Avant
D’étranges vibrations réveillèrent la jeune elfe verte qui avait perdu connaissances depuis un long moment. Se pouvait-il qu’elle ait été ramenée dans son chez-elle de Selarim, dans sa chambre ? Ses yeux mi-clos lui montraient une petite pièce ocre faiblement éclairée par des torches et des bougies. Elle mit quelques instants avant de se rendre compte qu’elle était recouverte d’une étrange poudre blanche et tous les évènements qui s’étaient déroulés au palais de la Reine Araignée lui revinrent en tête brusquement. La méditation, la magie dans sa tête et son corps, la transformation en araignée puis le délire… et la bulle salvatrice. On l’avait donc transportée dans sa chambre sans même la réveiller, dans le cocon protecteur qu’elle avait, par elle ne savait trop quel moyen, fabriqué.
Le cœur de Lilie se remit à battre puissamment avant de porter sa main à sa tresse qui n’en finissait plus de vrombir. C’était bien étrange, personne ne lui avait expliqué la raison de cette bizarrerie au moment où on la lui avait offerte et finalement, elle en oublia de reconsidérer les découvertes qu’elle avait faites sur sa personne. Parfois, il valait mieux se concentrer sur des éléments concret plutôt que de s’enfermer dans les divagations de l’esprit et c’est ce que la belle Taurion s’empressa de faire.
Alors qu’elle s’employait à tirer sur cet ornement vibrant pour découvrir de quoi il en retournait, un bruissement de tissus dans la pièce attira son attention, la poussant à se retourner brusquement pour observer dans sa chambre une ombre filer contre le mur. Dissimulé sous une cape aux nuances des parois ocre de la pièce, un visage à la peau sombre la scrutait intensément, avant de bondir subrepticement sur Lilie, sentant que le moment était venu d’exécuter ce pour quoi il était venu…
La future gardienne n’eut pas le temps de demander ce qu’il se passait que déjà son assaillant mystérieux était sur elle, ses mains plaquées autour de son cou pour empêcher l’air de parvenir aux poumons de la shaman tandis qu’elle se débattait. D’instinct, elle se raidit de frayeur et de haine envers cet inconnu venu mettre un terme à ses jours, se saisissant alors de l’épée qui reposait à sa taille. Hélas, le crissement de la lame dans son fourreau alerta l’assassin qui lâcha sa cible pour se précipiter sur ses poignets, l’empêchant de poursuivre le mouvement violent qu’elle avait entamé et qui s’était contenté de blesser très légèrement son adversaire au flanc. Avec un peu plus de vitesse, la lame aurait probablement eu raison de lui mais le destin en avait voulu tout autrement.
Ainsi prise au piège, elle ne pouvait que hurler de rage et ravager les tympans de son adversaire, espérant ainsi obtenir une aide extérieure, peut-être même celle de Yuimen qu’elle invoquait de toute la force de ses cordes vocales.
« A moi ! Au secours ! Yuimen je t’en prie sauve moi, je ne veux pas que ma quête s’arrête là ! »Mais qui allait donc bien pouvoir l’entendre, puisqu’elle était seule dans la petite bâtisse qui l’accueillait le temps de son séjour sous terre, avec son agresseur ? Elle aurait voulu pouvoir réfléchir à l’identité de ce mystérieux personnage qu’elle avait peine à considérer comme un Orgamii mais la situation ne lui laissait le temps de rien, il fallait juste survivre. C’était elle ou lui et pour la première fois, Lilie allait être amenée à mettre en exécution les conseils avisés de son maître d’armes attitré Felixis.
Résister à la puissance des poignets de l’adversaire était bien impossible, il serrait si fort que ses membres en devenaient rouges et douloureux. Il lui fallait donc impérativement le faire basculer pour qu’il se retrouvât dans une position moins avantageuse que présentement, alors qu'il était allongé sur la jeune elfe qu’il projetait de tuer. Plongeant alors ses yeux dans son regard interrogateur et paniqué, il finit par prendre la parole, la maintenant plaquée contre le sol après qu’elle eut lâché son arme sous l’effet de l’insupportable pression.
« Il n’y aura plus de quête, ma chère. Tout s’arrête ici pour toi et tes petits amis, si tant est que quelque chose ait un jour commencé ! Si je suis ici, c’est que vous êtes tous démasqués ! Pitoyables êtres dégénérés, ce sont des incapables qui ont besoins d’elfes verts puants pour faire le sale boulot à leur place ! Moi, je rentrerais dans ma fière cité à Khonfas, couvert de gloire pour avoir mis la main sur leur précieuse petite Taurion ! Quiconque se dresse sur notre passage se verra offrir la mort dans d’affreuse souffrance, au nom de Valshebarath et des milles supplices qu’Elle inflige à ses opposants ! »Lilie n’avait pas cherché à détourner le regard, horrifiée et écœurée par les paroles de folie qu’elle venait d’entendre prononcer par l'abjecte Shaakt qui venait de révéler sa vraie nature. Si la Taurion ne pouvait plus faire usage de sa lame, alors la magie devait se lier une nouvelle fois à son esprit en furie pour lui donner une chance de rester en vie et percuter l’individu qu’elle voulait voir mourir. Une montée d’énergies négatives s’était imposée à la shaman qui n’en pouvait plus de les contenir. Il fallait faire exploser toute cette hargne féroce hors d’elle pour repousser l’assassin, le temps pour elle de pouvoir récupérer son arme et d’éviscérer sauvagement ce monstre sanguinaire et fanatique.
Mais les choses n’étaient évidemment pas aussi simples que ce qu'elle s'était imaginé et il lui fallut quelques interminables secondes pour trouver la clé qui lui permettrait de rendre tout son être perméable aux fluides. Les yeux ouverts, elle avait peiné à visualiser l’intérieur de son esprit comme elle avait appris à le faire calmement auprès de la Reine Araignée et mobiliser les filaments magiques lui était à présent d’une extrême difficulté. Son être devait s’ouvrir comme une toile souple pour laisser passer entre chaque interstice une décharge magique puisée au plus profond de ses émotions de rages et rien n’était plus compliqué que de coordonner cela, soumise à une telle pression car jamais elle ne s’était sentie aussi proche de perdre la vie…
Une puissante détonation retentit dans la pièce au moment où l’elfe noir achevait de parler. Il fut projeté à quelques dizaines de centimètres de Lilie contre les parois terreuses de la maison et retomba dans les coussins au milieu d'un nuage de sable arraché au mur. Il était blessé sur toute sa face avant ayant servi à immobiliser la shaman, alors que la terrible force animale qui s’était emmagasinée dans le corps de la Taurion avait été prodigieusement libérée.
À présent, la haine n’était plus aussi vive, mais Lilie devait aller au bout des choses et mettre un terme à la vie de cet individu qui n’aurait pas hésité à détruire celle de milliers d’Orgamii pacifistes et protecteurs de la nature juste après lui avoir ôté la sienne.
« Quand tu partiras rejoindre ta chère déesse Valshebarath dans une autre vie, tu lui diras, entre deux tortures, que ses chiens de serviteurs Shaakts devraient mieux choisir les assassins qu’ils envoient pour tuer La Gardienne. Meurt, ordure ! »L’elfe noir avachi au milieu des coussins tenta dans un dernier ressort de projeter son poignard sur Lilie mais elle ne sentit même pas la douleur provoquée par la coupure du projectile à sa jambe tant elle était concentrée sur son but ultime : donner la mort à son agresseur. La lame passa sans problème le tissu de la cape et le cuir des vêtements du presque-mort, avant de venir transpercer de part en part ses chairs dans un bruissement de tous les dieux. À genou sur sa victime, elle le contemplait mourir avec délectation.
Dans quelques secondes, c’en serait fini de lui et viendrait alors pour la shaman, l’heure fatidique, celle où elle devrait annoncer la terrible nouvelle de l'infiltration d'assassins elfes noirs à Selarim.