« Suivez-moi, nous n’avons pas le temps monsieur Belmont ! »
C’était tout ce dont on pouvait attendre d’Edgard sous le ciel obscur de la truande cité. D’un pas long et déterminé, il marchait avec rigueur et vélocité ; puis, s’arrêta, soudainement, levant les yeux vers les nuages et soupirant longuement en marmonnant :
« La neige, elle arrive. »
Unique commentaire avant de reprendre la vive marche dans l’infréquentable ville où les deux jalonnaient de rues en rues, toutes plus sales les unes des autres. La cité, ô combien crasseuse dans le détail, ne montrait qu’une laideur insoutenable jouant sur les tonalités banales de la population ainsi que sur l’instabilité de la vie, un spectacle… effrayant, pensa Jophiel au plus profond de lui. Non, la ville ne lui inspirait aucun dégoût, aucune aversion profonde, c’était plutôt la souillure en elle-même qui le répugnait. Pas par besoin vital de propreté mais par une bonté aux élans de pitié froide, aussi froide que la neige qui tombait dorénavant sur la cité. C’était au tour de Jophiel de s’arrêter, Edgard ne s’arrêta pas par contre, pour contempler la neige qui tombait ; une neige si différente à ses yeux, une neige plus douce malgré la dureté des environs, une neige non soumise aux duretés de la guerre mais à la corruption de la ville.
« Puis-ce la bénédiction de Yuia rendre la cité plus pure pour cette unique nuit seulement. »
Jophiel pensait à la jeune civilisation, l’innocente encore population de la ville : les petits garçons, les petites filles, les nourrissons. Qui les protégera, eux ? Plus de « roi », plus de peuple protecteur et juste un amas chaotique d’humains avides et sans compassion. Monsieur Belmont continua sa marche les même pensées en tête en se demandant quelque chose d'assez capital:
« Mais où est donc Edgard !? »
Edgard l’avait effectivement perdu, semé ou non attendu le demi-elfe ne savait pas. Jophiel se livra donc à une intense recherche dans les tortueuses rues de Dahràm où aucune n’était droite ou correctement tracé. Force de courbes et d’asymétrie en tout genre, le demi-elfe courrait çà et là sans trop savoir où pour rechercher son « compagnon » disparu ; en pressant le pas, il lorgnait timidement les scènes de la cité pirate de nuit : vols, bagarres, disputes et bien pis encore, tellement pis… il n’était vraiment pas dans un univers candide. Sa course assez vive l’avait mené ou plus exactement remmené aux alentours de l’auberge du voyageur. Ses yeux ne se rivaient que sur une seule chose, une seule personne, une grande dame aux cheveux d’un blanc si agréable à l’œil et si pur que même la neige tombante ne faisait pas le poids. La dame portait des bottes en cuir d’étrange facture aux noirs intense, un pantalon de couleur crème ainsi qu’une armure en plaque d’argent qui recouvrait tout son torse. On pouvait voir descendre le tabard bleu qui était sous sa lourde cuirasse, elle portait aussi une longue cape au bleu brillant ; il ne fallait pas être très futé pour comprendre que la cape était magique, mais Jophiel, lui, le sentait car l’aura de ladite de cape émanait n’était pas anodine ; peut-être était-ce cela qu’il cherchait ou cela qui l’avait guidé vers cette dame se disait-il. Peut-être… Cette dame, le chevalier bleu de toute évidence, avança fermement en sa direction sortant de son lourd sac une cape blanche finement brodé, si fine et si légère qu’elle n’avait l’air de ne prendre aucune place dans son sac. En approchant, Jophiel apercevait le pommeau de la lame du chevalier, une pièce rare mais surtout serti d’une gemme bleu azur aux profondeurs exquises, il contemplait aussi son visage, joliment dessiné et ne ressemblant que peu à celui d’un guerrier mais au moins ce visage prouvait la noblesse de l’appellation de la dame : chevalier. Elle avait tout d’une courtisane… en apparence : la beauté, le charme, la distinction et la noblesse des pas aussi sûr que déterminé. Puis le rêve prit fin quand elle s’approcha et lui narra dans un calme ferme et distant :
« Prends ça et viens ! Tu vas m’être utile. »
Le chevalier jeta la cape sur le visage de Jophiel qui tomba sous le poids de l’objet qui avait doublé de volume dès lors que la dame la jeta sur lui. Encore à terre, Jophiel lui demanda d’un air à la fois navré et interrogatif :
« Qu’est-ce que tout cela signifie ? Pourquoi devrais-je vous suivre ? »
« Tu glanais bien des informations sur moi, maintenant prend et assume ta destinée, chair à canon de pirate ! Ou peut-être veux-tu mourir à terre, comme un chien, c’est cela ? »
A peine le semi-elfe avait cligné des yeux à cause d’un flocon tombant dans son unique œil visible, à peine la dame avait dégainé et sa lame était déjà sous la gorge de Jophiel. Elle regardait l’homme avec un air de dédain si fulgurant et une volonté paraissant inébranlable mais surtout avec aucune hésitation sur le fait d’occire le brave vétéran. De son œil, Jophiel lui rendit un regard plus doux, plus compréhensif sans s’en rendre compte ; c’était sa réaction face aux dangers : un sourire d’insouciance cachant toute l’émulation que l’ancien soldat pouvait accumuler ; puis, il se leva, la lame bougeant avec lui, prit la cape et la mit avec habilité en l’attachant sur l’épaulette solitaire. Après avoir opéré avec soin tout en souriant, il répondit calmement :
« Je ne suis pas pirate ! C’est un déguisement et il fonctionne bien, pas une seule agression ! »
Jophiel avait un rire bien à lui, une sorte de gloussement à la fois expressif et délicat montrant clairement son manque de finesse dans les situations. Un rire exprimant sa gêne, la libérant surtout. Il ne se libéra pas du ridicule de son intonation par contre… un déguisement qui donc autre qu’un forban pouvait comprendre avec aisance que Jophiel n’était pas un pirate : son teint hâve, sa chétivité troublant et surtout son cache-œil ! d’un noir profond, il était aussi neuf que les bottes qu’il portait. Trop propre pour être un pirate, c’est sûr.
« Pff, peut importe, disait-elle en rangeant son arme, au castel ! J’ai des questions à poser à ton « ami ». »
Décidément, Jophiel ne tombait que sur des gens qui ne prenait pas la peine de s’arrêter quand ils discutent car à peine la phrase terminé qu’elle se situait déjà cinq mètres devant elle. S’étonnant de la bizarrerie magique de la cape qui avait grossit non pas à son contact mais au contact de la neige, il se concentra un petit instant, toujours dans la tentative de rattrapé la jeune femme qui se hâtait vivement, pour comprendre les mécanismes de la cape.
(Elle est bien folle de me donner une pièce magique ! Voyons, cette cape est trop lourde… on l’a conditionné à s’alourdir si le temps se gâte je pense mais là, ce n’est que de la neige, si je pense assez fort peut-être pourrais-je la rendre plus fine. )
Et en marchant, avec la concentration nécessaire, la cape fit se qu’il voulait : elle devint plus fine. Il ne voyait plus le chevalier bleu mais il avait, cette fois-ci, vu le chemin qu’elle prenait ; courant maintenant vers la destination, on pouvait voir les traces de pas sur la neige qui apportait une première et épaisse couche sur le sol. Le chevalier se situait à une intersection et Jophiel, surprit de pouvoir le constater, se rapprocha doucement de la dame qui était devant quelque chose qu’il ne pouvait pas encore voir. L’épée à la main, la dame hurlait :
« Je n’ai pas le temps de jouer, ni même d’écouter ton histoire maudit sinari ! Pousses-toi où tu brûleras sous le poids de la sainte lumière ! »
Jophiel s’approcha de plus en plus et…il discerna à son tour un sinari fort fantasque. Pour être honnête, non, il n’avait rien de fantasque sur le physique ; il était grassouillet, un peu vieux, aux cheveux et à la barbe grisonnante. Son rond visage lui donnait des airs stupides, apparent à ceux d’un grand benêt – sauf qu’ici, il était petit – sa bouche, presque invisible, montrait un habitué de la pipe, tandis que ces petits yeux noirâtres accentué l’aura bienfaisante l’entourant, il avait de longues boucles de sa chevelure grise qui flottaient en liberté, aussi libre que son apparence. Ce qui était bizarre c’était son accoutrement : des bottines noires criardes et reluisantes, une culotte rouge vermeil ainsi qu’une longue tunique en coton d’un rouge encore plus profond. Tunique qui retombait si droitement sur son corps, que son buste demeurait moins gras, comme s’il eût la volonté de chercher à se cacher et à garantir qu’on ne vit les rondeurs de son corps. Notre être avait des airs de bienfaiteur comique et n’avait l’air aucune affecté par la menace du chevalier et rétorqua de sa voix lourde et joyeuse :
« Bah, brûle-moi ! Brûle donc le vénérable sinari des voiles blancs mais sache qu’on ne purifie pas tout ainsi ! »
L’épée en retrait, la dame commença une longue incantation où de douces énergies blanches l’entouraient agréablement. Murmurant de plus en plus fort, on commençait à entendre ceci :
« Astre lumineux, sainte flamme. Ô moi pécheresse parmi les pêcheurs, je vous mande ! Purifiez cet être de son éternelle souillure ! »
Les lumières s’intensifiaient et s’accumulaient autour du hobbit souriant, des lumières brûlantes qui fondaient la neige formant un halo brûlant. Puis, rien. La lumière disparut et le sinari souriait, n’ayant rien subit :
« Fais chaud, hein ? plaça-t-il en s’essuyant avec sa manche, tu ne m’auras pas ainsi et tu ne peux m’incendier de lumière. »
« Par Gaia ! Comment se fait-il… »
Subjugué par ce qu’il venait de se passait Jophiel contemplait avidement la scène en se mettant volontairement de retrait. Il voyait la dame bluffée par cette action, son visage montrant clairement son incapacité à comprendre cela ; elle se calma rapidement comme si un éclair passa dans son esprit, elle se calma puis se tût, attendant quelque chose. Plus surprit encore quand le clocher se mit à sonner, à sonner « l’heure » ; Jophiel trouvait très désagréable le frisson qu’il éprouvait en restant là à se demander lequel des deux dégainera un nouvel atout. Le chevalier tint l’œil au guet devant son interlocuteur sinari car elle ne désirait aucune avoir encore à faire à cette chose ridiculement vêtu, elle avait un impératif autrement plus important. Cependant, ni elle, ni Jophiel n’avait envie d’être assailli par surprise, ni de se laisser dominer par une trop vive émotion. Il y a des esprits forts, habitués à ne douter de rien, qui se piquent d’être horriblement blasés sur tous les genres d’émotion, et de se trouver, à toute heure, à la hauteur des circonstances, expriment la vaste étendue de leur courage impassible en face des événements imprévues, en se déclarant prêts à tout. Le Chevalier Bleu semblait être de cela. Sans vouloir faire de Jophiel un hâbleur farouche, on ne pouvait pas vraiment croire qu’il aurait réagit de cette manière car il était bien plus du genre à se laisser étonner devant tout et n’importe quoi ! Mais, il ne s’attendait pas à cela, il n’était, par le fait, nullement préparé à ce qu’il n’y eût rien mais pas à cela, et c’est pourquoi, quand la géante horloge de la ville – bizarrement encore en état- vint à sonner, et qu’aucun des deux ne réagissaient, il était pris d’un frisson mauvais et se mit à trembler de tous ses membres. La cape semblant l’écouter s’épaissit doucement sans trop l’alourdir. Il regardait dans le vague, la neige tombante, les astres illuminant le ciel, jusqu’à ce que le sinari prenne parole :
« Il est bon de ne pas discuter avec vous, vous n’êtes pas banal et c’est intéressant ! Vous savez, je ne vous retarde pas pour rien. J’ai quelque chose pour vous, pour vous deux. »
Jophiel s’approcha, timidement, le pas peu sûr en répétant :
« Pour nous deux ? »
« Et surtout pour toi, réclama l’hobbit toujours souriant, conscient de ce qu’il va se passer je ne peux rien vous dire mis à part vous souhaiter une bonne fête car aujourd’hui, c’est un jour spécial pour beaucoup de personnes. Cette ville l’a oublié ou ne l’a jamais su mais il y a des êtres ici qui, le mérite, vous en êtes et j’espère que vous le resterez ! »
Pour une minute à peine, la ruelle avait subit une sorte de changement incroyable. Les murs étaient si richement décorés de guirlandes et de feuillage verdoyant, qu’on eût dit un bosquet miniature dont toutes les branches reluisaient de baies écarlates. Les feuilles lustrées du houx, du lierre et du gui reflétaient la lumière des étoiles et de la lune, comme si on y avait suspendu une myriade de minuscules miroirs. Vraiment, la rue avait gagné en superbe, et les deux étaient bluffés de la subite transformation. Le sinari s’écria, riant joyeusement :
« Je ne vous retarde plus. Admirez, profitez ! et bonne chance pour la suite ! »
Et il disparut, aussi magiquement que les décorations furent. Mais, à la place du hobbit se tenait une malle, une bien étrange et bien lourde malle, assez grande pour y contenir n’importe quoi. Il ne fallait plus qu’ouvrir pour regarder ce que le coffre pouvait contenir. Jophiel s’avança vers la malle tout en jouissant du spectacle puis demande à la dame :
« Bon, on ouvre ? »
Elle hocha de la tête, encore sous le choc de son impuissance certainement. Ou peut-être avait-elle compris, peut-être bien, oui. Les deux se présentèrent devant l’étrange masse et pendant qu’ils ouvrirent ensemble, ils pouvaient entendre le son d’une cloche ainsi que les rires et la voix du hobbit dans le ciel. Ils n’osèrent lever les yeux vers le ciel, ils n’osèrent plus dire un seul mot et se contentèrent de rester calme et prospère face à cet aussi singulier qu’étrange évènement.
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« La mort est personnifiée COMME FIGURE ANTHROPOMORPHE ou personnage fictif dès le début de l'humanité. »
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