La monture a l'air de savoir où me conduire, mais manifestement n'est pas totalement au point en matière d'arrivée visible et en ville, vu qu'il me dépose sur... un pont. Autour, rien qui ne ressemble à un bâtiment, ni de près, ni de loin d'ailleurs. Juste un pont, de l'eau, une cascade qui me hurle aux oreilles et une faille terrestre pour le moins immense.

(Nan, mais il nous a foutu quoi le canasson ?)

A défaut, je ne suis pas seule sur le pont et l'être qui me fait face est un elfe, au regard vert doré captivant. A défaut, voilà celui dont le shaman d'Andél'Ys m'a parlé, enfin indiqué, enfin, l'elfe que je cherchais. Et mieux que tout, il est au courant, ça va éviter pas mal de difficulté.

Il parle au pluriel, soit il est fou, soit il s'agit d'une curieuse manière de parler, un peu comme le font les anciens rois et les Dieux dans les contes et légendes, soit y a plein d'autres elfes cachés autour de nous, ce qui n'aurait rien d'étonnant.

(Tu t'lances ? Ou j'le fais comme avec le chef humain ?)
(Il est civilisé vu les vêtements, je m'en charge !)
(D'accord.)

"Nous avons besoin de vous, et de votre peuple. Je doute que vous l'ignorez, mais une armée se dirige vers ici, vers Andél'Ys et vers Fan-Ming. Je ne vous demande pas d'aider les visages Pâles, eux ne l'accepteraient pas, de toute façon. Mais la forêt aura besoin de vous, la vôtre comme la leur. Un monde n'existe pas parce que les peuples qui y vivent survivent, le monde existe par lui-même. La forêt n'a pas besoin de vous pour vivre, Iso Karhù n'a pas besoin de vous pour vivre; mais les Garzoks d'Oaxaca ne se limiteront pas à tuer les gens. Ils raseront la forêt, ils couperont les arbres, brûleront les souches et mangeront tout ce qui n'est pas végétal. Iso Karhù est puissant, je l'ai vu. Mais à moins qu'Iso Karhù soit immortel, il ne pourra vaincre seul. Il en tuera peut-être cent, mille ou cinq milles, mais il en restera au moins autant derrière."

Je prends une respiration avant de continuer :

"Aliaénon a besoin de vous. Aidez-moi à défendre votre forêt et celle d'Andél'Ys. Aidez-moi à empêcher ces monstres à peau verte de prélever de quoi manger et du bois dans cette forêt. Je sais qu'en tant qu'étrangère, je n'ai aucun pouvoir ici et aucun droit d'exiger la vie des vôtres, mais voilà ce que je suis venue vous dire et ce que je vous implore, genou au sol."

Joignant les actes à la parole, je détache ma ceinture et mes trois armes et m'incline devant l'elfe, posant mon genou droit au sol et ployant la nuque.

(T'y vas fort là non ?)
(Vu ce qu'à dis le guerrier à la masse, on a plutôt intérêt à gagner ces elfes à notre cause. Ployer un genou n'est rien face à une défaite à la guerre, j'ai accepté de mourir pour tenter de sauver Sor-Tini, et je le referais au besoin.)
(Oulà, tu retrouves tes pulsions suicidaires, toi ?)
(Ma vie est là pour ça. Sinon Yuimen choisirait des races immortelles pour faire le travail.)

J'attends la réponse de mon hôte, en espérant un retour positif, ou à défaut pas totalement négatif.

La réponse de l'elfe se fait légèrement attendre, d'une voix posée, il me demande de me relever en touchant mes lianes. Le contact est plus solennel qu'amical et le reste de la réponse va dans le même sens. Tandis que je me redresse, il m'explique que son peuple est à l'abri, que l'armée oaxienne a peur de la forêt et peur d'Iso Karhù et qu'il n'interviendra pas hors de la forêt, hors de sa forêt. Mes pensées s'affolent, il me fournit finalement beaucoup d'informations dans sa réponse, et aucune n'est bonne pour nous. Non seulement il est déjà au courant pour l'armée, mais ils ont déjà été en contact.

(Donc ?)
(Les ennemis sont à portée de main. Ils remontent sans doute le fleuve.)
(Et tu comptes rester à causer ?)
(Il nous faut leur aide !)
(Ils protègent la forêt, c'était pas ton objectif ?)
(Oui... mais...)
(Laisse !)

Je n'ai pas le temps de hurler un "non" qu'Astinor vient prendre le contrôle de mon corps. Je sens les poils qui poussent et qui démangent, les oreilles qui se déplacent. J'ai juste le temps de jurer plus pour moi-même que pour mon hôte en fait :

"Crotte de dragon... Astinor, non !"

Avec un sourire narquois, Astinor regarde l'elfe, prête à débattre à sa façon à elle.

La réaction de l'elfe ne se fait pas attendre, les poils n'avaient même pas finis de pousser qu'il dégaine une dague de laquelle coule une substance verte, du poison à n'en pas douter. Astinor, par réflexe fait un large pas en arrière, pour se mettre hors de portée du couteau et de son détenteur, avant de s'accroupir, ses deux mains prêtes à dégainer en cas de besoin. Manifestement notre hôte est suspicieux et menace ouvertement notre intégrité. Je redoute par dessus tout qu'Astinor réponde à la violence par la violence, comme à son habitude, mais elle décide de rire, simplement.

"Calme-toi, oreilles pointues. J'veux pas échanger des politesses, pas avec toi. J'veux causer d'la guerre. J'veux juste savoir des trucs, que toi tu sais p'tête ! Mais d'abord, tu écarquilles ses esgourdes et renquilles gentiment."

Astinor lui laisse le temps de s'exécuter, ou simplement cherche ses mots avant de poursuivre :

"Oaxaca n'est pas humaine, Oaxaca est une déesse, comme Iso Karhù. Mais surtout, Oaxaca a un dragon noir."

Elle prend le temps de respirer peut-être plus pour se permettre de chercher les bons mots ou simplement de se souvenir.

"J'ai connu dragon noir. Quand j'étais libre et seule, dragon noir était jeune et déjà vivant. Dragon a été crée par la Mort. Dragon noir n'a pas pu être tué, même par nos Dieux. Si y a la guerre ici, y a peut-être le dragon; si y a le dragon, Iso Karhù ne leur fera plus peur !"

(Depuis quand tu connais le dragon, toi ? Je l'ai jamais rencontré !)
(Vingt milles ans, environs. J't'expliquerais... et en attendant, prie de pas le croiser !)

Pour la première fois, je ressens de la peur à travers les pensées d'Astinor. Elle ne fait rien paraître, mais manifestement le dragon d'Oaxaca lui rappelle des mauvais souvenirs. Sortant de notre sac une plume, l'encre et un parchemin, elle s'avance vers l'elfe, calmement, prête à faire marche arrière au moindre soucis. Arrivée à une distance correcte, elle installe le parchemin au sol et commence à gribouiller vite fait d'une main hésitante un court schéma. D'abord d'une grosse forme à gauche et à droite.

"Forêt des humains, votre forêt."

Elle change d'encre et prend la bleue, juste pour faire un cercle et un trait entre les deux massifs forestiers.

"Lac et rivière."

Puis reprenant l'encre noire, elle ajoute quatre croix. Une dans le massif à droite, une dans le massif à gauche, une sur le bord du lac, et une à l'écart en haut.

"Ca, capitale des hommes; ça grosse ville de pêcheurs; ça ici; ça chez nous." explique-t-elle en désignant tour à tour la croix dans le massif à gauche, celle sur le lac, celle à droite et celle en haut.

"Toi, tu connais Garzoks. Tu sais qu'ils ont peur. D'où viennent-ils ? Où sont-ils ? Si toi tu veux pas les arrêter, que humains là et là pas assez puissants pour le faire, qui pourrait nous aider ? Si peuple d'Iso Karhù ne veut pas aider enfant de la forêt, vers qui enfant de la forêt doit-il se tourner ? Qui m'aidera à sauver Iso Karhù du dragon noir, si peuple de la forêt refuse ?"

Les informations pleuvaient de l'elfe devenu soudain plus bavard que je ne l'aurais espéré. Toute rustre qu'elle était, Astinor était capable de faire la part des choses au final. Au début l'elfe n'avait qu'à moitié relâché sa garde, tout en nous apprenant que l'armée qui devait être lointaine était finalement juste à coté de nous, déjà entrain de remonter le fleuve, avec à sa tête un dragon mauve.

(Mauve ? Le dragon d'Oaxaca est noir !)
(Peut-être une créature de Sisstar, Yuimen m'a expliqué qu'Oaxaca a donné le pouvoir à ses sergents de créer des monstres.)
(Mouais.)

Mais alors qu'il parle de l'armée Oaxienne, son attitude change et son regard se plonge dans la cascade. Quand il se rapproche de nous et indique la position des ennemis, son regard se mue en détresse et les paroles qui suivent ne l'explique que trop bien : le dragon a enlevé sa fille. A mi-mot, il nous demande d'intervenir, de l'aider, de les aider, sans quoi ils ne nous aideront pas en retour. Même sans la menace voilée en arrière-plan, c'est un sourire qui se dessine sur le museau de mon alter-ego félin, le même qui se fixe dans mon esprit. Voilà une tâche qui me convient nettement mieux que tout ce que je me suis retrouvée à faire sur ce monde étrange.

"J'te ramène ta fille et une brochette de viande de dragon mauve ? C'est ça qu'tu veux pour nous filer un coup d'main ? Prépare tes troupes, ils t'la rendront pas. Ils vont pas faire que passer. Ils vont rester, et garderont ta fille pour pas qu'tu bouges avec les tiens. Mais moi, j'vais t'la ramener et tu pourras venger ton honneur !"

Astinor se gratte la mâchoire du coin de l'ongle, réfléchissant rapidement, j'entends ses pensées défiler dans notre crâne.

"I'm'faudrait ton couteau. Bon poison contre ennemi, bon signe pour ta fille. Puis des informations. C'quoi ton nom et le sien ? Où est-elle ? Avec l'armée tu crois ? Ailleurs ? Dis-moi tout c'que tu peux, que je règle ça !"

Les pensées d'Astinor défilent à toute vitesse tandis qu'elle répète les trois indications comme une litanie tout en testant l'équilibre de la dague empoisonnée :
(Ejude, Kithra, Dragon mauve)

Selon elle, le dragon mauve ne saurait être aussi dangereux que le noir, ce dernier aurait en effet plutôt mangé la princesse plutôt que de simplement la capturer. Mais un dragon, qu'il soit mauve ou noir, reste un dragon et donc un animal potentiellement très dangereux. S'il garde bien la princesse avec lui, comme le pense son père, alors nous avons une destination approximative, elle sera sans doute suffisante pour le cheval ailé, du moins l'espérons-nous.

La panthère range le poignard dans l'un des fourreau qu'elle a fait installé sur le coté de mes jambières quand nous étions à Kendra Kâr, choisissant de le mettre à droite. Elle prend alors sa carte en main, ainsi que le sifflet et appelle sa monture, il est plus que temps de se mettre en route.

"Therion, l'homme-loup, va venir. Il est brave et votre peuple comprend ses paroles, trouvez-lui une mission pour aider ce monde; moi je me charge de Kithra !"

D'un simple souffle, j'invoque la monture, il va être temps de passer à l'action !

Il ne faut pas plus de temps que la première fois pour que la monture apparaisse, sous le regard pour le moins surpris du commanditaire de ma nouvelle mission. Il faut reconnaître qu'outre la vitesse de déplacement, avoir un cheval qui vient simplement en soufflant dans un sifflet est quelque chose de vraiment pratique, plus qu'un cheval ordinaire qu'il faut aller chercher à l'écurie et tout ce qu'il va avec.
Bref, pour le moment, Astinor récupère sa carte et se dirige vers sa monture grise argentée.

"J'espère qu'tu sais lire une carte, le canasson. On est là, où y a la croix. Ca c'est l'fleuve; ça c'est l'lac; l'elfe il a dit que l'armée était là. Bah j'veux aller là. Par contre, t'es gentil, tu m'poses en lieu sûr : fourrés, carrière abritée, clairière un peu à l'écart,... Bref, là où l'armée te verra pas et me verra pas. Tu peux m'faire ça ?"

Une fois expliqué au pégase où elle voulait aller, Astinor saute d'un bond leste sur son dos. Malgré la vitesse du voyage, je suis bien déterminée à en apprendre plus sur cette armée pendant qu'on la survolera...

Au moment où Ziresh indiqua sa nouvelle destination au cheval ailé, le même voyage magique se déroula devant lui. Il eut l'impression d'avoir seulement cligné des yeux avant de se retrouver dans un endroit inconnu, mais tout simplement magnifique. Même sur Yuimen, il n'avait pas trouvé de spectacle naturel aussi beau. Ce n'était qu'une cascade pourtant, devant un point de pierre et entouré par la forêt. Mais il y avait quelque chose d'extrêmement beau ici.
Et bien entendu, il ne s'était pas attendu à se trouver seul ici. D'autres personnes étaient présentes. Des elfes. Et quant à la lumière qui était visible au loin, le loup d'argent était loin d'imaginer qu'il s'agissait là de l'eau de la cascade, projetée en plusieurs vagues colorées, créant une étrange colonne luminescente qui surmontait la forêt.

A voir les différents elfes présents, le lupin devina bien vite qui étaient ceux responsables de cette magie : certains elfes priaient tandis que d'autres semblaient les protéger d'éventuels perturbateurs. Et lui et Sirop en étaient. Finalement, un vieil elfe (si tant est que ses cheveux gris signifiaient bien qu'il avait un âge avancé) se tourna vers eux et leur demande ce qu'ils venaient faire ici.

Et là, Ziresh se sentit simplement stupide. C'était vrai : que venaient-ils faire ici au juste ? Au premier abord, il était censé retrouver la princesse Honoka juste à Andel'Ys. Au final, il avait tenté d'enrayer la progression d'une armée, et au lieu de cela, un colosse de cinquante mètres de haut s'était élevé. Cette lumière avait éveillé sa curiosité, mais que pouvait-il vraiment faire ? Cette incantation aiderait-elle vraiment Aliaénon ? S'interrogeant lui-même sur l'utilité de sa présence ici, il tenta néanmoins de répondre clairement à cette question.

"Je suis Ziresh de Liykkendra, et voici Sirop de Shory. Nous avons été envoyés par l'armée Ynorienne de Yuimen pour enrayer les plans d'Oaxaca. Nous voulions les empêcher d'arriver à Andel'Ys, mais quelque chose a été réveillé. Un colosse gigantesque pourrait menacer cette ville. Nous avions essayé de l'arrêter, ou au moins de voir comment nous pouvions agir en allant jusque sur sa tête, puis nous avons vu votre lumière. Nous avons pensé qu'il y avait peut-être un lien. Pour l'instant ce géant nous rend service, mais il pourrait bientôt détruire des villes au lieu de se tourner contre Oaxaca..."

Mais cet elfe était sévère et franchement effrayant. De toute évidence, ils venaient de déranger quelque chose d'important et ils étaient loin d'être attendus ici. Mais à voir au moins leur apparence, il devina qu'ils devaient être des alliés. Il n'avait jamais vraiment fréquenté d'elfes lors de ses aventures, mais ceux-ci étaient supposés être bons, s'il ne se trompait pas.

"Écoutez, nous cherchions la princesse Honoka, et nous avons finalement été contraints de trouver un moyen d'arrêter cette armée, ou au moins de la ralentir. Je n'ai pas vu que des garzoks, de sektegs et des géants : un dragon était parmi eux ! Il s'est envolé, mais rien n'indique qu'il ne reviendra pas pour détruire Andel'Ys. Nous avons besoin de vous."