénité du retour, presse l’heure du rassemblement des bêtes auquel Esmé procède avec hâte mais fermeté ; au loin, relevant la tête de l’écorce de saule séchée qu’elle réduisait en poudre, elle a aperçu une colonne de fumée sombre, s’élevant dans la direction dans laquelle se trouve sa demeure, autant qu’elle ait pu en juger. La sorcière n’a pas peur du feu : elle en connaît les dangers mais aussi les bénéfice, et l’accepte pour ce qu’il est, un outil dont la nocivité dépend de celui qui en use, tout comme un couteau ; lorsqu’il se déclare indépendamment de toute action d’une race pensante, elle y voit une manifestation semblable aux gelées qui détruisent les récoltes, à la grêle ou aux inondations. Si elle n’a pas peur du feu, elle ne se montre pas pour autant téméraire, ni indifférente à ses conséquences : il n’a pas plus depuis plusieurs jours, même si l’hiver approche, le vent et le soleil sont encore à même de dessécher la garrigue, aussi faut-il agir vite, voir ce qui brûle, se prémunir d’une diffusion des flammes et prévenir si cela s’avère nécessaire les petits villages des alentours.

Les chèvres gambadent, bondissent, leurs clochettes tintent au rythme de leurs bonds, de leur trot précipité par les injonctions d’Esmé ; elle-même s’impose une allure qu’elle reconnaît n’être plus tout à fait de son âge, mais qu’elle juge nécessaire. Au fond de ses tripes a éclot un pressentiment néfaste, de ces pressentiments qu’elle a appris à écouter, et cela lui donne assez de force et de souffle pour presser le pas.

Elle n’arrive cependant pas assez vite pour empêcher le pire, et peut-être est-ce mieux pour elle. Devant ses yeux, sa bergerie brûle : la porte des chèvres a été clouée, elle n’entend pas le bêlement de la mère qui avait mis bas la veille, et qui est restée avec son petit à l’abri pour la journée, mais une odeur de poil roussi et de chair brûlée lui en dit long sur le devenir des deux bêtes. Sur son huis, épargné encore par les flammes, un mot est badigeonné à la chaux : « SORCIERE ». En dessous de cette accusation, le cadavre du chat, pattes clouées, ventre ouvert. En s’approchant, Esmé a pris la mesure de que représentait l’incendie, la perte d’années de récolte, de préparation, des herbes rares, des plantes recherchées, des remèdes complexes ; pire encore, avaient dû s’envoler en cendres et en fumées les quelques livres de prix qu’elle conservait sur une étagère, achetés à des colporteurs ou à ce baratineur de Manznar. Mais ces pertes matérielles ne lui importaient guère : les végétaux pousseront toujours, et des scribes recopient encore des livres partout dans le monde, sans compter que l’essentiel de son savoir est gravé dans sa mémoire, et non calligraphié sur des pages de parchemin. Non, les pertes matérielles ne sont rien. En revanche, son cœur se serre en voyant le sort qui a été réservé à l’animal qui fut son compagnon pendant de longues années, ainsi qu’à cette chèvre et à son petit, plus innocent encore que ces moutards que l’on présente comme des parangons de pureté. Si jamais ne s’est posé à elle la question morale de faire souffrir ou non un de ses semblables, elle n’a jamais hésité un seul instant face aux bêtes : nul besoin de leur infliger des supplices inutiles. En crucifiant ainsi son chat, en n’ayant aucune considération pour les membres les plus faibles de son troupeau, ceux qui ont perpétué ces actes ont commis une erreur grave, car ils ont touché à la fibre la plus tendre du cœur d’Esmé, et lui ont révélé par là même une vulnérabilité. Or s’il est une chose que la sorcière n’accepte pas, c’est d’être vulnérable.

Le triste spectacle qu’elle contemple, l’incendie, le supplice du chat, la chèvre abandonnée aux flammes, tout cela la convainc qu’il ne s’agit pas d’un acte de malveillance auquel se seraient livrés des voisins mécontents, des jaloux, des craintifs : la nourriture a trop de prix par les temps qui courent pour que des pillards laissent rôtir un animal sans en profiter, et les gens du cru connaissent trop bien les ravages du feu pour commettre l’acte inconsidéré d’incendier une chaumière. Il y a quelque chose là-dessous, elle le sent, elle le sait, quelque chose qui la vise, qui la veut morte, mais qui ne sait pas s’y prendre : un puissant, un idiot, ou les deux à la fois. Surtout un idiot se dit-elle : un être intelligent l’aurait fait surveiller, traquer, l’aurait tué là haut, dans les collines, sans même avoir eu besoin d’un incendie. Les flammes sont là pour le symbole, elle en est convaincue, comme le supplice du chat et son état peint sur la porte.

Les chèvres l’observent à distance respectable, effrayée par le feu, bêlant leur incompréhension ; lorsque les flammes sont attisées par une bourrasque, elles reculent face au ronflement du brasier, tandis qu’Esmé ne bouge pas d’un pas. Dans ses yeux tremblent des lueurs qui ne sont pas les reflets pourpres du spectacle qu’elle contemple, mais des éclats sombres issus du bouillonnement de ses fluides obscurs, dont elle peine à maintenir le jaillissement. Cela ne dure même pas une minute, long égrènement des secondes durant lequel les sentiments menacent de l’emporter sur sa froide et implacable raison, pour au final reculer et retrouver la place qui est la leur. Pleinement maîtresse d’elle-même, la sorcière remet ses muscles en branle, ayant ébauché un plan. Dans tous les cas de figure, elle ne pouvait pas rester sur place, il lui fallait se rendre mobile, trouver des informations sur ceux qui s’en étaient pris à ses biens, et confier son troupeau à des gens attentionnés.

Esmé laissait le plus souvent sa demeure vide, ne donnant qu’un tour de clef dans une serrure grossière pour clore son huis, serrure que le premier des bandits pourrait crocheter sans peine. Elle comptait sur la crainte que son intérieur pouvait inspirer à ses contemporains pour sa tranquillité : qui, après tout, voudrait aller fouiner chez une sorcière, ignorant quelle vile magie on y trouverait. Pour les plus audacieux, ou les maraudeurs de passage, il n’y avait pas grand-chose d’intéressant dans sa demeure, au mieux auraient-ils vandalisé son intérieur, renversé ses pots, brisé ses fioles, répandus ses poudres et herbes, excités par la rage de n’avoir rien trouvé à se mettre dans les poches. Car la sorcière est retorse, et si elle est confiante en son influence, elle n’en est toutefois pas devenue téméraire. Ses possessions matérielles susceptible de trouver une valeur, pécuniaire il va de soi, aux yeux de ses contemporains, sont soigneusement dissimulées dans un coffret, enterré au pied d’un vieil olivier. C’est là qu’elle se rend, à une petite dizaine de mètres de son logis dévasté ; à l’abri d’une grosse pierre, la truelle n’a pas bougé, Esmé s’en empare et commence à retirer la terre à gestes précis. Bientôt le fer bute contre le fer, et le couvercle du coffret apparaît : il n’est pas bien lourd, long comme son avant-bras, à peine moins large, et guère plus haut que la paume de sa main ; elle n’a pas besoin de plus de volume, sa fortune est sommaire, correspond à ce dont elle a besoin. Une clef passée à une ficelle autour de son cou lui ouvre la cache, d’où elle tire l’essentiel : la bourse de yus qu’elle utilise lorsqu’elle ne peut pas troquer, dans laquelle elle a glissé la mystérieuse pierre gravée laissée par le spadassin, dont elle soupçonne des qualités magiques sans pouvoir vraiment les identifier, et le couteau offert par le même homme, qu’elle avait laissé là en cas de coup dur justement.

Le fourreau de l’arme ajusté à la ceinture de sa robe, la bourse de yus glissée dans son sac, Esmé prend la mesure de son dénuement : elle n’a pas grand-chose dans son bagage, une gamelle, des couverts, ce qu’elle a emporté pour la journée, sur son dos ses vêtements, une arme donnée par un étranger, de l’argent sans aucune autre valeur que la marchande que tout le monde lui prête.

« Et puis zut ! Ca me convient très bien comme ça ! Au moins je ne fais pas partie de ces malins que la moindre perte désole, voire rend malade. Je n’ai rien, eh bien tant mieux ! Je suis riche de bien d’autres choses. »

Sur ces mots qui constituent plus un défi au monde qu’un moyen de se rassurer, Esmé se met en marche. Une fois éloignée de la maison, elle module le sifflement dont elle use pour rassembler les chèvres ; ces dernières obéissent à l’ordre et la rejoignent, d’autant plus rapidement que la nuit tombe : ce n’est pas grave, Esmé n’a pas peur des ombres, et la rage qu’elle a relégué au fond d’elle est prête à rejaillir pour faire son affaire au premier nuisant qui se mettrait en travers de sa route.





A une petite heure de marche de sa bergerie, Esmé rejoint une oliveraie dont elle connaît les exploitant : une bonne famille, à laquelle elle a été heureuse de rendre plusieurs fois service, des gens aimables, travailleurs, qui ne lui avaient jamais manqué de respect. A ces gens là, elle estime qu’elle peut confier ses chèvres.

« Si vous ne pouvez pas vous en occuper, vendez-les à des gens biens. Mais je vous conseille de les garder, elles obéissent, donnent du bon lait et broutent ce qu’il y a : vous gagnerez plus à les conserver pour servir du lait à vos enfants et vous faire des fromages. » explique-t-elle au père, le ton de sa voix laissant entendre qu’en effet, la deuxième solution est vraiment la plus appropriée.

« Merci m’dame Esmé, merci d’tout cœur. » L’homme n’arrive cependant pas à garder ce qu’il sait pour lui, il faut qu’il vide son sac, il ne peut pas rester sous le regard inquisiteur de la sorcière. « On savait pas, m’dame Esmé, on savait pas c’qu’y z’allaient faire par chez vous. On s’doutait qu’y vous voulaient pas du bien, alors quand y z’ont d’mandé où c’est qu’vous pouviez être, quand y sont r’venus, on a rien dit, on a dit qu’on savait pas. »

Comme elle ne perçoit pas de mensonge dans la voix de l’homme, Esmé s’autorise un sourire qu’elle veut rassurant. « Je sais, je sais. Vous êtes un homme honnête, vous. Je suis sûr qu’il s’en est trouvé pour me dénoncer, mais pas vous. »

« Ah non m’dame Esmé, ça non ! Z’avez sauvé mon fils d’la mauvaise fièvre, et ça, ma femme et moi, on vous l’revaudra toute not’ vie, qu’les dieux m’en soient témoins qu’on est pas des ingrats ! »

« Oui, oui, je sais. Et qui c’étaient, ces gens qui me cherchaient ? »

« Oh, pas des gens d’chez nous, ça non. Parlaient avec un accent qu’est pas d’ici. C’était des soldats, tout armuré d’la tête aux pieds, des armures qui brillaient au soleil. Y portaient un drapeau, un marteau doré entouré d’rayon, comme si l’soleil brillait derrière. Y’avait une dame, une grande dame blonde, toute en armure aussi, qui les guidait, qui posait les questions. Y disaient qu’y v’naient pour apporter la lumière d’Gaïa, pour nous libérer d’vos pouvoirs et des malheurs qu’y causent. Ma femme et moi on leur a dit qu’vous aviez jamais am’né d’malheurs, mais y z’ont dit qu’on avait été trompé, illusionné qu’y disaient. Ben alors nous on a rien dit, on a attendu qu’y partent, pis on a vu la fumée… On a craint l’pire pour vous ! »

« Porter la lumière de Gaïa… Ben merde, manquait plus que ça ! » marmonne la sorcière pour elle-même.

« Pardon m’dame Esmé ? »

« Rien, rien, vous avez bien fait. Si on vous demande d’où viennent les chèvres, dites que c’est les miennes, que vous les avez retrouvées errant dans la garrigue. Moi je vais aller tirer ça au clair à Tulorim. »

« Que les dieux vous gardent m’dame Esmé. »

« Mouais… Je crois pas pouvoir compter sur eux. »

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 17 Aoû 2014 00:27 
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Le Soleil culminait au plus haut dans le ciel, annonçant le début de l'après-midi. La pluie torrentielle, qui était tombée depuis maintenant plusieurs heures sur la région de Yarthiss, se calmait progressivement. Les couleurs verdoyantes qui composaient les paysages se ravivaient, et la faune, qui s’était jusqu’alors protégée sous les abris que lui offrait la nature, refaisait surface.

Toralgam avait parcouru une vingtaine de miles solidement cramponné sur Démos. Ce dernier, qui n’avait pas eu à forcer son talent, continuait sa marche tranquille. Ils arrivèrent bientôt à l’orée d’une petite source dans laquelle se trouvait une eau claire et pure.

Nous allons nous reposer quelques instants en cet endroit Démos. Ma jambe me fait mal, et il faut que je parvienne à calmer la douleur.

Le garçon descendit prudemment de son cheval, en s’efforçant de ne pas appuyer sur sa jambe blessée, puis attacha sa monture autour d’un arbre qui se trouvait juste au bord de l’eau, pour qu'il puisse s’abreuver. Il arracha ensuite un morceau de la gousse d’herbe que Fridriche lui avait préalablement donnée, puis après l’avoir précieusement trempée dans le point d’eau, il l'avala d'un seul coup. L’effet de l’herbe fut presque immédiat puisque la douleur que ressentait Toralgam dans l’intérieur de sa cuisse, diminua très nettement en à peine quelques secondes.

(Je ne sais pas d’où provient cette chose, mais Fridriche aurait dû m’en donner en plus grosse quantité.)

Le chasseur se dirigea ensuite vers Démos qui venait d’assouvir sa soif, mais il s’écroula avant d’avoir pu l’atteindre.

(Que m’arrive t-il? Ma jambe…elle ne réagit pas.)

Il se remémora alors les propos de Fridriche, avant que les deux hommes ne se soient quittés. L’herbe soulage les douleurs physiques, mais ne soigne en rien le mal être profond causé par une blessure.

(Malgré la diminution de la douleur, je ne peux toujours pas utiliser ma jambe. C’est certainement pour ça que Fridriche ne m’en a pas donné davantage. L’utilisation d’un tel procédé reste dangereux, car ma blessure peut s’aggraver sans que je ne m’en rende compte.)

Toralgam se releva en s’aidant d’un tronc d’arbre qui se trouvait devant lui, puis saisit un long bout de bois sur lequel il s’appuya pour garder l’équilibre.

(Il faut que je trouve de quoi manger; dans ma précipitation je n’ai rien apporté avec moi.)

Le jeune homme prit la décision de s’enfoncer légèrement dans le bois qui bordait le point d’eau, afin de trouver de quoi se nourrir lui-même ainsi que son cheval. La végétation y était dense et luxuriante. Il trouva une multitude de petites baies qu’il rangea précieusement dans ses poches, puis, alors qu’il s’apprêtait à rebrousser chemin, il aperçut à une soixantaine de pieds environ un lapin qui se nourrissait dans un petit talus. Toralgam dégaina lentement son arc, posa le genoux de sa jambe blessée à terre, et après une longue respiration, il décocha une flèche qui vint se planter dans le dos de l’animal. Le chasseur récupéra la proie qui gisait sur le sol puis fit demi-tour pour rejoindre son cheval.

Tiens Démos, j’ai quelques baies pour toi. Ce n’est pas grand chose, mais c’est tout ce que j’ai à te proposer pour l’instant.

Le garçon en profita également pour accrocher le lapin sur le flan droit de Démos et se rapprocha de la source pour y remplir une fiole.

(J’espère que les prochains signes de civilisations ne se feront pas attendre ou la situation risque de se compliquer. Si mes souvenirs sont bons, une ville se trouve au nord-ouest non loin de l’océan. Je ne sais pas vraiment quelle distance nous sépare de Yarthiss, mais je pense que cette cité se trouve à deux jours de marche; peut-être moins si Démos garde le rythme.)

Une fois que la monture eut avalé la totalité des baies qui lui avait été données, Toralgam ramassa une demi douzaine de bouts de bois ainsi que des feuillages qu’il rangea précautionneusement dans une des poches de son carquois.

(On ne sait jamais, ça pourra m’être utile à l’avenir.)

Il dénoua ensuite la corde qui attachait son cheval au tronc d’arbre puis grimpa sur son dos, avant de reprendre la route.


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Dernière édition par Le Toralgam le Mer 20 Aoû 2014 01:01, édité 5 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 17 Aoû 2014 00:45 
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La nuit venait de tomber quand une petite brise se leva sur la région traversée par le chasseur et sa monture. Ces derniers se trouvaient à une quinzaine d’heures de marche de Yarthiss et le paysage se transformait progressivement. La verdure laissait peu à peu place à un sol aride où seuls de petits buissons desséchés et des bouleaux semblaient pouvoir pousser. Autour, des énormes montagnes, sèches et rocailleuses, entouraient la zone.

Démos, il va falloir que l'on tienne bon. La température actuelle est supportable mais demain, la garrigue se transformera surement en une fournaise infernale.

Le cheval, comme s’il venait de comprendre que la situation devenait problématique, accéléra le pas. Malgré l'aridité et la sécheresse de la zone, quelques portions leurs offrirent de quoi s’hydrater tout au long de la nuit. Ils purent ainsi parcourir plus de vingt miles avant que le crépuscule ne refasse lentement surface. La température grimpa alors rapidement, si bien que Démos, fatigué, stoppa sa marche et s’allongea sur ses deux pattes avants.

Très bien mon beau, j’ai compris. Il est temps que nous nous reposions. Mais il faut que nous trouvions un endroit à l’abri du soleil qui va bientôt se répandre sur toute la région.

Le chasseur descendit de Démos, puis après l’avoir lentement relevé, ils continuèrent leur route à la recherche d’un coin d’ombre. Leur progression devint de suite beaucoup plus lente, la faute à la blessure de Toralgam qui l’obligeait à marcher à une allure réduite. La chaleur devenait de plus en plus éprouvante et aucun refuge ne semblait présent à des milles à la ronde. Ils eurent de plus en plus de mal à avancer et le garçon but bientôt la dernière goutte d’eau qui lui restait.

Ca devient critique…je n’ai pas envie de mourir ici, une journée à peine après le début de mon voyage. Tout ça serait trop bête, ça ne peut pas se passer ainsi. Courage Démos, on va y arriver.

Le jeune homme s’efforça de continuer sa route et recouvra trois ou quatre milles de plus malgré l’atmosphère étouffante, lorsqu’il entendit très distinctement un son de brassement d’eau s’élever par dessus les airs, apportés par le vent du nord.

De l’eau Démos! Ce bruit, aussi doux que celui du chant des oiseaux, c’est de l’eau.

Ils marchèrent une dizaine de minutes durant lesquelles Toralgam lutta contre la douleur, puis ils arrivèrent au pied d’une colline. Le bruit des flots se faisait de plus en plus fort et ils commencèrent à gravir le dénivelé qui s’opposait à eux. Démos se montra particulièrement habile sur le terrain qui s'élevait et devança le garçon jusqu’à sortir de son champ de vision.

Démos! Démos revient ici! , cria le garçon.

Il ne put malheureusement pas accélérer le pas et fut contraint de progresser à son propre rythme.

Maudite jambe… Démos!

Après plusieurs minutes passées à batailler contre la douleur et la chaleur, Toralgam arriva enfin au sommet de la colline, sur une portion plane et dégagée. En contrebas, se trouvait une falaise, immense et vertigineuse, qui se jetait dans l’océan. Le cheval était à seulement quelques mètres de là, et observait paisiblement le magnifique paysage qui s’offrait à ses yeux.

(Quel spectacle, c’est la première fois que je vois de l’eau si bleue et en si grande quantité. J’en avais déjà entendu parler, mais c’est plus beau que ce que je m’étais imaginé. Malheureusement, on m’a dit que l’on ne pouvait pas consommer cette eau: elle est salée et elle fait vomir. Quel dommage…on en voit à perte de vue, mais elle n’est que bonne à être regardée. Je vais bientôt souffrir de la soif… que vais-je faire?)

Le chasseur, inquiet, observa les alentours et remarqua une petite grotte qui se trouvait un peu à l’ouest. Elle s’enfonçait dans les falaises et semblait suivre la côte.

C’est notre seule chance de survivre Démos. Il faut que l’on rejoigne cette caverne au plus vite.

Toralgam et son cheval descendirent prudemment la colline. L’érosion provoquée par l’océan y avait façonnée un revêtement bien meilleur que celui du versant opposé. Il ne mirent que peu de temps à atteindre le pied du mont, et entamèrent leur marche en direction de la caverne. Ce nouvel espoir de s’extraire de ce mauvais pas fit oublier au jeune homme, l’espace d’un instant, la douleur qui lui parcourait la jambe.

Ils recouvrèrent la mille et demie qui les séparait de la grotte en une vingtaine de minutes. Cette dernière mesurait neuf pieds de haut et des inscriptions, écrites dans une langue que ne connaissait pas Toralgam, étaient présentes tout autour de l’entrée. Elle était sculptée dans une roche granuleuse et sombre qui lui conférait un aspect repoussant.

(Apparemment je ne suis pas le premier à me présenter ici.)

Malgré l’appréhension évidente qu’éprouvait le jeune homme, la fraicheur qui se dégageait de l’intérieur de la grotte le poussa à pénétrer dans ses entrailles. Il sortit alors une flèche, un bout de bois ainsi que des feuillages de son carquois. Il fixa les feuilles au bout du bâton et utilisa la pointe en acier de celle-ci pour réfléchir le soleil sur le branchage qui s’embrasa en son bout. Il rentra ensuite au sein de l'excavation en tenant fermement Démos par le licol.


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Dernière édition par Le Toralgam le Lun 18 Aoû 2014 19:18, édité 3 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 17 Aoû 2014 00:56 
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L’endroit était humide et le noir total l’avait envahit obligeant Toralgam à progresser lentement, éclairé que par la torche qu’il venait de se confectionner. Après une vingtaine de minutes passées à se frayer un chemin dans un tunnel escarpé, le garçon et sa monture arrivèrent dans une portion plus large et plus haute qui formait une sorte de salle rocheuse.

Nous allons nous arrêter là quelques instants Démos. Je te donne les dernières baies que je possède. Après, il faudra puiser dans tes réserves.

Toralgam profita de cet arrêt pour explorer les murs de plus près. Ces derniers portaient les stigmates de traces qui s’apparentaient à des coups d’épées et de lances. Cette caverne avait probablement été le théâtre d’affrontements très anciens. Soudain, le garçon aperçut à la lueur de sa torche une immense fissure qui parcourait toute la hauteur du mur. Il éclaira la faille de haut en bas et remarqua qu’un léger filet d’eau s’écoulait de celle-ci. Toralgam le suivit et s'aperçut qu'il sortait de la salle pour continuer sa route plus loin dans la grotte.

Démos, suis moi!

Le cheval obéit sans broncher à la demande de son cavalier. Ils se retrouvèrent à nouveau dans un tunnel escarpé, semblable à celui qu’ils avaient empruntés avant leur courte pause. Le filet devint de plus en plus important au fur et à mesure qu’il puisait sa source dans les multiples faiblesses qui composaient les parois de la caverne. Après un demi mille environ, le garçon se retrouva les chevilles sous l’eau. Profonde d’environ un demi pied, l’eau semblait monter progressivement.

(Il doit pleuvoir à l’extérieur, l’eau s’engouffre dans l’antre) pensa Toralgam d’un air inquiet. (Il faut se presser Démos, ou c’est la noyade qui nous attend).

Le cheval dépassa Toralgam et baissa le train arrière comme pour l’inviter à grimper sur son dos.

Non Démos! Ca fait près d’une journée que tu n’as presque rien bu et mangé. Tu n’es pas en mesure de me porter.

La réponse de ce dernier ne se fit pas attendre puisqu’il se cabra violemment et lança un regard noir en direction du chasseur.

Bien, alors cours Démos, aussi vite que tu le peux.

Toralgam grimpa sur le cheval d’un seul saut avant que celui ci ne parte au galop. Sa vitesse était prodigieuse et sa course, d’une élégance rare, paraissait le faire voler. Le jeune homme était ébahi par l’impression que lui faisait l’animal. Pourtant, après deux ou trois milles parcourues, la monture réduisit son allure et s’écroula de tout son long, éjectant Toralgam au dessus de lui. Ce dernier termina sa chute dans une eau de deux pieds de hauteur et se râpa légèrement le bras. Démos, quant à lui, se releva après un gros effort.

Je t’avais prévenu Démos, tu n’as plus assez d’énergie pour supporter mon poids. Maintenant il faut continuer… à pied.

Le garçon se mit à courir sans faiblir face à la douleur que lui provoquait sa jambe, mais l’eau, qui était montée au dessus de ses genoux, le ralentissait grandement. De plus, le tunnel semblait sans fin et le niveau continuait à monter. Le garçon n’eut rapidement plus pied, et dû nager pour continuer à avancer. Heureusement, un léger courant s’était formé dans la caverne, accélérant son mouvement.

Une centaine de pieds plus loin, le passage devint brusquement plus étroit contraignant Démos à redoubler d’effort pour ne pas rester bloquer. Puis, après cinq minutes contre lesquelles ils s’acharnèrent contre la montée des eaux, leurs têtes atteignirent l’extrémité supérieur de la paroi.

Cette fois c’est terminé, notre voyage s’arrête ici-même…lança Toralgam au bord des larmes.

La torche s’éteignit au contact de l’eau et rendit l’endroit effroyablement sombre. Le menton, la bouche, puis le nez du jeune homme, et ce fut bientôt le tunnel tout entier qui se retrouva plongé sous les flots. Toralgam se sentit lentement partir, comme happer par le courant qui le menait vers le fond du tunnel et qui devenait de plus en plus fort. Il réussit néanmoins à se retourner pour apercevoir Démos, qui se débattait dans tous les sens, et qui le fixait profondément, comme pour lui adresser un bref au revoir, court, mais intense. Le courant gagna encore en puissance. Le garçon, à bout de souffle, n’eut le temps de remarquer qu’un léger faisceau de lumière qui lui faisait face, et qui lui éclairait le visage. C’est à ce moment même qu’exténué, il perdit lentement connaissance laissant son corps à la merci de son destin.


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Dernière édition par Le Toralgam le Lun 18 Aoû 2014 14:04, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 17 Aoû 2014 01:17 
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Toralgam était debout au bord de l’immense falaise qui bordait l’océan. Une tempête se déchainait sur lui et de fortes rafales de vents manquaient de le faire chuter dans le vide.

Démos! Où es-tu?

C’est alors qu’en regardant droit devant lui, le jeune homme aperçut une tâche sombre couler lentement au sein de l’étendue bleue qu’il observait.

Non! Je ne te laisserai pas partir!

Le garçon plongea de la falaise pour aider son cheval. Il pénétra parfaitement dans l’eau, puis nagea en direction de ce dernier. Les vagues étaient gigantesques et les rochers, qui se trouvaient au pied de la falaise, menaçaient son intégrité.

Il franchit la barre puis une fois le large atteint, il se rapprocha de la tâche. Une fois arrivé à proximité, il voulut la toucher mais cette dernière disparut subitement. Une énorme déferlante emporta alors Toralgam et l’éjecta en direction de la falaise. La puissance de la vague était telle que son corps fut balloter jusqu'à la falaise. Ne pouvant pas contrôler sa trajectoire, il se dirigea alors vers un gros rocher aiguisé, dont la pointe ressortait de l’eau.

Une légère accalmie lui permit tout de même d'observer rapidement les alentours. C'est alors qu'il distingua Démos, debout sur ses quatre sabots, qui s’élevait au dessus de la falaise. Celui-ci le fixa brièvement avant de se retourner et de s’en aller au galop, laissant Toralgam seul, se faire malmener par les flots.

Il ferma alors les yeux et s’imagina au milieu de sa maison de Yarthiss, accompagné de son frère. Il se remémorait sa vie d’avant qui lui paraissait désormais lointaine. Lorsqu’il rouvrit ses paupières, le rocher était dressé juste devant sa tête et semblait le narguer. Quatre, puis trois pieds... Toralgam allait inévitablement s'écraser contre le monstre rocheux quand il se réveilla d’un sursaut brutal.

Suite à cela, il cracha une grosse quantité d’eau. Il venait se sortir d'un cauchemar et il était désormais couché sur le dos. La première chose qu’il regarda fut le ciel, d’un bleu azur, au dessus de sa tête. Le matin s'était levé sur la contrée et le lumière éblouissait la vision du jeune homme. Sa poitrine lui faisait terriblement mal et il vomit le peu de nutriments qu’il lui restait dans l’estomac.

Démos! où te trouves-tu? lança t-il d’une voix frêle.

Il redressa son buste et observa les alentours. Le cheval était en train de s’abreuver dans une source d’eau claire. Tout autour de celle-ci se trouvait une plage de galets. Cette source était alimentée par une cascade qui se déversait depuis une ouverture, et qui s’élevait à une centaine de pieds plus haut dans l’immense paroi rocheuse qui surplombait le lieu.

(Le tunnel avait finalement une fin. C’est incroyable que je sois parvenu à survivre à une chute aussi vertigineuse.)

Il passa plusieurs minutes à observer l’ouverture de la grotte, en priant Rana, la déesse de l'air, qui lui avait offert à lui et Démos la capacité de survivre à cet immense plongeon. Toralgam se leva sur ses jambes et essora une partie de ses vêtements. Il remarqua alors que seules trois flèches étaient restées dans son carquois et qu’il avait perdu, dans sa chute, la pousse d’herbe que Fridriche lui avait donnée.

(Cette douleur dans ma jambe…et je n’ai même plus la possibilité de la soulager.)

Il s’approcha de son cheval et remarqua une plaie importante qui lui parcourait le cuisseau.

Nous soignerons ça Démos, en arrivant dans cette ville dont le nom m’échappe.

L’animal ne semblait porter aucune autre séquelle de l’accident. Lorsqu’il eut finit de boire, il marcha, en boitant, jusqu’à un petit pommier qui se trouvait à proximité, et mangea tous les fruits qu’il put trouver.

Au moins tu ne mourras pas de faim, rétorqua Toralgam d’un ton amusé. D’ailleurs je vais t’imiter, ça me semble faire une éternité que je n’ai pas bu et mangé.

Le garçon s’approcha de la source et fut agréablement surpris d’y découvrir une eau douce et savoureuse, au gout plutôt acide. Il remplit sa gourde puis une fois complètement désaltéré, il se dirigea vers Démos et récupéra le petit lapin qu’il avait chassé auparavant. La carcasse de l’animal était trempée et avait été littéralement écrasée.

(Quel dommage, une si belle proie… elle est bonne à être jetée.)

Le jeune homme fut donc contraint de se satisfaire des pommes qu’il put cueillir, et en stocka le maximum qu'il lui fut permit.

Il ne faut pas que l’on traine ici Démos, je ne tiens pas à explorer les environs plus longtemps.

Toralgam se confectionna une canne à partir d’un long bâton rigide, puis entoura la plaie de Démos à l’aide d’une large feuille qu’il avait trouvée dans un petit arbre qui bordait la plage. Il s’assura que la selle de l’animal soit correctement fixée, puis après avoir agrippé le licol de ce dernier, ils partirent tous les deux en direction de l’ouest.

Leur progression était lente, la faute aux multiples blessures qu’ils portaient chacun sur leurs corps. Les nuages, présents en grand nombre dans le ciel, avaient fait chuter la température, rendant l’atmosphère particulièrement agréable. Ils traversèrent une large dépression avant d’entrer dans un sentier qui menait au bord de l’océan. Celui-ci était calme et de nombreux rayons solaires s’y reflétaient. De plus, une douce brise, venant du nord, caressait agréablement leurs visages.

(C’est la première fois depuis le début du voyage que je me sens réellement bien. On a failli ne jamais sortir de cette excavation, c'était effrayât, mais mon sentiment actuel est bien plus intense. C'est comme si je me sentais plus fort que la mort.)

Toralgam, le corps droit et les yeux dirigeaient vers l'horizon se décida à suivre la côte, en direction de l’ouest. Cette direction le guiderait assurément vers sa prochaine destination. La journée fut peu mouvementée et seule une créature marine, qui avait sautée furtivement au dessus de l’eau, réussit à les faire ralentir dans leur périple. Ils en profitèrent la nuit tombée pour se reposer quelques heures, avant de repartir le lendemain matin, dès le lever du Soleil.

(Nous ne devrions plus être très loin.)

Pourtant, le paysage ne changeait pas et aucune trace de civilisation ne s’était jusqu’alors manifestée. Toralgam et Démos escaladèrent une nouvelle colline rocailleuse, aussi rapidement que leurs corps le leur permettaient et une fois arrivés au sommet, ils aperçurent un immense château, digne d'un grand roi, qui dominait une large baie.


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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 17 Aoû 2014 13:43 
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Ca y est Démos, nous allons certainement trouver de l’aide dans cette bâtisse et nous pourrons bientôt nous rendre en ville.

Cette vision redonna de l'espoir à Toralgam qui descendit la colline d’une seule traite avant d’arriver au pied du château. Ce dernier faisait plus de quatre vingt-dix pieds de haut et pas moins de large. La façade était en très mauvaise état et racontait de nombreuses années d’histoire. Le petit jardinet qui l’entourait n’était plus qu’un tas de gravas, où la nature avait lentement repris ses droits.

(Il est abandonné, et depuis des années… on ne trouvera aucune aide ici.)

Alors qu’il était décidé à repartir, un bruit de verre brisé retentit. Il venait de l’intérieur du château et semblait s’être produit à l’étage. Puis, un cri strident lui succéda et vint se projeter contre la porte d’entrée qui s’ouvrit en grand.

Mon dieu qu’est ce que ça peut être! lança t-il, terrorisé.

C’est alors que tout à coup, Démos échappa à sa vigilance et se dirigea vers la porte d’entrée.

Reviens ici Démos! Il faut que l’on s’en aille!

Le cheval, insensible à la voix de son cavalier rentra au sein de l’édifice et disparut dans l’ombre.

(Maudit soit-il…)

Toralgam, bien que peu rassuré à l’idée d’y pénétrer, fut dans l’obligation de récupérer sa monture, et franchit le pas de la porte à son tour.


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Dernière édition par Le Toralgam le Dim 17 Aoû 2014 18:32, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Sam 25 Avr 2015 19:31 
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Le paysage se transformait au fur et à mesure que les deux hommes se rapprochaient de Tulorim. Ils traversaient désormais une région remplie de plaines dépourvues d’activité, comme si cet endroit s’était subitement figé dans le temps.

Dis moi mon garçon, j’aimerais te poser une question. Où as-tu acheté ton cheval?

Démos? Eh bien à vrai dire je ne l’ai pas acheté mais gagné. Pourquoi?

Pour rien, c’est une bien belle bête, je me demandais simplement où tu avais pu la trouver. Mais changeons de sujet tu veux bien?

Oui, d’ailleurs j’ai moi aussi une question à vous poser, car une chose m’interpelle depuis de longues minutes. Ces terres que nous traversons depuis maintenant plusieurs minutes sont pauvres et sèches. Pourtant on peut voir des petits baraquements et des pioches plantées dans des champs. Que s’est-il passé ici?

Une sécheresse… Une sécheresse terrible qui touche notre ville depuis maintenant trois longues années. Rien ne peut être cultivé ici et les habitants souffrent de plus en plus de cette situation désastreuse. Une lourde famine touche Tulorim… depuis maintenant un long moment.

Et ces terres ne possèdent t’elles pas de propriétaires?

Il y a encore quelques années, si, mais aujourd’hui, tout ce qui est ici appartient aux dirigeants de notre ville. Et comme tu le vois, ils n’en font rien.

Pourquoi laisser de si grands espaces à l’abandon?

Je vais te l’expliquer. Notre ville est dirigée par un conseil de sept marchands. Ces derniers ont été nommés il y a de ça trois ans, lorsque nos stocks ont commencé à se vider. Il fallait réagir vite et ces garnements en ont profité. Il se sont présentés à la population avec de belles paroles, promettant d’arranger la situation et dupant chacun d’entre nous.

Je ne saisi pas très bien.

J'y viens. Ils ont commencé par augmenter les taxes, en justifiant qu’elles permettraient de développer des nouvelles techniques d’irrigation. Puis ils ont continué en rachetant une à une les parcelles des habitants de la ville à des prix dérisoires. Pour résumé, ils ont rempli leurs poches à nos dépends, si bien qu’aujourd’hui, leur fortune n’est même plus estimable.

Après un crachat venu du plus profond de son corps, Cahagol continua son récit.

Le principal problème, c’est que nous sommes devenus dépendants d’eux. Tout ce que nous possédons, ils le contrôlent, et tout acte visant à compromettre cette situation est réprimandé avec violence.

C’est une véritable honte. Comment peut-on être aussi égoïste et vicieux.

L’argent mon garçon… il rend fou. Mais assez bavardé, nous arrivons à destination.

Cela faisait une heure que les deux hommes discutaient et progressaient à travers les champs abandonnés lorsqu'ils aperçurent un amas d’habitations, signe du retour à la civilisation.

Nous y sommes parvenu Démos, nous avons triomphé de la garrigue. Nous arrivons à Tulorim!

Le cheval émit un hennissement puissant qui fit sourire Cahagol.

Il a l’air aussi content que toi, dit-il, en riant à pleine dent.

Bientôt, les premières rues pavées apparurent à leurs pieds et un panneau en bois, planté dans le sol, indiqua la bienvenue aux visiteurs.

Voici Tulorim mon garçon, terre de mythes en tout genre, rétorqua Cahagol dont la fierté se lisait sur son visage.

Ils gravirent un léger dénivelé puis, une fois en haut, ils s’arrêtèrent et observèrent autour d’eux. De cette position, qui dominait toute la vallée, ils pouvaient apercevoir la presque totalité de Tulorim et de ses environs. La ville se trouvait dans une cuvette entourée de collines désertiques à l'ouest, et de l'océan à l'est. Ce qui interpela presque immédiatement Toralgam, qui observait attentivement les lieux, fut l’inégalité certaine entre les différents quartiers. A l’Est de la cité, prospérait un quartier bourgeois, où des maisons luxueuses se dressaient glorieusement. Le quartier était entouré de grands murs de pierres, à la fois hostiles et majestueux. Au sud de la ville se trouvaient les commerces, où l’activité des marchands y était importante. De nombreux établis avec des babioles en tout genre étaient parqués de part et d’autre des rues. Enfin, au Nord, Toralgam observa ce qui semblait être la zone ouvrière. Au sein de celle-ci, les allées souffraient d’un manque d’hygiène évident et les habitations y dévoilaient leurs façades sales et abimées.

Où se trouve votre chez-vous? demanda Toralgam.

Devine! Où penses-tu que se trouve ma maison?

A voir votre prestance et votre magnifique monture, je pense que vous habitez dans ce riche quartier, qui s’étend le long du bord Est. Je me trompe?

Cahagol afficha un large sourire en direction du garçon.

Oui tu te trompes. Comme je te l’ai dit, je suis un protecteur et ce n’est pas ce qu’il est coutume d’appeler… un métier. C’est une sorte de mission à laquelle je me suis porté volontaire. Les dirigeants de Tulorim nous ont offert dans un plat d’argent la situation précaire que tu peux apercevoir au Nord. Nous ne vivons plus, mais nous survivons. La sécheresse a décimé la plupart des parcelles que nous cultivions, pourtant, la richesse de Tulorim était essentiellement basée sur la culture de ces dernières. Notre ville était le fleuron de l’agriculture dans la région; On y venait de très loin pour y trouver de nombreux produits dont nous seuls avions le secret. Nous nous développions, prospérions… mais dame nature en a décidé autrement.

Dès lors, notre vie s’est rapidement compliquée. Une importante part de la population a émigré vers d’autres parties du continent. Ils disaient que Tulorim était maudite des dieux et que nous ne pourrions plus jamais y vivre correctement. Pourtant, certaines familles ont préféré affronter ce fléau.

Et vous en faites parti.

Il est vrai. Nous ne voulions pas quitter l’endroit qui nous faisait vivre depuis des générations. C’est pour ces raisons qu’une décision importante a été prise. Pour tenter de résoudre les problèmes qui s’abattaient sur nous, un conseil a été nommé. Regroupant sept des plus riches marchands de la ville. Il avait pour but de centraliser la totalité des richesses que nous produisions afin qu’elle soit redistribuée équitablement aux familles encore présentes. Enfin ça, c’est la situation idyllique qui avait été imaginée.

Dans un premier temps, le conseil a améliorer nos vies. Il a permis de relancer l’activité de la ville. Nous avons pu développer de nouvelles techniques afin de pallier la disparition de nos cultures. Aujourd’hui par exemple, le commerce est notre source de revenu numéro un et a compensé les pertes dues aux déficiences de nos cultures. Il a permis la construction de plusieurs infrastructures qui ont attiré de nouvelles élites. Je pense tout particulièrement à la bibliothèque, les bains publiques ou encore la création de la zone portière. Par la suite, cette même élite s’est regroupée dans un quartier spécifique situé à l’est, ce que tu as toi-même appelé le "quartier bourgeois".

C’est à partir de ce moment là que la situation s’est détériorée pour les ouvriers. La redistribution s’est faite de plus en plus rare avec les années, si bien qu’aujourd’hui, les dirigeants essayent de nous faire croire que c’est à cause des mauvaises récoltes que nos revenus sont si faibles. Pourtant, de l’autre côté, le quartier bourgeois ne cesse de s’accroitre et de véritable domaines, plus luxueux les uns que les autres, sont érigés chaque année. En plus de tout ça et comme si ça ne suffisait pas, un mur a été construit tout autour du quartier. Il a permis aux riches de se séparer définitivement des classes moins aisées qui perturbaient leurs petites habitudes.

Je commence à comprendre. Les ouvriers, qui faisaient fonctionner la ville autrefois, ne leur sont plus d’aucune utilité aujourd'hui.

Dans le mille, et c’est pour ça qu’ils tentent de nous faire fuir. Ils souhaiteraient construire une cité riche où la misère n’existerait pas.

Quelle horreur! Pousser des familles entières vers la sortie, des femmes, des enfants… alors qu’ils étaient présents avant tout le monde. Je ne peux pas concevoir ça. J’aimerais tant faire quelque chose.

Tu pourrais m’aider, mais d’abord entrons dans l’enceinte de la ville, vous avez besoin de repos ton cheval et toi.


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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Lun 15 Juin 2015 01:02 
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Dans le comté de Whiel, se trouvait un petit village d’un peu plus d'une centaine d’habitants, à quelques heures de marches de la cité de Tulorim. Un rassemblement d’hommes et de femmes, tout ce qu’il y avait de plus ordinaire. Il portait le nom d’Etang-brûlé, un nom dont ses habitants étaient particulièrement fiers, bien que, les mémoires s’étant perdus au fil des générations successives, aucun d’eux n’était capable de dire avec exactitude pourquoi il portait ce nom aujourd’hui. C’était un village tout ce qu’il y avait de plus commun. Avec ses paysans, sa vie rude, ses maisons en bois aux toit de chaume, son esprit rustre et ou tout le monde se connaissaient ou était le cousin plus ou moins éloigné d’un tel. Un mode de vie qui pouvait sembler arriéré pour les citadins habitués aux grands marchés maisons solides, mais on y vivait bien. Parfois mieux que dans la ville qui était de l’avis des ruraux, un nid sale de crapule au service des hautes gens. Sans eux qui étaient la première force travailleuse du comté, il était à parier que la famine aurait été le lot quotidien du comté.

C’est à quelque pas du village, un peu isolée des autres, dans les sous bois, que se trouvait l’habitation de Morrigane. Nul sentier ne menait à cette chaumière dont les pans extérieurs colonisés par les plantes grimpantes se fondaient naturellement dans les fourrées. L’endroit était parfait du point de vue de la magicienne. Assez éloigné des autres habitations pour ne pas avoir à subir les nuisances des activités journalières des autres villageois et assez proche pour dissuader les éventuels bandits et autres animaux sauvages de passages de venir fourrer leur nez trop près.

À l’intérieur de l’habitation, la magicienne rêvassait en cette calme matinée. Toutes portes et fenêtres ouvertes, coutumes presque obligatoire dans une région ou les chaleurs pouvaient vite devenir étouffantes. Assise à sa table, une main sur l’un des nombreux grimoires qui la parcourait, et l’autre caressant la tête de son énorme chien posée sur ses genoux. Il s’appelait Léto, c’était un énorme dogue de Whiel, trapu mais vif. Entièrement noir aux poils et oreilles courtes et à la mâchoire puissante. Un chien généralement utilisé par les bergers de la région pour protéger les troupeaux des prédateurs. Sans bétail à protéger, il faisait un fabuleux chien de garde pour la magicienne.

Les yeux de cette dernière se perdaient à travers l’une de ses fenêtres ouvertes. Il suffisait de jeter un œil à l’endroit pour comprendre que l’on était dans l’habitat d’une magicienne. Il était envahi de grimoire, parchemins, alambics et autres artefacts magiques qui ne trouveraient aucune grâce aux yeux d’un non-initié. La dernière-née Desembrumes, elle, connaissait son sujet. Et tous ces objets avaient pour elle une valeur inestimable, si bien que personne n’avait jamais pu mettre ne serait-ce qu’un orteil dans son antre. De nature maniaque, il était pour elle inconcevable que d’autres mains manient sa collection qu’elle avait acquise année après année, parfois à prix d’or. Ce qui était parfois difficile pour elle qui ne vivait presque exclusivement des décoctions qu’elle vendait à quelques contacts en ville.

C’est un mouvement brusque de Léto, se soustrayant à la main de sa maîtresse qui la sortit de ses rêveries. Intriguée, ses yeux revinrent à la réalité pour se poser sur le canidé. Ses oreilles dressées et sa tête relevée, il humait l’air avec tant de frénésie qu’elle savait qu’il y avait forcément quelque chose dans le coin, imperceptible pour ses sens qui étaient loin d’être aussi aigus que ceux d’un animal.

« Vas ! »

L’ordre sonna avec fermeté dans sa bouche et le dogue fila sur ses pattes puissantes à travers la porte. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que l’importun se fasse dénicher.

« Oh là, oh là, mon grand ! »

Il avait attrapé une belle proie semblait t’il. La femme aux cheveux d’onyx se détendit quelque peu. Elle avait reconnu la voix de « la proie » en question. Avec langueur, elle se leva de son siège et se dirigea vers la porte. Dehors, le spectacle aurait pu prêter à sourire pour d’aucuns trouvant ce genre de spectacle mignon à voir. L’énorme molosse était pratiquement à cheval sur un homme grand aux longs cheveux châtains et lui léchait le visage de toute part. C’était Rodryk, le chasseur du village et Léto l’appréciait grandement. Ce qui devait être réciproque, car l’homme n’avait pas l’air de désapprouver ces marques d’affection baveuse dont il riait de ses grandes dents.

« Allez mon grand. C’est bon, tu m’as eue. »

Sur le pas de la porte Morrigane ne dit mot, se contentant d’observer la scène en attendant que les deux grands enfants aient finit de s’amuser. Lorsque que le grand gaillard dont les cheveux retombaient maintenant partiellement devant ses yeux bleu-gris se rendit compte qu’il était observé, il parut quelque peu gêné et finit par se relever, en s’époussetant les vêtements du mieux qu’il pu. Léto, lui n’en avait pas fini, et continuait à vouloir jouer en poussant des jappements, et en donnant des coups de ses énormes pattes dans les flancs de l’homme.

« Léto assez ! » Siffla-t-elle pour qu’il se calme enfin. Penaud, le dogue baissa la tête et s’éloigna pour aller se coucher en boule un peu plus loin.

« Toujours aussi vif, je ne l’ai même pas vu arriver. » Commenta l’homme en regardant l’animal s’éloigner.

« C’est vrai que c’est un chasseur né. » Sourit-elle.

« Peut-être bien meilleur que moi. »

Morrigane, fit mine de réfléchir un instant, avant de répondre.

« Peut-être bien… Qu’est-ce que vous amène aujourd’hui Rodryk ? »

"J’ai ramené ce vous vouliez de la ville hier. Alors on peut y aller tout de suite si vous voulez. »

Morrigane haussa légèrement les sourcils, peu surprise. Il était vrai que cet homme qui avait plus ou moins le même âge qu’elle s’était souvent plié en quatre pour elle. Et elle mettait cela sur le compte de sa trop grande gentillesse.

« Déjà ? Vous avez fait vite ! Je vous ai demandé de me rendre ce service il y a à peine deux jours de cela. Je n’imaginais pas que vous trouviez le temps d’aller à Tulorim avant quelques jours. »

L’homme haussa les épaules et se passa une main dans les cheveux l’air un peu gêné.

« Disons que j’avais un peu de temps hier, alors je … Mais si vous voulez, je peux repasser un autre jour, je ne voudrais pas vous… »


« Non ! » Coupa-t-elle peut-être un peu plus sèchement que ce qu’elle aurait voulu. « Je m’en voudrais de vous avoir fait vous déplacer pour rien. Donnez-moi quelques minutes, que j’enfile quelque chose de plus confortable. »

« Heu… Très bien, je vous attends. » Répondit l’homme un peu décontenancé.

Morrigane retourna à l’intérieur, et le sourire qu’elle s’était forcé à maintenir sur son visage s’effaça rapidement. En vérité, elle se fichait pas mal qu’il se soit déplacer pour rien. Elle ne connaissait le remords qu’à travers les encyclopédie, et les réactions qu’elle avait déjà observée. Elle avait agi juste par code social, comme elle le faisait souvent. C’est comme ça qu’elle avait réussi à se faire sa place dans son village et elle veillait scrupuleusement à paraître le moins désagréable et étrange que possible. Plus elle paraissait normale et intégrée moins on la soupçonnerait d’être une sorte de monstre, bien que la nature de ses recherches suffisaient parfois à certains pour la considérer comme une « sorcière qui baigne dans l’occulte » de leurs propres mots.

La magicienne avait bien vite ôté sa robe pour enfiler quelque chose de plus convenable pour une longue marche. Elle revint en quelques minutes seulement devant la porte, avec ses habits de voyage et sa sacoche remplie de quelques ustensiles qui pourraient lui être utile. Rodryk bien sûr, était déjà en train de s’amuser avec Léto ce qui n’étonna pas la pyromancienne, depuis le temps, elle avait l’habitude. Quand il l'aperçut qui s’avançait vers lui, il se releva avec l’air d’un enfant pris sur le fait. Sans même s’arrêter un instant, elle s’adressa à lui.

« Oh, mais n’ayez pas honte de ce que vous êtes devant moi. Il y a for longtemps que j’ai compris que vous resteriez à jamais un grand gamin. »

Le grand gaillard ne su rien dire, et sans demander son reste parti à la suite de la magicienne.


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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mar 11 Aoû 2015 18:44 
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Jour un :

Nous nous hâtons jusqu'à la sortie de la ville et très vite, nous retrouvons au dehors. Le paysage est très homogène et uniforme. Nous sommes entourés de plaines cultivées en grande partie avec des vignes. Le soleil commence à baisser dans le ciel et aura disparut dans quelques heures. Un vent léger vient parcourir mon visage tandis que je lève doucement le menton vers le haut pour en humer les senteurs fruitées. Cela me rappelle quelques souvenirs du parfum d'Andy, que j'affectionnais tant. Je la revois encore, au bord de sa fenêtre un matin d'été, tentant vainement de nouer son corset avant que je m'empresse de l'y aider. Nous étions encore très jeunes mais nous avions beaucoup de projets. Elle m'avait dit ce jour là qu'une fois l'orphelinat mit à l'abri du besoin, elle nous achèterait une maison pour que nous puissions y vivre sereinement et y élever plusieurs enfants. Mais tous ces rêves se sont effondrés le jour où elle nous a laissé...

Mon poing se sert un instant pour contenir la haine qui m'envahit. Elle était foncièrement bonne et ne désirait que le bonheur des gens qu'elle aimait. Pourquoi telle chose n'arrive qu'à ceux qui ne le méritent pas ?
J'ai décidé de partir dans cette aventure pour plusieurs raisons. Sauver l'orphelinat n'est pas la principale cependant, malgré ce que peut penser Elena. Je le mettrais à l'abri du besoin, mais uniquement pour honorer la mémoire d'Andy. Et un peu pour Nathalia. Mais je ferais bien plus que ça, je le promet. Les têtes de ceux qui l'ont tués voleront et je me pavanerais avec dans tout Tulorim !

Le visage d'Andy semble incrusté sur mes rétines et une larme commence à creuser son nid. Elena me rappelle à la raison en m'intimant de la suivre au travers des sillons de vignes pour que nous puissions nous changer à l'abri des regards. Il est vrai que nous sommes encore vêtus comme un simple couple de citadins, tenue qui ne serait pas adaptée à un long voyage comme celui-ci.
Comme à son habitude, elle ne fait preuve que de peu de pudeur en ma présence. Elle fait rapidement tomber sa robe au sol, laissant pour seuls remparts à sa nudité, ses sous-vêtements fins de couleur noir.
Je n'ose la fixer trop longtemps de peur qu'elle ne s'en rende compte et me retourne pour ne pas afficher ma virilité naissante une fois mon linge retiré. Il ne nous faut que quelques minutes pour être fin prêt au départ.

Je l'admire un instant, subjugué par sa tenue moulante. Son haut se compose d'une petite armure en cuir qui ne descend qu'au milieu de son ventre, laissant apparaître son nombril et ses hanches et d'une cape mi longue. Son pantalon est lui aussi serré et dispose de plusieurs poches sur le haut, adaptées pour y loger des armes de jet ou tout autre poignards de petites tailles. Elle possède aussi des bottes de belle facture qui remontent jusqu'aux genoux, ainsi qu'une paire de gantelets protégeant l'entièreté de ses avants bras. Le tout est d'une couleur bleu marine idéale pour se déplacer furtivement au crépuscule ou en pleine nuit. Elle retire son arc de son sac qu'elle déploie d'un geste leste.
C'est un arc sombre de toute beauté, certainement elfique, orné d'une multitude d'inscriptions que je ne saurais déchiffrer. Il a la particularité d'être peu encombrant, de part sa possibilité d'être replié en deux sur lui même.

Mon habit est quant à lui bien plus grossier et brut. Un pourpoint matelassé de couleur rouge foncé dont les épaulettes sont renforcées avec un alliage de métal léger, des protections de bras et de jambes assorties, d'un gris sombre et parcourues de rainures et fentes profondes, un pantalon en jute résistant et mon fidèle bandeau bordeaux, autrefois appartenant à ma bien aimée. J'enfile pour finir mes tabis et getas, souliers typiques de la région d'Ynorie.

Je sors finalement la carte de mon sac et la scrute en compagnie de ma compagne de voyage.

"Donc nous sommes ici, à Tulorim. Le village de Tanasun se trouve à environ trois jours de voyage. Nous aurions pu nous rendre au temple ou au campement d'abord, mais je doute que nous aurions appris quoi que ce soit sans savoir de quoi on parle. Espérons que ce voyage nous soit favorable."

Elle acquiesce d'un geste du menton sans plus de procès, elle qui d'habitude est si entreprenante et aime diriger. Bien que cela m'étonne, je ne pose aucune question et endosse le rôle de meneur, pour une fois.

Nous partons donc vers le Sud en direction du village des maudits. Elena n'est pas très loquace et aucune conversation ne débute durant plus de deux heures. Au bout de ce terme cependant, sous un couché de soleil flamboyant et aux abords des champs d'oliviers et d'agrumes, elle se confesse.

"J'ai longtemps été jalouse tu sais...?!"

Je tourne mon regarde vers elle, légèrement étonné. Les mouvements de mes sourcils et mes yeux doivent lui faire comprendre ma surprise puisque je n'ai pas besoin de l'inviter à poursuivre.

"Quand... Enfin, avant... Andy, tout ça... Avant que tu deviennes... Vous passiez tout votre temps ensemble. Je voulais profiter de ma sœur, être avec elle, qu'elle m'apprenne des choses et qu'on s'amuse toutes les deux. Mais tu passais chaque fois avant. Je t'en ai longtemps voulu..."


"Je suis désolé Elena. Je ne pensais pas que notre relation entre ta sœur et moi t'avait touché à ce point là. Mais elle était jeune, tu ne dois pas lui en vouloir pour ça."

"Je ne lui en veux plus, ne t'inquiètes pas. Mais je te dis ça parce que... Je me suis rendue compte que je ne t'en voulais plus du tout à toi non plus."

Elle s'arrête, me regarde droit dans les yeux avec une intensité déconcertante et s'exprime : "Je t'aime, Rayd..."
Sur ces mots, elle m’enlace, posant sa tête sur mon épaule et me serre contre elle avec force. Dans un murmure, je lui dis la même chose et embrasse sa joue avec tendresse.
Ses cheveux blonds viennent balayer mon visage et y déposer une délicate odeur tandis que je savoure ce moment avec elle. Mais notre responsabilité nous ramène bien vite à la réalité. Il n'y a pas pire instant pour se câliner et il est temps de nous hâter.
Nous reprenons la route pour profiter des dernières lueurs de l'astre avant de finalement bivouaquer quelques kilomètres plus loin, dans une plaine en jachère entourée de longs champs épais.

Après avoir ramassé quelques sarments et récolté plusieurs poignées de raisins, j'installe notre couche, un simple draps relativement épais tout juste assez grand pour nous deux. Elena ayant au préalable préparé un cercle en pierre et des feuilles de vignes séchées s’attelle à présent à l'allumage du feu qui nous permettra de rester au chaud à la nuit tombée. Celle-ci arrive d'ailleurs bien vite et c'est ainsi que nous finissons par nous allonger côte à côte, après avoir dégusté quelques fruits, en chemin pour rêver.


Andy me fixe de son regard perçant et je sais qu'elle lit en moi comme dans un livre. Il n'y a rien au monde qui puisse être aussi beau que ses yeux lorsqu'elle m'observe de cette façon. Nos doigts jouent en accord tandis que l'on se tient la main, assis dans l'herbe fraîche du matin. C'est un début d'été merveilleux et ce genre de moments avec elle est fréquents depuis que le soleil s’immisce dans nos journées. Mais Elena s'introduit dans notre intimité comme à son habitude, pour jouer avec sa sœur. Elle est jeune et insouciante, ne relevant pas la subtilité d'un tel instant amoureux. Bien que je l'apprécie beaucoup, c'est d'un œil exacerbé que je l'observe tandis que ma bien aimée la congédie gentiment.


Je me réveil en sursaut, transpirant et haletant. Plus qu'un rêve, c'est un souvenir qui vient de hanter ma nuit. Je me remémore ce qui vient de remonter dans ma mémoire et les remords s'en mêlent. Je scrute l'archère qui dort à mes côtés, glisse mes doigts dans sa douce chevelure d'argent et murmure une phrase à son oreille en sommeil : "Je suis désolé pour tout Elena..."

Je fini par me rendormir au bout d'un certain temps, espérant que cette fois-ci aucun rêve ne vienne me perturber.

_________________


Dernière édition par Rayd le Dim 23 Aoû 2015 05:39, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 12 Aoû 2015 00:58 
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[:attention:] Contenu à caractère sexuel réservé à un public averti. [:attention:]

Jour deux :

Mes yeux s'ouvrent lentement aux premières lueurs du jour, l'aurore est magnifique en ce petit matin et aucun nuage ne parsème le ciel. Mais bien plus fantastique encore, le visage d'Elena, à quelques centimètres du mien, son regard rivé sur moi. Elle me trouble, me perturbe, remarque dont je lui fais part juste avant d'esquisser un léger sourire. Sans plus attendre, sa main vient se glisser dans mes cheveux fins qu'elle se met à caresser délicatement. J'apprécie ce moment en refermant mes paupières et place ma main droite sur sa hanche douce. Notre étreinte dure quelques minutes, durant lesquelles nous nous rapprochons inexorablement l'un de l'autre.

Je saisis finalement sa nuque délicate et pose mes lèvres sur les siennes, lentement, avec tendresse. Elle me rend mon baiser avec fougue et passion, me mordille quelque peu et me fait glisser sur elle. Il ne faut que quelques secondes avant qu'elle détache un a un les liens qui maintiennent mon pourpoint, jusqu'à découvrir complètement mon torse chaud. Ses mains viennent le parcourir de part et d'autre et elle m'invite à la déshabiller.
Nous nous retrouvons très vite complètement nus et je saisis enfin toute l'étendue de sa beauté lorsque je m'empare de son dernier vêtement. Mais je sens aussitôt un certain malaise dans son regard, qu'elle détourne rapidement. Je pense comprendre la raison de celui-ci, mais ne peut décemment pas la rassurer en mentionnant sa sœur dans un tel moment. Je me contente donc de quelques mots, murmurés à son oreille avec douceur.

"Tu es magnifique Elena. Laisse moi te le prouver..."

Rien ni personne ne pourrait arrêter nos ébats lorsque, avec amour, nos corps fusionnent. Sa maladresse trahie son inexpérience, c'est pour elle une première. Je mène donc la danse et me délecte de son plaisir apparent. La fin ne tarde cependant pas à venir et la honte monte en moi quelques secondes. Cela fait bien longtemps que je n'ai goûté aux plaisirs charnels.
Elle se blottit enfin contre moi et nous profitons de ce moment romantique quelques instants. Mais nous avons une mission qui nous attend et je le lui rappelle, malgré que mes envies soient toutes autres. Si j'avais eu le choix, j'aurais aimé rester auprès d'elle des heures durant, me régalant de ses caresses voluptueuses.

Une fois habillés et nos bagages fait, nous reprenons la route en direction de la garrigue, que nous devrions atteindre en fin d'après-midi. Sur le trajet, je discute avec Elena sur les raisons de son scepticisme vis à vis de cette mission. Elle m'avoue alors avoir un très mauvais pressentiment et aurait préférée la décliner. Il est cependant trop tard et l'orphelinat a besoin de yùs.
Nos pas nous mènent inlassablement vers notre destination et rien ne vient perturber notre avancée durant plusieurs heures. C'est dans le courant de la journée que nous l’apercevons toutefois, affalé contre le tronc d'un petit arbre. Un homme qui semble en piètre état. Ce n'est pas un simple voyageur, en témoigne sa tenue de cuire sombre aux multiples lanières et morceaux d'armures. A ses côtés, deux grandes lames parsemées de sang coagulé, dont l'une est plantée dans la terre. Nous nous approchons rapidement et pouvons voir son visage, jeune et meurtri. Son air est grave.
Ses yeux noirs de petite taille scrutent notre arrivée. Son teint est légèrement mat ce qui jure avec ses lèvres fines d'un rose pâle, tandis que ses cheveux longs sont de la même couleur que ses pupilles.

Nous arrivons finalement à sa hauteur avec prudence et restons à quelques mètres de distance par sécurité, avant de nous adresser à lui pour lui demander ce qui lui est arrivé.

« Bonjour... Voyageurs. Vous n'êtes pas là par hasard, n'est-ce pas ? C'est Phaïtos qui vous a envoyé. »

« Phaïtos ? Non, aucunement. Nous sommes en route vers la garrigue. »

« Oh certainement, mais si nos routes se croisent aujourd'hui... Ce n'est que par l'intervention du dieu de la mort. Vous êtes mon salut. »


Après ce court échange, je contemple son corps et constate bon nombre de blessures qui semblent graves. Son abdomen est perforé en plusieurs endroits et ses membres sont tailladés tout autant. Je ne suis pas médecin, mais le pronostic semble peu engageant.
Elena lui propose immédiatement de lui apporter quelques soins de secours, grâce à ses sorts de guérison. Mais il refuse en invoquant la colère de Phaïtos si cela venait à arriver. Je peine à comprendre cette démarche. Quel dieu laisserait périr ses adeptes lorsqu'une solution se présente ?

Une blague que jadis, Andy m'avait raconté, me revient promptement. Elle semble tout à fait adaptée à la situation.
C'est l'histoire d'un homme qui vit son bateau couler au beau milieu de l'océan. Accroché à un tronçon de bois, il parvint à subsister quelques jours. Au premier, un navire passa et lui proposa son aide. « Non, Moura me sauvera ! » cria l'homme. Au second, la même chose se passa. Pendant une semaine entière, ce fut la même rengaine à de multiples reprises. L'homme finit par mourir et atteint le paradis. Il demanda alors à son dieu pourquoi il ne l'avait pas sauvé, comme il pensait qu'il le ferait.
« Mais t'es con ou quoi ?! Je t'ai envoyé un bateau chaque jour pour te secourir ! »

Bien qu'idéale et drôle, je doute que cette histoire soit bienvenue dans notre situation, je la garde donc pour une autre fois et m'abstiens d'en faire part au pauvre homme.

Il me tend soudainement un bout de papier, une lettre. Celle-ci est destinée à sa fiancée qu'il devait rejoindre à Dahràm. Il ne pourra lui apporter et veut que je le fasse à sa place. Il ne me donne pour seule indication que son nom, Catherine Sévina. J'accepte cette dernière faveur d'un mourant, précisant cependant que je n'ai aucune idée de quand est-ce que je me rendrais là-bas.

Nous écoutons ensuite un petit moment son histoire - entre les crachats de sang - et les raisons qui l'ont menées ici en cet état. Notre acolyte était en chemin pour rejoindre Tulorim et ainsi prendre le premier bateau qui le mènerait en Nirtim. Mais après une altercation avec des bandits, il aurait rencontré un Jinn Marid peut engageant contre lequel il se serait battu. Ce dernier se serait enfui, lui aussi en mauvaise condition. Il nous met en garde contre cet adversaire qui, bien qu’affaiblie, resterait un danger.
Son récit est triste mais témoigne bien des risques de la région.
Nous décidons finalement de reprendre notre route mais l'homme m'annonce alors qu'il a un dernier service à me demander. Il souhaite que je mette fin à sa vie et son calvaire. Mais face à mon hésitation, il s'exclame :

« Je ne veux mourir ni par une abomination ni par le temps ! Résider parmi vos victimes sera pour moi un honneur. Moi, Azammé Tiro, désir périr de votre main et ainsi transmettre mon héritage le plus précieux. Et vous, bourreau et ami, je prierais pour vous de là où je serais. Vous êtes la main de Phaïtos qui vient chercher son enfant. »

Phaïtos est décidément très présent dans les pensées de cet homme et je me dis un instant qu'il serait intéressant de me renseigner un peu sur ce dieu sombre. Je saisis peu après ses paroles l'un de mes saïs, m'approche de lui et demande une ultime fois s'il est sûr de son choix. Il acquiesce et immédiatement, ma lame transcende son être et son cœur.

« Rayd, enchanté par l'honneur que vous me faite Azammé. Je n'oublierais jamais votre nom. »

Lorsque ses yeux se ferment dans un dernier soupir, son visage s'apaise et un sourire vient s'y dessiner. Calme est la sentence.

Le reste de notre seconde journée demeure ennuyeux et sans encombre. Le soleil entame enfin sa descente lorsque nous arrivons à la garrigue, dense et peu accueillante. Notre progression en devient quelque peu hasardeuse et ralentie, mais nous ne déméritons pas. Les derniers rayons s'échappent des quelques nuages gris apparus dans la soirée quand nous installons notre campement dans un petit coin d'herbe dépourvu de plante épineuse. Rapidement, Elena s'endort, lovée contre moi. L'ambiance n'est pas aux câlins coquins, mon esprit et le sien trop embrumés pour de quelconques folies. A tel point que le sommeil me fait défaut, me laissant dans des pensées alambiquées, tortueuses. Il m'est impossible d'oublier son visage, soulagé par la mort. Cela pose d'autres questions qui seront certainement à jamais dénuées de réponse. A-t-il rejoint son dieu et son domaine ? Serait-il arrivé la même chose à Andy... ? Est-ce que son âme repose en paix à présent ? Peut-elle me voir et prie-t-elle pour moi ?
J'aimerais tant pouvoir, ne serait qu'une seconde, tendre le bout de mes doigts et effleurer sa douce peau... Elle et sa sœur sont finalement les deux seules choses qui caractérisent ma vie.
L'une est ma défunte bien aimée, l'autre est l'actuelle. Mais que suis-je, moi ?
Suis-je bien Rayd ou finirais-je en Azammé, corps inerte perdu au beau milieu d'une plaine dont seul le meurtrier se souviendrait du nom ?
Outre les combats qui le menèrent à la mort, son histoire possédait bon nombre de faits importants pour moi. Orphelin ayant grandit dans la rue, obligé de voler et tuer pour survivre, faute de pouvoir vivre. Une âme en peine ayant pour seule raison d'exister, un amour passionnel, pur. C'est comme si cet homme avait été placé sur ma route pour me rappeler ce que j'étais ou comment j'allais finir. Je me sens vide, sans vie, impuissant face au destin.
Je me rend compte toutefois d'une différence notable entre lui et moi. Lui, vivait également pour son dieu. C'est avec cette idée que mes paupières se ferment pour de bon, me laissant à mes rêves agités.

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Dernière édition par Rayd le Mar 18 Aoû 2015 05:16, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Lun 17 Aoû 2015 03:56 
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Jour trois :

Le réveil est difficile et c'est avec une fatigue notable que je me lève de ma couche aussitôt. Je prépare nos sacs tandis que ma compagne se hisse en dehors des rêves lentement. Le dernier jour sera certainement le plus compliqué, de par notre épuisement. Mais nous ne déméritons pas et dès qu'Elena est prête, nous reprenons la marche, après avoir cependant pris le temps de manger quelques morceaux de pain que nous avions conservé.
La garrigue, inhospitalière et dangereuse avec ses étendues de plantes piquantes qui ne s'achèvent pas, laisse finalement place à une forêt d'épineux non moins menaçante. Bien qu'il semble être plus aisé de s'y déplacer, la densité des arbres peut cacher bon nombre de dangers et également devenir un labyrinthe mortel.
Mais si la carte de l'homme encapuchonné est à jour, nous devrions pouvoir trouver les chemins de calcaire qui nous mèneront droit au village de Tanasun. Nous effectuons ce trajet à la mi-journée sous un ciel maussade qui laisse peu de place à la lumière. L'univers tout entier semble nous couvrir d'un voile sombre à mesure que nous nous dirigeons vers notre objectif.

« Dis Elena, le dieu dont parlait Azammé... Phaïtos. Tu sais des choses sur lui ? »

« Peu. C'est le dieu de la mort et gardiens des enfers. Il est considéré par certains comme neutre, par d'autres comme mauvais. Cela dépend certainement des adeptes que l'on croise. Il serait le frère de Thimoros, celui-là je n'ai pas besoin de te le décrire. Et comme tu as pu le voir, il est interdit aux fidèles de Phaïtos de se faire soigner par de la magie blanche. C'est aussi le dieu qui est attribué aux nécromanciens. »

« D'accord, merci. Je me suis rendu compte que je n'ai jamais prié aucun dieu et ne m'y suis jamais intéressé en fait. »

« Tant que tu ne pries pas Thimoros, ça me va. Mais tu sais, avec le métier qu'on fait, exécuter une prière de temps en temps pour la divinité des morts ne me semble pas vraiment étrange. Je ne vois seulement pas trop ce que cela pourrait t'apporter. »

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