L’aynore était bien plus grand que le cynore que j’avais emprunté pour rejoindre Tahelta, quoi de plus normal quand on savait que cet appareil allait beaucoup plus vite et couvrait des distances bien plus grandes. Je me dirigeai tranquillement vers le pont extérieur afin de profiter de la vue lors du décollage.
(Quel va être le programme durant le vol ?)(Si le vol ne tangue pas de trop, je vais refaire les différentes positions que tu m’as apprises pour contrôler ma respiration, ensuite je mangerai un morceau dans une cabine et après je me plongerai dans la lecture du carnet de bord d’Aenarion. Je n’en ai lu qu’une petite partie, qui sait ce qu’il va me révéler par la suite ?)(Petite question : tu comptes faire mes exercices à quel endroit ?)(Je pensais au pont extérieur, les cabines sont trop exiguës pour ça.)(Tu vas passer pour une originale ma chérie.)(Je ne pense pas, je pense que les gens vont admirer mon évidente souplesse et mon sens de l’équilibre !)(Mais bien sur !)Au loin, j’entendis la voix de l’hôtesse résonner dans les haut-parleurs annonçant l’imminence du décollage. M’accoudant à la rambarde, je pus sentir les vibrations produites par les moteurs de l’appareil. Doucement, l’aynore commença à décoller du sol, nous faisant d’abord passer au-dessus des arbres puis au-dessus de la ville.
La première chose que l’on voyait depuis les hauteurs était sans conteste le palais où résidait la famille royale et où officiaient ses nombreux conseillers. L’un d’eux était maintenant au courant de la situation avec Ertamiel, j’étais prête à parier que l’un des conseillers étaient au service de ce dernier. Nous étions fichus quoi qu’il se passait, la traque qui s’annonçait demanderait un travail minutieux, voir des heures de recherche.
Machinalement, je me mis à tripatouiller mon anneau de l’équilibre. Si ce qu’Ashar m’avait dit était juste, la guilde était bien implantée sur le Naora sans même que je le sache. Nathanael et Kellan ne m’avait pas parlé d’un bâtiment servant de point de chute à Equilibrium sur le continent, étrange. Pourquoi cela ?
Des nœuds au cerveau, voilà ce que j’étais en train de me faire. Afin de coordonner les actions de la guilde, il devait y avoir un lieu qui permettait de se réunir, qui n’éveillait pas les soupçons au reste de la population, un lieu qui permettait d’accueillir des sindeldi mais également d’autres races… Mais oui !
(Crysti ?)(Présente !)(Est-ce que tu as vu beaucoup d’étrangers au manoir durant tes quatre siècles de vie commune avec ma mère ?)(Etrangers étrangers ou étrangers ?)(Les deux.)(Des sindeldi qui n’étaient pas de Balsinh, cela été courant sachant les fonctions de ton père, pour le reste je ne pourrais pas te le dire. Lorsque Fania ne s’occupaient pas de ses enfants, elle était au temple de Sithi. Pourquoi ?)(Quoi de mieux que d’utiliser le manoir comme point de chute pour la guilde sachant qu’il bénéficie d’un statut particulier ? En dehors de la ville et accueillant tous les étrangers, peu importe leur couleur de peau, sauf les noirs évidemment !)(C’est loin d’être bête !)(Merci.)Cela avait du être une évidence pour mon père. Il avait gagné le droit de résider dans ce manoir, tout comme moi de par mon ascendance et non par mes faits d’armes, même si j’espérais que ces derniers viendraient un jour. Cela ouvrait de nouvelles perspectives en matière d’exploration. Il me faudrait visiter le manoir en étant plus attentive aux détails car j’étais persuadée qu’il y avait des pièces cachées.
Pendant ma petite gymnastique mentale, nous avions pratiquement atteint notre hauteur de croisière. L’ascension avait laissé place au mouvement horizontal, nous nous écartions progressivement de la capitale elfique, l’océan nous ouvrait maintenant les bras.
Je me mis à penser à Faerlyn qui avait probablement retrouvé les membres de sa famille de commerçants, je croisai les doigts pour que tout se passe bien pour lui. Il avait passé plus de temps que moi dans ce camp, il m’avait aidé à monter le plan de fuite et en bon éarion qu’il était, il avait démontré la puissance de sa magie d’eau. J’espérai un jour être capable de posséder une telle maîtrise magique.
En regardant en arrière, je constatai que le continent du nord, Tolénya, disparaissait à mesure que nous nous éloignions. Nous avions encore une longue route devant nous, espérons que tout se passerait bien.
Je quittai mon point d’observation afin de me rendre au bar pour boire quelque chose, j’avais la gorge bien sèche. En rejoignant le pont principal, j’y trouvai plusieurs groupes de personnes qui semblaient en grande discussion, les uns parlaient du prix des marchandises qu’ils transportaient, les autres du temps parfait pour voler.
Le troisième groupe auprès duquel je passai, composé de trois kendrans, retint mon attention de par le contenu de sa conversation. Je savais pertinemment que ce n’était pas beau d’espionner mais les propos que m’avaient tenus Saraï au sujet des aurores polaires me revinrent en mémoire.
- « L’autre jour j’ai entendu un prédicateur à Kendra Kâr annoncer la fin des dieux ! Tu imagines un peu ! Et il y avait une foule importante qui se massait autour de lui, à croire qu’il avait du succès ! »- « Même son de cloche pour moi à Bouhen, j’ai même entendu une personne ayant souvent à faire avec les aldrydes dirent que cela annonçait la fin de leur calendrier, annonçant la fin du monde ! »- « Il paraît que le roi Solennel a fait appel à des aventuriers pour essayer de démêler le vrai du faux, attendons de voir ce qu’il va en ressortir avant de nous apitoyer sur notre sort. »Cet humain avait raison, mieux valait attendre l’intervention de ses aventuriers. De toute évidence je n’étais plus très au fait de la situation du monde. Je ferais bien d’en parler à Nathanael et Kellan, l’une de nos recrues en savait peut être plus que moi. Cela me permettrait d’apporter des réponses à Saraï.
Je rejoignis le bar et commandai un jus de fruits, rien de bien compliqué pour le sindel se trouvant de l’autre côté du comptoir. Pendant qu’il préparait ma boisson, mon regard engloba la salle avec ces différents groupes en pleine discussion. Certaines étaient plus animées que d’autres, l’une d’elle attira mon attention.
C’était un groupe de sindeldis qui faisaient des gestes de plus en plus grands et de plus en plus dangereux, la situation allait probablement dégénérer dans quelques secondes. Coup d’œil à droite, coup d’œil à gauche, aucun membre du personnel sur le pont, tout le monde pensait que nous étions suffisamment civilisés pour ne pas faire d’esclandre. Le contraire était pourtant en train de se dérouler sous mon nez.
Soupirant bruyamment, espérant que ce voyage serait des plus calmes, je me résolus à m’interposer. Me décollant du bar, je vis l’un des membres de ce groupe sortir une lame de derrière son dos. Courant vers lui alors qu’il levait le bras, je m’interposai entre lui et sa cible en bloquant son attaque avec mon avant-bras. Sa lame frappa le métal plutôt que son interlocuteur.
Afin de l’arrêter définitivement, je lui décochai un coup de poing dans le ventre avec la main gauche ce qui eut pour effet de le plier en deux de douleur. Je ne savais pas que je pouvais faire aussi mal avec mon poing. Il lâcha sa dague afin de porter ses mains à son ventre, soit c’était un acteur formidable, soit il avait vraiment mal. Je penchai rapidement pour la deuxième solution.
Me tournant vers sa potentielle victime, je m’enquis de son état.
- « Est-ce que tout va bien ? »- « Nous avions un désaccord profond sur le prix d’un chargement, il a commencé à me bousculer et d’un seul coup, il a porté sa main derrière son dos pour attraper sa dague. Si vous n’étiez pas intervenu, je ne donnai pas cher de ma peau. »- « Ne me remerciez pas, c’est mon travail. »Il s’inclina néanmoins pour me remercier avant de se relever, l’expression de son visage changea alors du tout au tout passant de la gratitude à la peur.
- « Attention ! »Mais c’était trop tard, l’elfe que j’avais mis à terre s’était en réalité joué de moi en feintant la douleur pour mieux me surprendre. Il venait de m’encercler de ses bras puissants, appuyant sur mon ventre pour tenter de me couper la respiration.
- « Alors ma jolie, on ne fait plus la fière maintenant. »- « C’est ce que tu crois ! »Pliant ma jambe droite, je la redescendis avec toute la force que je pouvais mettre dans ce coup afin de lui faire mal au pied. Sur le moment, il n’eut d’autre choix que de me lâcher et il se mit à sautiller de douleur. Pitoyable. Je dégainai mon épée par sécurité et d’un simple coup de pied, je balayai sa jambe le faisant lourdement chuter au sol. Pointant mon épée sous son cou, je lui ôtai toute envie de recommencer.
- « Que se passe-t-il ici ? »En levant les yeux, je vis que c’était le commandant de l’aynore avec sa tenue très proche de celle d’un général de l’armée à part pour les médailles.
- « Commandant, cet elfe a tenté de tuer l’une des personnes présentes sur ce pont avant de s’en prendre à moi. Il n’est pas blessé à part peut être son orgueil. Que préconisez-vous ? »- « Le sang n’a pas été versé ? »- « Non commandant. »- « Vu votre manière de parler, seriez-vous un soldat de notre armée ? »- « Oui commandant. »- « Nous allons le mettre aux arrêts et lorsque nous serons arrivés à Kendra Kâr nous le livrerons à la milice. Un tel acte ne saurait rester impuni. Relevez-le et suivez-moi, nous allons l’enfermer dans une cabine. »- « Bien commandant. »De la main, je fis un signe au marchand attaqué de me rejoindre.
- « Ramassez sa dague et donnez-la au commandant. »Baissant les yeux vers le marchand, je lui fis signe du plat de ma lame de se relever. Il s’exécuta tout en affichant un regard noir.
- « Bien, maintenant passe devant moi et suis le commandant. »Il s’avança puis s’arrêta, je lui plantai, sans le blesser, le métal de mon arme dans le dos, lui faisant comprendre qu’il n’avait pas d’autre alternative. Les épaules basses, il suivit le commandant dans l’un des couloirs menant aux cabines. Le responsable de l’aynore ouvrit la dernière cabine, se posta à côté de la porte afin de laisser passer cet avorton.
Il refusa d’entrer dans la cabine, je dus le pousser par les épaules pour qu’il finisse dans la pièce. Le commandant ferma à clé derrière lui et rangea la clé dans l’une de ses poches de veste. Il me tendit ensuite la main.
- « Je vous remercie pour l’aide que vous nous avez apporté. Sans vous, nous aurions eu un mort. »- « Merci commandant. »- « Maintenant, si vous le permettez je vais retourner à la cabine de pilotage. Je vous souhaite une bonne fin de voyage. »Il lâcha ma main et continua dans le couloir. Je retournai dans la salle principale où le calme était revenu, un comportement tout elfique. Je rejoignis le bar, m’assit sur un tabouret. Le barman me servit mon jus de fruits que je dégustai avec plaisir. Je fus alors dérangée par un petit coup sur mon épaule. En me tournant, je vis l’elfe que j’avais sauvé.
- « Je voulais vous remercier personnellement pour ce que vous avez fait tout à l’heure. »- « Ce n’est rien. »- « Si, c’est important pour moi. Tenez, prenez ceci en témoignage de ma gratitude. »Il posa une bourse relativement bien remplie sur le comptoir. J’étais quelque peu prise au dépourvue.
- « Je ne suis pas une mercenaire que l’on paye pour ses services, aider les gens c’est dans mes veines. Reprenez votre argent. »- « Je vous en prie, faites cela pour moi. Vous pourrez vous achetez de nouvelles pièces d’équipement. »Je regardai mes affaires d’un air dubitatif avant de me résigner à accepter cet argent. Je pouvais toujours le donner à la guilde pour les recrues. Je pris la bourse et l’attachai à ma ceinture.
- « Cet argent sera bien utilisé, soyez en sur. »- « Je n’en attendais pas moins de vous. Bonne fin de voyage, madame ? »- « Aenaria. »- « Plinis. En espérant vous retrouvez en d’autres circonstances. Sachez que les marchands sindeldi entendront parler de vos exploits. »Je ne répondis pas et replongeai dans mon verre de jus de fruits. Je le sirotai un moment avant de le boire d’une traite et de rejoindre le pont extérieur, j’avais l’impression d’avoir une dizaine de paires d’yeux braquées sur moi. J’étouffai littéralement. Je laissai mon verre au comptoir en félicitant le sindel l’ayant préparé et sortis prendre l’air.
Une fois dehors j’avalai une grande bouffée d’air frais tout en contemplant le paysage, du bleu à perte de vue. En me rapprochant du bord, une petite nuance permettait de distinguer le ciel de l’eau mais c’était très léger. Mer et ciel se confondaient, c’était absolument magnifique.
Avançant jusqu’au bout du pont, je récupérai une chaise en route afin d’y déposer mon épée, mon bouclier, mon sac ainsi que toutes mes protections. Pieds nus sur le bois du pont, je fermai les yeux et commençai les exercices de respiration avant d’entamer ma séance d’entraînement à l’air libre.
Première posture de l’arbre, deuxième posture de l’arbre, posture du danseur, les trois postions du guerrier puis passage au sol avec la chandelle et le pont. Je refis ce cycle une deuxième fois en changeant ma jambe d’appui passant de la droite à la gauche, inversant toutes les positions.
Ceci me prit un bon moment car garder l’équilibre sur un appareil en mouvement était bien plus difficile qu’il n’y paraissait. Ce fut un bon exercice d’entraînement du contrôle de mon corps et par la même de ma respiration. A la fin, je me mis en position du lotus afin de me détendre fixant mes yeux sur l’horizon bleuté qui s’offrait à moi.
Je sortis de ma séance parfaitement détendue, j’avais réussi à faire tout ce que Crystallia m’avait enseigné et c’était très gratifiant et relaxant.
(Ravie que tu apprécies.)(Merci Crysti.)Je me relevai et m’étirai de tout mon long avant de remettre mes jambières, mes poignets, mon épée et mon bouclier dans mon dos. Je pris le reste à la main afin de retrouver le pont principal. En entrant, je remarquai qu’il était plus clairsemé qu’auparavant.
Je pris la direction du couloir que j’avais emprunté avec le commandant de bord et choisis d’entrer dans la cabine juste derrière le crétin qui avait osé m’attaquer. Je déposai toutes mes affaires par terre et fermai la porte derrière moi. Parfaitement détendue, je récupérai le carnet de mon frère dans mon sac, me déchaussai et m’installai confortablement sur le lit.
Je vis Crystallia sortir de sa gangue protectrice afin de venir s’asseoir à mes côtés pour en apprendre plus sur mon frère jumeau.
- « C’est parti pour la lecture. »J’ouvris à la première page et me plongeai dans le récit de voyage d’Aenarion.
***
Deux heures plus tard, j’arrêtai ma lecture car mon estomac venait de se manifester. Je rangeai le carnet de mon frère et l’échangeai contre le pain aux raisins que Valsta m’avait mis de côté. Ouvrant le torchon, je découvris une dizaine de tranches de ce met que j’appréciai tant. J’en attrapai une et mordis dedans férocement.
Un soubresaut étrange se fit alors ressentir dans le lit, ce n’était pas normal du tout. Je lâchai ma tranche de pain que je rangeai à la va-vite dans son torchon puis dans mon sac. Je remis tout le reste de mon équipement sur moi et sortis de ma cabine pour m’enquérir du problème.
En arrivant sur le pont principal, je vis que tout le monde avait eu la même idée que moi et se trouvait maintenant dans la pièce. Le personnel ne bougeait pas encore le petit doigt, ce n’était donc qu’un léger problème qui ne devait alarmer personne. Je rejoignis le pont extérieur en jouant quelque peu des coudes afin de regarder l’appareil de plus près.
Je m’approchai du bord de l’aynore afin de regarder les moteurs, ils étaient tous allumés donc il n’y avait rien à craindre. J’avais juste pensé cela que l’un des moteurs eu un raté, s’éteignant puis se rallumant, clignotant ne sachant s’il devait s’allumer ou s’éteindre. Il choisit la deuxième option. Non de non, j’avais déjà connu une croisière problématique, pas une deuxième.
L’appareil commença à piquer du nez, je dus m’agripper à la rambarde pour ne pas passer par-dessus bord.
- « Par Sithi, je ne mourrai pas ici ! »Je remontai la rambarde en me servant des barreaux comme d’une échelle et rejoignis le pont principal. A l’intérieur, le commandant avait fait son apparition et de toute évidence c’était la panique à bord. Des cris affolés s’entendaient de toute part dans la pièce, les passagers étaient en proie à des crises de terreur impressionnante. Sifflant, j’attirai l’attention du commandant.
- « Que se passe-t-il ? »Il fit non de la tête, je dus faire preuve d’un effort monumental pour le rejoindre au bord du couloir. A sa hauteur, il put me faire état de la situation.
- « L’un de nos moteurs a des ratés, s'il ne se rallume pas, nous allons couler. »- « Qu’est-ce qu’on peut faire ? »- « Il faut répartir notre poids afin de ne pas forcer la chute de l’appareil. »Je me tournai vers le pont principal afin de hurler cet ordre.
- « REMONTEZ VERS LES CABINES ET RÉPARTISSEZ-VOUS DEDANS ! DÉPÊCHEZ-VOUS ! »Certaines personnes s’exécutèrent puis les autres suivirent entrant dans les cabines dont on pouvait entendre les portes claquer. Ils se disciplinèrent en se répartissant pour moitié à droite et pour moitié à gauche. On sentit l’appareil se redresser quelque peu mais notre situation était loin d’être stable.
- « Qu’est-ce qu’on peut faire ? »- « Les passagers passent avant tout, maintenant il faut vérifier les machines ! »- « Etes-vous allé à la salle des machines pour voir ce qui ne va pas ? »- « Non pas encore, vous m’accompagnez ? »- « Je pourrais vous être utile. »Il passa devant en se penchant pour contrer la déclivité de l’appareil. Au bout du couloir, il tourna à gauche et ouvrit une trappe menant probablement à la salle des moteurs. Je descendis l’échelle à sa suite et me retrouvai dans une pièce relativement sombre malgré la lumière produite par les moteurs.
Claquant des doigts, je fis apparaître une boule de lumière qui éclaira la pièce. Le commandant me regarda avec une lueur d’espoir dans les yeux.
- « Vous possédez combien de fluides magiques différents ? »- « Amenez-moi aux moteurs défaillants ! »Le commandant se dirigea vers la turbine qui ne produisait plus le jus nécessaire pour alimenter le moteur. Après une rapide inspection, il me montra le problème du doigt. Une sorte de tube vide avec un trait à l’horizontal.
- « Quel est le problème ? »- « La turbine qui est censé alimenter le moteur ne produit plus l’énergie nécessaire à son fonctionnement. »- « Ne serait-il pas possible de dévier l’énergie produite par les autres turbines pour la répartir différemment et alimenter tous les moteurs de la même manière ? »- « Si nous faisons cela, nous ne terminerons pas notre vol. Nous devons recharger les fluides entre chaque voyage. »- « Et si je chargeai la turbine avec des éclairs en direct ? »- « Vous pouvez faire ça ? »Me concentrant, j’inspirai profondément afin de faire monter mes fluides d’éclair à mes mains. Les rapprochant l’une de l’autre, je produisais des arcs électriques entre mes doigts.
- « On peut toujours essayer. »- « Je vais ouvrir la coque de protection de manière à ce que vous lanciez vos éclairs directement sur la turbine afin de l’alimenter. »- « Jusqu’à quel point je dois la charger ? »- « Jusqu’à ce que le tube soit rempli au-delà du trait. »Un rapide regard vers le tube pour vérifier la hauteur du trait m’indiqua que j’allai devoir forcer.
- « Je vais vider toute mon énergie de foudre et on verra ce que ça donne. »- « Essayez d’abord pour voir si ça fonctionne et si tout va bien, vous pourrez envoyer tout ce que vous avez. »J’acquiesçai et attendis que le commandant me donne son accord pour lancer mon attaque d’éclair sur la turbine. Il ouvrit le capot et me fit un petit signe de la tête pour y aller. Ouvrant mes paumes vers la turbine, je lançai un choc des éclairs à puissance moyenne tout en gardant un œil sur le tube. Je vis une sorte de lumière monter dans le dit contenant.
- « Allez-y franchement, ça fonctionne ! »- « Il ne faut pas me le dire deux fois. »Me concentrant sur ma cible et sur mes mains, j’augmentai la puissance de mon sort au maximum et le maintins pendant un long moment. Néanmoins, je sentais mes forces décliner au fur et à mesure que je restai à lancer mon sort. Le tube se remplissait progressivement mais pas encore assez vite à mon goût.
J’arrêtai mon sort quelques secondes le temps de secouer mes mains et de changer de position avant de lancer une nouvelle fois le choc des éclairs à fond. Le tube était à moitié rempli, encore un effort Aenaria et l’aynore pourrait repartir à vitesse normale. Inspirant profondément, je me mis à penser à Tamìa et à tout le ressentiment que je pouvais avoir envers elle avant sa mort. Cela me motiva et m’aida à lancer une nouvelle fois mon sort.
Il me fallait tenir encore pour nous permettre de rentrer à bon port, en l’occurrence la zone d’embarcation de Kendra Kâr. Je vis la lumière monter dans le tube et atteindre doucement la ligne horizontale.
(Allez Naria, tu peux le faire.)(Tu en es capable, tiens le coup.)Je vis la lumière monter encore un peu plus, j’y étais presque, encore un dernier effort.
- « ALLEZ !!!! »Je pouvais sentir que j’arrivai à la fin de ma réserve magique d’éclair. La lumière dans le tube atteignit enfin la ligne horizontale, je pus décharger tout ce qu’il me restait de puissance avant de faire lourdement retomber mes bras le long de mon corps. Mes jambes se mirent à trembler, j’allais m’effondrer au sol mais c’était sans compter sur le commandant.
Il vint à ma rescousse me soutenant, m’aidant à m’asseoir pour récupérer. Une fois assise, il ferma le capot de la turbine, appuya sur un bouton qui enclencha la production d’énergie qui alimentait le moteur défaillant. La réaction de l’appareil fut immédiate, il se redressa pour se stabiliser à l’horizontal. Le commandant revint vers moi.
- « Vous venez de nous sauver la vie, vous êtes une héroïne. »- « Pas une héroïne, juste une elfe dévouée envers la population de Yuimen. »- « Vous aviez une cabine ? »- « Celle à côté de notre ami de tout à l’heure. »- « Vous arriverez à monter l’échelle ? »- « Je devrais pouvoir m’en sortir. »- « Je vais passer devant pour vous aider à monter. »Le commandant m’aida à me relever, mes jambes semblaient tenir le coup, en tout cas pour le moment. Il grimpa rapidement l’échelle et se posta en haut afin de m’aider. Je commençai à poser mes pieds sur les barreaux, l’un après l’autre sans brusquer car je pouvais encore sentir que je tremblais de partout.
A deux barreaux de la fin, mes jambes me laissèrent tomber, mes mains s’agrippèrent tant bien que mal au montant qu’elles tenaient. Le capitaine se baissa alors et me présenta sa main afin de me tirer vers le haut de l’échelle. Lâchant ma prise, je lançai mon bras vers lui et il me rattrapa me soulevant avec force vers la trappe.
Je pus me hisser complètement grâce à son aide. Il ferma la trappe menant à la salle des machines et m’aida une nouvelle fois à me lever. M’appuyant sur lui afin d’éviter une chute éventuelle, il m’accompagna jusqu’à la cabine où j’avais passé un temps appréciable à lire. En elfe bien élevé, il ouvrit la porte et m’introduisis dans la pièce.
- « Est-ce que ça ira pour vous ? »- « Je pense que je vais m’allonger et me reposer quelque peu. »- « Si vous avez besoin de quoi que ce soit à votre réveil, nous sommes à votre service. »- « Merci commandant. »Il ferma la porte derrière lui et je la bloquai avec la clé. Enlevant la plus grande partie de mon équipement, je m’écroulai sur le lit comme une masse.
(Comment tu te sens Naria ?)(Complètement vidée de toutes mes forces. Je pense que je vais dormir un petit…)Je n’eus pas le temps de finir ma réponse que je plongeai déjà dans le sommeil.
***
En me réveillant, je constatai en regardant à travers le hublot que le soleil brillait encore dans le ciel.
(Il doit être dans les environs de cinq heures de l’après-midi.)(Ce qui veut dire qu’il reste un peu moins de quatre heures de vol.)(Grâce à ton intervention, nous n’avons pratiquement pas perdu de temps.)(J’ai sauvé un aynore entier, tu te rends compte ?!)(J’ai bien senti la débauche d’énergie dont tu as du faire preuve pour injecter ces éclairs dans la turbine.)(Non mais tu réalises un peu ce que j’ai fait ! Je n’en reviens pas moi-même !)(Sur le coup, tu n’as pas réagi.)(J’étais encore sous le choc de l’action en elle-même pas de son résultat.)(D’accord. Et maintenant ?)(Qu’est-ce que je vais faire ? Finir de manger ma tranche de pain et continuer ma lecture du carnet de mon frère.)(Sage décision.)(Qu’est-ce que tu me caches ?)(Le commandant a fait une annonce pour signaler que l’aynore était hors de danger et que tu étais à l’origine de la survie de tout le monde, du coup j’ai peur que les passagers ne t’attendent à la sortie de ta cabine…)(A plus forte raison pour rester planquée ici jusqu’à l’atterrissage.)Récupérant mon sac, je sortis le pain et le carnet de mon frère. Je finis la tranche entamée avant tous ces évènements qui aurait pu être funeste, puis pris une autre tranche avant de ranger le reste. Récupérant un oreiller je me calai contre la tête de lit afin de continuer ma lecture avec Crystallia sur l’épaule.
***
- « Mesdames et messieurs, nous approchons de Kendra Kâr. Nous vous invitons à quitter vos cabines et à vérifier que vous n’y avez rien oublié. »Je fermai le carnet de mon frère dont j’avais quasiment terminé la lecture. Je n’avais rien appris d’autres sur lui, ses intentions ou bien sur Ertamiel, son maître de formation.
- « L’hôtesse a oublié le « Nous espérons que vous avez fait un agréable voyage sur notre ligne et nous vous souhaitons une bonne fin de journée. » »(On se demande pourquoi !)Je rigolai toute seule de ma blague tout en continuant de ranger mes affaires. Je remis mon équipement de guerrière sur moi et sortis enfin de ma chambre. En arrivant dans la grande pièce qui servait de pont principal, tous les regards se tournèrent vers moi. Une personne se mit à applaudir, puis une deuxième, puis une troisième et enfin toutes les personnes présentes firent de même.
Je pouvais presque sentir que j’étais en train de rougir devant tant d’applaudissements. Le commandant sortit de la foule, j’étais presque sûre qu’il avait préparé son coup avant que je ne sorte de ma cabine. Je temporisai les mouvements de la foule en demandant le calme de mes mains.
- « Au nom des passagers, des membres de l’équipage et de la compagnie Air Gris, je voulais vous féliciter de ce que vous avez accompli durant le vol. Sans vous, nous serions au fond de la mer. »- « Je suis intervenue parce que c’était mon devoir, n’importe qui avec mes capacités en aurait fait autant. »- « Vous avez fait preuve de bien plus de courage que la moitié des personnes peuplant cette planète. Vous êtes bien trop modeste. »- « Non sérieusement je suis réaliste. En réfléchissant, tout problème possède sa solution. Notre problème avait une solution évidente, je n’ai fait qu’y répondre. »- « Vous sous-estimez clairement vos capacités ! »- « Vous devriez faire partie de nos dirigeants à Tahelta ! »- « Plinis, c’est un peu trop. Me mélanger aux ronds-de-cuir, trop peu pour moi. Je suis une elfe d’action, pas une bureaucrate ! »Tout le monde se mit à rire dans la pièce. L’aynore entamait sa descente vers Kendra Kâr, nous allions atterrir dans peu de temps.
- « N’oubliez pas que vous êtes aussi les héros du jour. En obéissant à l’ordre que je vous ai hurlé, vous nous avez permis de gagner du temps pour faire repartir les machines. Aujourd’hui, nous sommes tous des héros. »(C’est beau ce que tu viens de dire.)Une nouvelle salve d’applaudissements et des serrages de mains plus tard, je pouvais enfin sortir de l’aynore qui avait failli avoir ma mère pour fouler de nouveau l’herbe de la zone d’embarcation de la capitale humaine, la cité blanche.