Kaeras tenait enfin sa gourde pleine. Elle la serra contre son coeur, puis en but une gorgée.
(Hum... Quel délice ce doux breuvage. Cela faisait si longtemps... A peine quelques heures... Déjà quelques heures !)Elle retrouva alors ses esprits et voyant le capharnaüm autour d'elle se demanda comment elle avait pu en arriver là. Alors, elle se remémora les quelques heures précédentes. L'histoire avait commencé de la même manière quelle allait se terminer, dans un délice et dans une explosion des sens...
Quelques heures plutôt :
(Hum... Quel délice que de prendre un bain. Cela faisait si longtemps... A peine quelques heures... Déjà quelques heures !) Kaeras était une prêtresse de l'ordre de Phaïtos, le dieu de la mort. Elle avait été élevée dans les dogmes rigides de ce dieu et elle devait son présent à cet enseignement. Elle était entrée dans les ordres de Phaïtos dix ans auparavant. Elle avait grandi en beauté, ses cheveux couleur feuille morte avaient poussé, son caractère s'était affirmé, très affirmé, trop affirmé sans doute. Elle n'acceptait pas l'imperfection chez les autres.
Kaeras prit l'éponge se situant à côté du baquet fumant et se savonna le dos.
(Bon je crois que ce sera suffisant pour cette fois.)
Elle reposa l'éponge sur le meuble adjacent au baquet et tendit sa main en direction de sa gourde. Elle l'agita et n'entendit que le choc de l'air contre les parois. La frayeur apparut alors sur son visage. Elle déboucha sa gourde et la renversa afin d'en voir le contenu. Ses sens ne l'avaient pas trompée, le récipient était malheureusement vide. La frayeur céda rapidement le pas à la colère. Courroucée, elle se leva laissant transparaître sa nudité à la salle vide. Son corps était entouré des volutes dégagées par le bain chauffé en permanence par les braseros l'entourant.
Elle frappa alors avec rage dans ses mains et se mit à hurler si fort que sa voix traversa le temple de Phaïtos sans aucun problème :
« Elyaaaaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhh !!!! »Une fillette d'une dizaine d'année apparut à travers l'arche de la porte. Elle possédait des cheveux blonds comme les blés qui encadraient son visage encore enfantin. Elle était encore loin d'être une femme, cependant ses traits présageaient une grande beauté future. Elle était simplement vêtue d'un robe crème en lin aux manches longues. Ses cheveux étaient noués en deux tresses retombant dans son dos. Elle ne portait pas de chaussures car elle aimait sentir le froid des dalles sur ses pieds.

Voyant Kaeras dénudée, elle se dirigea en courant vers le plateau portant les serviettes, en prit une et se remit en direction de la furie. Ne regardant pas où elle posait les pieds, la petite ne vit pas l'obstacle se présentant devant ses pieds : un peigne en os finement ouvragé offert au temple en offrande pour Phaïtos mais récupéré par Kaeras pour sa collection personnelle. Elyah tituba sur le peigne mouillée et partit en glissant en direction du baquet sur le sol de marbre noir. La pauvre Elyah ne savait pas comment s'arrêter, cependant, elle n'eut pas le temps de réfléchir longtemps car sa course fut rapidement écourtée par un autre obstacle, de taille cette fois-ci, le baquet. Elyah cogna en effet dans la baignoire et se retrouva le derrière en premier dans la baignoire en compagnie Kaeras totalement dubitative face au cirque engendré par la petite.
Toujours nue comme un ver, Kaeras toisa la petite qui se recroquevillait dans un coin du bain. Elyah savait qu'elle allait se faire passer un savon. Kaeras n'en pouvant plus de se retenir explosa en aboyant sur l'enfant.
« Elyah ! Ton comportement est inadmissible ! Tu passes ton temps à badiner alors que je souffre ! Mais tu te moques bien de ma souffrance ! Je pourrais mourir devant toi sans que tu lèves le petit doigt pour me secourir ! Tu es infernale ! Tu ne penses qu'à faire la pitre ! Mais pourquoi m'a-t-on flanqué une telle sotte ? »Elyah sanglotant dans son coin n'en pouvait plus. Elle se mit alors à éclater en pleurs à grand coup de cris et de gémissement. Les larmes inondaient ses joues ruisselant jusqu'à son menton. Elles tombaient alors dans le bain de Kaeras. Cette dernière se remit à hurler voyant le triste spectacle.
« Arrête de pleurer ! Tu vas souiller mon bain ainsi que ma personne si tu continues à pleurer comme une idiote ! Je vais devoir reprendre un autre bain à ce rythme ! Sauf que je n'ai pas le temps ! Je n'ai plus de Khori ! Oui tu entends bien, je n'ai plus de Khori ! Ma gourde est vide ! Et si je n'en ai pas dans l'instant je vais mourir ! Tu ne voudrais pas me voir mourir Elyah ? N'est-ce pas ?»La jeunette redressa alors son visage en direction de Kaeras et comprit la détresse de sa maîtresse. Ne plus avoir de Khori était pour elle synonyme de mort. Au sens propre. En effet, si sa maîtresse n'avait pas sa dose de Khori elle allait devenir une telle furie qu'elle déchiquèterait tout sur son passage. Kaeras, comme tous les enfants enlevés pour rejoindre le culte de Phaïtos avait été droguée depuis sa tendre enfance. On l'avait assujettie à la Khori, une drogue effaçant les souvenirs de la petite enfance et provoquant une importante dépendance ainsi qu'une sensation de vide lors des crises de manque. Elyah se releva et dit à Kaeras :
« Très bien nous allons arranger la situation. Mais avant vous devez vous sécher et vous habillez »
« Non, non, non et non ! Je veux ma Khoriiiiiiiiiiii !!! »« Du calme, il y en a au temple. Vous en aurez dans quelques minutes. Sortez du bain, je vais vous sécher. »L'enfant sortit la première du bain et retourna chercher une serviette. Pendant ce temps, Kaeras était sortie de son bain et attendait, se dandinant sur place d'une grande impatience. Elyah passa la serviette autour de sa maîtresse et commença à l'essuyer. Kaeras étant trop grande pour que l'enfant puisse l'essuyer de la tête aux pieds, elle se mit à genou lorsqu'Elyah arriva à hauteur de sa poitrine. Elle continua à la frotter avec douceur jusqu'à sa tête. Kaeras écarta doucement la serviette et prit sa servante dans ses bras. Kaeras se mit alors à sangloter et dit :
« Je suis désolé d'être si dure avec toi, mais tu sais comment je suis quand je n'ai pas ma Khori. Je suis insupportable. Je regrette tout ce que je t'ai dit. »La petite se blottit contre sa maîtresse et ajouta :
« Je sais. Ne vous en faites pas, je vous aime trop pour vous abandonner. Allez, maintenant que vous êtes sèche, je vais vous aider à vous habiller. »Elyah laissa Kaeras se relever. Pendant ce temps, elle alla chercher une robe pour sa maîtresse dans sa penderie. Elle lui choisit une robe noire aux motifs pourpres, une de ses préférées. Elle revint vers Kaeras et l'aida à passer sa tenue.

« Voilà que vous avez bien plus belle allure. Asseyez-vous que je vous coiffe. »Kaeras obtempéra et s'assit sur un fauteuil en bois noir devant un immense miroir. Elyah récupéra le peigne en os et retourna auprès de la Kendran. Elle peigna patiemment les cheveux feuilles mortes de sa maîtresse puis fit une tresse qu'elle laissa pendre sur le côté droit de Kaeras. Toutes les attentions d'Elyah firent un grand bien à Kaeras qui réussit à se détendre malgré la sensation de manque. La jeune fille posa la peigne sur la table et dit à sa maîtresse :
« Voilà nous sommes prêtes, nous pouvons partir à la chasse à la Khori. »
« Nous ? Tu es bien présomptueuse jeune fille. Va donc te changer. Tu es toute mouillée à cause de ton petit spectacle. »Les deux filles éclatèrent de rire. Kaeras déposa un baiser sur le front d'Elyah et lui donna une tape sur les fesses en ajoutant :
« File maintenant. »
Kaeras se releva et partit en direction de la salle des prêtres où était censée se trouver la Khori. Elle s'engagea alors dans un réseau de couloirs sombres simplement éclairés par des torches au feu vacillant. Au détour des étroits couloirs, elle voyait le regard des quelques prêtres se tourner vers elle. Elle les ignorait de toute sa superbe bien qu'elle se rendît compte qu'on l'épiait. Il fallait dire que les hommes du temple de Phaïtos n'étaient pas habitués à voir des êtres aussi sublimes. Il n'y avait aucune femme dans le clergé de Darhàm et les seules de l'assemblée n'étaient que quelques dames d'un âge certain, pour ne pas dire d'un certain âge. Kaeras ne les ayant rejoints en compagnie d'Elyah que depuis une semaine, les prêtres de Phaïtos n'étaient toujours pas habitués à sa beauté.
Arrivant à proximité de la salle des prêtres, elle accéléra le pas et se retrouva bientôt à la limite de la course. Elle arriva enfin dans la pièce. Elle s'arrêta dans l'embrasure pour reprendre son souffle et se dirigea vers l'étagère où siégeaient toutes les mixtures préparées par les prêtres. Son regard se porta en direction du deuxième étage, troisième position en partant de la droite et vit le tonneau de Khori. Elle ne fit pas attention au reste de la pièce tant elle était attirée par le tonneau. L'intérieur de la pièce était simplement meublé, ici et là quelques étagères collées aux murs contenant des fioles, des urnes, des pots. La pièce possédait en son son centre un unique bureau sur lequel était déposé un alambic en cuivre qui n'avait pas été rangé par le dernier utilisateur du laboratoire.
Elle sentit son coeur s'emballer. Elle tendit sa gourde en direction du tonnelet quand sa main cogna contre une pancarte en bois. Ses yeux se baissèrent en direction de l'écriteau et la tristesse s'afficha sur son visage quand elle lut le message :
« Plus de Khori – Prochain arrivage dans 10 jours »N'en croyant pas ses yeux, elle plaça tout de même sa gourde sous le robinet et ouvrit ce dernier. Cependant, rien ne sortit du récipient. Kaeras entra à nouveau dans une colère monstre. Elle attrapa le tonneau et recula d'un pas. Elle jeta alors la petite barrique sur l'étagère. Le projectile fracassa une flopée de fioles et de flacons remplis de diverses substances aux goûts et propriétés variées. Kaeras revint en direction de l'étagère et la renversa, brisant les derniers récipients. Elle tapait du pied, vociférait, criait, hurlait si fort que bientôt une assemblée de prêtres arriva dans la salle. Ils étaient tous vêtus de la même manière, une simple robe de bure noire avec un capuchon. Ils possédaient pour la plupart le crâne rasé ainsi qu'un pendentif en forme de corbeau signe de leur appartenance au culte de Phaïtos. Tous parurent choqués par la possibilité qu'une si chétive créature eût fait un tel carnage dans la pièce. Cependant, aucun n'osait piper mot. Certains remirent leurs capuchons sur leurs têtes espérant que ceci les protégerait de ce démon se trouvant en face d'eux. Ils ne connaissaient pas Kaeras depuis longtemps, mais quelques prêtres avaient déjà pu se frotter à son courroux, or son courroux était acéré comme des lames d'acier.
Kaeras vit alors les regards apeurés. Elle se dirigea lentement dans leur direction. Ces derniers reculèrent d'un pas ne sachant quel traitement allait leur réserver la jeune femme. Kaeras hurla alors :
« Il n'y a plus de Khori ! Comment je vais faire ? Vous êtes une grosse bande d'incapables et d'égoïstes ! Je vais vous tuer ! »Personne n'osa détaler de peur d'offrir son dos en proie à la furie. Un des prêtres, un peu plus courageux que les autres -ou alors un peu plus fou-, osa prendre la parole. Il faisait parti des plus jeunes prêtres de Phaïtos, il n'avait qu'une trentaine d'années. Chauve, il possédait des yeux bruns aussi sombres que la crypte de leur divinité. Il était charpenté comme un meuble solide aux épaules larges. Cependant, d'un voix chevrotante il dit :
« Je crois qu'ils en ont au temple de Thimoros. »« Très bien ! Vu que l'on doit toujours faire tout, toute seule, ici, je vais y aller ! »
Les prêtres parurent surpris par une telle audace. Kaeras ne savait pas dans quoi elle s'engageait. Elle allait sans doute mourir, mais cette idée soulageait les prêtres.
Kaeras se dirigea vers la sortie bousculant quelques prêtres en jouant des épaules. Aucun n'essaya de la retenir. Elle reprit les couloir en sens inverse et se retrouva dans la salle principale du temple. Bien que simplement décorée, elle imposait à quiconque entrait dans ce lieu de culte un sentiment d'écrasement. Autour du simple autel de la crypte, quelques braseros réchauffaient l'atmosphère glaciale du lieu de culte. Kaeras ne fit pas attention à la représentation de son dieu tant elle était concentrée autour d'une seule chose : sa drogue. Elle traversa la salle en coup de vent et monta les marches de l'escalier en direction de la sortie. Arrivée à l'entrée du temple de Phaïtos, son regard traversa la rue et se posa sur la porte du temple de Thimoros. Elle prit son courage à deux mains et se décida à aller en face en direction de cette porte aux mains ensanglantées..
Elle franchit le seuil du temple de Phaïtos et se retrouva dans une rue déserte bien qu'il fût assez tôt dans l'après-midi. Il fallait dire que les temples n'étaient pas les endroits les plus fréquentés à Darhàm. Les tavernes du front de mer étaient bien plus charmante aux yeux des autochtones que les lieux de foi et de prière. Cependant, si Kaeras était venue à Darhàm c'était bien pour faire changer cet état de fait. Elle n'espérait pas convertir tout Darhàm au culte de Phaïtos. Elle savait cela impossible. Il suffirait juste de trouver le nombre de fidèles suffisant pour pouvoir écraser les autres cultes de la ville afin que Phaïtos deviennent le dieu tutélaire de Darhàm. Ce ne serait bien dur après tout, elle avait de l'expérience dans ce domaine, elle avait usé sa force de conviction dans différents villages voisins.
Kaeras retrouva bien vite ses esprits et se rappela son but actuel : trouver de la Khori. Elle s'engagea alors en direction du temple du frère de son dieu. Cependant, Kaeras était tellement obnubilée par la sensation de manque qu'elle n'avait pas remarqué la réelle raison du vide dans les rues. En effet, un groupe de morts vivants rodaient dans la rue entre les deux temples. Ceux-ci quand ils aperçurent la jeune femme se mirent à marcher dans sa direction à un rythme lent mais constant. Le groupe n'était qu'un rassemblement de cadavre ambulant semblant être animé par une conscience unique. Les morceaux de peau et de chair putréfiée voguaient au gré de leurs mouvements, se balançant de droite à gauche accompagnant le groupe de cadavres dans leur marche macabre.
Le temps qu'elle se remette en marche suite à ses pensées vagabondes, les morts-vivants n'étaient plus qu'à quelques enjambées d'elle. Ils scrutaient dans sa direction en tendant leurs bras gris et pourris afin de tenter de l'agripper. Kaeras dépassa le groupe sans les voir et sentit alors une main sur son épaule. Mécaniquement, elle frappa sur la main qui se dégagea par réflexe. Elle agissait de manière plus ou moins inconsciente tant l'effet de l'absence de sa drogue la rendait peu lucide. Son esprit n'arrivant à penser qu'à la Khori, elle n'arrivait pas réfléchir et à se dire que cette main sur son épaule n'était pas normale.
Elle continua sa route comme si de rien était mais s'aperçut que sa main était légèrement visqueuse. S'étant lavée quelques minutes auparavant, cela ne pouvait pas être un reste de saleté. Cela devait donc venir de la main qu'elle avait touchée en la frappant. Elle pensa qu'il s'agissait d'un mendiant qui avait tenté de l'arrêter pour lui demander une pièce ou deux. Elle prit alors une mine dégoutée et poursuivit son chemin. Au retour, elle devrait à nouveau se laver à cause de ce puant.
(Quelle horreur, ces chiens immondes, on devrait les exterminer. Ils n'apportent que maladie et gangrène ! Toujours là à mendier, jamais là pour travailler. Rahhhhhh ! Quelle horreur !)Elle entendit des cris d'outre-tombe dans son dos. Cependant, ceci ne la fit pas frémir. Sans aucun doute un prêtre de Phaïtos un peu fou qui tentait d'imiter les morts. Comme si les morts pouvaient crier. Elle arriva bientôt sur le perron du temple ennemi, s'arrêta devant la sinistre porte et se retourna. Elle vit alors les cadavres continuer à avancer dans sa direction. Vraiment, les mendiants étaient de plus en plus négligés. Et dire que l'un d'entre eux avait osé la toucher. Elle allait sans doute mourir de la peste avant d'avoir pu récupérer sa dose Khori. Cependant, retrouvant son courage, ou sa folie, elle s'engagea à l'intérieur du temple laissant dans les rues les morts-vivants seuls.
Elle poussa la porte aux mains ensanglantées et clouées contre cette dernière. Franchissant le seuil, elle tomba nez à nez avec un prêtre gardant le temple. Il était en apparence semblable aux prêtre de Phaïtos bien que derrière son regard noir on pouvait deviner un esprit sadique et torturé. Ce dernier, intrigué par la présence de la belle lui demanda :
« Que faites-vous là ? Savez-vous que le temple est interdit aux femmes impures ? »
Kaeras décida de jouer le jeu du charme et se mit à papillonner des yeux.
« Voyez-vous, je suis venue ici pour demander à ce qu'on mon sacrifie en l'honneur de votre dieu. J'en ai assez de cette vie de paix, je veux que mon sacrifice apporte la guerre à Darhàm afin que le nom de notre sauveur et rédempteur soit loué pour les siècles et les siècles. »Le garde parut surpris, en effet, les suppliciés volontaires se faisaient de plus en plus rare, surtout à Darhàm, surtout chez les femmes, surtout celles sublimes. S'il amenait cette proie au grand-prêtre en le convainquant qu'il l'avait convertie et décidée à se sacrifier, il serait sans doute promu à un rang supérieur à celui de prêtre-garde. Peut-être serait-il promu au rang de prêtre-sacrifice et qu'il pourrait tuer et torturer à tour de bras. Il ajouta alors :
« Je vais vous conduire jusqu'au grand-prêtre, mais laissez moi parler, sinon, il n'acceptera pas votre sacrifice. Suivez moi, il se trouve actuellement dans le laboratoire d'alchimie en train de préparer des potions. »Kaeras était ravie, la chance semblait enfin lui sourire. Le prêtre-garde la mena en direction de la salle de préparation. L'odeur du sang arriva aux narines de Kaeras. Elle n'appréciait pas cette odeur, mais elle s'en accommoda tant bien que mal tant ceci n'était que secondaire. Ils traversèrent la pièce principale aux murs repeints du sang des victimes des sacrifices. Le regard de Kaeras ne s'attarda pas sur les colonnes noires, mais se posa directement sur l'autel. Ce dernier n'avait pas été encore totalement nettoyé. On voyait, épars, des morceaux de boyau, un oeil, des os... Vraiment les prêtres de Thimoros n'avaient aucun sens de l'esthétique. Le prêtre toqua à la porte et entra :
« Oh grand-prêtre, voyez ce que je vous amène. J'ai trouvé cette femme alors qu'elle errait dans les rues sans foi ni loi. Je lui appris à connaître notre dieu, à le chérir, à l'adorer. Depuis, elle a pris conscience d'une nécessité absolue, elle doit se sacrifier en l'honneur de notre culte. »
Le grand-prêtre leva les yeux de ses flacons, ainsi que de son livre, et jaugea Kaeras. Elle ferait en effet un joli sacrifice en l'honneur de son dieu. Il prit alors la parole :
« Bien, bien, voilà un beau spécimen que tu nous apportes là. Sache que ton dieu te sera reconnaissant, son culte aussi. Si elle se révèle pure, tu seras grandement récompensé. Pars, je te rappellerais pour te faire part de mon avis. »Le garde obtempéra et ressortit comme il était entré laissant seule Kaeras face au grand-prêtre. Ce dernier portait une robe à capuchon bien plus détaillée que les simples robes des prêtes normaux. On avait teint sur le tissus noir des formes d'organes humains dans des tons pourpres. Le prêtre baissa son capuchon et Kaeras put apercevoir son visage. Il était formé de nombreuses rides et plis. L'homme avait été buriné par le temps, ses longs cheveux gris et sales étaient la marque d'une grande et longue activité auprès du culte de Phaïtos. Après l'avoir observé, elle fouilla la pièce à la recherche de Khori. Contrairement à la salle des prêtres de Phaïtos elle ne savait pas où chercher. Le prêtre se rapprocha alors d'elle :
« Femme, je vais devoir juger si tu es pure pour notre dieu, j'espère que tu ne me fais pas perdre mon temps. Surtout ne parle que si je te l'ordonne, sinon tu seras punie. Maintenant déshabille-toi. »Kaeras délaça son corsage et fit glisser sa robe le long de son corps. Le prêtre pensa alors qu'il allait passer un bon moment. Il se dirigea vers Kaeras et tendit sa main en direction de ses reins afin de la rapprocher de lui. Cependant, Kaeras saisit le bras du vieil homme à deux mains et le lui retourna provoquant chez le prêtre un rictus de douleur. Ce dernier demanda dans un râle de souffrance :
« Que voulez-vous !!! Je croyais que vous étiez là pour être sacrifiée !!! »« Jamais de la vie, je suis là pour prendre votre Khori, j'en ai besoin, je suis en manque !!! »
« Quoi ? Mais qui êtes-vous ? »
« Je m'appelle Kaeras, prétresse de Phaïtos, le frère de ton dieu de pacotille, Thimoros. Et si tu ne me donnes pas ta Khori je vais te réduire en bouillie !!! »L'homme se débattit pour tenter de se libérer de l'emprise de la jeune femme. Il tira un coup sec sur bras qui se déboita mais se retrouva libre. Kaeras chuta au sol, déséquilibrée. L'homme en profita pour récupérer son sceptre magique. Il incanta une formule à mi-voix le temps que Kaeras se relevât puis lança un projectile lumineux dans sa direction. Ce dernier était d'une forme allongée, comme un stalactite de lumière blanche. Elle reçut le sort dans le bas ventre et fut projetée contre une étagère derrière elle. Son souffle fut coupé par la douleur et elle perdit conscience quelques instants. Elle retrouva ses esprits peu de temps après, mais resta allongée au sol attendant que le prêtre se rapprochât d'elle. Elle avait mal au ventre, elle avait envie de vomir, cependant, la sensation de manque, la colère ainsi que l'envie de tuer ce prêtre lui permettaient de rester immobile en attendant le moment de sa vengeance.
Ce dernier ne se fit pas attendre et se dirigea vers Kaeras afin de vérifier si elle était belle et bien morte. Il retourna la jeune femme afin de la mettre sur le dos. Il approcha ensuite son visage en direction du sien afin de voir l'état de ses pupilles. Kaeras profita de l'occasion pour planter ses ongles dans les yeux du vieillard. Elle sentit une légère résistance bien que ses ongles acérées pénétrassent d'environ un centimètre dans l'un de ses globes oculaires.
Ce dernier se recula en hurlant de douleur se tenant les yeux entre ses mains. Du sang coulait entre ses doigts à petit flot. Kaeras se releva promptement et prépara un sort de souffle de Thimoros. Elle lança son sort sur le grand-prêtre qui se retrouva soufflé sous la puissance adverse. Il tomba au sol en chancelant.
Kaeras, haletante, se jeta alors sur lui et lui arracha son sceptre des mains. Elle agrippa par le col et le secoua de toutes ses forces. Bien qu'épuisée, elle se sentait envahie d'une puissance étrangère dans l'unique de but de retrouver de la Khori.
« Dis-moi où se trouve ta Khori, je ne rigole plus ! »
« Très bien, elle se situe dans ces flacons en verre mauve là-bas. »« Eh bien voilà. Merci et adieu... »Elle approcha alors sa main contre le visage du grand-prêtre et lança un nouveau souffle de Thimoros. La tête du vieil homme fut alors fracassée à cause de la proximité de Kaeras. Des morceaux de cervelle, d'os et de sang éclaboussèrent le corps de la jeune femme ainsi que le sol.
Kaeras se releva, laissant le corps gisant au sol, et repassa sa robe. Elle était dans un état d'extrême fatigue, cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas autant usé de pouvoir. Elle devrait se reposer, mais ce n'était pas le moment. Elle se dirigea en direction des flacons de Khori et en versant un flacon à l'intérieur de sa gourde vide. Elle s'agenouilla ensuite et but le fond de la bouteille.
Kaeras tenait enfin sa gourde pleine. Elle la serra contre son coeur, puis en but une gorgée.
(Hum... Quel délice ce doux breuvage. Cela faisait si longtemps... A peine quelques heures... Déjà quelques heures !)
Elle retrouva alors ses esprits et vit le capharnaüm autour d'elle. La Khori l'avait à nouveau poussée à faire des choses horribles. Cependant, elle se sentait plus relaxée, la sensation de fatigue s'était légèrement estompée sous l'effet de la drogue, elle planait un peu, comme si le monde autour d'elle n'était qu'un rêve. Cependant il restait un problème de taille, un grand-prêtre de Thimoros mort dans son propre temple. Il allait falloir fuir maintenant...