Manoir des Brumes

A la sortie de Tulorim, non loin de la côte s’élève un vieux Manoir. Abandonné depuis quelques années, mais épargné par les miséreux plus craintifs que désireux de s’y aventurer. Il se murmure en effet que les lieux sont hantés, et que parfois la nuit on peut entendre les anciennes armures inanimées faire grincer les joints de leurs plaques sur le sol de marbre. On raconte aussi que les plus téméraires n’en sont jamais revenus, ou du moins pas sains d’esprit. Mais peut-on s’y aventurer seul la nuit, si l'on est sain d’esprit?

Quant à la source de cette magie sombre, les légendes urbaines varient d’un passant à l’autre. Parfois l’on parle d’une dame blanche, sacrifiée ici en des temps anciens. D’autres soumettent les propos plus hasardeux d’un monstre buveur de sang, qui attirerait ses victimes à lui.

Toujours est-il que personne n’ira plus vérifier, du moins pas s’il veut en sortir sans maux...

Nous marchâmes quelques minutes, nous éloignant des côtes qui nous avaient déposés un peu plus tôt sur le continent. L'agitation des rues était faible en cette heure tardive, d'autant plus en s'éloignant des lieux animés. Seuls quelques âmes errantes croisèrent notre chemin, sans toutefois s'approcher de nous.

Il ne fut pas difficile de trouver le dit manoir, qui se dressait derrière un portail de fer recouvert de lierre. Lieu abandonné depuis longtemps, et à l'aura ténébreuse. Définitivement le bon endroit. Je pouvais presque entendre la légère brise me murmurer d'y entrer...

Je me tournai alors vers Lyssena, toujours à mon bras.

"Vous feriez mieux d'attendre ici le temps que j'explore cet endroit. On ne sait quel piège a pu être laissé..."

Comme pour me répondre, les lourdes grilles émirent un grincement sinistre en s'ouvrant lentement, raclant contre le sol sale. Le vent en profita pour mourir après une rapide agonie. Les mouvements de branches et de feuilles lointains stoppèrent, laissant les arbres du petit parc dans une posture de gardiens inquiétants.

Les ombres, qu'une lune presque noires portait, semblaient se mouvoir en silence, m'invitant à entrer.

Après avoir creusé un peu d'écart avec Tulorim nous trouvons le Manoir sur un chemin rescapé qui devait avoir plus fière allure pendant son heure de gloire. Le portail non plus ne payait pas de mine avec les nombreux végétaux accroché à celui-ci. Arrivé à ce dernier, Longinus me demanda de rester ici pour ma propre sécurité. Apparemment il avait quelques doutes sur l'inhabitation de la demeure ...

Et sans même avoir le temps de lui répondre, le portail s'ouvrit faisant découvrir le parc parsemé d'arbres et quelques résidus d'un jardin bien garnis.

"Et très cher, le Manoir semble vous ouvrir ses bras ... Allez-y donc, je ne crains. Après tout, qui aurait l'idée que je suis une femme dans cette nuit couverte."

Depuis mon arrivée je portais sur moi des vêtements d'hommes quelque peu trop large pour ma physionomie. Les indigènes ne connaissaient pas la mode de notre civilisation et s'étaient contentés de nous faire des pagnes et autres accessoires typique de leur île ... Le seul accoutrement de secours qui m'avaient été proposés était des vêtements d'homme. Classe moyenne. Manufacture Moyenne. Mais au moins, je paraissais toujours plus discrète qu'avec un pagne et d'autres tissages de ce genre.

"Faites tout de même attention à vous très cher. Et ne me faites pas trop attendre mon Amour !"

Se rapprochant une dernière fois de mon Amant je lui donnai un dernier baiser entre la joue et la lèvre. Le reste lui allait être attribué s'il faisait son travail d'éclaireur rapidement.

Ma belle ne sembla pas enchanter de devoir rester dehors dans la nuit, mais cela restait moins dangereux que d’entrer dans ces sombres lieux. Ses lèvres se posèrent non loin des miennes, déposant un baiser exquis. Être à ses côtés m’offrait toujours cette sensation de bien-être et de désir mêlé. Mes yeux se glissèrent dans les siens, alors que je lui murmurai :

« Je ne serai pas long. »

Je m’éloignai alors, et après un dernier regard franchis le portail. La magie était plus forte, et semblait m’aspirer. J’appelai les ombres dissimulées dans mon médaillon, qui jaillirent et m’enveloppèrent, me faisant disparaître aux yeux des mortels. Ombre parmi les ombres, je traversai le jardin, n’entendant plus que mon nom murmuré par la maison et ses fantômes.

Quand je fus au niveau de la grande porte à double battant, le monde avait pris une teinte d’une grande noirceur, de ténèbres insurmontables. Je posai la main sur la poignée d’argent, et je pus entendre le cliquetis de la serrure avant que la porte ne s’ouvre. Personne ne se tenait à l’intérieur. J’entrai.

La grande salle d’accueil était plongée dans l’obscurité, mais cela ne devait pas durer. A peine posai-je le pied sur le tapis que les nombreux candélabres ornant les murs s’allumèrent, un à un, découvrant l’intérieur du manoir. Un tapis rouge conduisait à un double escalier de marbre, menant vers les deux étages. Le flanc gauche arborait une dizaine de grands vitraux, dont les motifs semblaient obscurs. De l’autre côté des candélabres aux formes allongées étaient embrasés, d’une flamme un peu trop vive pour être naturelle. Quant à l’ameublement de la pièce, des tables et probablement un bureau étaient recouverts d’un drap blanc. Tout sentait le luxe et l’élégance, mais le côté blafard et abandonné rendait le tout inquiétant.

C’est à ce moment que j’entendis un bruit de pas, léger et discret, provenant de l’étage. Il ne me fallut qu’un instant pour dégainer ma lame sombre, prêt à rencontrer celui ou celle qui allait apparaître devant moi. Et il ne fut pas long.

Un homme, à l’âge incertain, descendit lentement les marches qui menaient à moi. Ses cheveux d’une blondeur irréelle descendaient sur des épaules puissantes. Vêtu d’une chemise noire brodée, d’un gilet aux multiples nuances de rouge et d’un pantalon noir, une finesse sans commun émanait de lui. Quant à ses traits, ils étaient doux mais l’éclat de ses yeux verts lui donnait une aura de force.

« Longinus il me semble. » Sa voix était claire, mais sa perfection n’avait pas grand-chose d’humain. « Je vous attendais. »

Le manteau d’ombre qui m’enveloppait se dissipa peu à peu, bien qu’il eut probablement put me voir ainsi.

« A qui ai-je donc l’honneur ?
-Je me nomme Viktor, je suis le maître de ces lieux. Du moins par intérim.
-Je vois. Vous étiez membre des Dragons.
-Pas tout à fait. Disons que cela n’a plus guère d’importance. Êtes-vous venu prendre possession des lieux ? Si oui vous allez devoir prouver votre valeur.
-En effet il semblerait que je sois là pour cela. Comment devrai-je donc prouver ma valeur ?
-Oh ce sera quelque chose de sûrement très aisé pour Longinus, le Chevalier des larmes. »


Avant que je n’aie le temps de répondre à cela, une magie noire à la puissance terrifiante fit irruption dans la pièce. Elle ne semblait pas émaner de l’homme, mais plutôt avoir sa vie propre. Toujours est-il que la salle en fit bientôt emplie, une tempête noire soufflant. Les lumières s’éteignirent, les vitraux crièrent leur désespoir alors que l’attaque me pourfendit avec une véhémence d’outre tombe. Je fus happé dans sa colère, et mon âme même fut comme déchirée, se disloquant sous l’impact du souffle sombre. Mes pieds quittèrent le sol, mon dos heurtant avec force le mur, arrachant quelques pierres au passage.

Je ne criai point, n’en ayant pas le courage. Et alors que je sentais mon cœur prêt à lâcher, la sombre magie s’affaiblit. Elle ne disparut pas, mais me laissa l’opportunité d’en appeler à mes propres ombres. Celles-ci, d’abord faibles, se laissèrent finalement invoquées et déferlèrent dans la pièce, l’emplissant de ma propre force. La lutte invisible ne dura que quelques instants, et finalement le calme redevint roi.

Je me relevai, l’arme à la main, plantant un regard noir dans les yeux de Viktor.

«-Parfait Messire Longinus. La magie de mon ancien maître a désormais définitivement quitté l’endroit, et il est à présent libre à vous de le prendre.
-Cela n’était pas vraiment ce que j’appellerais un test aisé.
-Vous avez survécu, ce qui est déjà très bien. Maintenant si vous voulez bien me suivre, nous allons accomplir le rituel. »


Toujours énigmatique, Viktor finit de descendre les escaliers et ouvrit une porte que je n’avais pas vue en entrant, face aux vitraux. Il me fit signe de le suivre, et je ne le fis pas attendre. Nous entrâmes alors dans les couloirs du manoir. Viktor ouvrit une nouvelle porte, donnant dans un petit bureau dont le mobilier une fois encore était recouvert de draperies. Il poussa ensuite une étagère, comme s’il s’agissait d’une simple poussière, et ouvrit une petite trappe. Un faible flot de magie semblait en émaner, mais une magie différente de celles que je connaissais.

Je descendis à la suite de l’homme – s’il s’agissait vraiment d’un homme – et le suivis dans les sous-sols du manoir. Viktor nous guida jusqu’à une petite pièce, ou plutôt une crypte. Au centre, un autel recouvert d’un drap noir. Il s’en approcha, empoigna le tissu avant de le faire couler sur le côté. Une boule transparente reposait sur le piédestal. Non pas transparente, mais plus semblable à de l’éther. Fantomatique.

« Cette maison est sous le contrôle de cette sphère d’âme. La magie de son possesseur protège la demeure, tandis qu’elle s’offre à lui. Vous devez lui offrir votre énergie magique, et elle l’utilisera quand le danger se présentera. Tout à l’heure la magie du chevalier Alin a fini de s’épuiser, en luttant contre vous. La demeure est à présent tout à vous, et si vous le voulez je resterai son gardien. En attendant, à vous de lui faire part de votre magie. »

Ainsi c’était la magie d’Alin qui avait manqué de me détruire. Cela ne m’étonnait guère, qui d’autre aurait pu disposer d’une telle puissance. Dans tous les cas cette demeure serait bientôt mienne, et je pourrai recommencer à vivre dans une ville civilisée, avec Lyssena.

Je m’approchai de la sphère d’âme et jetai un dernier regard à Viktor avant de poser ma main. Je sentis aussitôt la puissance de la sphère, celle-ci tentant d’aspirer mon énergie. Je résistai d’abord, puis libérai les ombres. Je les sentis jaillirent de mes mains, arrachées à leur tranquillité par la soif de la sphère. Le rituel dura quelques instants, et c’est bientôt épuisé que je rompis le contact. Mes yeux se posèrent sur une sphère, noire de geai à présent.

Viktor parla :

«-La maison est à présent calquée sur votre énergie, et vous appartient. Si vous voulez de moi, je la ferai remettre en état rapidement. Ah, et voulez vous que j’aille chercher votre amie à l’entrée ?
- Oui s’il vous plait.
- Bien messire. Quant à la sphère, il vous faudra l’entretenir régulièrement, plus elle possédera votre magie plus puissante elle sera. Mais ça, vous aurez tout à loisir de le découvrir après un repos mérité.»

Je restai prendre mes esprits quelques instants après le départ de Viktor, avant de remonter à la rencontre de Lyssena.




edit: perte 41 pv (souffle Thimoros niveau 19)
Sphère d'âme: absorbe le mana d'un individu unique, et en cas de danger utilise les sorts de cet individu pour se défendre. Inutilisable en dehors du manoir.

"Et que faites-vous donc dans cette demeure aussi ... délabrée ?
- On peut me qualifier comme propriétaire remplaçant. J'attendais qu'un nouveau propriétaire se présente."

L'adjectif délabré n'était pas si exagéré que ça, la façade était mangée par le lierre qui montait sur le premier étage de la demeure. La Manoir des Brumes était ancien, les pierres froides en témoignaient. Pour une architecture certainement humaine cela était acceptable.

Bientôt, nous arrivâmes à l'entrée, il poussa un des deux battants de la porte et me laissa entrée en première. Le hall d’entrée était marqué de rouge et d'un grand escalier menant aux étages. Au milieu de cela, Longinus. Je m'approchai de lui le regard inquisiteur. Il était affaiblit. Inquiète, je le questionnai.

"Très cher, vous ne paraissait pas sous votre meilleur jour tout d'un coup. Que vous est-il donc arrivé ?"

Je regagnai la pièce d’entrée, refermant derrière moi le sas secret. Lyssena ne tarda pas à entrer, accompagnée de Viktor. Elle s’approcha aussitôt de moi, me demandant ce qui c’était passé, la voix teintée d’inquiétude.

« Ne vous en faîtes point, prendre possession des lieux m’a un peu coûté... »

Même si un peu était en dessous de la réalité.

« Mais ne craignez rien, la demeure nous appartient désormais. Viktor, l’on m’avait parlé d’un héritage, que je trouverai ici. »

L’être se rapprocha, toujours aussi imperturbable, et me répondit simplement :

« Bien sûr. Les comptes de la propriété, bien que laissée à l’abandon depuis maintenant deux ans, étaient florissant avant le départ de Sire Alin. Puisque la maison est votre, ils le seront aussi bien entendu. D’ailleurs comptez vous faire renaître les Dragons d’Or ?»

Ainsi Ankh avait dit vrai. Il voulait que je reprenne le flambeau de la secte, ce qui n’était pas en question. Néanmoins des projets plus personnels avaient mûri dans mon esprit, et il me fallait en parler à Lyssena. Je lui répondis :

« - Pas tout à fait. Pourriez-vous faire préparer une chambre pour Lyssena et moi-même ?
- Bien entendu, je m’y atèle immédiatement. »

Après un instant, Longinus me répondit d'une voix monocorde que prendre possession de cette demeure lui avait coûtée. Il me rassura et mon confirmai que le Manoir nous appartenait à présent. Je savais que je n'allais pas en savoir plus sur le moment du pacte qu'il avait dû faire avec quelque chose ou quelqu'un, peut être Viktor, pour obtenir cette demeure.

S'ensuit une tirade de la part de l'ancien maitre des lieux rassurant Longinus que l'héritage allait bien sûr lui revenir et l'interrogea ensuite sur une reprise potentielle de la secte des Dragons d'or. Sans donner de véritables réponses, mon Amant demanda à Viktor de nous préparer une chambre dans la propriété.

"Croyez-vous donc que ce Manoir est véritablement sur ? Ne serait-il pas préférable d'aller coucher dans une auberge pendant un moment ?"

La demeure que nous venions de découvrir il y a encore peu de temps était devenu notre et voilà que nous allions coucher dans cette demeure complètement délabrée et très certainement dépourvue d'un strict nécessaire pour une personne qui veut se soigner un minimum.

"Et croyez-vous que nous devons garder ce Viktor avec nous ? Est-il véritablement digne de confiance ? Je parie que vous ne le savez même pas vous-même..."

Viktor nous laissa seul. Lyssena me posa aussitôt plusieurs questions, ne semblant pas se sentir en sécurité. Il est vrai que les évènements récents n’avaient rien de rassurants quand les ombres ne nous étaient pas familières. Je me rapprochai d’elle, prenant sa main dans la mienne :

« Ne vous en faîtes pas Lyssena. Cette maison était protégée par une ancienne connaissance, et j’ai du y insuffler mon essence à la place. Mais maintenant cette demeure est dépendante de ma propre magie. Nous n’y risquons rien. Quant à ce Viktor, il n’a pas l’air humain. Il ne m’apparaît pas une menace pour autant, et qu’il garde cette maison serait même plutôt rassurant. »

Je caressai sa main du bout des doigts, avant de reprendre.

« Lyssena, je pense que c’est là pour moi... pour nous l’occasion de reprendre une vie ici. J’aimerais que vous restiez avec moi. Je sais que c’est égoïste, vous aviez une vie avant que me rencontrer, mais c’est là ce que j’aimerais. Quant à des projets, si la fortune d'Alin le permet vraiment, je pense que nous pourrons nous investir ensemble dans quelque chose de nouveau. »

Je m’interrompis, la regardant dans les yeux. Ses beaux yeux qui étaient les siens, elle qui m’avait aidé à me reconstruire, et à accepter qui j’étais.

Longinus m'expliqua que nous étions en sécurité grâce à sa magie. Mais sa magie serait-elle capable de se retourner un jour contre moi ? Je ne lui informai pas de mon doute. Je faisais confiance et si je sentais une quelconque menace je ferai en sorte de me protéger d'une manière ou d'une autre. En ce qui concernait Viktor il avait confiance en lui et pour lui il n'était pas humain. Je ne cherchai pas plus loin, peut-être avait-il des raisons qu'il ne voulait pas me révéler après tout ... Je me reposai donc une nouvelle fois sur son jugement et aviserai par la suite de notre Gardien.

Il caressa ma main qu'il tenait déjà depuis qu'il avait commencé à répondre à mes interrogations. Il me parla de notre arrivée, ou plus précisément de notre retour et de notre emménagement dans ce Manoir. Tout ceci pouvait nous permettre de reprendre un nouveau départ par rapport à notre passé, par rapport à ces deux ans d'isolement. Il avait envie que je reste à ses côtés. Je lui étais agréable. Je l'écoutai tout le long, ma réponse avait déjà été prise depuis notre arrivée et aucune de ses paroles charmeuses ne pouvaient changer ça.

"Longinus, vous êtes le genre de personne ... humaine que je n'avais jamais connu. Ces deux ans même si la circonstance était particulière et que c'est de votre faute, ou la faute de vos problèmes, que je suis arrivée avec vous sur une île infestée de danger et de ses indigènes très respectables. Ma réponse pourrait pencher en votre faveur, il me faudra encore réfléchir, mais je vous laisse une chance de me montrer que la vie dans un milieu civilisé peut être agréable en votre compagnie."

Je sourie de manière ironique. J'étais sur de moi, mais cela m'amusait tout particulièrement de le faire croire que des doutes étaient encore présents.

Son regard plongé dans le mien, je lui demandai quels étaient les projets qu'il avait en tête.

Lyssena me laissa comprendre que j’étais un humain particulier, et qu’elle appréciait ma compagnie. Elle désirait cependant savoir si me côtoyer loin de cet isolement serait aussi agréable que sur l’île. Elle ne pouvait pas prendre de décision sur le moment. Le collier m’insufflait une énergie douce provenant d’elle, me rappelant qu’il était toujours tellement plus plaisant d’être en sa présence.

Elle m’interrogea alors sur les projets dont j’avais parlé. Je n’avais pas lâché sa main.

« J’ai côtoyé de nombreux assassins et criminels dans ma vie, et ceux-ci ont toujours profité des habitants sans jamais rendre la pareille. Je pense que protéger ces gens trop souvent bafoués pourrait non seulement améliorer leur vie, mais également nous permettre de prospérer. Cela ne sera pas sans risque, mais je connais suffisamment de personnes bien placées pour cela. Par la suite nous pourrons offrir des services plus ou moins officiels au peuple... »

J’étais ni plus ni moins en train de lui proposer de fonder une nouvelle maison du crime.

« A terme les rues seront lavées et nous serons indispensables à la cité. Et nous serons riches et influents. Ce ne sera pas quelque chose de simple»

Une maison du crime certes, mais différentes de ce que pouvaient être les Dragons d’Or. Non plus une secte de fous dont je faisais partie, mais plus une organisation proche du peuple et diversifiée. L’Etat que Tulorim n’avait plus, possédé par des commerçants peu scrupuleux.

Tenant toujours ma main dans la sienne avec délicatesse il se mit à m'expliquer son idée d'avenir. Il voulait être une sorte de milice dans un genre un peu plus criminel pour faire payer à certains leurs méfaits.

Je n'y avais rien contre. L'idée de vouloir venger était une bonne chose, certes il y avait des idées de meurtre à la clé mais, si cela l'amusait. Tulorim était une ville infestée d'humains, chose naturelle puisque c'était une cité humaine. Faire un peu de ménage dans les rues ne pourrait pas faire de mal.

"Si cela est vraiment quelque chose qui t'intéresse je n'irai pas contre ton envie. Cela m'indiffère un peu. Ce ne sont que des humains après tout."

Je lâchai sa main pour m'asseoir sur une des marches du double escalier. Levant les yeux en sa direction je lui demandai d'une voix enjouée.

"Et que serais-je donc pour toi ? Ton associée ?"

Lyssena ne sembla pas s’offusquer de ma proposition. Les humains ne l’intéressaient guère, et à vrai dire je pouvais comprendre ce sentiment. Elle s’éloigna alors, s’asseyant sur les marches poussiéreuses. Elle me demanda alors ce qu’elle serait dans cette affaire.

« Oui un associé. Ou plutôt mon unique associée, et la fondatrice au même titre que moi. Si cette responsabilité vous convient, je ne vois pas qui mieux que vous... que toi pourrait remplir ce rôle. »

Je me rapprochai d’elle, posant un genou au sol pour être à son niveau.

« Alors dis moi Lyssena, as-tu peur du pouvoir ? Ou l’idée de l’avoir te fait-il frémir d’impatience ?... Car si tu prends cette voie avec moi, rien ne pourra jamais plus t’arrêter, et tes rêves pourront devenir réalité. »

Ma main vint frôler son visage, la douceur d’un tueur. C’est le moment que choisit Viktor pour nous annoncer que notre chambre était prête. Je me redressai alors, et avant de monter lui demandai :

« -Quand pensez vous que le manoir pourra être pleinement habitable ?
-Ma foi, en s’y attelant dès demain et en faisant venir des travailleurs la journée, d’ici deux jours je dirai.
-Seulement deux jours ?
-Oui, disons que nous pouvons faire les choses assez vite maintenant que la Sphère n’est plus vide.
-Je vois... Et pourriez vous trouver des vêtements plus décents pour Dame Lyssena, ainsi que pour moi-même ?
-Avec plaisir Sire Longinus, ils vous attendront à votre réveil. Ah oui, la chambre est au premier, sur votre droite au fond du couloir
-Parfait. Merci et bonne soirée, Viktor.
-Bonne soirée Messire. Ma Dame.»

Je tendis la main vers Lyssena, l’incitant à m’accompagner dans nos appartements.

Il voulait que je devienne son associée, que je sois au même niveau que lui, à la même échelle de décision dans son projet. Il désirait que ce soit Notre projet.

Je n'eus pas le temps de répondre quoi que ce soit puisque Viktor revient pour nous annoncer que notre chambre était prête. Il informa également que deux jours seraient suffisants pour remettre en état le Manoir. Les travaux paraissaient énormes. L'utilisation de la magie et autres machinations allaient être monnaie courante en ces lieux ...

Après avoir salué notre majordome, je montai en première les escaliers de rouge vêtu pour arriver devant la porte de notre chambre que j'ouvris pour être agréablement surprise.

Un somptueux lit à baldaquin prenait place au milieu de la pièce aux teintes brunes. Des draps de soie rouge complétaient la parure du lit entouré de dorures précieuses.

Une armoire et quelques outils de toilette étaient apposés sur une table près d'une fenêtre toujours dans le même style du Manoir.

"L'intérieur à meilleur allure que l'extérieur vous ne trouvez pas Longinus ?"

Satisfaite de notre chambre à coucher, je m'assis sur le bord du lit tout à fait confortable. Depuis ces deux ans, je n'avais goûté qu'aux paillasses posés à même le sol. Il n'y avait pas à dire, les lits de la civilisation restaient les meilleurs !

Lyssena monta la première, et nous conduisit vers la chambre à coucher. Celle-ci reflétait la grandeur que pouvait avoir le manoir dans ses lointaines années. Un instant je me demandai si Alin avait pris possession de la même chambre, mais il était peu probable. Le manoir devait lire dans les désirs de ses hôtes et les rendre le plus à l'aise possible. Le prix pour garder sa source de magie à portée...

Toujours est-il que les lieux étaient exquisément décorés. Le lit à baldaquin me rappela ce que c'était que de connaître le luxe, et les décorations murales nous mirent en contact avec un art moins rustique que les peintures de Nosval.

Ma belle alla s'asseoir sur les draps d'un rouge sang, me disant que l'intérieur était plus enchanteur que l'extérieur. Je lui souris en acquiesçant, mon regard passant du lustre aux vingt bougies à la table de chevet en chêne sculpté, avant de s'attarder sur les rideaux de velours cramoisi.

Je me rapprochai de Lyssena. La présence de ma magie tout autour de nous était au premier abord perturbante, mais se savoir protégé sans à rester concentré était finalement relaxant. Ainsi que le visage de la belle elfe. Ses joues légèrement rosées. La courbe de son cou qui appelait les baisers.

Des œuvres de cette pièce, elle était la plus délicate et la plus troublante.

"Nous voilà seuls. Cela fait un moment que ce n'était pas arrivé, n'est-ce pas?"

Longinus se rapprocha doucement de moi et me dit que cela faisait longtemps que nous n'avions pas été seuls tous les deux.

Je gratifiai sa remarque d'un léger sourire naissant sur le bord des lèvres.

"Oui cela faisait un moment en effet ... Cela fait-il plaisir au moins ?"

Il était à la fois proche de moi et beaucoup trop éloigné à mon gout. Etre dans une chambre avec lui n'était arrivée que lors de notre première rencontre. Un homme en sang, complètement affaiblit par son combat et ses blessures et moi un peu trop généreuse, en train de le soigner avec peu de moyens et de connaissances.

"Vous rappelez-vous de notre première rencontre ? ... Longinus, vous savez ... Je n'aimerais pas vous retrouver à nouveau dans cet état ... Me laisser vous soigner toute seule ... Ce n'était pas très délicat de votre part tout de même !"

Je me rapprochai de lui et me penchai pour toucher du bout des doigts son visage.

"Enfin, vous avez quelque peu évolué depuis."

Moi elfe blanche, lui humain. Je me demandais encore ce que je faisais avec lui. Mais au fond, je savais qu'il était n'était pas vraiment humain, qu'il ne l'était plus vraiment. Il avait une force et un esprit bien supérieur à la race inférieure.

L'envie d'être à ses côtés et d'être encore plus proche de lui me traversait souvent l'esprit, il devait le ressentir avec ce collier. Il percevait tout ce que je ressentais.

Mon corps près du sien avait déjà succombé à ses caresses. Il était doux, attentionné ... Complète contradiction avec son air de guerrier sans cœur et sans aucune faiblesse.

"Montrez-moi ce que vous ressentez pour moi très cher. Et exprimez vos sentiments et non ceux retranscrit dans ce collier."