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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Lun 14 Oct 2013 14:41 
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Darian allait devoir s'y faire, Kaan ne plaisantait pas quant à sa philosophie de la neutralité. La simple vision de cette ambiance joviale lui avait suffit à en tirer un discours fort néfaste. La mi-journée était pourtant à peine entamée signifiant que l’atmosphère au sein de l'établissement demeurait relativement tranquille en comparaison à une folle nuit alcoolisé, que le rôdeur ne connaissait que trop bien. Le Kendran jeta un regard à son acolyte après avoir réceptionné sa pinte, à l'écoute lors de la question posée par celui ci.

- Pourquoi pas ? Ce que tu avances là voudrait donc dire qu'un soldat en pleine bataille n'est pas maître de son destin sous prétexte que le tohu-bohu forgé par le fracas des armes et le cri des mourants est trop conséquent ?

Faron afficha un léger sourire avant de prendre une longue gorgée de bière, savourant le houblon dont il s'était privé de nombreux mois, dépendance obsolète l'ayant longuement ravagé. Quelques instants plus tard et sans attendre la moindre réponse, il reprit la parole, prenant soin de hausser le ton dans le but d'être entendu par le plus de clients possible.

- Il faudrait tout de même voir à s’exécuter ! Deux arpenteurs tels que nous ne peuvent se tourner les pouces alors que nos motivations sont plus que claires et nobles... Rendre service ! Accepter l'aventure en échange de quelques yus.

Satisfait de sa prestation oratoire, Darian s'autorisa une nouvelle rasade, avant de rouler un nouveau "bâton embrumé" puis de le porter à ses lèvres et de l'allumer. Quelques paires d'yeux s'étaient tournées en l'honneur des dires de Faron, lui qui souhaitait au plus tôt être fixé sur la contenance des jours à venir. Les éternelles méditations du robuste furent brusquement interrompues par une longue complainte en provenance de son estomac.

- Hum... Tavernier, quel est le plat du jour ?

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mar 15 Oct 2013 22:04 
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Essuyant négligemment un verre, le propriétaire de forte carrure avait suivit l'entrée des deux nouveaux. A la question de Darian, il s'approcha l’œil critique l’œil!

-"Le plat du jour?"

Posant son torchon, il semblait étonnement contenir sa colère:

-Est-ce pour réellement pour le plat du jour que venez?

La question resta en suspend... avant qu'il ne déblatère à voix basse, franchement énervé:

-Tulorim m'a fait part de votre venue il y a deux semaines déjà! Des agressions, des meurtres ont survenus depuis! Il faut l'arrêter...

Reprenant ses esprits, le propriétaire finit d'essuyer son verre en jetant un oeil à la porte d'entrée.

-Lequel de vous est Craon? Demanda-t-il, toujours aussi sûr de lui...

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 16 Oct 2013 21:55 
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Kaan se redressa prestement quand l'aubergiste haussa le ton, prêt à se défendre. Il mit surement plus de temps que son acolyte pour comprendre la situation, et il resta un moment muet devant l'assurance du taulier. (Qu'est ce qu'un Craon par le grand équilibre ???). Était ce un signe? Un départ pour la grande quête de l'équilibre?

L'homme du bar ne pouvait pourtant se tromper, son visage affichait la plus évidente des preuves: L'assurance. En fait, pour l'étrange Kaan, les nuances, les subtilités et les erreurs n'existent pas, ce sont des notions abstraites que le géant n'arrive pas à identifier.
Donc par simplification, pour lui, une fois que les mots quittent l'esprit et se formulent verbalement, alors cela ne peut-être que la vérité ! Logique manichéenne qui le positionne souvent dans des situations fâcheuses et cela allais se confirmer, lorsqu'il ouvrit la bouche pour répondre au tavernier.

" Le Craon est forcément l'un de nous deux, nous y somme forcément lié ! C'est pour nous !" répondit Kaan, en affichant une expression d'assurance sereine.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Sam 19 Oct 2013 00:04 
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Darian avait prit soin de noter chaque mots employés par le tenancier, ainsi que le ton adopté par ce dernier. Un sourire lui échappa également devant la réponse de Kaan, qui ne l'étonna qu'à moitié, la naïveté du colosse ainsi que sa ferveur confirmant à merveille l'image de le Kendran s'était fait de lui. Le plus intéressant était de constater qu'une situation profitable se présentait. C'est pourquoi il devait intervenir, empêcher Kaan de briser une éventuelle opportunité.

- Je suis Craon ! Et voici Baines. Nous sommes en effet envoyés de Tulorim afin de résoudre cette histoire. Il n'empêche que, vous m'en verrez navré, j'aime travailler le ventre plein, bien que je suis certain de l'urgence de la situation.

Nombre de questions se présentaient devant le rôdeur. Les ennuis avaient officiellement commencés, c'était désormais à Faron et Kaan de les assumer.

- Hélas... Les autorités ont toujours été adorables avec les nouveaux. Aussi nous ne savons qu'une seule chose, que nous devions venir ici... Je suis navré, mais il va nous falloir le plus d'informations et de renseignements possible afin que nous fassions, Yuimen m'en sois témoin, tout notre possible afin de vous aider.

Devant tel dialogue, il était évident que de nouvelles paires d'oreilles allaient se voir attirer, la conversation n'était guère des plus banales, et la portée de celle ci pouvant aimanter les plus cupides ou les plus curieux.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 23 Oct 2013 01:46 
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En entendant déblatérer le colosse, le tavernier eut une once de méfiance. Très vite rattrapé par le discours de Darian, il attendit que ce dernier ai terminé pour s'emparer de deux lampes à huile de sous le comptoir, avant de s'arrêter brusquement:

-"Baines"... murmura-t-il. Ce n'est pas le nom qui m'avait été donné...

Un lourd silence se posa.

-Qu'importe! Fit-il brusquement. J'en ai assez de craindre cette créature.

Il posa les deux lampes à huiles sur le comptoir, les repoussant vers ses deux clients. Votre traque sera certainement longue, mais j'ai une chambre pour vous si vous préférez attendre la nuit pour agir. Pour ce qui est de votre cible...

Il sembla embarrassé, impuissant dans son explication.

-Que dire... cette chose agit comme un gardien, un gardien des bois alentours. Les agressions ne sont pas systématiques mais assez fréquentes pour que des rumeurs circulent... un genre de malédiction qui frappe de temps à autre, une histoire de bois hanté. Les cadavres retrouvés se situaient vers les lisière de la forêt au Nord. Mais moi-même j'ai trouvé une autre victime à moins de cent mètres d'ici. Très peu d'indices ou de traces, ce n'est pas l’œuvre d'un mastodonte. Des coups de couteaux... dans la majorité des meurtres.

Expirant à fond, le tavernier venait de vider son sac, visiblement soulagé.

-Travaillez à votre guise, Messieurs Craon et... Baines. En attendant (il siffla en direction de l'arrière salle), asseyez-vous et mangez!

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Jeu 31 Oct 2013 19:32 
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("Des mensonges") pensa le géant en grattant nerveusement sa barbe. ("S'il ment, je dois au plus vite trouver un pendant honnête, sinon nous basculerons d'un cotés de la balance et l'équilibre en sera rompu. Une vérité pour un mensonge.")

"il en sera ainsi..." conclut-il à mi-voix, quittant le bar pour accompagner Darian à une table. Il avait parlé subrepticement plus pour lui même, par ailleurs, que pour son compagnon de route et la fameuse mission du tavernier. Il semblait même trop rêveur pour attacher la moindre importance pour l'ambiance et les habitué de l'auberge. Presque mécaniquement, tel un golem, Kaan esquivait tables et chaises, serveuse et saoulard pour s'installer rapidement avec son nouvel ami dans le fond de l'auberge.

Là, dans un endroit qu'il jugea suffisamment calme et stable, il déposa tranquillement son lourd bâton et posa poing et coude sur la table. Dévisageant Darian un instant avant de parler.
"Hé bien nous somme installé et te voilà déjà, penchant vers le mensonge et la ruse. J'ai déjà assez de noirceur dans mon dos pour ne pas courber l'échine plus avant, sous le poids de l'imposture. J'espère que nous ferons vite pencher la balance vers un juste milieu"
Grattant brièvement une tâche de moisissure sur la table, alors qu'il te déclamais sa demande. Il laissa planer un bref silence, puis frappa sur la table soudainement en haussant la voix à l'attention de l'aubergiste:"Taulier ! Des pommes de terres et de la salade au vinaigre... auquel tu ajoutera moult fromages. Le voyage remplit l'esprit mais creuse le ventre !" tonna le géant.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 10 Nov 2013 22:29 
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- Le mensonge et la ruse ? Je t'en prie Kaan, ces gardes ne seraient jamais arrivés, le tenancier lui même le dit, cela fait des semaines qu'il attend. Nous devons saisir cette occasion et saches que nous rendons également service à la communauté en leur ôtant cette épine du pied...

Cette histoire de meurtres décrite par l'aubergiste intriguait d'autant plus Faron, en mal de sensations depuis un certain temps, lui qui n'avait eu l'occasion de se frotter qu'à un modeste Hornal. La situation lui convenait pourtant, lui qui avait pu arpenter nombre de bois au cours des années passées. La faune locale n'avait plus de secret pour lui, ainsi que les dangers que la nature présentait face aux âmes trop curieuses.

- Je vais prendre pour ma part une bonne pièce de viande grillée, avec des légumes en accompagnement et une soupe de poisson, la meilleure que vous puissiez faire ! Mon estomac n'a que trop longtemps supporté les vivres nauséabondes des cantines militaires ! Et remettez-moi donc une pinte avec je vous prie !

Un repas, une histoire de malédiction, des meurtres, des agressions, une rencontre, de l'action. La journée ne pouvait être plus encourageante pour le rôdeur, avide de péripéties.

- Et après tout, qu'est-ce que cela peut faire ? Tu as dit vouloir me suivre non ? Rassure toi, nous faisons cela pour le bien des autres. Ce ne sont pas que des rumeurs, le corps armé n'a jamais su répondre aux attentes de la plèbe, malgré les beaux discours des politiciens en ayant la responsabilité. Nous vivons dans ce monde, celui des chimères et de m'illusoire, ou en dépit de toute magie et mystifications, les mots sont plus puissants que tout.

Le Kendran laissa alors échapper un sourire énigmatique, tirant une nouvelle fois sur sa tige embrumée.

- Une fois le repas terminé, nous partons régler cela.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Lun 11 Nov 2013 11:34 
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" J'accorde de l'importance à ce qui pèse dans la balance de l'équilibre Darian. Ton âme , tout comme la mienne, est assez lourde pour briser l'équilibre. Si je veux préserver le monde du chaos, je me dois de te seconder dans tes actes." répondit-il, laconiquement, les mains posées l'une sur l'autre.

Le repas vint au rythme des pas d'une accorte demoiselle, peut être un peut trop rondouillarde, qui déposa la nourriture sur la table en nous gratifiant de son sourire le moins disgracieux. Kaan empoigna une pomme de terre chaude à pleine main et la croqua comme s'il s'était agi d'un fruit trop mur.

"Tu veux entamer l'enquête ? Fougueux cheval que tu es, laisse moi brider ton élan en t'apportant la réflexion du cochon repu. Je suis armé d'un bâton et de frusque, Même si je suis plutôt grand, un cochon sans aucune défense, n'est pas aussi dangereux qu'un sanglier. Je demanderai bien à l'aubergiste ce qu'il à dans sa réserve d'armes personnelle."

Kaan poursuivi son repas dans le calme, répondant de manière assez surprenante à tes questions, si d'aventure tu te risquais a lui en poser.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Lun 27 Jan 2014 09:59 
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Darian laissa Kaan s'exprimer, sans le couper. La philosophie du colosse l'intriguait au plus haut point, mais la mélodie de sa voix avait le don de le faire songer. Parfois, le rôdeur se demandait même si certaines de ses interventions avaient une quelconque utilité.

- Je suis pour ma part armé. Et puis tu sais... Mis entre les mains d'un maître, même une simple feuille de papier peut faire la différence. J'ai à ma disposition un arc et une lame. La dernière, je ne m'en sert qu'en dernier recours, veux-tu que je te la confie le temps de notre enquête ? Cela t'évitera de déranger l'aubergiste, qui trouvera d'autant plus louche qu'un soit disant membre des forces armées de Tulorim vienne lui quémander de quoi se battre...

Faron continua ensuite son repas, silencieux. Il mangeait avec calme, lentement. Cela était évident, il faisait bien longtemps qu'il n'avait eu droit à de telles denrées, aussi le bourru ne se priva pas pour en profiter du mieux qu'il pouvait. Le rituel dînatoire conclu, Darian se leva.

- Mais avant tout départ, faut que j'aille soulager ma vessie.

Après avoir reniflé d'une manière des plus charismatiques, au point que même un gobelin en serait tombé amoureux, le rôdeur prit la direction de ce qui servait de latrines.

- On se retrouve devant l'ami !

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Mer 29 Jan 2014 14:25 
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"Une épée ?" répéta le rodeur roux. Cette proposition laissa un moment le géant, muet, pensif quand à manier une arme aussi létale qu'une épée. Il avait une nette préférence pour les armes contondantes. Il s'acquitta d'un "Le moment venu, je prendrais ce qu'il faut pour faire ce que je dois faire."

Le repas se conclut rapidement et alors que Darian s'en allait soulager son outre, Kaan se releva lentement et bâton sur l'épaule rejoignît la sortie de l'auberge d'une démarche sereine.

Une fois le pied dehors, il inspira longuement, les yeux clos, lorsque le vent du soir vint lui souffler dans les cheveux. Ce zéphyr prévenait que la nuit, dans le lointain, s'approchait à grand pas en arrosant de sa fraicheur les bois alentours, soulevant odeur d'humus, de champignon et de fougères dans l'air à son passage.

Il cligna des yeux et scruta la lisière des bois en se massant l'estomac, Il attendit Darian à l'extérieur comme convenu.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
MessagePosté: Dim 9 Fév 2014 17:45 
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Les ténèbres gagnaient progressivement la bataille éternelle face à la clarté du jour. Darian aimait ce temps plus que tout, la douce fraîcheur environnante berçait aux narines du rôdeur qui venait de quitter l'auberge des odeurs boisées. Il rejoignit Kaan, restant quelques instants à ces côtés. Le duo ne payait pas de mine, Faron encore moins, lui qui malgré une taille plus qu'au dessus de la moyenne, se voyait dépassé d'une tête par le colosse.

("Espérons que ces pieds ne soient pas d'argile"), pensa le bourru pour lui même, avant de poser sa main sur la garde de sa lame.

- Nous y voici donc, Kaan. Notre aventure commence ici.

Un léger frisson s'empara de Darian, qui ne put réprimer un sourire devant tant de hâte. Les mystères que contenaient le futur avaient le don d'aiguiser sa motivation au plus haut point. Sans plus de cérémonie et sans attendre son reste, il prit la direction des bois, d'un pas décidé. La forêt n'avait plus grand chose à lui dévoiler, lui qui avait passé nombre de semaines à marcher à sa rencontre, s'offrant à elle tout comme elle l'avait fait pour lui. Rapidement, les aptitudes de Darian furent mises à contribution, lui qui cherchait d'un œil alerte le moindre indice, la moindre imperfection venue entacher la scène végétale. Le tavernier ne mentait pas, celui qui était la cause des troubles évoqués plus avant avait pris soin de rendre une copie quasi parfaite, dénudée de tout repère.

- Une longue nuit débute pour nous mon ami... Reste sur tes gardes, il n'y a pas que de cette entité dont nous devons nous méfier. La forêt et ses habitants sont très à cheval sur les principes territoriaux, et ils aiment nous le rappeler.

La marche continua ainsi, le rôdeur en tête, légèrement voûté, la concentration à son paroxysme.

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 Sujet du message: Une avorteuse ?
MessagePosté: Lun 23 Juin 2014 18:37 
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Il est tard, mais Esmé dort peu. Elle préfère passer de longues heures dans son fauteuil à bascule, sur une petite terrasse de pierre de la bergerie dans laquelle elle a élu domicile, il y a de ça près de deux décennies, lorsqu’elle a gagné l’Imiftil pour s’installer comme sorcière dans un lieu où elle n’entrerait en concurrence avec aucune autre praticienne de son art –comprend un lieu où les populations ne vivraient pas dans la crainte respectueuse d’une autre femme. Ses pensées voguent vers les derniers mois, ses dernières récoltes de plantes dans la campagne. Alors qu’elle parcourait les chemins, elle a vu les maigres récoltes, les arbres fruitiers cuits par le soleil, les vignes qui se remettent à peine des orages de grêle de la fin du printemps, les champs eux aussi hachés ou dévorés par des nuages d’insectes venus du sud. Les bergers sont méfiants, même à l’égard de la vieille femme en noir, ils savent que lorsque la faim se fera trop pressante, ce seront des loups bipèdes qui fondront sur leurs troupeaux pour en emporter la viande, et pas forcément de ceux qui s’aventurent du mauvais côté de la loi : des rumeurs courent, des rumeurs selon lesquelles le conseil de la ville de Tulorim arme et missionne secrètement des spadassins pour réquisitionner officieusement des vivres afin de faire face à la famine.

« Faire face… Du grain pour les gras, la faim pour les fins… »

Deux coups timides à la porte tirent la sorcière de ses pensées. Si elle avance en âge, son oreille est toujours aussi fine. Alors qu’elle se lève, le chaton pelotonné sur ses genoux émet un miaulement endormi pour signifier son mécontentement, bondit au sol et, tout aussi agilement, regagne le fauteuil au coussin encore chaud pour reprendre sa courte nuit ; il veut dormir, bientôt il s’en ira chasser les souris à l’entour.

« Qui c’est ? »

« Suzon, la fille du meunier du village… » répond une toute petite voix hésitante de l’autre côté du solide battant.

Esmé ouvre grand la porte, sans hésiter : elle n’est guère commode, mais au fond – très au fond – elle a bon cœur, enfin pas assez mauvais pour laisser une jeunette poireauter sur le seuil de sa porte. Elle tombe nez à nez avec une adolescente à l’aube de l’âge adulte, déjà bien formée mais dont l’apparence et l’attitude générale trahit encore un brin d’innocence, plus haute qu’elle d’une tête, bien gironde avec ses joues pleines et roses, ses cheveux blond-roux, ses mignonnes taches de rousseur et ses jolis mollets qui dépassaient de son jupon. Esmé fronce les sourcils et plisse son nez : le corsage est trop échancré à son goût, le jupon trop court, et qu’importe la chaleur de la nuit : elle, elle porte bien sa robe sans geindre aux premiers écarts de température.

« Pour ce que tu veux de moi, je veux pas te voir seule. Je veux que le garçon soit là. Et si tu sais pas lequel c’est pas un problème, amène les tous, il y a de la place ! Et autant que la leçon soit comprise par le plus grand nombre… »

Avant que la jeunette ait le temps de placer un mot, Esmé prend son bâton de marche, vérifie que son chapeau est correctement ajusté, et attrape la prénommée Suzon par le bras. Au moins sa remarque a redonné un peu de rouge aux joues à la fille du meunier, qui affichait une tête presque décomposée lorsque le battant l’a dévoilée.

« Je vais te ramener au village. Tu vas rentrer discrètement, tu vas essayer de dormir, et demain tu trouves ton jules et tu me l’amènes. »

« Mais… Si y veut pas… »

« Tu lui as dit au moins ? »

« Ben non… » Alors qu’Esmé cherche à capter le regard de la jeune fille, celle-ci se dérobe, regarde au loin, avant de reprendre. « Ca le regarde pas… C’est… C’est moi qu’ça concerne, non ? »

« Ouais, t’as raison, t’es assez grande pour choisir ce que tu veux faire. Mais je veux quand même qu’il soit là, même si il a pas son mot à dire. Il doit savoir. Faut être deux pour faire cette chose là, faut être deux pour la défaire. »

Les quelques couleurs disparaissent du visage de Suzon avec son sourire à ces mots. Esmé continue de marcher, insensible à ce changement de physionomie. Consoler, ce n’est pas son truc, et puis autant qu’elle ait un petit coup de mou, qu’elle se tracasse la tête, ça la fera réfléchir estime-t-elle. Et la sorcière a des idées très arrêtées sur la quantité de réflexion que certaines jeunes femmes déploient avant d’ouvrir leurs cuisses au premier bellâtre venu. Si elle ne leur accorde pas sa compassion, elle n’est pas non plus encline à faire peser sur leurs épaules l’entièreté de la responsabilité dans l’affaire : les hommes sont tout autant, si ce n’est plus, responsables de ces grossesses malheureuses dont elle doit se charger.

« Ce sont eux qui viennent fourrer leurs parties là où il ne faut pas… » grogne-t-elle à voix basse, oubliant un instant qu’elle n’est pas seule comme dans sa bergerie.

« Pardon ? »

« Je disais que si ton bon ami ne veut pas venir, dis lui qu’Esmé s’occupera de lui, et qu’il n’aura plus jamais l’occasion de se placer dans une telle situation. »

« Ou… Oui… »

« N’est-ce pas que tu le lui diras ? » la question mielleuse vibre dans l’air à peine frais de la nuit comme un impératif.

« Oui m’dame Esmé. »

« Bien. On arrive au village. Je vois le moulin d’ici. Alors file et ne te fais pas prendre. Reviens avec ton jules, ou reviens seule. Mais préviens-le que si tu reviens seule, il aura affaire à moi. »

« Oui m’dame Esmé. Merci m’dame Esmé. »

« Aller, file dormir. »

La villageoise s’élance à grandes enjambées assurées sur le chemin, sous l’œil critique d’Esmé qui juge que trop de mollet, voire de cuisse, est révélé à chaque pas. Elle secoue la tête d’un air désapprobateur : une gamine ne devrait pas errer ainsi la nuit, car dans la nuit rôdent des choses terribles. La sorcière ne s’inquiète pas de cette réalité, jugeant qu’elle est sans doute la pire de toutes les ombres qui battent la campagne ; elle est probablement la moins nuisible aux innocents aussi. S’en retournant vers la bergerie, plus noire que la nuit elle-même, Esmé commence à se préparer à ce qui l’attend. Ce qu’elle va être contrainte de faire ne lui est jamais aisé – pas pratiquement, mais humainement – mais elle doit le faire.


« ‘Man Grenotte, qu’est-ce qui est arrivé à cette fille ? »

« L’a voulu s’éviter une grossesse. L’a voulu prend’ des plantes. L’a pris les mauvaises. S’improvise pas herboriste qui veut… Maint’nant la v’là empoisonnée, et on va la sauver. Mais l’truc est toujours en elle. Et ça va falloir y faire que’qu’chose, sinon elle recommenc’ra. »

La malade est une femme qui approche de la vingtaine, son père est un soldat d’un village des Duchés, sa mère une tisserande. Pas encore mariée, il semblerait qu’elle ait pourtant connu un homme, intimement. Sa mère a voulu faire quelque chose pour elle, avec ses remèdes de bonne femme, des recettes qu’on raconte transmises de mère en fille… Thimoros a dû souffler ces recettes dans les crânes creux de quelques idiotes décaties, quand on voit les effets de ces mixtures sur les organismes fragiles. ‘Man Grenotte m’a envoyé chercher des plantes dans la montagne, des plantes rares, celles qu’on doit utiliser fraîches pour une plus grande efficacité. Des plantes dangereuses, celles qui sont un poison pour qui les ingère inconséquemment ; ce sont pourtant les seules qui peuvent lutter contre un poison déjà présent, deux maux qui s’annulent en se combattant. ‘Man Grenotte est savante, et je le serai au moins autant un jour, et puis plus. Mais il me faut apprendre.

Pendant que la fille du soldat tremble dans son lit, sue comme un bout de couenne sous la canicule, vomit tripes et boyaux, ‘Man Grenotte me tire en dehors de sa petite chaumière, pour causer seule à seule, de femme à femme, une conversation que la souffrante ne doit pas entendre.

« Tu sais Esmé, quand j’t’ai prise en apprentissage, t’as été honnête, tu m’as tout d’suite dit pour ces fluides qui couraient dans ton corps. Et j’t’ai répondu qu’c’était pas un problème… »

« Que ce qui est important, c’est comment on décide de s’en servir, que parfois il y a des problèmes face auxquels la lumière est impuissante. Je me souviens. Je ne crois pas que j’oublierai jamais ces mots. »

« C’est bien, c’est bien… Je crois qu’aujourd’hui, le temps est venu de mettre à l’épreuve ces paroles. Tu sais déjà comment on fait les chiards, j’t’ai expliqué tout l’tintouin. La chose qui va dev’nir un chiard, en c’moment, c’est vulnérable, c’est tout p’tit pas grand-chose. On peut s’en débarrasser avec des potions. Plus efficace que la saloperie qu’on lui a fait boire. Mais quand même pas très bonnes pour les mères, surtout si à un moment elles veulent en refaire un… Ces barbares qui y vont avec des aiguilles, on f’rait mieux d’les pendre par les tripes. Mais toi… Toi tu peux faire que’qu’chose de propre, de précis, qui fasse pas d’mal à la mère. Tu comprends c’que j’veux dire ? »

« Je crois… Tu veux que je tue… ça. »

« J’veux rien, moi. J’peux pas t’obliger. C’est un peu comme prendre une vie, mais si moi j’crois qu’c’est pas encore une vie, qu’la mère peut choisir. C’est pour ça qu’j’me méfie d’ces guérisseurs, d’ces fanatiques de Gaïa et compagnie. Z’ont pas l’cran d’faire ça. Faut assumer une mort, et eux y peuvent pas, la plupart du temps. Leur don, c’est pour sauver, y paraît. Nous, not’ savoir et ton don, c’est pour aider. Et aider, ce n’est pas toujours sauver, tu saisis ? »

« Pas trop… »

« En temps venu, tu comprendras… »


(Et je l’ai fait… Elle a survécu au poison qui lui avait été donné, sans doute avec les meilleures intentions du monde, par sa mère, et elle est repartie vivre sa vie. Heureuse ? Peut-être. A ce moment là, c’était à elle de choisir d’être heureuse ou de vivre hantée par son passé.)

Le souvenir de cette nuit est probablement l’un des plus profondément ancré dans la mémoire d’Esmé, ancré et d’une rare netteté. Parfois, lorsqu’elle y réfléchit, elle se dit que ce moment la suivra jusqu’à sa mort, sauf amnésie ou sénilité, et que rien ne le remplacera vraiment. Sous l’œil prudent de ‘Man Grenotte, ce soir là, elle avait pour la première fois accepté pleinement ce don avec lequel sa famille avait toujours été si mal à l’aise, ce don qu’elle avait toujours tenu celé au plus profond de son être. Ce soir là, elle était entrée en harmonie avec elle-même, sa nature, le monde dans lequel elle allait toute sa vie évoluer. Ce soir là, elle comprit qu’elle était Esmé, une entité entière, complète, parfaite, et cette certitude allait lui servir de point d’ancrage tout au long de son existence, et qu’importent les tempêtes auxquelles elle serait soumise, elle y tiendrait bon.

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Des coups à la porte, plus fermes que ceux de la veille. Seul le chaton dort sur le fauteuil à bascule, après avoir passé une journée harassante à se prélasser au soleil sur les pierres brûlantes et à chasser les lézards ; Esmé est occupée à réduire en poudre divers plantes, feuilles et racines qu’elle a mis à sécher quelques temps plus tôt. Après s’être frotté les mains sur son tablier, la sorcière se dirige d’un pas lent mais ferme vers la porte, qu’elle ouvre avec sa brusquerie habituelle, si efficace pour déstabiliser le visiteur. Derrière le solide gaillard qui s’apprêtait à frapper à nouveau, elle devine la jeune femme qui est venue la visiter la nuit précédente ; le grand jeune homme doit être son amoureux, son compagnon, ou son aventure de passage, un visage mangé par un duvet naissant, un peu poupon, des cheveux châtain bouclés en bataille, les oreilles un peu décollé mais un air foncièrement honnête – stupide dirait Esmé.

« T’es là pour quoi ? »

« Ben… Vous savez madame Esmé… Suzon elle est v’nue, hier… Enfin… Elle est v’nue pour… Pour c’qu’on a fait… »

« Bien ! Au moins tu reconnais que tu as quelque chose à voir là dedans. Entrez les enfants, entrez. » Elle attrape au passage Suzon par le bras et lui demande dans un souffle presque inaudible : « Il n’a pas fait de soucis pour venir ? » La fille secoue négativement la tête, et la sorcière voit dans ses yeux qu’elle ne ment pas. « Bon, va t’allonger sur le lit. » D’un signe elle désigne au jeune homme un tabouret dans un coin de la pièce : « Toi tu te colles là, et tu dis rien, tu obéis aux ordres que je te donne. Prie les Dieux pour que je n’aie pas d’ordre à te donner. »

L’homme obéit, n’en menant pas large : il ne connaissait Esmé que de réputation, et il s’était attendu à rencontrer en guise de sorcière une vieillarde cacochyme, pas… Pas ce qu’il a sous les yeux. La petite femme va d’un pas rapide d’un coin à l’autre de la partie de la bergerie aménagée en espace de vie, économe de ses déplacements comme de ses mouvements, tirant des étagères des fioles, soufflant une à une les lampes et les bougies qui dispensent une douce lumière jaune au lieu. Petit à petit, les ombres gagnent, d’abord cantonnées aux angles et aux bas des murs de pierre sèche, puis plus insistante, rampant doucement vers le lit ; elles le conquièrent lorsqu’Esmé souffle la chandelle sur sa table de chevet. Son manège se poursuit jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’une flamme vacillante, émergeant du fragile col d’une lampe à huile près de la porte. Cette lumière paraît bien lointaine aux deux jeunes qui sentent une légère angoisse les pénétrer lorsqu’ils la contemplent et tournent ensuite leurs regards vers l’obscurité : suffira-t-elle à les protéger de ce qui peut émerger des ombres ? La sorcière dans son élément n’est que plus inquiétante, toute de noire vêtu, son chapeau pointu se fondant dans la nuit, si bien qu’il paraît grandir au point de toucher le plafond. Tous les sentiments amicaux, ou du moins leurs ébauches, ont déserté le visage dur d’Esmé. Sur le fauteuil à bascule, le chat s’est éveillé, sentant sans doute que quelqu’un chose est à l’œuvre sur son territoire. Ses deux petits yeux brillent dans les ténèbres lorsqu’il tourne la tête et capte la clarté lointaine.

« Bois. »

Suzon avale le liquide contenu dans le bol en bois que lui rend la sorcière, manque de s’étouffer, surprise par son astringence, mais parvient à en absorber jusqu’à la dernière goutte. Petit à petit, elle sent une torpeur inexorable l’envahir, ses membres se font lourds, sa conscience lointaine ; elle sait qu’elle ne dort pas, mais ce n’est pas tout à fait l’éveil. Le silence n’est troublé que par le souffle anxieux de son amant et le chat qui s’est mis à ronronner sans raison apparente.

Les mains d’Esmé se glissent lentement sur le ventre de Suzon, tirant son chemisier du jupon et s’insinuant sous le vêtement pour gagner la peau. Douce, fraîche ; sous ses doigts la sorcière perçoit le nombril, léger creux trace d’un ancien lien de vie semblable à celui qu’elle s’apprête à trancher. La peau contre la peau…
Nul besoin à la sorcière de voir ses bras pour savoir ce qui s’y passe : elle a déjà assisté au phénomène plusieurs fois et elle le mobilise d’autant mieux qu’elle est plongée dans l’obscurité. Le long de ses veines bleutées se mettent à courir des lignes d’un noir plus profond que de l’encre, vaisseaux éphémères de fluide d’ombre qui se cristallisent lorsque la magie opère. Par eux s’écoule la puissance honnie par les C., cette émanation des Dieux de la mort et de la souffrance, Phaïtos et Thimoros. Esmé ne vénère ni l’un ni l’autre, pas plus que les autres Dieux : à quoi bon ? Elle les accepte pour ce qu’ils sont, les reconnais, mais juge qu’elle est trop insignifiante pour représenter quelque chose à leurs yeux, aussi n’attend-elle rien d’eux, sinon qu’ils continuent à ne pas fourrer leur nez dans les affaires des mortels. Lorsqu’elle invoque la magie, ce n’est pas à Phaïtos ou à Thimoros qu’elle rend hommage, mais à l’ensemble de la création dont elle fait partie, à chaque chose qui fut, qui est ou qui sera ; son fluide n’est qu’un fragment de ce tout.

La vie sous ses doigts… Il y en a deux, quand bien même la seconde est-elle embryonnaire. Derrière ses yeux clos, là où les sensations se mêlent, une vision nouvelle se déploie comme un immense tableau dont la toile serait son esprit focalisé sur son œuvre. Même à ‘Man Grenotte, pourtant versée dans bien des arts et ouverte à de nombreuses réalités, Esmé n’a jamais vraiment su expliquer ce qu’elle faisait : elle ne connaît pas les bons mots, et peut-être ceux-ci n’existent pas. Le corps est comme un entrelacs de milliers et milliers de filaments vitaux, chaque fibre de l’être, une fibre plus métaphysique que matérielle, un état perceptible par d’autres yeux que ceux du corps. D’un vert feuille, vigoureux, lumineux, pulsant de vitalité à chaque battement de cœur, ceux de Suzon forme un agglomérat dont l’ensemble, si on pouvait le considérer d’un œil plus distant, formerait un corps. Mais le talent d’Esmé ne lui permet pas cette appréhension, seule la chair sous ses doigts lui est ainsi révélée. Et là, dans ce nid émeraude, au cœur de ce tissu de fibre, elle le perçoit. C’est un noyau, une graine ne demandant qu’à se développer dans ce terreau fertile, une faible pulsation bleue, entrant en symbiose avec l’organisme de la mère parce une kyrielle de ramilles. Voilà ce que cherche la sorcière.
Prenant une grande inspiration, elle s’apprête à effectuer le plus difficile de sa tâche. Pour Esmé, l’échec n’existe que pour ceux qui l’envisagent. Tout son être transpire la victoire, le triomphe, sa volonté est toute entière orientée vers ce but. Ainsi armée, elle plonge. Comme la naissance d’une larme, ses fluides sourdent lentement de ses doigts, s’échappant de ses ongles. Imposant ses désirs à la magie, elle les étire et les déploie. Ce qu’il faut faire, elle le sait : glisser ces lames obscures entre les fibres du corps de la mère, plonger au plus profond de son être, au cœur de la matrice, pour y sectionner petit à petit les liens entre le fœtus et l’organisme qui l’accueille ; une fois qu’il sera isolé, elle lui portera le coup de grâce, l’éteindra doucement, comme on souffle une chandelle, et cette vie s’en ira. Voilà ce qu’il faut faire. Mais savoir ne suffit pas, encore faut-il faire, et bien faire.

Esmé se concentre sur sa tâche au point d’en oublier le temps qui passe et tout son environnement ; ni le chat venu se frotter contre ses jambes, ni les gesticulations sur son tabouret du jeune homme à la vessie trop pleine, ni le vol des insectes, ni le chant des oiseaux nocturnes ne l’ont tiré de son état proche de la transe. Chose rare, se forment sur son front des gouttelettes de sueur, dues non pas à la chaleur mais à l’intense concentration qu’elle mobilise jusqu’à la dernière seconde de l’opération.

« C’est fini. Va donc aux latrines, tu m’agaces à t’agiter comme une truite hors de son ruisseau. »

Le garçon s’exécute, visiblement soulagé par cette permission, et sors de la bergerie sans poser la moindre question, laissant la sorcière las s’effondrer dans son fauteuil à bascule. Elle ne souhaitait pas que quelqu’un assiste à ce soudain accès de sa faiblesse : sa réputation avant tout, elle aurait tenu à force de volonté debout encore une journée, si cela s’était avéré nécessaire. Mais puisqu’elle n’est pas soumise au regard scrutateur et potentiellement juge d’autrui, elle savoure ces quelques instants de repos ; elle sait que dans quelques instants elle devra à nouveau retrouver sa rigidité, son dos droit, ses gestes précis, son air impassible, voire légèrement hostile, tout ce personnage qu’elle s’est constituée au cours des années, ce rôle de composition, la représentation d’une vie. Parfois, lorsqu’elle s’interroge trop – exercice rare, car trop s’interroger traduit une forme de doute malsain, et douter n’est pas pour Esmé – la sorcière se demande si ce rôle n’est pas en train de l’emporter sur sa personnalité ; puis elle se dit qu’une personnalité choisie vaut bien une personnalité de hasard, si c’est plus ; enfin, elle arrête de se dire quoi que ce soit : elle est Esmé, et voilà tout.

Le jeune homme revient avec une mine contrite, jetant sans cesse des regards vers sa belle, encore endormie sur le lit d’un sommeil profond et sans rêve. La sorcière guette ce manège, scrute cette face encore trop poupine pour y chercher les traces d’un amour sincère – ce qui, pour elle, n’engage pas à grand-chose pour des jeunes de leurs âges, sinon à une somme colossale d’ennuis et de pleurs –, les signes d’un réel souci pour Suzon. Si elle y avait décelé le moindre désintérêt, le malheureux garçon se serait sans doute trouvé bien accablé par l’un des pires maux de cette terre : la colère d’Esmé. Mais elle n’a lu qu’une détresse innocente, un souci profond ridant son front encore lisse, et les mille regards enamourés coulés vers l’élue de son cœur. Faute d’être attendrie, ou touchée, au moins Esmé n’est-elle pas courroucée, ce qui est déjà beaucoup. Elle ne dira rien aux parents, elle ne dira rien à personne d’ailleurs : ainsi en va-t-il de son art et de sa fonction, le secret est un élément essentiel à ses yeux, ceux qui lui demandent secours, quand bien même seraient-ils les pires criminels aux yeux du monde, ont droit au secret. Après… Elle se réserve le droit de châtier comme elle l’entend les inconscients qui se placent sous son pouvoir avec une âme, une conscience et des mains trop sales.

« Elle… Elle ira bien ? »

« Oui. Elle perdra ce qu’elle a dans le ventre mais… Mais elle pourra faire passer ça pour des menstrues un peu particulières. Pas de problèmes. Elle n’aura pas de séquelles physiques. Tout ce qu’il pourra y avoir, ce sera dans la tête. »

« Dans la tête ? »

(Oh, toi tu m’as pas l’air d’être une flèche…) songe Esmé, avant de répondre d’une voix patiente : « Oui, dans la tête. J’ai vu des femmes qui se portaient très bien après, et d’autres qui ont commencé à déprimer, à perdre goût à la vie, persuadées qu’elles avaient fait quelque chose de mal. Je suis pas là pour les aider à choisir, mais j’assume ce que je fais. Surveille-la, surveille-la bien. Si tu vois le moindre signe qui montrerait qu’elle ne va pas bien, si tu la vois dépérir, tu viens me voir. Immédiatement. Alors je te conseille de garder un œil sur elle, et même les deux, car je saurai, si quelque chose va de travers. Et si je n’en ai pas été averti par toi, tu peux être certain que je vais faire de ta vie un enfer. Clair ? »

« Oui madame Esmé. Je s’rai prudent, j’vous l’promets… »

« Maintenant, on va causer de choses plus sérieuses. Parce que je n’ai pas envie de la revoir pour ça. Ni elle ni une autre femme… Alors écoute-moi bien… »

Gerald – ainsi se prénomme le jeune homme – n’est pas près d’oublier la conversation qui suivit les mots d’Esmé. Elle restera gravée dans sa mémoire, parce que ses parents n’avaient jamais pris la peine de lui expliquer certaines choses, et parce qu’il ne pouvait pas imaginer qu’une femme lui parlerait aussi crument des choses de la vie. Il n’oubliera pas le ton tranchant comme une lame de couteau, le regard rivé dans le sien, les mots lui percutant la pensée comme la masse du forgeron l’acier. Parfois, Suzon lui paraissait rude, sa mère trop exigeante, ses tantes un peu trop inquisitrices, il regardait d’un mauvais œil les tentatives des femmes de sa famille pour régir sa vie : après avoir écouté la sorcière, elles lui parurent toutes d’une bonté et d’une douceur désarmante. Quant à Suzon, elle fut surprise de voir son amant bien moins entreprenant, et si satisfait des baisers dans la paille et des caresses un peu appuyées : à l’idée d’aller plus loin sans avoir régularisé sa situation, une terreur subite le prenait, le visage d’Esmé apparaissait dans son esprit, menaçant, et il perdait soudainement tous ses moyens. La sorcière aurait été satisfaite de savoir sa leçon si bien apprise ; elle l’était déjà assez, car nul besoin qu’on vienne lui rapporter les résultats de son action, elle avait la ferme conviction d’avoir réussi.

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‘Man Grenotte avait commencé à m’apprendre les rudiments du savoir des plantes. Le vrai savoir, celui des choses vivantes, et non celui des choses mortes, des herbiers, ces recueils de feuilles et fleurs desséchés, tout juste bons pour ceux qui croupissent dans les villes. Elle m’a emmené dans les montagnes, là où les choses poussent, à différentes saisons, à différents moments du jour et de la nuit : j’ai vu les fleurs éclore, se développer, s’éteindre ; j’ai vu les plantes croître, s’épanouir, décliner ; j’ai vu les bourgeons éclore, les feuilles verdir, les branches se dénuder. Il en va ainsi de la vie, elle oscille, alterne, toujours se renouvelle : la terre respire à sa manière, inspire et expire en des cycles sans aucune commune mesure avec les existences trop pressées des humains. J’ai plongé mes mains dans l’humus chaud des jours d’été, j’ai senti les parfums du printemps, entendu les craquements des branches mortes sous mes bottes à l’automne, j’ai contemplé la terrible beauté du gel et de la neige l’hiver venu. Mes sens s’abreuvaient de ce monde tellement riche tandis que mon savoir s’augmentait de tous ces détails que ma tutrice me délivrait au compte goutte, à mesure que j’étais capable de les absorber pleinement, d’en saisir la portée, le sens profond.

‘Man Grenotte m’aidait à maîtriser mes fluides obscurs d’une manière bien à elle. J’ai compris avec le temps qu’elle n’avançait pas à l’aveuglette… Combien d’années avant de me rendre compte ? Deux, trois ? Dans ces eaux là… Je ne voyais guère à l’époque, j’avais les yeux encore fermés, comme un chaton à la naissance… J’étais un petit chaton… Mais j’ai fini par voir. La femme d’extérieur portait quelque chose en elle, ce n’était pas un secret, mais elle n’en usait qu’avec parcimonie… La terre coulait dans ses veines comme elle régnait dans son cœur et occupait tout son esprit. Je suis née avec une sombre bénédiction des Dieux, la sienne avait été tout autre, ce fut sans doute l’esprit de Yuimen qui se pencha sur son berceau. La magie exerçait alors sur moi une fascination à la mesure de la réticence que j’avais à utiliser mes fluides sombres. Mais ‘Man Grenotte avait sur la question des idées très arrêtées : elle disait que la magie était un don, et que seuls les élus pouvaient en bénéficier. Pourtant, les gens sans ce don vivent bien, parfois mieux, que ceux qui en disposent, me serinaient-elle, et une sorcière doit apprendre avant tout à se passer de magie. Que la magie soit laissée aux mages, à ceux qui vivent dans les livres, font étalage de leur pouvoir. Pour cette honnête femme à qui je dois tant, savoir est déjà bien plus, et le vrai pouvoir est celui dont on n’a pas à se servir : la puissance du puissant s’estime à sa capacité à ne pas en faire étalage. Encore aujourd’hui je peine à me tenir à cette philosophie, mais j’y ai très tôt décelé une part de vérité.

Un soir d’été, au cœur de la saison au cours de laquelle la nature est la plus vigoureuse, ‘Man Grenotte m’a emmenée sur les pentes les plus basses de la montagne, au cœur de la forêt, là où nous n’allons guère. Il était temps que mon apprentissage prenne une autre tournure, m’avait-elle expliqué. Que je plonge plus profond dans les choses, que j’entre en communion avec le monde, qu’une autre forme de savoir s’imprègne en moi. Je n’ai compris qu’allongée au pied d’un immense saule, confortablement installée dans la mousse moelleuse, caressée par le vent et les derniers rayons du jour qui filtraient à travers le feuillage argenté tombant. Une superbe journée s’achevait, la longue marche avait fatigué mon corps, mon esprit se satisfaisait du grand air et de la somme de détails sur la forêt délivrés au cours du chemin par ‘Man Grenotte. Cette dernière, voyant que j’allais me laisser couler vers un sommeil apaisant, bercée par le chuchotement du ruisseau dans la courbe duquel le saule avait poussé, me demanda de fermer les yeux et d’entrouvrir mes lèvres. Elle laissa couler dans ma bouche le contenu d’une petite fiole. Cela avait un goût… végétal. Comme une infusion de plantes et d’écorce, mais dont on perçoit chaque note, une explosion de saveurs uniques et distinctes, qui saturèrent mon cerveau. Et puis, comme si mes sens venaient de gagner en acuité, je sentis les parfums de la forêt se précipiter vers mes narines, j’entendis les craquements, les bruissements, la symphonie de la forêt se déployant en un tumulte majestueux dans mes oreilles, ce fut comme si ma peau caressait toutes les écorces et toutes les feuilles à la fois et reconnaissait à ce contact les essences. Tout cela ne dura qu’une seconde ou deux, je fus submergée, c’était très certainement trop pour mon esprit, je sombrai dans l’inconscience presque instantanément.

Petite, après une chute, je m’étais évanouie : je ne garde pas de souvenir, ou plutôt celui d’un noir profond, sans aucune vision, ce qui m’était apparu comme un aperçu de la mort. Cette fois, mon corps éteint, mon esprit se fit spectateur, ou producteur, je ne sais, d’un étrange spectacle. Dans une clairière, deux ours immenses s’affrontaient, deux colosses de muscles, de griffes et de crocs. L’un était d’un brun chaleureux, l’autre plus noir que la nuit. Hypnotisée, je contemplais leurs coups de patte, la violence des échanges, des morsures. Aucun des deux ne saignait du sang : de la sève s’échappait des blessures du premier, le second se vidait d’une substance noirâtre semblable à de l’huile de pierre. Et le combat était parti pour durer, pour être un combat à mort, car aucun des deux protagonistes ne cédait en force et en endurance à l’autre : ils allaient se voler l’un l’autre leur dernier souffle, se détruire mutuellement. Un instinct profond, venu du fond de mes entrailles, me rendait familiers ces deux bêtes étranges et puissantes, et à mesure qu’elles se déchiraient, je me sentais moi-même me déliter, m’étioler. Jusqu’à ce que je crie. J’ai crié, hurlé, attiré sur moi l’attention des colosses, sans même craindre un instant d’être dévorée, à peine consciente que j’étais à la fois là et absente. Tandis que se pressaient aux lisières de ma conscience une foule de questions sur ma position, sur ce rêve, sur ce que j’étais et où j’étais, les deux ours cessèrent leur affrontement pour contempler ce qui paraissait être le point où j’aurais du me trouver – ou bien où je me trouvais, je ne sais toujours pas – l’air d’attendre quelque chose. Qui se produisit : comme les deux images que l’on voit décalées lorsque l’on n’ouvre qu’un œil finissent par se superposer quand on ouvre les deux, les bêtes se mêlèrent l’une à l’autre, pour donner naissance à une créature bien plus grande, zébrée de leurs deux couleurs, aux yeux vairons, l’un de ce brun chaud, l’autre sombre et profond comme un puits. Je compris alors…

Et je m’éveillai. Il faisait encore jour, mais en avisant la douceur et l’orientation des rayons du soleil, je compris qu’il faisait en réalité à nouveau jour. Assise en tailleur face aux braises déclinantes et à la cendre chaude d’un petit feu, ‘Man Grenotte attendait mon éveil : elle avait veillé toute la nuit, durant ma longue inconscience, protégeant mon corps vulnérable de tout ce qui peuple les ombres et les bois. Te voilà plus complète, m’a-t-elle dit, tu comprendras différemment les choses. J’aurais pu me sentir offensée qu’elle ne m’ait pas consulté avant de m’inoculer cette nouvelle puissance, pourtant je ne ressentais que de la reconnaissance pour cette sorcière. Sur le chemin du retour, je sus qu’elle avait bien fait.

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 Sujet du message: Re: Les terres autour de Tulorim
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La petite fille pousse timidement la porte de la bergerie qui, malgré son air passablement défraichi, tourne sur ses gonds sans émettre un bruit. Tout est noir dans la grande pièce à vivre, à l’exception d’une petite lampe à huile tremblotante au dessus de la grande table massive calée contre un mur. Face à elle, tournant le dos à la petite curieuse, la sorcière s’affaire avec des gestes précis face à des pots de terre cuite, dans lesquels elle verse des graines, des feuilles, avant d’y verser le contenu lumineux d’une cruche. La gamine est impressionnée par ces activités occultes, et ouvre de grands yeux, insensible à la frayeur qui n’aurait pas manqué de prendre ses frères et leurs amis : ce sont eux qui l’ont mise au défi d’entrer dans la bergerie, d’aller voir ce que fait la sorcière, maléfique qu’ils disent. Ils ne veulent pas s’occuper d’elle, même si leurs parents l’ont confiée à eux. Et puis elle est trop curieuse pour avoir peur.

« Entre ou sort, mais laisse pas la porte comme ça, tu fais entrer le chaud, et j’ai pas fermé les volets pour rien."

« Oui m’dame Esmé. » A petits pas, prenant soin de fermer la porte doucement derrière elle, la petite entre. Elle observe un silence respectueux, persuadé que sa présence a été découverte par quelque procédé magique ; elle ne se rend pas compte qu’elle a légèrement changé la luminosité de la pièce, introduit un courant d’air plus chaud, et que son souffle précipité par la transgression de l’interdit s’entendait dans toute la pièce. Constatant au bout de deux minutes à danser d’un pied sur l’autre, tout en observant l’ensemble du contenu de la bergerie, merveilleux à ses yeux peu habitués à tant de mystères, que la sorcière semble l’avoir oubliée, elle risque une question, avec sa plus petite voix : « M’dame Esmé, tu fais de la magie ? »

« Non petite. Je mets mes tomates séchées dans de l’huile, je me prépare pour l’hiver. »

« Oh… je croyais que tu faisais de la magie. » explique la petite, une pointe de déception dans la voix.

« T’as un nom ? »

« Oui m’dame Esmé. J’m’appelle Sylvette ! Comme ma mamie ! Alors on m’appelle la p’tite Sylvette. Comme ça on sait que j’suis pas ma mamie. »

« Oui, c’est futé… La petite-fille de Sylvette la vannière ? »

« Oui m’dame Esmé. Elle fait les plus beaux paniers de Tulorim. »

« Je sais, je sais, je lui en ai acheté quelques-uns. »

« Je peux t’aider ? »

« Oui, tu peux ôter les tomates des fils. Mais tu peux m’aider uniquement si tu te tais. Les tomates ont besoin de calme pour bien tremper dans l’huile. » prévient Esmé.

En silence, Sylvette tire un tabouret sur lequel elle se tient debout contre la table, puis, avec une concentration plus qu’importante compte tenu de la tâche qui lui est confiée, et le souci de bien faire, elle s’ingénie à retirer les tomates du fil sur lesquels elles avaient été mises à sécher. Les minutes passent ainsi, dans cette petite industrie culinaire, la gamine passant les tomates, la sorcière remplissant les pots avec l’huile d’olive et les aromates, puis les scellaient avec de la cire d’abeille chaude. Esmé peut passer des heures sans dire un mot, à plus forte raison quand elle travaille : la plupart du temps, elle est seule et se voit mal parler aux meubles ou à ses chèvres, et quand elle est en compagnie, elle estime que ce qu’elle a d’intéressant à dire ne mérite pas forcément d’être partagé avec ses potentiels auditeurs, aussi se tait-elle. Sylvette n’a cependant pas cette discipline.

« M’dame Esmé, t’as un amoureux ? » ose-t-elle dans un élan de témérité qui la surprend elle-même.

« Non. »

« C’est parce que tu es plate ? »

« Pardon ? » Le geste d’Esmé s’est arrêté net à la question de la fillette, à peine a-t-elle eu le temps de maîtriser le ton de sa voix : avec un adulte, elle aurait laissé transparaître toute la menace derrière le vernis de politesse, mais il en est des jeunes enfants comme des animaux, il ne faut pas les terroriser. « Qu’est-ce que c’est que cette question ? »

« Ben… » Sylvette, en voyant les yeux de la sorcière posés sur elle, comprend que pour s’en sortir, il lui faudra dire la vérité : comme quand elle a fait une bêtise et que sa mère sait que c’est elle, mais qu’elle attend qu’elle se dénonce pour savoir si elle la punira un peu ou beaucoup. « C’est ma cousine Bette… Elle me dit que si je suis pas sage, je serai plate comme toi, et que j’aurai pas d’amoureux… »

(Sa cousine Bette… Elle porte bien son nom celle là… Encore une de ces donzelles avec un corsage à faire pâlir d’envie une vache laitière, et tout le volume du cerveau parti dans les seins…) Esmé s’efforce de reprendre avec calme. « J’ai pas d’amoureux parce que je n’ai pas encore trouvé un amoureux assez bien. Et je ne suis pas plate. J’ai peut-être moins de seins que ta cousine, mais une femme n’est pas seulement belle parce qu’elle a de gros seins. »

« C’est vrai ? » demande la fillette avec une touche de soulagement. « Moi je te trouve belle, même si tu es plus vieille que ma maman ou ma cousine Bette. »

« Merci. Maintenant, écoute bien mon conseil. Tu ne diras pas à la cousine Bette que tu m’as dit ce qu’elle a dit. Ce qu’on dit ici, c’est des secrets. Et je serai très fâchée si tu révèles un secret d’ici. C’est clair ? »

« Oui m’dame Esmé. Je suis très forte pour garder des secrets. Je connais plein de secrets. Mais je te les dirai pas, parce que c’est des secrets. »

« T’as plus de jugeote que bien des adultes. Bon, maintenant qu’on a fini avec les tomates, ça te dit de t’occuper des cornichons ? J’en ai un plein panier, il faut qu’on les frotte, et puis on les mettra dans une jatte, avec du sel. »

« T’en as de la chance d’avoir tant de choses à manger. Ma maman elle dit qu’on va peut-être devoir se serrer la ceinture, parce qu’on aura pas assez à manger. Mon papa il a dit qu’il sait où trouver des lièvres, et du poisson. Mes frères y disent qu’y mangeront des sauterelles grillées. Mais moi je veux pas manger de sauterelles grillées. Même pas de sauterelles du tout. J’veux pas serrer ma ceinture, quand je serre ma ceinture trop fort, ça fait mal après là où ça serre la peau. J’ai essayé l’autre jour, j’ai serré ma ceinture quand j’ai été punie, et privée de diner. Ben j’avais quand même faim… C’est pas efficace. »

« Non, pas efficace du tout… »

Esmé se perd un instant dans ses pensées. Les dernières années, elle avait coutume de faire moins de provisions, comptant sur la générosité des personnes à qui elle venait en aide pour passer la mauvaise saison sans avoir à se soucier de son garde-manger. Mais les dernières donations ont été moins conséquentes, elle a senti chez ses débiteurs la tension entre ne pas rétribuer la sorcière et se constituer des réserves pour des jours plus sombres. Dans les cas les plus limites, elle n’a pris que la moitié de ce qu’on lui offrait. Au pire pourra-t-elle compter sur les largesses de la noblesse de Tulorim qui parfois recoure à ses services : entre les femmes portant le mauvais enfant, et les hommes manquant de virilité pour en concevoir un, elle a de quoi faire. Et ces gens là en général ne manquent de rien. De plus, elle peut encore compter sur ses chèvres, le lait et la fabrication de petits fromages : la campagne lui fournira sans doute de quoi subvenir à ses besoins, si elle vit chichement, et elle en est capable. Elle n’a pas à nourrir une famille, des enfants en pleine croissance, une femme enceinte, un homme affamé après son labeur ou elle ne sait quoi encore.

« Si un jour ta famille et toi avez des problèmes à cause de la faim, si vous n’avez plus rien à manger ou si quelqu’un vous embête pour avoir vos provisions, tu m’amènes tes parents. Tu ne leur dis pas pourquoi, tu expliques simplement qu’il faut qu’ils viennent. Et s’ils ne veulent pas, trouve quelqu’un pour t’accompagner, et ce sera toi qui viendras me le dire. C’est bien compris ? »

« Oui m’dame Esmé ! C’est drôl’ment chic d’votre part ! Il y a des gens qui disent que vous êtes méchante, mais moi je sais que c’est pas vrai. Vous êtes une gentille sorcière. »

« Je suis méchante des fois. Juste avec les méchants. Bon, maintenant qu’on a fini les cornichons, retourne voir tes amis. Je les entends brailler ton nom jusqu’ici. Et si on te demande ce que tu as fait ici, tu ne dis rien. Pas besoin de raconter des histoires, il faut faire du mystère. Ils se feront des histoires tous seuls et ils y croiront. »

« Je pourrai revenir te voir quand mes frères doivent me garder ? Ils ne sont pas toujours gentils avec moi… »

« Si je suis là, tu pourras passer. Mais il faudra être très sage. Et silencieuse. Je travaille en silence. C’est clair ? »

« Oui m’dame Esmé ! Bonne journée m’dame Esmé ! Et merci à vous ! »

La petite fille sortie, la sorcière s’abandonne une fois de plus – de trop ? – à ses pensées.

(Drôlement chic de ma part. Gentille… Je ne sais pas si je suis gentille, mais si on laisse la faim s’installer dans cette cité pourrie, et dans les campagnes, on aura sans doute des ennuis considérables sur les bras. Je ne peux pas aider tout le monde, il faudra sans doute que je me casse le crâne pour subvenir aux besoins de cette famille, si les circonstances devaient l’exiger… Mais si tous les idiots qui cèlent trois fois de quoi se faire éclater la panse une année durant pouvaient partager aussi… Ne serait-ce que pour éviter une émeute. Elles leur serviront à quoi leurs vivres si ils sont égorgés dans leur sommeil ? Sûrement pas à se bâfrer aux Enfers…)

_________________
Esmé, sorcière à plein temps


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