Le corps bien droit, la tête relevée, adoptant une attitude fière, j’avais défié le jeune homme de se présenter comme il se doit. Je le scrutais, suspectant qu’il se défile, qu’il cherche ses mots, qu’il dévoile qu’il avait usurpé l’identité de Seok, le fils d’Astidenix. Mon imagination, plus que fertile, m’avait fait déduire que ce tas de muscles, s’avérait être le benjamin de la famille. Tête brûlée de nature, il aurait séquestré son frère ainé pour prendre sa place et satisfaire ainsi sa soif d’aventure. Ce qui expliquerait que les soldats n’avaient pipé mot, ne sachant point lequel de ses fils, Astidenix avait envoyé au combat.
D’une voix un peu trop forte, et arborant un air trop fier, il se présenta comme Soek, le fils unique d’Astidenix.
(Fils unique ! )Discrètement, je jetai un regard en coin vers l’homme maigre au tablier ensanglanté, citoyen d’AndelY’s, pour constater qu’il ne réagissait point, sûrement parce que Soek ne mentait pas . Plus vite qu’il s’était échafaudé, mon château de cartes de fantasme et de rancune non justifié s’effondra. J’avais à tort suspecté le fils légitime du gouverneur de cette brumeuse cité.
Alors que je cherchais comment me sortir de l’embarras dans lequel j’avais plongé tête première, la séduisante propriétaire des trois embarcations prit la parole à son tour. Elle se nomma : Capitaine Charkere, précisa qu’elle était la seule maîtresse à bord et nous ordonna de prendre place afin de commencer à ramer. Hirotoshi, Egregor, la garde du corps et l’homme étrange s’exécutèrent et je fis de même pendant que la capitaine déployait la voile.
Je pris place aux côtés de Chihiro et lui chuchota à l’oreille.
« Vous avez remarqué les outils accrochés au tablier de notre nouveau compagnon. Je ne voudrais pour rien au monde que l’un de ces accessoires de torture ne s’approche de ma carotide ! » Je profitai bien sûr de la proximité de la jeune dame pour humer son parfum. Puis je m’installai afin de ramer comme il m’avait été demandé.
Envouté par le clapotis de l’eau, le bruit des rames, le sifflement du vent dans la voile, je me mis à chanter d’une voix douce, tout juste assez forte pour être entendu des plus proches de moi,
une vieille chanson qui m’étaient soudainement revenue à la mémoire.