Maltar passe le pas de la porte puis partit dans les rues au hasard d'une démarche incisive. Il se sent mieux dès la première bouffée d'air frais. Il fait froid dehors, mais cela le revigore, et il se sent encore un peu plus vivant à chaque pas. Il croise sur son chemin quelques badauds. Un jeune couple enlacé se susurrant des mots doux entres deux bécots, sans faire attention à lui, complètement absorbé qu'ils sont par leur affaire. Puis un bourgeois dans un épais pourpoint de velours à peine moins pourpre que son teint rougeaud qui l'ignore superbement. Maltar n'a que fichtre d'eux, et est pris par ses pensés. Si son corps tourne maintenant mieux, son esprit est toujours focalisé sur le mauvais rêve et repasse en boucle les instants lesdésagréables dont il avait souvenance, notamment ce visage qui était maintenant gravé sur sa rétine au fer rouge. Au bout d'une pléthore de fois à re-boire spirituellement la tasse, il commençe à avoir soupé de cette eau salée et fit violence à sa prostration intellectuelle. Passer à autre chose! Vite! Sus à la taverne pour se changer les idées!
Il vit volte face, avança d'une vingtaines de mètres avant de prendre de droite puis de gauche d'un pas décidé, couper par une petite ruelle sordide pour enfin rejoindre la taverne la plus proche, dans laquelle marine encore une belle fricassée de clients de toutes races tous plus saouls les uns que les autres.
Il passe le parvis et se dirigea droit sur le comptoir en se livrant à une rapide analyse des lieux. Sur son chemin jusqu'au bar, deux tables dont les occupants ne laissaient qu'un mince espace entre eux. Sur celle de droite, deux homme taillés comme des armoires shoryaque vêtu de peaux de bêtes, un humoran au visage taillé à coup de serpe qui n'avait rien à leur envier et trois torkins presque plus larges que hauts poussaient le carton sur une table où proliféraient monnaies sonnantes et trébuchantes et bouteilles, vides ou pleines. Sur la table d'à coté devisaient quatre sylvains longilignes qui riaient à gorges déployées de leur strident timbre clairet caractéristique en sirotant un alcool bien trop clair pour être honnête dans de fines coupelles tentant sans succès d'imiter la beauté du cristal. La teinte légèrement rosée de leurs joues trahissait qu'ils n'en étaient plus à la première depuis un moment. Pendant qu'ils devisaient de toutes sortes de choses sans doutes toutes plus inintéressantes et inutiles les unes que les autres, le plus frêle d'entre eux, qui tournait le dos au gobelin, ponctuait le propos de quelques accords plaqués mollement sur sa mandoline. A leur gauche ripaillait comme des sangliers affamés une troupe d'orks à cotés desquels le patron avait carrément mit un plein tonneau de bière à la perce dans lequel ils puisaient librement. Mangeant de manière aussi bruyante que sale, la cacophonie que dégageait de leur tablée, faite de rires gras, tintement sourd de chopes gaillardement entrechoquées, grivoiseries et vantardises par paquet de vingt, retentissait d'un bout à l'autre de l'établissement.
Chacun semblait s'occuper de ses affaires sans faire attentions aux autres. Après tout, la mixité raciale est de mise à Dahram. Mais en regardant attentivement, Maltar pu se rendre compte que les nains, tout à leurs jeux, gardaient tout de même discrètement à l'œil les volumineux peaux vertes qui ne manquaient pas eux aussi de surveiller les courtauds en conserve d'un regard en coin en remplissant leurs chopes. Quant aux elfes, en de subtils regards biaiseux, ils surveillaient les deux tablées, sans doutes moins à l'aise qu'ils n'essayaient d'en avoir l'air entre ces deux tables à la concentration de muscle et de testostérone au mètre carré colossal. Mais finalement, bon an mal an, chacun feignant d'ignorer l'autre, tous cohabitaient, égaux qu'ils étaient devant la pochtronnerie organisée.
A droite de la salle se tenait aussi deux tables remplies de locaux, marins ou dockers, qui buvaient tranquillement en essayant de s'entendre malgré les brouhahas provoqués par les orks, certains en jouant au dés. Ils commençaient toutefois à laisser échapper quelques gestes de lassitude vis a vis de ces étrangers envahissants.
Maltar se glissa entre les joueurs de cartes et les elfiques hilares, pour finalement faire face au grand sec moustachu qui servait de taulier dans ce rade.
Patron! Une pinte de votre meilleure bière s'il vous plait!Une Cuvée des rois vous irez, Monsieur? Cuvée de ce que vous souhait... Maltar laissa le temps d'un souffle sa phrase en suspend, avant de rembrayer sec.
Cuvée d's'que tu veux moustache! La plus chère si ça peut t'aider à choisir. Vite! Et pas d'la roteuse tiedasse hein! Bien fraîche avec un beau collet bien fait et t'aura p't'être un pourlish! Bon dieu d'taulier qui comprend rien et pause d'foutues questions rhétoriques à la con! Cria Maltar, qui se sentait encore bien trop tourneboulé pour enchainer deux phrases sans agresser quelqu'un. (
qu'est-ce qu'il veut qu'j'en sache moi, si la cuvée tartanpion est meilleure que la cuvée du tribun des morbacs? Et puis depuis quand les monarques ont-il goût pour le jus de houblon d'abord?)
Le patron ouvrit de grands yeux sous l'effet de la surprise, et hésita un instant. Le Gobelin n'en puis plus d'attendre, et frappa du poing sur la surface de vieux chène.
Bin alors! T'es sourd ou c'est ta vilaine caboche qui n'fonctionne plus ?! Le moustachu semblait de plus en plus éberlué par le phénomène qu'il avait en face de lui.
Oui elle est vilaine ta trogne! On va pas disserter là-dessus pendant trois vies, toutes les putains du continent en conviendraient qu't'a le charme d'un cul de squigg! Tu la veux cette pièce ?! ALORS REMPLIS-MOI UNE FOUTUE CHOPE, J'AI LE GOSIER PLUS ARIDE QUE LE CON D'OAXACA!!! La boule de nerf ponctua sa phrase en plaquant une pièce d'argent sur le comptoir tout en fixant avec de plus en plus de colère le grand machin de l'autre coté du comptoire.
Le tavernier s'exécuta finalement, non sans pousser un grognement vaguement désapprobateur.
Non mais!C'était une chose qu'avait assez vite compris Maltar: le client est roi, et un client énervé est un client qui consomme, donc souvent, on le soigne. Sans se départir de sa mine renfrognée, Maltar sourit intérieurement en saisissant la bière qu'on lui tendit. Sa bonne humeur lui revint définitivement lorsque ses lèvres touchèrent la délicate mousse qui recouvrait celle-ci. Il ferma quelques secondes ses yeux, profitant des arômes délicats qui lui titillaient les papilles et la langue, puis les rouvrit brusquement, conscient qu'il avait faillit s'abandonner en publique. Il poussa quelques grognements désapprobateurs quant à la qualité déplorable du service et s'accouda dos au bar pour mieux surveiller la salle en sirotant sa chope. A priori, seuls les orks n'avaient pas fait trop attentions à lui: qu'y aurait-il eu de choquant pour eux dans son comportement ? Les autres par contre... Pour la discrétion, c'était loupé.
(Tant pis)Il resta silencieusement là à attendre tranquillement, ressassant intérieurement les événements des derniers mois, conscient de tout le chemin parcouru, et de toutes les routes qui s'offraient maintenant à lui.
Une occasion finit par se présenter d'égayer la soirée: un des orks, après avoir lourdement reculé sa chaise pour lever son derrière musculeux, pris d'un pas incertain la direction du bar. Afin de lui laisser la place devant le taulier, Maltar se décala d'un bon mètre sur la droite, bière à la main, l'imposant guerrier devant ainsi passer devant lui pour accéder au gérant. Il vida d'un trait le fond de bière qui lui restait et reposa sèchement sa chope de grès sur le comptoir. L'ork était maintenant devant lui, puis presque passé une demi-seconde après lorsque Maltar, feignant de prendre la direction de la sortie, crocheta avec sa cheville le pied en suspension de l'ork tout en appuyant de son coude sur sa hanche pour orienter convenablement sa chute, droit sur la table des joueurs de cartes.
Tout s'enchaîna alors. L'ork, fauché en plein déséquilibre, s'écroula de tout son long et cogna contre la table, la renversant sous le choc sur l'un des torkins et sur le pied de l'humoran. Cartes, pièces, consommation, bouteilles vides, tout s'envola dans un immense brouhaha. L'un des torkins indemne, se dressant de tout sont mètre quarante cinq, fût le premier à réagir:
Foutus peau vertes! Les dieux vous ont donc réellement fini au purin pour que vous soyez incapable de boire trois bières et marcher encore droit.L'humoran, lui, s'était relevé en feulant et, volontairement ou non, marcha lourdement sur la tète de l'ork à terre quand celui si reprit ses esprit en secouant la tête, l'air hagard.
Il n'en fallut pas plus à la troupe de peaux vertes, qui se leva comme un homme et se chargea sur les trois nains, l'humoran et les deux hommes des montagnes, renversant sur leur passage les elfes qui ne s'étaient pas écartés de leur chemin.
(hey hey, jackpot!)KRASEZ LES! KASSEZ LEURS LES DENTSS'ensuivit une rixe confuse, qui devint plus confuse encore quand un des ork, pour esquiver un uppercut de l'humoran, bouscula un de ses compagnons d'armes qui le remercia d'un grand coup de coude dans les côtes. La mêlée fut alors générale, les orks se battant aussi bien entre eux que contre les autres belligérants parce qu’après tout, « les boys des aut' races y savent pas kogner ».Il en fût bientôt de même pour les nains : deux d'entre eux voulurent se munir d'un même tabouret pour combattre la menace verte, chacun arguant avoir été assis dessus durant la soirée, et que cette arme traditionnelle lui revenait donc de droit. Aucun ne parvenant à faire recouvrer raison à l'autre, ils réglèrent finalement leur différent à grand coup de poing en se roulant par terre. Seuls les elfes restèrent soudés au cœur des combats, mais croulant sous la masse, cela ne fit pas grande différence.
Maltar, lui, avait profité des deux secondes de flottement suivant la chute de l'ork pour s'éclipser sous une table à l'angle de la salle, attendre que les choses se compliquent sans lui en ricanant au bruit du mobilier qui valdingue et du verre qui se brise. Quand il jugea que l'affrontement avait atteint son paroxysme, il sortit à quatre pattes de sa cachette et se dirigea là où était tombé le gros des mises en slalomant entre les divers meubles renversés par terre et les bris de verre. Il y parvint assez vide, au prix de quelques roulés boulés pour éviter de se faire piétiner par l'un des combattants. Il se dépêcha de ramasser tout l'argent traînant par terre et voulut prendre la poudre d'escampette.
Mais une main lui saisit fermement la cheville et le traîna vers l'intérieur de la taverne: l'ork qu'il avait précédemment aidé à tomber, gisant sur le sol, et dont l’œil torve laissait clairement à penser qu'il avait compris à qui il devait de s'être retrouvé le nez dans une table. (
Par tous les ancêtres qui ont jamais fini dans mon assiette, ce n'est donc jamais assommé ces grunts? Foutue saloperie!). Maltar n'eut pas peur, la peur est un luxe qu'il n'avait pas le temps de se payer, et attrapa le premier outil adapté à la situation qu'il aperçut à portée de bras, la mandoline sylvestre, qu'il abattit d'un revers magistral dans la tempe du colosse, qui le lâcha sous l'impact. Doutant qu'un tel coup ait pu mettre cette brute hors de combat, Maltar s'en éloigna d'un appui sur le visage, se redressa d'un bond et courut dehors pour disparaître dans les ruelles, mandoline sous le bras.
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