( La Grande Armée des orques effectuait sa retraite, laissant derrière elle Pohélis vide des hommes qui l’habitaient, et plus de la moitié de son armée dans les flots glacés des fleuves aux alentours. La neige dramatisait ce terrible tableau et de toutes parts, à l’horizon, la terre était blanche et le ciel gris. Au milieu des plaines immenses et stériles se traînaient les débris de ces veules miliciens, naguère conduite par un grand stratège aux ambitions de conquêtes, que les peuples unis n’auraient pu vaincre, et dont triomphait à cette heure l’unique allié et ennemi capable d’anéantir à jamais une armée : le terrible froid du continent de Nosvéris. Ici, ils étaient devenus un groupe de cavaliers raidis sur leur selle et luttant avec l’énergie du désespoir contre les étreintes du sommeil dernier. Là, quelques fantassins entouraient un cheval mort qu’ils se hâtaient de dépecer pour survivre, et dont une bande de corbeaux de Phaïtos voraces et attentifs leur disputaient les lambeaux. Plus loin, un homme se couchait avec l’obstination de la folie, et s’endormait avec la certitude de ne point se réveiller.
De temps à autre, un bruit silencieux et filant se faisait entendre ; c’était les flèches des orques. Alors les traînards se remettaient en route, dominés par le ô chaleureux instinct de survie.
Trois hommes s’étaient groupés à la lisière d’un petit bois autour d’une accumulation de broussailles qu’ils avaient à grand’mal dépouillés de leur amas de neige durcie, et auxquelles ils avaient mis le feu. Le trio faisait partie de la cavalerie. Chevaux comme cavaliers s’enserraient autour du brasier, les hommes baraqués, les animaux la tête pliée vers eux-mêmes et l’œil rouge, presque pleurant.
Le premier de ces trois hommes portait un uniforme de la milice de Pohélis en lambeau, dont la sombre couleur indiquait le statut dans la milice et celui-ci semblait être capitaine. Il pouvait avoir dans la trentaine ; grand et de bonne figure, ses yeux bleus devaient inspirer le courage et la gloire à son bataillon. Son bras gauche était fichu, et sa tête était quasiment momifié d’un surplus de bandelettes sanguinolentes. Une flèche avait transpercé des ligaments vers le coude, et un coup de hache garzok lui avait non-mortellement mais presque ouvert le front à la tempe.
Même si en ces heures sombres il n’y avait plus aucun grade, le second des hommes était sergent.
Cette belle armée n’était plus qu’un triste tas d’hommes en loques, fuyant la mort verte ainsi que le céleste froid bien plus dangereux que les consciences tueuses à la solde Oaxaca. Il ne fallait en rien oublier la faune locale : loups et oiseaux charognards se délectaient de cette sordide et triste foudre macabre.
Pour revenir au sergent, qui, était également un bien jeune homme, au front bref, au teint olivacé, au regard fixe et vague ; ses cheveux noirs affichaient l’origine du bien gradé ; son accent tonique et son allure fière, on sentait rapidement qu’il venait de la contrée de Wiehl.
A l’instar de son supérieur, le sergent n’était en rien blessé, et il avait moins souffert jusqu’à présent du délicieux frimas.
Finalement, le troisième de cette minuscule troupe était un simple soldat, ou plutôt un apprenti qui travaillait dans la garde, dont le jeune, pâle et efféminé visage prenait par moments des expressions fantasques quand les flèches des Garzoks sifflaient dans le lointain, tandis qu’il devenait mou puis tout à coup blasé si son regard s’arrêtait sur son chef faible et mourant.
La nuit tombait, et les brumes du pernicieux crépuscule commençaient à s’unir à la terre blanche-rouge du sang de milliers d’êtres et au ciel gris-lumière, comme si les envoyés des Dieux sans admettre que , peut-être, les Dieux eux-mêmes regardaient ce spectacle.
« Nous allons passer la nuit ici, Bart ? disait le capitaine en interrogeant le sergent Wiehlois. Je me sens bien las et mes forces se perdent, ajouta-t-il, et mon bras … mon bras me provoque des douleurs atroces. »
« Capitaine, s’écria prestement le jeune soldat, avant que le sergent eût l’obligeance de répondre, il faut partir vite, le froid vous tuerait. »
Le capitaine regarda un instant le soldat puis pencha son regard vers celui du sergent.
« Le croyez-vous ? »
« Oui. » répéta l’apprenti avec une vivacité convaincue.
Pendant que le sergent, lui, paraissait réfléchir à une longue et décisive phrase.
« Et bien Bart, votre avis ? » insista le capitaine en étouffant un peu.
« Jophiel a raison, répondit-il à son supérieur, il faut remonter à cheval et tenter de cavaler aussi longtemps que possible. Ici, c’est certain que nous finirions par nous endormir, et pendant notre douloureux sommeil le brasier viendrait à s’éteindre… et Zewen sait si nous nous réveillerons… D’ailleurs, il n’est pas avec nous… les maudits orques arrivent… j’entends des pas. »
« La misère s’abat sur nous ! murmurait le blessé d’une voix affreusement sourde ; qui m’eût dit jamais que nous en serions réduits à filer devant une poignée d’horreur verte ! Le froid…le terrible froid, quel ennemi déterminé ! Pourquoi Yuia ? Si seulement je n’avais pas aussi froid. »
Par survie primaire, il tenta de se mettre dans une plus agréable position devant le feu et chercha à ranimer ses membres frigorifiés.
« Et bien, que Jeri en témoigne ! murmura à son tour Jophiel ; je n’aurais jamais cru que vous, le monstre blanc de Pohélis, se laisserez abattre par celle qui nous a trop bien protégé durant des années et des années ; ce froid sempiternel qui siffle sur nos têtes encore plus amèrement que ces flèches. »
Le soldat, en parlant doucement, regardait son éminent supérieur hiérarchique avec respect et considération.
La face d’icelui, d’ailleurs, était devenue blême et dévoilait son horrible affliction ; toute son enveloppe grelottait et frissonnait, et l’espoir, dans sont être, semblait s’être focalisé tout entier dans ses yeux bleus turquoise, qui conservaient leur expression d’une douceur noble et d’un calme héroïque.
« Eh bien, reprit-il l’air de point souffrir, partons, puisque tout le monde le veut, mais laissez-moi encore une fois me réchauffer auprès de ce brasero de fortune. Quel terrible froid ! … il n’a rien de normal, il y a quelque chose derrière … Ah ! je souffre, comme je n’ai jamais souffert … et puis l’entité du Sommeil m’appelle … Phaïtos ! Laissez-moi dormir un instant sans prendre mon âme, rien qu’un peu ! »
Les deux autres se dévisageaient, l’apprenti Jophiel semblait serein quoi que ses yeux noir où brillaient une petite lueur rouge vive laissait échapper un peu de désespoir quant à la situation. Bart le Wiehlois, lui murmura avec beaucoup esprit :
« S’il s’endort, nous ne pourrons plus le réveiller et le remettre en selle. »
« Ah, oui…, répondit son interlocuteur, se penchant à l’oreille du sergent, il faudra le porter pendant que le sommeil l’attrape. Je ne pense pas être assez fort mais à deux, on peut sauver le capitaine. »
Bart sortit rapidement la tête du fourré et parut écouter des bruits lointains :
« Les orques sont à plus de trois lieues, la nuit approche, et ils camperont bien probablement avant d’arriver jusqu’à nous. Puisqu’il veut dormir, laissons-le dormir ; quant à nous, nous veillerons. »
Après l’écoute de ces mots, le capitaine tendit la main au maître des paroles qui lui étaient si chères et si bénéfiques.
« Merci. Merci Bartholomei. Merci l’ami ; tu es bonté et courage pour tenir cette décision. Pourtant toi qui ne viens pas d’ici, tu ne te laisses pas abattre par la furie glaciale de nos vents. Ah… je ne dois pas parler du froid… non. »
Ces derniers mots furent prononcés avec l’accent de la douleur et du désespoir, le visage du capitaine tirait une moue effrayante empreinte d’une peine indescriptible.
« Mais je ne suis aucunement blessé, moi, lui répondit Bart, il est logique que je ne souffre que très peu. »
« Ah ! Ami, reprit le capitaine tandis que l’apprenti Jophiel jetait dans le brasier tout ce qu’il trouvait de branches et de choses qui pouvait brûler autour de lui, j’ai trente-sept ans. Soldat à seize ans, je suis devenu capitaine à trente, c’est te dire que j’ai été patient, que j’ai fait preuve de bravoure. Et là, mon énergie, mon courage, tout, jusqu’à même l’indifférence avec laquelle j’acceptais mes affectations dans mon ô noble et difficile métier, tout s’anéantit à cause d’un ennemi invisible et pour le moins mortel qu’on nomme le froid. Je meurs de froid !... le comprends-tu ? Et pourtant je le connais cet ennemi … à Gwadh, j’ai passé seize heures sur un champ de bataille sous un monceau de mes frères d’armes mort, la tête dans le sang qui commençait à geler, les pieds dans la boue car l’environnement est très humide chez les elfes noirs. Près d’Omyre, lors d’un siège, je suis resté à l’assaut avec deux carreau dans la poitrine ; à Caix, je suis resté à cheval jusqu’au soir, la cuisse traversée d’un coup de sabre Shaak. Et … aujourd’hui, je ne suis qu’un corps où mon âme s’envole déjà, un homme presque mort… un couard qui fuit un ennemi que je méprise grandement ! Les Garzoks ! Tout ceci, juste parce-que je meurs de froid… »
« Lionel ! Lionel, courage ! lui dit le sergent, nous ne serons pas toujours ici, nous regagnerons des climats plus frais, nous reverrons le soleil… et toi, le monstre blanc de Pohelis tu sortiras de ta torpeur ! »
Le Capitaine Lionel Del Agito hocha tristement la tête, ne trouvant pas l’espoir dans les belles que son ami Bart lui porta.
« Non… je ne reverrai ni le soleil, ni ma cité telle que je l’ai connu… Encore un peu de temps et un envoyé de Phaïtos me prendra. »
« Lionel ! »
« Capitaine ! »
Les deux s’exclamèrent en simultanéité, alarmés de sa situation et aussi de ses dires.
« Je meurs de froid, et je ne cesse de le répéter, maugréa le capitaine avec un petit sourire navré, de ce frimas et de sommeil aussi. »
Et comme sa tête se penchait en direction de sa poitrine, et que cette torpeur insoutenable et imbattable qui ôta la vie à tant de valeureux cœurs, dans cette lamentable retraite vers Pohélis, s’emparait de lui, le capitaine Lionel fit un somptueux effort, tourna ardemment la tête en arrière, en direction d’autres soldat au loin, et dit :
« Oh, non, je ne peux pas dormir encore ; il faut que je songe à ceux qui sont toujours là-bas et qui combattent alors que nous … nous sommes là et las. »
Sa tête se tourna vers Pohélis, la cité était certainement en train de subir le courroux Orque mais cela, il ne le savait pas.
« Mes amis, continua-t-il, en s’adressant à la fois à Jophiel et à son sergent, vous allez survivre tous les deux, sans doute, et vous garderez mon souvenir. Eh bien, écoutez, je vous confie ma volonté dernière : Bartholomei … ma femme et mon enfant … »
Il tendit encore une fois la main au sergent Bart, et poursuivit :
« J’ai… fait migrer vers le continent de Nirtim à Kendra Kar, ma femme et un enfant qui viendra bientôt au monde si ce n’est déjà fait. Bientôt, la femme sera veuve et l’enfant orphelin. »
« Lionel ! Ne parle pas ainsi, tu vas vivre ! »
« Et que j’aimerais tant… oui ! murmura-t-il dans une tristesse que Jophiel regardait avec un visage tout aussi neutre quoique touché sincèrement au fond tandis que le sergent était au bord des larmes ; je veux vivre et la revoir… »
Son œil brilla à nouveau, étincela même lorsqu’il parlait de sa bien-aimée.
« Cependant, reprit-il plus amèrement en essayant de tenir un bien triste sourire, je vais mourir et les deux auront besoin de protecteurs. »
« Capitaine, s’écria Jophiel, vous savez bien que, s’il vous arrivait malheur, en tant qu’apprenti je n’honnirai point votre volonté, si protection vous voulez pour eux, je tenterai de le faire. »
« Merci ! je compte sur toi. »
Il se mit à regarder son ami le Wiehlois.
« Et toi, toi, mon vieil ami, mon frère d’arme ? »
Bart tressaillit, et un orage passa dans son esprit. On eût dit que de très lointains souvenirs venaient d’être évoqués chez lui par le biais des paroles du capitaine.
« Tu as déjà répondu à cela, Lionel ; ne suis-je pas ton camarade, ton frère ? »
« Alors après ma mort, tu seras son mari, et le père de mon enfant. »
Une vive rougeur monta, à ces mots, au visage du sergent ; mais Lionel n’y prit garde, et il ajouta :
« Je sais que tu aimais Asha, et tu sais bien aussi que nous la laissâmes libre d’épouser l’un de nous deux. Plus heureux que toi, je fus son élu, et je te remercie d’avoir accepté ce sacrifice et d’être demeuré le frère de celui qui fut ton rival. »
Le sergent Bart avait les yeux baissés. Une pâleur sombre venait de succéder au grenat de son front, et si son ami eût eu tout son sang-froid et n’eût été dominé par ce mélange horrible et incroyable de souffrances morales et de douleurs physiques, il eût compris qu’une rixe sanglante s’élevait dans le cœur du Wiehlois, torturé par ce souvenir.
« Si je meurs… tu l’épouseras… Prends… »
A ces mots, Lionel ouvrit son restant d’uniforme et lui tendit un pli jadis soigneusement cacheté mais qui maintenant, était tout fripé et avait un air de mort.
« Voilà mon testament Bartholomei ; je l’ai écrit au début de notre désespérante campagne et agité d’un étrange préssentiment qui ne m’a trompé. Par ce testament, mon ami, je te laisse la moitié de ma fortune, si tu consens à épouser ma future veuve. »
De sa pâleur noire qu’il était, Bart devint gris, un emportement nerveux s’empara de son être, et il prit le testament d’une main convulsive.
« Sois tranquille, cher Lionel, s’il t’arrivait malheur, je t’obéirais… Mais tu vivras, tu reverras ta tendre Asha, pour laquelle, je dois t’avouer, je n’éprouve plus qu’une vive et respectueuse amitié. »
« Ma mort vient, je te le répète encore... »
Sa tête s'inclina de nouveau vers sa poitrine et l’entité du Sommeil le prit avec une rapidité tenace.
« Laissons-le dormir un peu, dit Bart à Jophiel, nous veillerons. »
« Quel froid ! » murmurait Jophiel dans son calme plus qu’anormal, et tout en aidant le sergent à coucher le capitaine vers le feu et à le couvrir des lambeaux de couvertures qu’il pouvait avoir.
Quelque temps après, le capitaine Del Agito dormait profondèment.
Jophiel, l’œil rivé un peu partout, alimentait sans cesse le brasier, et veillait à ce qu’aucune étincelle ou autre projectile sortant des flammes ne tombât sur lui ou sur son chef. Il le fit plus par nécessité que par respect car lui aussi avait un peu froid ; seul le Wiehlois n’était que peu affecté par les températures terribles.
Celui-ci avait la tête dans ses mains ; ses yeux étaient baissés, et mille pensées confuses devaient s’agiter dans sa tête. Cet homme, pour lequel Del Agito avait une aveugle amitié, possédait tous les vices des races folles. Avide et vindicatif, il était souple et insinuant avec tout le monde. Il s’était rangé dans la milice de Pohélis pour éviter les troubles qu’il a commis dans son pays ; il avait eu l’art de se lier avec les officiers fortunés et possédant des titres. Il avait beau ne rien posséder dans sa poche, il n’avait que des amis richissimes. Bartholomei était devenu sergent bien plus grâce aux rouages mécaniques des choses, en un temps où Phaïtos faisait une ample moisson d’officiers, que par sa propre bravoure. Il avait bien assisté à moult batailles, mais jamais on ne l’y avait vu s’y distinguer à juste titre. Peut-être n’était-il pas lâche ; mais à coup sûr, ce n’était pas un homme brave et émérite. Bart et Lionel étaient amis depuis dix ans. Sergent tous deux, quelque années auparavant, ils avaient rencontré à Kendra Kar mademoiselle Asha Tierdil, fille d’un fournisseur d’arme pour toute les armées, belle et charmante jeune fille dont ils s’éprirent tous deux. Asha choisit à plus juste raison, le capitaine qu’est maintenant Lionel. A partir de ce jour, Bart voua à son ami cette haine violente et terrible qui ne peut germer que dans un cœur plein d’idées noires, une haine de plus en plus puissante et de plus en plus secrète, dissimulée sous les dehors de la plus cordiale et respectueuse affection. Une rage mortelle, implacable, et qui devait éclater au premier moment favorable. Cette vengeance, le Wiehlois venait de la trouver enfin, et il la méditait froidement tandis que le capitaine dormait et que Jophiel pensait à tout autre chose.
« L’insensé ! se disait tout bas Bart qui jetait de temps en temps un sombre coup d’œil à l’officier endormi, le fou ! Il vient de me donner à la fois son argent, à moi qui suis pauvre, et sa femme, à moi qu’elle a rejeté… On ne saurait prononcer plus expressivement son arrêt de mort. »
Son regard se porta l’espace d’une seconde sur Jophiel.
« Cet homme va me gêner, tant pis pour lui ! »
Il se releva et s’approcha de son cheval.
« Que faites-vous, sergent ? » lui demanda l’apprenti.
« Je veux vérifier si mon sabre n’est pas usé. »
« Oh… »
« Avec cette neige du démon, poursuivit tranquillement Bart, il ne serait pas étonnant que la lame s’émousse, et si les orques arrivent … »
Le sergent mit à ces mots les mains sur la lame et donna des coups en l’air rapidement. Jophiel le regardait sereinement et sans défiance aucune.
« La lame est bonne, elle n’a pas trop souffert, heureusement. »
Il regarda le soldat et lui demanda :
« Sais-tu que j’ai une adresse incroyable à l’escrime ? »
« C’est bien possible. »
« En même pas trente seconde, lors de duel primé, je touchais mon homme au cœur, et je le tuais d’un coup. »
« Oh, vraiment ? »
« Il y a mieux. J’ai fait plusieurs fois le pari de crever un œil à mon adversaire, le gauche ou le droit et j’ai toujours fait mouche… Mais vois-tu, l’ami, le plus simple est de toucher le cœur, on tue à tout les coups. »
Bartholomei pointa son sabre vers le cœur du jeune Jophiel.
« Que… que faites-vous ? » s’écria promptement le soldat en faisant un bond en arrière.
« Je vise le cœur, lui répondit très froidement le sergent qui commença à charger vers lui : je ne veux pas te faire souffrir. »
De ce geste, Jophiel n’eût que très peu de choix : l’esquiver en partie et peut-être mourir dans d’atroces souffrances ou se le prendre de plein fouet et mourir sans souffrir. Il préféra la première solution et ne reçut point la lame au cœur mais à côté. Son assaillant ajouta :
« Tu étais de trop ici, mon garçon ; dommage pour toi ! »
Un immense cri survolait dans la nuit, une détonation mortelle des plus vives se fit entendre, la douleur fut intense, et Jophiel tomba à la renverse en alignant ses quelques mots qui n’avaient pas beaucoup de sens :
« Je… je... suis… plus… vieux… que… que toi. »
A cette clameur, à cet hurlement ultime, Lionel Del Agito fut brusquement arraché de sa léthargie bénéfique, et se leva à moitié croyant avoir affaire à des orques.
Mais Bartholomei, armé d’une lame ensanglantée, appuyait avec fougue sur son genou avec sa botte et le renversa brutalement sur le sol, où il ne put que rester couché.
Stupéfait de cette agression, il vit sur la figure grimaçante et railleuse de son ennemi, animée d’un facies féroce, un sourire qui lui révéla, avec la rapidité de Valyus lorsqu’il lance un éclair, toute la bassesse, toute l’infamie de cet homme en qui il avait si fermement cru pendant tout ce temps.
« Tu as été assez niais, capitaine Lionel Del Agito, pour croire à l’amitié de l’homme à qui tu avais dérobé la femme qu’il aimait… tu as été assez stupide pour t’imaginer qu’il te donnerait le pardon ! Mais tu as poussé ta crédulité et ta sottise au point de lui donner en inscrivant dans ton testament ce que tu as pris ! En me suppliant, moi, ton cher et tendre ami d’épouser ta veuve et d’accepter la moitié de ta fortune ! Tu t’es endormi dans l’espoir de revoir des aubaines plus justes, de la revoir, elle et ton enfant ! Stupide individu, tu avais raison car non, tu ne les reverras pas. Et tu t’endormiras pour toujours, feu mon ami ! »
Et Bart dirigea la pointe de son arme vers le cou de Lionel. Mais celui-ci, dominé par son instinct, essaya de se lever mais rien à faire, le sergent appuyait de son pied sur son ventre, la pression était trop forte et s’il se débattait trop, il risquait de suffoquer.
« Inutile l’ami, tu dois rester ici. »
« Lâche ! »
« Mais sois donc tranquille, mon cher Lionel, ton vœu sera accompli. Je l’épouserai ta veuve, je porterai même ton deuil, et le monde me verra pleurer éternellement mon très cher et dévoué ami. J’ai toujours été homme à écouter quand il le faut. »
La pointe de la lame toucha le cou du capitaine, maintenu immobile par le pied du perfide Wiehlois, icelui transperça le cou du Del Agito avec le même sang-froid qu’il en avait mis il y a un instant pour Jophiel.
Son sang coulait par terre, éteignant le triste feu, marquant la fin des évènements ici bas. Jophiel était étendu tout près dans une mare de sang, et le crime du Wiehlois n’avait eu d’autre témoin que les Dieux en personnes. )
Jophiel se réveilla en sursautant, la main sur sa poitrine essayant de sentir l'entaille qui avait disparu depuis maintenant trois ans. L'étrange sentiment qu'était l'angoisse jaillissait en lui, jaillissait pour disparaître et laisser revenir un calme plus habituel chez l'homme à l'œil bandé et plein de paille sur le visage.
« Juste un rêve, une réminiscence obscure mais pourquoi maintenant ? »
La jeune recrue n’était pas morte, comment, pourquoi ? Lui-même ne savait encore pourquoi mais toutes ces questions le hantaient profondément, l’interrogation sur sa survie tiendrait du miracle ou de l’intervention d’urgence. Personne ne le savait ; chose certaine, Jophiel demeurait en vie. Bien en vie. Au fond d’une cale d’un navire qui avait fini sa trajectoire, au fond d’un univers ou il n’était rien de plus qu’un point dans l’océan des dieux. Un marin n’avait pas omis de prévenir l’ancien soldat par un signe fort étrange qu’il était en train d’accoster.
Il était à demie couché, entassant son oreiller de paille sous sa tête s’enveloppant dans une pelisse de voyage que les marins lui avait confiée pour le voyage, et refusant de sortir de sa chambre-cale il marquait clairement son désir décrit en quelque mot que son facies décrivait parfaitement "je veux dormir encore un peu". Mais peu importe, Jophiel devait se lever, se lever et commencer l’inconnu ; commencer et peut-être ne jamais en terminer avec cet inconnu étrange et passionnant. Mais comme le disait un sage Ynorien « L’aventure ne s’arrête jamais, sauf quand Phaïtos vous dit : c’est fini. »
En se levant, il se souvint de la douleur que la lame lui avait portée et se mit à parler bien tristement, d’une voix amère et pleine de mélancolie ; sa voix fine et claire allait laisser transparaitre un délicieux accent hinion qu’il avait gagné par la lecture de nombreux parchemin jadis lorsqu’il étudiait et travaillait à l’université des glaces. Une sonorité rare et belle mais impure aux oreilles d’un elfe blanc allait se jouer, impure car l’être chanteur-narrateur n’en était pas moins qu’un bâtard de demi-elfe et rien ne peut être plus parfait qu’une voix d’elfe, heureusement nuls elfes n’étaient présent à l’écoute de ces paroles :
« Olos mallo i sercë cèluëa.» *
_______________________________________________________________________
*Olos mallo i sercë cèluëa: Vision où le sang coule. ( enfin, approximativement, désolé. )
_________________
« La mort est personnifiée COMME FIGURE ANTHROPOMORPHE ou personnage fictif dès le début de l'humanité. »
Dernière édition par Jophiel Belmont le Ven 27 Nov 2009 18:34, édité 4 fois.
|