(2ème partie)
… Les deux jeunes femmes ne s’étaient pas rendues compte de la faim qui les tiraillait. Sans un mot elles se jetèrent sur le bocal qui contenait un poisson mariné. Le goût était un peu fort, mais pas désagréable et se laissait déguster sur une tranche de pain. Le pain qui accompagnait était encore frais. Nellia s’était régalée du fromage que l’odeur nauséabonde n’avait d’égale le goût des plus terribles. N’kpa avait délaissé celui-ci au profit des fruits secs. Le temps compté par le sablier venait à son terme. Dans quelques instants les derniers grains de sable bleu seraient passés dans le globe de dessous.
Elle se regardèrent repue, échangèrent un sourire de connivence et vite se mirent en tenue. Le mal de tête s’estompait, même si la zone restait physiquement douloureuse.
N’Kpa retira ses gants longs et les chausses noires, glissa le tout dans sa besace, elle attacha les deux petits sabres et alla planquer le tout dans un recoin. Il ne faisait pas froid, elle retira le pourpoint de cuir qu’elle déposa sur la couche. Elle ne restait plus que vêtue du pagne et de son corset, laissant au grand jour apparaitre sa féminité débordante…
Nellia l’analysa, gênée et se dit que sa camarade était un peu trop nature, mais elle n’en dit rien.
Elle en fit autant, mais beaucoup plus pudique et discrète que N’Kpa, elle garda sa tenue fonctionnelle de maraudeuse et rabattit sur sa tête son capuchon. N’Kpa attirerait les regards, alors qu’elle passerait inaperçue et cela lui convenait.
Rapidement elles grimpèrent les quelques marches pour atteindre le pont principal.
La plupart des marins présents étaient du même type que le capitaine, le reste humains. Ils étaient assez nombreux et ceux qui étaient proches reluquèrent les deux jeunes femmes avec insistances. Nellia gênée, soupçonneuse enregistra les expressions et classa les visages par priorité de méfiance. Elle se tint un peu à couvert dans l’ombre du gaillard arrière, alors que N’Kpa faisait un tour d’horizon, nullement perturbée sur l’instant par les regards scrutateurs et avides, braqués sur elle.
Le navire n’était qu’une grosse coque de noix, avec un seul mât à voile carrée. Deux vergues servant probablement de grue, étaient reliées à la base du grand mât. Un château couronnait la poupe et la proue. Une vigie trônait au dessus de la grande vergue. Deux gros treuils à bras, occupaient l’avant du mât de part et d’autres. Ils servaient sûrement à mettre à l’eau et relever les grands filets de pêche. Une grosse écoutille couverte par un caillebotis siégeait à l’arrière du grand mât, juste devant elles. Deux barques empilées l’une sur l’autres recouvraient le caillebotis. Des monceaux de rouleaux de cordages et de filets étaient bien rangés dans des coins sur le pont. Des tonneaux bien attachés occupaient le gaillard d’avant sous le château, probablement remplis de sel.
Pendu aux solives du gaillard d’avant, des globes de verre emprisonnés dans des filets en corde, étaient ballottés par la houle de plus en plus forte. C’étaient des flotteurs permettants aux filets mis à l’eau de former une barrière pour emprisonner un banc de poissons.
N’Kpa connaissait leur fonction, car les pêcheurs du petit village où elle vivait avec Sirat, avant leur enlèvement, utilisaient cette technique. La houle avait forci et le plafond nuageux était bas. Une tempête se préparait. N’Kpa n’était plus à son premier voyage en mer et les mouvements du navire ne la gênait pas vraiment.
La voix du capitaine tomba d’au dessus de leur tête. Ah ! vous voilà mesdames, je commençais à m’impatienter, encore quelques secondes et je vous collais une première corvée… Mr Gibs mettez la noiraude au travail sur le pont à la manoeuvre, nous allons essuyer un grain… Vous… Il désigne N’Kpa, subodorant les compétences acrobatiques de la féline : Bosco, faites la grimpez avec six hommes. Réduisez la voilure de moitié, le vent forcit…
Les deux passagères se regardèrent, Nellia n’était pas des plus rassurée. Le sieur Mr Gibs un sang pourpre apparut au bas de l’échelle qui menait au gaillard arrière.
Allez la noiraude, assez tirer au flan, si tu veux arriver à bon port et mériter la gamelle, va falloir y mettre de l’huile de coude. Il se retourna et haussa le ton : ALORS VOUS AUTRES, VOUS AVEZ ENTENDU LE CAP’TAINE, TOUS A VOTRE POSTE, FINI DE BAGUENAUDER A RELUQUER LES DAMOISELLES ! BANDES DE VERS LUBRIQUES, C’EST PAS LE MOMENT DE PENSER À LA BAGATELLE AVEC LES MARINETTES, FAUDRA ATTENDRE D’POSER VOS SALES GALOCHES À GRAND PORT. ALLEZ !
La voix tonitruante réveilla de leur hypnose l’équipage. Il y eu un grand branle bas. Ça courait partout, dans une espèce de fausse panique. Cependant, tout le monde savait ce qu’il avait à faire. Nellia fit la moue. Etre appelé la « noiraude » n’était peut-être pas à son goût.
N’Kpa eu un sourire en coin. Se balader dans la mâture, effectivement, ne lui déplaisait pas. Après tout ce n’était qu’un arbre sans branche, juste relié à des cordages.
L’homme appelé le Bosco, rugit à son tour et désigna un groupe de marins, avant de se tourner vers N’Kpa. C’était un humain, il était un peu courtaud, la cinquantaine et arborait une bouille assez joviale. Des favoris entouraient un visage carré endurcit et buriné par des années de service.
Bien, la féline, tout d’abord tu vas m’enfiler ça et fissa ! Il lui jeta une chemise en lin écru et une culotte à rayures brunes élimée. Si tu laisses tes « miches » au soleil trop longtemps, je n’réponds pas de l’orage qui va s’amonceler et se déferler sur ta trogne. Si tu troubles mes tourteaux ils vont rater la manoeuvre et cela peut nous coûter notre coquille et j’ai pas envie d’aller embrasser Moura. il se tourne vers un groupe : VOUS ! C’est fini de reluquer mademoiselle? Vous n’avez rien à faire, faut-il que j’fasse chanter le fouet? Allez grimpez et réduisez moi la voilure de moitié. A la manoeuvre et qu’ça file, bande de fainéants !
Les six hommes s’exécutèrent et sautèrent dans les haubans…
N’Kpa penche la tête sur le coté, n’étant pas sur d’avoir tout compris de l'argot du bosco, elle s’exécute, enfile les fripes peu agréables…
Bien, maintenant tu vois là haut? il désigne le nid de pie. Va falloir nous montrer tes talents et avec tes camarades vous allez me remonter la voile, l’attacher avec les garcettes, comme il faut. La sainte Rana nous envoie une de ses colères et cela risque de s’couer. EXECUTION !
Ni une ni deux, alors que les marins étaient dans la moitié de la hauteur des haubans, l’Humoran les rattrapa, suscitant une pointe d’admiration vite remplacée par une jalousie mal placée. Quelques remarques déplaisantes fusèrent d’entre les dents.
N’Kpa n’en fit pas cas, heureuse de s’élever au dessus du pont, prendre l’air vivifiant. le mouvement de balancier était déjà bien important, avec la houle qui augmentait. La jeune femme attendait les hommes Ces derniers arrivèrent enfin et se répartirent le long de la vergue, progressant avec prudence, s’agrippant le mieux qu’ils pouvaient. Connaissant leur boulot, les hommes commençaient à remonter à eux la voile. N’Kpa s’agrippa et rejoignit un coté sur la vergue. L’homme à coté la regarda et serra les dents. Une embarder soudaine du bateau secoué par les vagues grossissantes décrocha un des hommes. Son cris retentit, mais sa chute fut stoppée.
Ne me lâchez pas… Tenez bon …
N’Kpa le tenait d’une main, de l’autre s’accrochait à un bout qui se balançait dans le vide. Elle avait réagit d’instinct et se laissa glisser jusqu’au pont, pour déposer l’homme hébété.
Des sifflements d’admirations retentirent accompagnés d’un grand « Houra! »
Bravo Mademoiselle, mais le travail n’est pas fini, remontez tous les deux là haut. Maître bosco, mettez plus de monde, il faut agir vite plus vite!
Bien reçu c’aptaine ! VOUS AVEZ ENTENDU VOUS AUTRES AU BOULOT ON SE GROUILLE !
Le groupe prit de l’altitude. Les premiers éclairs retentirent accompagnés d’un vent violent. Les ordres fusaient et les hommes exécutaient.
La tempête fit rage pendant plusieurs heures. Les hommes et les deux femmes lutèrent toute la nuit. Au petit jour la tempête c’était éloignée. La coque de noix avait résisté et même si quelques avaries étaient présentes et en voie d’être résolues, l’équipage ne comptait que quelques blessés.
Les deux jeunes femmes avaient fait de leur mieux et comme le reste de l’équipage, elles accusaient un fort épuisement.
Le second jour passa aussi vite et le travail avait repris, comme si rien ne c’était produit. Les corvées, s’enchainaient et les jeunes femmes apprécièrent la bonne nouvelle que le port était en vue… Une bonne heure plus tard, le bateau touchait quai.
Le capitaine délégua à Mr Gibs le soin d’accompagner sur le port les deux jeunes femmes. Pas un mot de plus ou de moins. Elle purent récupérer leurs affaires et ce dernier les remercia, avant de prendre congés.
Elle se retrouvaient l’une et l’autre dans un port étranger, sans aucune connaissance… Le plus important était de trouver une auberge et prendre un vrais bain et un vrais repas…
… Fin de quête, à suivre sur le topic du port de Darham…
Dirigé avec GM 16