Une palpitation soudaine du cœur, et puis l’obscur clarté. Elris, pour quelques instants, se retrouva égarée en elle-même, ou bien dans les limbes, ou bien encore dans l’infini néant d’une sourde lueur – dans un monde sans vie, où tout ce qu’elle avait été, et tout ce qu’elle était, se perdait en méandres confus, s’estompait comme sur la pierre s’efface le dessin au charbon d’un enfant.
Et pourtant, elle entraîna avec elle, dans ce vide lactescent où elle se trouva plongée contre sa volonté et sans qu’elle le sût, même, ou qu’elle eût quoi que ce fût à en dire – elle entraîna, donc, l’image nette et frappante d’un petit être étrange qui s’était dressé sur sa route. Elle qui avait été menée par la voix douce d’une femme ailée à la taille minuscule, et qui avait suivi, avec le doute et la crainte qui s’insinuaient en elle, le Géant au sombre cœur, elle s’était confrontée l’espace d’une seconde à une feuille, puis à celui qui la tenait en mains. Elris avait emportée avec elle la vision de son minois infantile, à l’œil pétillant et pourtant quelque peu craintif, sa chevelure brune aux reflets innombrables qui le découpait si bien devant la canopée verte étendue à perte de vue ; et la feuille, qui surplombait son visage, avait éveillée dans l’esprit de la petite des interrogations défiantes. Car l’étrangeté, qui semblait omniprésente depuis la rencontre de Petite Pomme, ne la laissait tout de même pas encore de marbre.
Ce fut par ailleurs une muraille marmoréenne que son esprit parvint à abattre, lorsqu’elle revint à elle. Mais alors, elle n’eut pas un moment pour s’interroger sur le phénomène, car à la vue du petit être qui était encore là, et avisant le Monstre s’approchant de lui, le flot de questions qui s’était un instant tari coula à nouveau. D’autant plus qu’ils semblaient tous deux avoir entrepris de discuter, et qu’elle ne connaissait pas leurs premiers mots : le Monstre demanda à l’enfant s’il savait quelque chose de leur situation, mais ce fut une bien étrange réponse qu’il reçut. Aussi, avant que Gurth pût dire quoi que ce fût, Elris prit la parole, avec une voix tintée de méfiance, et avec quelque accent de menace pour que l’étranger sût à qui il avait affaire :
« Dis-moi, quel est ton nom ? Mon Père, quant à moi, m’a donné nom Elris, et ni celui-ci, ni mes amis, ni moi, ne savons comment retrouver ceux qui nous sont chers. »
Elle avait pointé le Géant du doigt, et en profita pour le toiser avec mépris. Elle désirait bien faire comprendre à celui à qui elle parlait qu’il devrait se méfier de Gurth, car le mal qu’il portait, elle ne l’aurait pas souhaité à ses pires ennemis. Cependant, elle reprit vite le cours de son propos, car la réponse que le petit avait faite au Monstre l’avait laissée pleine d’inquiétude : et s’il ne voulait décidément pas leur indiquer la route ? Et s’il la connaissait, en vérité ? Alors peut-être pourrait-elle retrouver Petite-Pomme, et enfin entreprendre à nouveau, avec lui qui sait, sa marche vers les Monts Eternels.
« Un être auquel je tiens particulièrement s’est fourvoyé comme nous, je crois, d’un autre côté de cette forêt immense, et je n’ai aucune nouvelle de lui. Sans crainte, ni manigances, je t’en pris, dis-nous comment les rejoindre et comment trouver l’orée de ce bois, que nous retrouvions au plus vite nos obligations et nos proches ! »