Précédemment : ici((( Certaines scènes de ce rp sont à forte connotation sexuelle/violente/gore, aussi est-il recommandé aux lecteurs sensibles d'y réfléchir à deux fois avant d'en entamer la lecture.)))Yurlungur était morte de fatigue. Elle se laissa tomber à genoux à côté du blondinet qui paraissait comme assoupi et chercha dans son sac pour en extirper la gourde qu'elle avait volé, il y avait bien deux ou trois semaines de cela, à un inconnu qu'elle venait de tuer. C'était comme si une éternité avait passé depuis la dernière fois. La gourde n'était pas pleine, mais il devait bien rester quelque chose... Elle apporta le goulot à ses lèvres et un liquide rafraîchissant vint lui faire le plus grand bien. Ce n'était pas de l'eau. Elle haussa les épaules, s'essuya la bouche puis rangea à nouveau la gourde vide dans son sac. Qui sait, elle pourrait en avoir besoin.
La petite fille était néanmoins couverte de sang et le décor était trop sanglant pour qu'elle laisse Calua s'éveiller là. S'approchant du brancard resté au milieu du chemin, elle plaça doucement sa main contre la poitrine de l'homme qu'elle avait tailladé à la mort il y avait quelques jours de cela. Mine de rien, elle l'avait bien amoché, mais pas tué, comme le précisaient les quelques faibles battements de cœur qu'elle percevait à travers les côtes du blessé. Elle le détacha et, sans ménagement, le fit rouler sur le côté. Puis, saisissant sa dague, elle la plaça pile au-dessus du cœur, une main pour tenir et l'autre pour appuyer sur son arme de prédilection. D'un coup bref, l'homme mourut. Elle jeta le corps à côté du mage et du félin dans le petit lac de sang qui s'était formé.
Elle jeta un regard sur Calua, en arrière sur les cadavres, puis à nouveau sur Calua. Hésitation. Espérant que le blondinet ne se réveille pas tout de suite, elle se persuada qu'il fallait bien vivre et qu'elle avait mérité une petite récompense. S'approchant des quelques cadavres, elle fouilla rapidement dedans au cas où il y ait quelque chose d'intéressant à récupérer. Puis, cette tâche ingrate mais nécessaire faite, elle revint vers Calua. Approchant le brancard, elle le plaça dessus et l'attacha solidement. Il semblait encore dans les vapes – heureusement, d'ailleurs. Du peu qu'elle avait vu du fonctionnement de ce transport de fortune pour grands blessés, il suffisait de laisser la civière glisser contre le sol tout en la maintenant légèrement penchée par rapport à l'horizontale. En tenant les deux extrémités dans ses mains, debout, c'était à peu près à la même hauteur que la panthère qui la tirait autrefois.
Calua était plutôt léger, à moins que ce soit le brancard qui soit bien conçu. Ils s'enfoncèrent ainsi dans le bosquet et, lorsqu'ils ressortirent, ils débouchèrent immédiatement sur une intersection. Les panonceaux de bois étaient tous plus vieux les uns que les autres, couverts d'une mousse qui empêcherait presque leur lecture. Yurlungur dut plisser les yeux en les observant pour bien distinguer les directions annoncées. Évidemment, Dahràm était indiquée de la direction d'où ils venaient. Omyre était en face, tandis qu'un fleuve était annoncé par la gauche et les ruines d'Ernestör par la droite. Elle sourit. C'était presque trop facile... Elle n'eut que le temps d'entendre un battement d'ailes avant de voir surgir de nulle part le papillon bleu qu'elle avait déjà croisé dans le camp des brigands. Mais alors qu'elle avait perdu tous ses moyens la dernière fois – il était vrai qu'il était magnifique –, elle garda une posture méfiante vis-à-vis de lui pour cette nouvelle rencontre.
«
Ah, enfin ! »
Son ton était celui de l'exaspération la plus totale. Il voletait tranquillement autour d'elle et semblait comme attiré instinctivement par le sang séché qu'elle gardait encore sur elle.
«
Ce n'est pas trop tôt. Fais pas attention à ces panneaux, petite, ils ont échangés celui du fleuve et celui des ruines d'Ernestör. Tu sais, là-bas, là où tu trouveras une certaine Shaakt qui... »
Elle ne l'écouta même pas jusqu'à la fin. Bien qu'elle sentit un moment l'envie d'aller à la rencontre de ladite Shaakt pour l'étriper, il fallait qu'elle se lave avant tout. Calua ne comprendrait pas, sinon, lorsqu'il se réveillerait. Ainsi, comme si elle n'avait pas écouté le papillon, elle se dirigea vers la droite, là où le panneau indiquait les ruines.
«
Mais... Mais... Qu'est-ce que tu fais ! Je peux pas rester, là, d'accord ? Mais perds pas ton temps, je te dis que c'est pas par là ! Raah, qu'est-ce que tu m'énerves... »
Il repartit aussitôt dans l'autre sens en grommelant quelques injures à l'adresse de la petite fille. Cette dernière, son air maussade disparaissant, se retourna un instant pour regarder en arrière. Il avait disparu. Elle ne put retenir un sourire. C'était tout de même un magnifique papillon... De toute façon, il fallait qu'elle aille à la rivière avant.
***
Après quelques minutes à peine de marche, un ruisseau se découvrit à ses yeux. Un fleuve, ça ? Elle ne put retenir un petit rire, enleva ses vêtements et commença à laver tout, sa peau comme couverte d'écailles rougeoyantes autant que le tissu souillé. C'était avec une douceur étrange, presque naturelle, qu'elle faisait ces gestes si différents de ceux de tout à l'heure avec les brigands, des volutes rougeâtres se diffusant autour d'elle dans l'eau claire. Mais les brigands étaient morts, elle était en vie. Un rire joyeux résonna dans la nature en fête tandis qu'elle détachait de son corps la dernière plaque de sang séché. Soudain, elle perçut un bruit dans un buisson derrière elle et se retourna en rougissant.
Un homme plutôt jeune, portant toutefois une barbe rousse légèrement frisée, rougit à son tour en bafouillant quelques excuses d'un buisson non loin. Yurlungur, devenue plus cramoisie qu'une tomate grillée, saisit ses vêtements sur la rive à côté pour cacher ses parties intimes et se mit à hurler, brisant l'harmonie de ce lieu.
«
Ma... Mademoiselle, je vous en prie ! Je ne voulais pas, j'ai perdu mon chemin et... »
Yurlungur hurla de plus belle. Finalement, le protecteur de cette demoiselle se réveilla, légèrement ébranlé par son séjour au pays des songes et par ce réveil aussi brutal qu'inattendu. Le visage de Yurlungur s'empourpra d'autant plus mais elle s'arrêta de crier, souhaitant simplement cacher sa honte dans ses vêtements en reculant pas à pas. Calua à son tour rougit en apercevant la bien courte tenue de la fillette – ou plutôt l'absence de tenue – et ce ne fut que quelques instants plus tard qu'il aperçut la cause de ces cris. Entre temps, l'homme avait essayé de s'approcher pour calmer la petite fille. S'il y avait bien une chose qu'il n'aurait pas dû faire, c'était bien ça. Le sang monta à la tête du noble prince qui, non pas réveillé par un baiser mais par un hystérique hurlement de sa belle, fonça au triple galop – sans cheval – sur la créature qui aurait pu cracher des flammes mais qui, pour l'occasion, ne portait qu'une tignasse rousse sur le menton en guise de tribut. D'un coup de poing formidable, le blondinet autrefois assommé envoya valdinguer le vulgaire ennemi qui, sans demander son reste, s'enfuit à toutes jambes de là où il était venu.
Yurlungur tremblotait dans son coin, le dos tourné au combat. Elle frémit lorsque le bras de Calua vint se poser sur ses épaules. N'avait-il donc pas remarqué qu'elle était nue comme un ver et honteuse comme jamais ? Elle tourna un regard d'abord furieux vers le jeune homme, fureur qui se transforma aussitôt en la timidité la plus grande lorsque ses yeux croisèrent ceux de Calua, yeux dans lesquels une tendresse sans limite transparaissait.
«
Il ne t'a pas fait de mal ? »
Elle s'arracha à la contemplation de ce beau visage blond pour cacher ses larmes puis répliqua :
«
Non. Je... Je vais me rhabiller. »
Son contact la brûlait. Était-ce normal ? Son cœur, son cœur battait plus vite que jamais, plus vite que lors de tous les combats qu'elle avait pu faire, mais il n'y avait pourtant aucun danger... Dépassée par les événements, elle ne pouvait que trembloter en espérant, paradoxalement, à la fois garder pour toujours ce bras protecteur sur son épiderme et le voir s'en aller au plus vite. Il n'insista pas et retourna sur la berge tandis qu'elle fonçait dans un buisson remettre ses vêtements, encore stupéfaite et incapable de penser à tout ce qui s'était passé, aussi bien physiquement que psychologiquement. Dans sa hâte, elle n'avait pu laver ses cheveux. Tant pis, ceux-ci resteraient noirs pour le moment. Revenant ensuite vers Calua, elle évita son regard tandis qu'ils continuaient à pied leur chemin vers le croisement précédent. Le jeune homme observa les panneaux et, avant qu'il ne puisse demander quoi que ce soit, la fillette indiqua d'un ton cassant :
«
C'est par là. »
En désignant la direction du soi-disant “fleuve” selon les panneaux. Calua ne posa pas d'autres questions et vint la rejoindre dans un silence tendu. Le chemin caillouteux qu'ils suivaient continuait dans une forêt un brin menaçantes, les arbres nimbés dans une brume mystérieuse. De chaque côté, des colonnes effondrées gardaient l'entrée de ce lieu antique.
«
Pas très rassurant. »
Le timbre de la voix de Calua confirmait ses paroles. Même s'il n'y avait aucune raison valable, la petite fille ne pouvait s'empêcher de se sentir piquée par les mots du jeune homme. Oh, ce dernier n'avait rien contre elle et elle le savait pertinemment, ce qui rendait son amertume d'autant plus profonde et injustifiée.
«
Oui, bah, si t'as peur, tu peux t'en aller. De toute façon, si t'es aussi fort au combat que tout à l'heure... »
Elle laissa sa phrase en suspens, s'en voulant aussitôt d'avoir ainsi plombé l'ambiance. Pendant quelques instants, Calua ne dit rien et ils restèrent immobile à contempler la forêt sans oser y entrer.
«
Qu'est-ce qui s'est passé, en fait ? demanda-t-il d'un ton gêné.
Le colosse... Qu'est-il devenu ? Je me souviens qu'il était là. »
À nouveau, elle se sentit coupable sous le regard presque inquisiteur de Calua. Ne l'avait-elle pas délibérément assommé pour rester tranquille le temps du combat ? Elle se força à faire un sourire adorable et répondit :
«
Eh bien, tu as glissé sur un caillou et tu es tombé. Ensuite, ben, je crois que tu es tombé dans les pommes. Mais ne t'inquiète pas, je me suis débrouillée. »
Cela sonnait faux, presque ironique en fait. Et il avait certainement dû voir les blessures qu'elle avait tout à l'heure, au bord du ruisseau. Des blessures à peine refermées pour la plupart, qui ne pouvaient dater que de cet affrontement. Elle se mordit la lèvre, jeta un regard aux alentours. Rien ne l'aiderait à s'en sortir et Calua attendait plus de détail, en particulier sur le colosse. Elle le fixa à nouveau.
«
J'ai simplement combattu rapidement, puis j'ai pris leur blessé en otage, tu sais, le type qui était sur le brancard. On a négocié un accord, parce qu'ils savaient que je pouvais le tuer et que je savais qu'ils étaient plus forts que moi, évidemment. »
Cela sonnait plus juste. Elle n'avait de toute manière aucune envie que Calua sache de quoi elle était vraiment capable : autant le laisser croire qu'il pouvait lui être utile pour la protéger, c'était plus romantique... La voix dans sa tête lui lança une remarque méprisante qu'elle ignora purement et simplement. Mais il était vrai qu'elle n'avait jamais été bien romantique jusqu'à présent, jonglant principalement entre sang, tripes, cervelle et autres mets peu ragoûtants pour un humain normalement constitué.
«
Du coup, eh bien, je me suis tout de même arrangée pour récupérer le brancard, et nous voilà. Ils sont repartis dans l'autre sens, vois-tu. Ils avaient sans doute oublié quelque chose à Dahràm. »
Et voilà. Plus aucune chance de les croiser avant qu'ils rentrent, c'était tout ce qu'il lui fallait. Et puis, pour les cadavres sur le lieu de l'affrontement, quelqu'un aurait la décence de leur donner une sépulture d'ici leur retour, ou bien elle s'arrangerait pour cacher tout ça à Calua... Les corps seraient peut-être trop décrépis pour qu'on les reconnaisse ? Elle avait encore le temps d'y songer.
«
Bon. On y va ? »
Calua chercha à la sonder du regard pendant quelques instants mais le visage enfantin de la petite fille resta insensible à cette tentative. Il sourit à son tour.
«
On y va. »
«
Halte-là, les enfants ! »
Ils sursautèrent et regardèrent en face d'eux. Le papillon bleu émergea des bois et Yurlungur soupira. Le blondinet ayant remarqué ce mouvement d'impatience demanda, alerté :
«
Attends ? C'est quoi, ça ? »
«
C'est rien, mon beau, répliqua le papillon d'une voix amusée.
Laisse-nous parler entre grands. Alors, Yuyu ! J'ai trouvé ce nom sympathique, je vais t'appeler comme ça dorénavant. Alors, Yuyu, disais-je, tu t'apprêtes enfin à aller retrouver ma maîtr... la Shaakt ? Bon, grouille-toi un peu, vous avez du retard. Les Elfes noirs ont déjà installé leur campement dans les ruines et ils cherchent l'entrée du souterrain où se trouve la relique, ils l'auront trouvée d'ici peu. L'entrée, hein, pas la relique ! Quant à votre amie la Semi-Elfe, je l'ai vue passer puis je l'ai perdue. Elle est habile, vous feriez mieux de vous dépêcher. Allez, les mômes, pas de repos ! Mais en revanche, passez pas par là. Vous vous feriez repérer dès le début par les mercenaires installés sur les côtés. Bon, je dois y retourner. Mais je compte sur vous, hein ! Ne me décevez pas. »
Aussi vite qu'il était apparu, le papillon bleu fonça dans les airs et disparut entre les arbres. Yurlungur avait écouté attentivement et se sentait désormais emplie du désir d'aller voir elle aussi, et le plus vite possible. Après tout, Liniel allait sans doute trouver la relique avant eux s'ils ne se dépêchaient pas ! Calua était lui aussi tendu désormais mais il attrapa le bras de la fillette avant d'avancer plus loin.
«
Attends. C'était quoi, au juste, ça ? Tu ne m'as toujours pas répondu. J'ai au moins autant que toi l'envie d'aller voir là-bas, mais ça, ça me dépasse. Un papillon qui parle ? Tu ne trouves pas ça étrange ? »
«
Non. C'est la troisième fois que je le vois, ton papillon, il n'a pas l'air de m'être hostile. On ferait mieux de l'écouter, d'ailleurs, il a sûrement quelque chose derrière la tête, mais ça m'étonnerait que ce soit en mal pour nous. Après tout, il m'a déjà sauvé une fois. »
Calua ne trouva rien à y redire. Lui n'avait pas encore sur son tableau de chasse la protection de la vie de la petite fille, à moins qu'on considère qu'elle était en danger tout à l'heure au ruisseau – et encore. Elle soupira et se mit à avancer à travers les branchages de la sombre forêt, quittant le chemin, il s'empressa de la rejoindre en courant derrière elle. Ils parcoururent ainsi une petite centaine de mètres pendant laquelle la petite fille ne cessait de se sentir agacée par les craquements clairement audibles que Calua faisait en marchant n'importe où. Yurlungur faillit, par insouciance, entrer directement dans la clairière où les mercenaires s'étaient installés et fit immédiatement un pas en arrière, rentrant ainsi en plein dans le bruyant blondinet qui la suivait. Elle étouffa dans la bouche de ce dernier la plainte qui allait en sortir en plaçant une main sur ses lèvres pour l'empêcher de parler. Puis elle observa. En gardant bien sûr ses doigts sur le large bec de son acolyte.
Il y avait là quatre mercenaires qui avaient monté un camp de tentes dans cette clairière. Ils ne devaient pas tous être là et bien d'autres devaient surveiller le reste de la forêt et des accès aux ruines. Ce qui était certain, c'est qu'ils gardaient le chemin à côté et que, si Yurlungur et Calua étaient effectivement passés inconsciemment par là, ils se seraient fait arrêter et certainement tuer, au vu des lames tranchantes qu'ils arboraient tous à leur ceinture. La petite fille réfléchit. L'idéal aurait été de passer sans faire d'encombre, mais avec Calua, c'était presque impossible à moins de les contourner largement. Et encore. Elle observa encore.
Le camp était circulaire et centré autour d'un feu éteint entouré de pierres polies. Les mercenaires n'en étaient pas à leur première mission, clairement, et leur groupe était assez hétéroclite, contenant apparemment une toute jeune recrue. Au milieu, un mannequin avait été dressé et, tandis que deux des soldats buvaient tranquillement dans une choppe à côté d'une des tentes, un autre semblait expliquer au plus jeune une technique de combat. La fillette, toujours cachée, plissa les yeux. Calua lui chuchota qu'ils devaient essayer de passer, elle lui fit signe de se taire et l'ignora. Il soupira – ce qui exaspéra d'autant plus Yurlungur qui lui lança quelques éclairs des yeux pour le calmer – puis croisa les bras sur sa poitrine et se tut.
Dans le camp, l'ancien montrait au nouveau une prise sur le mannequin. Il plaçait ses mains de chaque côté de la tête et, aussitôt, les fit pivoter d'un coup bref. La tête du mannequin pivota et il expliqua quelque chose que la fillette n'entendit pas, mais à quoi le jeune homme attentif acquiesça avec hâte. Il se plaça à son tour en face du mannequin et effectua le même geste, avec cependant une habileté moindre. L'esprit de la petite fille qui épiait ce moment tournait à toute allure. Oui, il lui semblait bien avoir déjà vu des tueurs employer cette technique. En principe, de ce qu'elle connaissait du corps humain après ses nombreuses violentes dissections, cela devait suffire à briser certains os du cou et donc, la tête n'étant plus tenue, à tuer la victime. Elle n'en comprenait pas exactement le mécanisme, mais il lui suffisait de savoir que cela avait de grandes chances de tuer la victime.
(Et si...) Elle réprima cette idée aussi vite qu'elle était apparue. C'était bien trop dangereux. Cependant... Elle ne put s'empêcher de répéter à quelques reprises le geste dans le vide devant elle sur un ennemi invisible. Le mouvement n'avait pas l'air trop compliqué.
Le petit nouveau s'excusa auprès de l'ancien qui l'autorisa à partir d'un geste. Aussitôt, le bleu se dirigea droit vers Yurlungur et Calua. Cette dernière, surprise, saisit son compagnon par le col et s'aplatit sur le côté en veillant à garder sa main sur la bouche du blondinet. Le jeune mercenaire passa à côté sans les remarquer tandis qu'elle retenait sa respiration. Puis elle se releva et, fixant Calua qui était encore allongé – et étonné -, elle lui fit clairement comprendre qu'il ne devait pas bouger. Il acquiesça de la tête et elle suivit l'inconscient nouveau qui s'éloignait déjà de ceux qui auraient pu le sauver. Non, finalement, ce n'était peut-être pas si dangereux que ça.
Elle ne devait simplement pas rater son coup. Elle s'arrêta en même temps que lui et, le jeune homme se mettant à siffloter tout en baissant le devant de son pantalon, elle sourit. Le bruit de l'urine qui coulait allait lui servir à ne pas être perçue. Lentement, elle s'avança, retenant complètement sa respiration pour éviter d'être repérée, bien qu'elle doutât fort de la capacité de ce bleu à la repérer. Elle fit quelques pas et, une fois arrivée à quelques centimètres de l'homme qui la dominait tout de même d'une bonne tête, elle plaça sans hésitation ses mains de chaque côté de la tête. De la même manière que l'autre avait fait juste avant, elle les fit brutalement pivoter avant que sa proie n'ait le temps de réagir : un craquement sourd retentit et elle eut le plus grand des mal à retenir le corps suffisamment pour qu'il ne fasse pas trop de bruit en chutant. Une fois posé, elle regarda ses mains stupéfaite.
Coup de chance ou véritable adresse ? Dans le doute, elle enfonça tout d'abord à quelques reprises sa dague dans le corps inerte (n'aurait-il pas pu être évanoui ?) puis elle s'exerça sur le cadavre plusieurs fois, essayant de bien prendre son appui de chaque côté de la tête. Après quelques tentatives, il lui sembla que placer ses doigts sur les tempes de la victime était le plus facile et qu'il valait mieux tirer avec sa main droite, naturellement plus puissante en vertu de sa nature de droitière. Après une dizaine d'essais en répétant rigoureusement ce protocole, elle crut être arrivée à un niveau suffisant. Les yeux déjà étaient devenus laiteux et elle les regardait en rigolant doucement.
(Et si...) Un plan germa dans son esprit. Et elle ne le considéra pas comme trop dangereux.
Elle revint doucement vers le camp et fit signe à Calua de s'éloigner. Puis elle guetta une réaction. Au bout de quelques minutes, l'ancien s'impatienta et commença à appeler celui qui était parti – pour toujours. La fillette croisa les doigts et, effectivement, le mercenaire partit le chercher seul. Elle le suivit discrètement. Croyant sans doute être hors d'atteinte de quoi que ce soit, il ne prit pas garde de cacher sa présence ou de chercher quelque chose d'autre qu'un maladroit et inexpérimenté jeune homme. Dommage pour lui. Yurlungur se glissa à nouveau dans son dos et le saisit de chaque côté du visage. Cette fois-ci, il eut le temps d'émettre un cri bien vite étouffé lorsque les mains délicates de la fillette se tournèrent aussi brutalement que la fois précédente. Le même craquement retentit et la petite fille laissa le corps tomber au sol. Les deux derniers n'allaient pas tarder à arriver maintenant que cette dernière victime avait donné l'alerte avec son cri. Elle se cacha à nouveau dans les fourrés.
Alertés par la clameur, les deux derniers arrivèrent, bien trop tard cependant. Restant groupé, l'un d'eux découvrit le corps tandis que la petite fille souriait, dévoilant des dents blanches et une expression carnassière. L'autre rejoint le premier et ils se penchèrent sur le corps pour vérifier s'il était mort. La fillette se glissa derrière le second et en fit de même avec lui. Malheureusement, il réussit vaguement à s'échapper de son étreinte et s'en tira sans dommage, repoussant brutalement la fillette en arrière d'un coup de botte bien placé dans l'estomac fragile. Une douleur fulgurante la traversa.
«
Ah, c'était donc toi ! Tu vas payer ! »
Ils dégainèrent des lames brillantes et, tandis qu'elle se relevait lentement, ils s'approchèrent, prêts à en découdre. Il fallait croire que son plan n'était pas si parfait que ça... Soudain, l'un d'eux reçut un coup sur la tête et s'effondra. Derrière lui, Calua venait de l'assommer avec une lourde branche qu'il saisissait à deux mains. C'était plus qu'il n'en fallait pour distraire le second. Yurlungur lui sauta dessus lorsqu'il se retourna vers Calua et, avant qu'il ne puisse esquisser le moindre geste, elle lui trancha la gorge sur l'effet de surprise.
Elle se releva après avoir vérifié que le cœur ne battait plus. Il lui était difficile de retenir ses mouvements, mais en présence de Calua, c'était nécessaire. Elle lui adressa un sourire couplé d'un regard presque interrogatif mais il ne dit rien concernant les manières de la jeune fille. Ils pouvaient avancer. Ils passèrent le camp à présent désert sans se cacher et sans encombre. Puis continuèrent dans les fourrés. À quelques dizaines de mètres de là, une nouvelle clairière s'offrit à eux. Mais dans celle-ci, il y avait des Shaakts et des restes de bâtiments démolis. Ils étaient arrivés.
***
La fillette et le garçon se glissèrent derrière une colonne effondrée. Les Shaakts gardaient bien le lieu et semblaient surtout protéger le centre de la clairière. Aucune trace de leur insupportable cheffe. Elle devait se trouver au centre, donc, avec ses deux armoires à glace. Rassurant. La colonne ne leur offrait cependant qu'une bien maigre protection et il serait insensé de s'aventurer plus loin dans la clairière sans être certains qu'ils pourraient passer sans risque. Parce que passer en tuant tout le monde, c'est bien gentil, mais ça permettrait sans aucun doute à Liniel de traverser cet espace fermement gardé sans encombre. Il suffisait de voir l'attitude des gardes, certes sur le qui-vive mais plutôt sûrs d'eux-même, pour comprendre que personne n'avait encore tenté de passer de force. Ou bien Liniel en était au même point qu'eux, ou bien elle était passée discrètement. Yurlungur réfléchit quelques instants. Dans l'optique du second cas, elle avait de toute manière déjà perdu. Autant faire comme si Liniel n'était pas passée... La fillette relança un rapide coup d'œil.
Le centre de la clairière était vide autour d'une sorte de temple effondré. Seuls quelques murs restaient encore debout, cachant ce qui s'y trouvait, mais les alentours de l'antique lieu de culte avaient été récemment déblayés. À moins de pouvoir devenir invisible, Liniel n'avait pas pu passer, espérait la petite fille. Soudain, une voix bien connue les fit sursauter, provenant de nulle part.
«
Salut, Yuyu. Chut, voyons, ne dis mot. Et toi non plus, le blond. »
«
Où... Où es-tu, papillon ? demanda-t-elle avec une petite voix. »
Un rire presque inaudible lui répondit.
«
Ne t'avais-je pas dit que je pouvais changer d'apparence à volonté et même devenir invisible ? Eh bien voilà, maintenant, tu sais. D'ailleurs, je pensais que tu avais compris puisque tu m'avais déjà vu avec la Shaakt sous une autre forme. »
«
Tu... Tu étais donc ce... ce... ce Nisri ! Mais du coup... »
Il la coupa sans ménagement.
«
C'est cela ; mais en silence, je te prie. Bien. Alors, les mômes, qu'attendez-vous ? La Shaakt que vous recherchez est déjà entrée dans le temple au centre, mais vous l'aviez deviné, n'est-ce pas ? Il vous faut rentrer à sa suite, alors allez-y. Allez la chercher... Prenez-lui la relique qu'elle tente misérablement d'obtenir. N'est-ce pas ce que tu veux, Yurlungur ? Cette relique te servirait beaucoup... Je connais un pari passé entre toi et une certaine Semi-Elfe. »
Yurlungur rougit tandis que Calua lui adressa un regard empli d'étonnement. Il bafouilla quelques instants puis, reprenant son assurance, il fronça les sourcils.
«
Alors on a fait tout ce chemin simplement parce que... »
«
Silence, gamin. Le temps n'est plus aux bavardages. La Shaakt est puissante, je veux dire par là qu'elle a de nombreux amis puissants. Si vous ne l'éliminez pas mais que vous lui prenez la relique au nez, elle vous traquera sans relâche. Je vous aurai prévenu ! »
«
Attends. Comment fait-on pour rentrer ? Les Shaakts gardent tout autour. »
Rien ne lui répondit. Nisri était-il (ou elle ?) parti ? Finalement, la voix lui répondit :
«
Je m'en charge, ne vous inquiétez pas. »
Puis ce fut le silence. Yurlungur lança quelques regards autour d'elle. Le camp restait calme.
Soudain, un grand cri de rage éclata et Liniel, des dagues dans les mains, émergea des bois à l'opposé de leur position. Les Shaakts, surpris, se tournèrent immédiatement vers elle et, passé le premier instant de stupeur, foncèrent droit sur cette intruse pour l'attaquer. Avant que les deux enfants n'aient pu esquisser le moindre geste, le papillon bleu apparut devant eux.
«
Voilà. Ne vous inquiétez pas, je leur ai simplement dit que vous aviez été trouvés et qu'ils t'avaient tué, Yurlungur. Je ne pensais pas que l'effet serait aussi immédiat. Enfin, maintenant que la voie est libre, je vous suggérerais d'aller l'aider. N'est-ce pas, Calua ? Ne ferais-tu pas mieux d'aller aider Liniel ? Regarde, elle a l'air débordée... Que se passerait-il si elle ployait sous les assauts des Shaakts ? »
Calua, tremblant, regarda le combat qui s'engageait et son regard se fit plus déterminé à mesure qu'il écoutait le discours mielleux du papillon. Il saisit son épée, sortit de sa cachette et fonça sur les Shaakts. Yurlungur s'apprêta à le rejoindre mais le papillon s'interposa.
«
Oh, non ma jolie, pas toi. Il faudra que tu restes discrète, n'est-ce pas, pour t'introduire dans le temple. Réfléchis bien, Calua ne risque rien avec Liniel. Crois-tu vraiment que ces Shaakts pourront la vaincre ? En revanche, lui t'aurait retardé s'il était venu avec toi et tu aurais été moins discrète. Allons, reconnais que j'ai eu raison de le pousser par là-bas et va au temple. Il ne faut plus perdre de temps. Ne te souviens-tu pas du pari que tu as passé avec Liniel ? Ne te souviens-tu pas de l'air méprisant qu'avait la Shaakt ? Cet air-là pourrait bien se transformer en expression de terreur... Ça ne tient qu'à toi. »
La fillette se sentit tiraillée entre deux envies contraires. Pourtant, les arguments du papillon autant que sa voix suave touchaient juste dans le cœur de la petite fille. Elle voulait gagner et elle voulait tuer la Shaakt. Avait-elle vraiment ressenti ce besoin à la prison, la première fois qu'elle avait vu la Shaakt ? Peut-être pas. Mais là, elle le ressentait. Elle se leva et, discrètement, parcourut la petite dizaine de mètres qui la séparait du temple central en veillant à rester bien à l'écart de la mêlée.
«
Allez, je suis sympa, je vais te guider. »
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