Demain est un autre jour
Le crochet perce ma peau une dernière fois, me permettant de tirer sur le fil pour refermer la suture. Tel une bouche qui se clôt, ma blessure cesse de couler abondamment, réduisant l'écoulement du sang à de simples petites bavures rougeâtres qui se mêlent à la quantité non négligeable que j'ai déjà répandu dans la pièce. Mes vêtements, mes mains, mon tabouret, le sol. Je me rassure un instant en me disant qu'une partie de tout ce merdier est certainement du vin, qui n'a d'ailleurs pas cicatrisé grand chose. Je devrais accepter ces soins qu'elle me propose, même si l'idée que l'on me touche me répugne.
En reprenant mon souffle, je regarde mon journal sur le coin de la table. Trempé, déchiré, brûlé et couvert de sang, la couverture semble prête à se séparer des pages à tout moment, rendant sa manipulation fort délicate. Je ne peux m'empêcher de repenser aux mots de la donzelle qui me regarde l'air pensif. Elle a beau ressembler à une petite merdeuse, il n'empêche qu'elle a su posé le doigt sur un fait qui a du sens.
(Il n'est pas fini...) Si ce soir, j'ai survécu grâce à elle, il semble que lui non plus ne soit pas encore déterminé à rendre l'âme. Soit. Je verrais ce que je peux faire. Pour l'heure, j'ai besoin de repos.
La "Hrist" m'explique brièvement quelques règles concernant l'endroit, mentionnant mon accès aux ressources et à sa hiérarchie inexistante. Je lui indique d'un signe de tête mon accord à sa charte, préférant écourter les discussions inutiles. J'ai assez bavardé pour aujourd'hui, sa voix de chienne commence à me briser les nerfs. Posant une dernière fois la main sur le livre pour m'inciter à le prendre, elle m'indique la sortie de façon plus expéditive, rassurant mes craintes quant au flot ininterrompu de sujets de recherche.
Prenant appui sur la table, je me décide enfin à quitter la pièce, attrapant le bouquin en m'éloignant de la table. De l'autre, je rattache la ficelle de mon tablier autour de mon cou pour ne pas finir nu dans le dispensaire et récupère mon masque, sagement couché au pied du tabouret qui m'accueillait. Dernier signe de main pour la bonne femme, puis je m'en vais, refermant la porte et rompant tout contact avec elle pour la soirée.
De nouveau dans la grande salle d'accueil, l'air fade de la chambre d'à côté disparaît pour céder sa place à un fumet vicié et fétide de sang et de maladie. J'aurais adoré dormir ici cette nuit, mais la "patronne" m'a réservé un endroit plus adéquat au repos. Tant pis. J'aurais bien d'autres occasions pour assouvir ma soif de sang. Pour l'heure, je dois trouver comment accéder aux sous-sols et je n'ai pas de temps à perdre. L'un des types en blanc passe à ma portée, l'air pressé et la mine inquiète. Je m'empresse de lui attraper le bras, le stoppant net dans sa foulée. Il semblait se diriger vers ce petit garçon qui ne cesse de hurler, me permettant par la même occasion de profiter un peu plus longtemps de ce délicieux concert. Je plonge mon regard dans le sien, sans prendre en compte le mal-être qui l'habite, puis me renseigne avec tact sur l'endroit que je recherche.
"Ma chambre. Dis-moi où elle est."Le visage ferme, le prêtre secoue sa main pour se libérer, ce qu'il parvient à faire sans efforts tant la fatigue m'affaibli. Il se frotte le poignet un court instant avant d'indiquer d'un signe de menton un escalier en bois dans un coin de la pièce. En guise de remerciement, je l'informe brièvement sur ce que je souhaite avant de le laisser repartir sans demander son reste.
"Qu'on ne me dérange pas cette nuit. Demain, j'aurais besoin de soins et de quoi me nourrir. Ne l'oublies pas."Je me dirige vers les marches et commence la descente jusqu'à me retrouver face à une porte faiblement éclairée par une simple torche traitée chassant les ombres. Je pousse la poignée et dévoile une partie de la pièce à la lumière artificielle, avant de m'enfermer seul dans cet endroit qui sera le mien le temps de ma convalescence.
Très semblable à la pièce dans laquelle je me trouvais auparavant avec la "Hrist", celle-ci semble néanmoins dénuée de matériel superflu, se contentant d'une simple banquette recouverte d'une couche propre et d'une chaise en bois adjacente à une table de la même matière. Sur cette dernière se trouve une lanterne au verre sale dans laquelle brûle une bougie en fin de vie, éclairant les dernières minutes d'un hôte désireux de s'abandonner à un repos bien mérité. Je boîte maladroitement jusqu'au lit, laissant ma peau jouir du contact avec le coton froid, sensation trop rare pour un homme comme moi, habitué à la paillasse lacérante comme matelas. Ma main lâche mon masque qui tombe à terre sans un bruit, scellant le silence qui règne désormais dans la pièce. Soudain, un sentiment de panique s'empare de moi. Non pas la panique que ressent la merdaille juste avant de mourir, non. Une panique presque agréable, plutôt comme un trac.
(Alors, ça y est... Je commence une nouvelle vie. Qui aurait pensé un jour que le travail d'Ellyan Crow intéresserait quelqu'un ? Dorénavant, je mènerais mes recherches à terme, c'est une certitude. Je te l'avais dis, Kendra-Kâr. Je n'en ai pas fini avec toi...)Un sourire, du bonheur, les yeux qui se ferment pour finalement m'abandonner à ce sommeil qui me fera revivre d'entre les morts.